Catéchèse

VINGT-TROISIÈME CATÉCHÈSE, CINQUIÈME MYSTAGOGIQUE, adressée aux nouveaux baptisés.

AVANT-PROPOS SUR LA VINGT-TROISIÈME CATÉCHÈSE.

Cette XXIIIème Catéchèse est un des plus importants monuments de l’antiquité ecclésiastique. C’est le seul de cette époque où l’on trouve la description et l’explication de plusieurs rites observés dans les premiers siècles de l’Eglise. S. Cyrille y découvre aux nouveaux baptisés tout ce qu’ils devaient savoir relativement aux mystères de la sainte Eucharistie, mais rien de plus. Il observe ici la même discrétion qu’il a montrée en expliquant les cérémonies du baptême et du saint chrême. De même qu’il n’a pas parlé des formules dont on se servait pour consacrer l’eau, l’huile et celui qui recevait le baptême, de même garde-t-il ici le plus profond silence sur toutes les prières qui accompagnaient le saint sacrifice. Car il ne parle ni des fréquentes salutations de l’officiant adressées au peuple, (Dominus vobiscum) ni du Canon de la Messe. Il dit ouvertement aux nouveaux baptisés que le pain et le vin offerts en sacrifice sont réellement changés au corps et au sang de Jésus-Christ. Comment ce changement s’opère-t-il ? C’est par la prière, vous dit-il. Mais quelle était cette prière ? C’est ce qui ne se disait, ni ne s’écrivait. Voilà pourquoi Cyrille, après s’être tu sur les prières de l’oblation, après être entré dans les plus grands détails sur la préface que le prêtre dit tout haut, rentre avec lui dans le silence, le laisse prier seul, à voix basse, et abandonne l’assistant à sa dévotion particulière.

S. Basile va nous expliquer le motif de ces réticences : « Quel est celui des Saints qui nous a laissé par écrit les paroles de l’invocation pour faire le pain eucharistique et la coupe de bénédiction ? Car nous ne nous contentons pas des paroles rapportées par l’Apôtre et dans l’Evangile. Nous en ajoutons d’autres avant et après, comme ayant beaucoup de force pour les mystères, et qui n’ont pas été écrites. Dans quels écrits les puise-t-on ? N’est-ce pas dans une tradition tacite et secrète ? A quibus scriptis ? Nonne à tacitâ et secreta traditione ? » (De Spiritu sancto. Cap. XXVII.)

A cette même question S. Augustin répond aussi, s’adressant aux Catéchumènes, sur le Symbole qu’on ne devait pas écrire : Que votre mémoire vous serve d’écrit. Sit vobis codex vestra memoria.

On remarque la même discrétion dans S. Ambroise. Quoique le saint Archevêque de Milan eût traité de la liturgie en plusieurs de ses Œuvres, jamais il n’a donné des explications du Canon. Il n’en a parlé que comme d’un mystère qu’il ne pouvait pas dévoiler. Quoties sumimus sacramenta, per sacræ orationismysterium, in carnem transfigurantur. (De fide IV.) « Parce que, dit-il ailleurs, tout mystère doit être caché sous un fidèle silence, de peur qu’il ne vienne à des oreilles profanes. » Eò quod latere debet omne mysterium, et quasi operiri fido silentio, ne profanis temerè divulgetur auribus. (De Abrahamo V.)

S. Augustin, dans la Messe des fidèles, entre dans presque autant de détails que S. Cyrille ; mais il passe également sous silence tout ce qui concerne le Canon avant et après la consécration. Il se contente de dire que le pain offert est un pain devenu mystique par la consécration. Certa consecratione mysticus fit vobis. (Cont. Faust. Cap. X.) Or, on sait que dans le langage des anciens, toute prière mystique était secrète et cachée.

La discipline de l’Eglise sur cette question fut invariable en Orient et en Occident jusqu’au VI°siècle, où l’empereur Justinien Ier donna une constitution qui est la novelle 137, aliter 123, cap. VII, par laquelle Sa Majesté Impériale enjoignait aux très-saints Evêques et prêtres de faire, à haute et intelligible voix, la prière de l’oblation ainsi que toutes les autres prières à Jésus-Christ Notre-Seigneur dans l’unité du Père et du Saint-Esprit.

Sans entrer dans les motifs de Justinien, il est certain que cet empereur faisait ici les fonctions de Pape et d’Evêque, et qu’on doit lui appliquer ces paroles de S. Ambroise Imperator bonus intra et non supra ecclesiam est. Ad imperatorem pertinent palatia, ad sacerdotem ecclesiæ. (Epist. XXXIII.)

C’est de cette époque que datent tous ces Amen qu’on trouve dans les liturgies orientales, écrites postérieurement à cette novelle. Cette innovation n’est due qu’à l’obséquiosité des Patriarches courtisans de Constantinople, d’Alexandrie et d’Antioche. L’Eglise Romaine seule conserva dans sa liturgie les SECRÈTES ; et c’est contre les novateurs du XVI° siècle que le concile de Trente prononça anathème (Sess. XXII, Can. 9) contre ceux qui condamneraient l’usage de l’Eglise, de réciter à voix basse une partie du Canon et les paroles de la consécration. « Croira-t-on, dit M. Bergier, qu’au commencement du XVII°siècle on a vu des prêtres qui prononçaient à haute voix le Canon et les paroles de la consécration, afin de persuader aux femmes qu’en répétant ces paroles, elles consacraient elles-mêmes. » (Dict. Theol. V° Canon.) C’est sans doute à leur usage et dans ce but qu’on a répandu partout des livres où le Canon de la Messe se dit tant en français qu’en latin.

Nous allons maintenant examiner cette importante Catéchèse dans ses diverses parties.

S. Cyrille passe sous silence tout ce qui précède l’Offertoire et tout ce qui s’est passé en présence des Catéchumènes. C’est après leur sortie que commence la Messe des fidèles. C’est après que le diacre avait versé l’eau sur les mains du célébrant, et des autres prêtres rangés autour de l’autel, qu’il invite à haute voix les fidèles à se donner mutuellement le baiser de paix.

De là, Cyrille entre dans l’explication de l’Hymne triomphale que nous appelons Préface, que le missel gallican nomme Contestation, c’est-à-dire prise à témoin de toutes les créatures, que le missel mozarabique appelle Illation, c’est-à-dire transport de l’âme. Toutes ces préfaces, qui sont très-longues dans les liturgies grecque, gallicane et mozarabique, sont également sublimes et vraiment séraphiques. Cyrille l’appelle aussi une théologie sacrée. C’était, en effet, une théologie complète. Si du temps de S. Cyrille on la chantait telle qu’on la trouve dans la liturgie de S. Jacques, elle n’exigeait pas moins d’une heure de lecture, et se terminait par l’hymne séraphique, le Trisagion ou Sanctus. Il passe ensuite rapidement sur le Canon. Il faut observer ce qu’il dit touchant sa commémoraison des morts.

Le prêtre rompt ensuite le silence pour réciter à haute voix l’oraison Dominicale, à laquelle le peuple répond Amen. Cyrille en développe le sens par un commentaire remarquable par sa concision et sa lucidité. A propos du pain supersubstantiel, émotion, que nous traduisons, tantôt par quotidien, tantôt par substantiel, il revient encore sur la sainte Eucharistie ; il explique le sens de ces mots : Sancta sanctis, que le prêtre disait tout haut, avant de donner la communion, et la réponse que faisait le peuple.

Pendant la communion, le chœur chantait ce verset du Psaume 33 : Gustate et videte, pour inviter les assistants à la communion. Cyrille entre ici dans des détails fort importants sur les dispositions intérieures et extérieures qu’on devait apporter à la sainte table, et termine par ces mots : « Retenez ces traditions dans leur pureté, et ne vous privez jamais de la communion par vos péchés. »

On ne peut douter que cette liturgie, que le XXXII canon du concile In Trullo attribue à l’Apôtre S. Jacques, n’ait été en vigueur dans l’Eglise de Jérusalem, jusqu’au moment où les Patriarches de CP. abusant de leur prétendue suprématie sur les Eglises d’Orient, eurent établi partout, de gré ou de force, leur rite grec. Au reste, on la trouve encore chez les Syriens Melchites, traduite en langue syriaque.

Nous renvoyons le lecteur aux notes qui suivent cette Catéchèse.

SOMMAIRE.

I. Retour sur les précédentes Catéchèses. – II. Le diacre verse de l’eau sur les mains de l’officiant et des prêtres adjoints. III. Du baiser de paix – IV. Explication de ces mots : Sursùm corda, Elevez vos cœurs. – V. Sur ces mots : Gratias agamus, Rendons grâce à Dieu. – VI. Action de grâces à laquelle sont conviées toutes les créatures. – VII. Invocation au St-Esprit avant la consécration. – VIII. Oraison pour les vivants. – IX. Prières pour les morts, par l’intercession des Saints. – X. Utilité des prières pour les morts. – XI. Explication de l’Oraison dominicale. – XII. Que votre nom soit sanctifié. – XIII. Que votre royaume nous advienne. – XIV. Que votre volonté soit faite, etc. – XV. Donnez-nous notre pain substantiel. – XVI. Remettez-nous nos dettes, etc. – XVII. Et ne nous induisez pas, etc. – XVIII. Mais délivrez-nous du mal. – XIX. Sur ces paroles : Sancta sanctis, qui précèdent la communion. – XX. Sur ces paroles : Gustate et videte, pendant la communion. – XXI. Manière de se présenter à la sainte table. – XXII. De communier sous les deux espèces. – XXIII. Sur la nécessité d’observer les traditions.

« Vous dépouillant donc de toute malice, de toute tromperie et de tout esprit de médisance. »

Idcircò deponentes omnem immunditiam, omnem dolum et detractionem, etc. (1 Pierre 2.1 et seq.)

I.

Dans nos précédentes allocutions vous avez été par la miséricorde de Dieu suffisamment instruits de ce qui concerne les sacrements de Baptême, de Confirmation et d’Eucharistie ; il nous reste aujourd’hui à poser la dernière pierre à l’édifice spirituel de votre instruction.

II.

Vous avez vu le diacre verser de l’eau[1] sur les mains du prêtre sacrificateur et de ceux qui entouraient l’autel. N’allez pas croire que cette cérémonie n’ait pour but que la propreté extérieure du corps. Cela n’en est certes pas le motif. Car nous n’entrons jamais dans l’église[2] sans avoir satisfait à ces devoirs. Cette ablution des mains n’est autre chose que le symbole de la pureté de conscience que vous devez apporter au pied des autels. Car de même que les mains sont le symbole de l’action, nous voulons vous faire comprendre par cette ablution l’éloignement où vous devez être de toute action criminelle. Le saint Roi-Prophète ne vous a-t-il pas initiés au sens mystérieux de cette cérémonie, lorsque le prêtre dit avec lui : Je laverai mes mains au milieu des hommes innocents, et j’environnerai, Seigneur, votre autel ? (Psaumes 25.6.)

[1] Vous avez vu le diacre verser de l’eau.
L’auteur des Questions sur l’Ancien et le Nouveau Testament qu’on trouve dans le troisième tome des Œuvres de S. Augustin (Quæst. c) nous apprend que dans les Eglises latines, excepté celle de Rome et celle d’Espagne, comme nous le voyons dans les notes sur le missel Mozarabique du Père Leslée, p. 571, c’était le sous-diacre qui s’acquittait de la fonction de verser l’eau sur les mains de l’officiant. C’était encore à lui que cette fonction était réservée par les Constitutions Apostoliques. Tel était l’usage de l’Eglise de Paris, selon Fortunat (Vita sancti Marcelli apud Surium, nov. I, n. 3 et 4) : la lithurgie de S. Jacques ne dit rien sur ce point. Dans l’Eglise de Lyon c’est un acolyte qui verse l’eau.

[2] Car nous n’entrons jamais dans l’église sans avoir satisfait à ce devoir.
Les bénitiers que nous trouvons à l’entrée de nos églises sont les simulacres des fontaines placées jadis devant le péristyle de nos temples. Eusèbe dit que Paulin fit placer à l’entrée de l’église de Tyr une fontaine, symbole d’expiation sacrée. (Hist. Eccl. lib. X, 4.)
S. Jean Chrysostôme reprend ceux qui, entrant dans l’Eglise, lavent leurs mains et non leurs cœurs. (Homil. in Joh.)
Cet usage était commun aux Païens et aux Juifs. Mais M. Huet a prétendu que les Phéniciens, après l’avoir emprunté des Hébreux, l’avaient transporté dans la Grèce, notamment chez les Athéniens, dans l’Asie mineure, d’où il avait passé chez les Romains, à la suite des Troyens. (Proposit. IV, cap. XI.)
Quelque respect que j’aie pour ce savant Evêque, je crois néanmoins que cet usage est bien antérieur à Moïse, que celui-ci a pu en faire une loi spéciale, mais que la tradition patriarcale en est l’unique origine. Je trouve des fontaines ou réservoirs d’eau pure, placés en face des temples Japonais et Chinois, où tous ceux qui entrent dans les temples, se lavent et les pieds et les mains. On ne persuadera à personne que les Chinois dont l’empire est antérieur de plus de deux siècles à Abraham, aient emprunté des Hébreux cette coutume. D’ailleurs, nous lisons dans la Genèse (Genèse 23.2) que Jacob, avant d’offrir un sacrifice à Béthel, ordonna à ses gens de se laver. Il ne se proposait certes pas d’imiter les Païens.
Ainsi sans recourir à des emprunts imaginaires, pour expliquer des cérémonies universelles, il ne faut qu’admettre une souche commune une doctrine commune qui date, sinon d’Adam, du moins de la tour de Babel, et qui a varié dans les diverses migrations, mais qui a conservé un type originel.
D’ailleurs, il tombait sous les sens les plus grossiers que, pour se présenter en face de la Divinité, il fallait auparavant se purifier du péché, et qu’une purification corporelle, faite à la porte du temple, était le symbole le plus énergique de la pureté des cœurs que la Divinité exigeait de ceux qui se présentaient au pied de ses autels.
Ainsi, de même que l’Eglise n’a point emprunté du paganisme ses cérémonies, de même aussi le paganisme n’a point emprunté les siennes des Hébreux, mais de la source commune à toutes les nations, c’est-à-dire des Patriarches ou chefs des familles.
L’Eglise n’a été dans ses rites que ce qu’elle est dans sa doctrine : dans sa catholicité elle embrasse tous les siècles ; elle a ramené partout les peuples à leur origine, elle les a dépouillés de leurs scories en substituant partout la réalité à la figure.

Ainsi le lavement des mains est le symbole de la pureté du cœur et de l’âme que vous devez apporter au saint sacrifice.

III.

Le diacre chante ensuite : Embrassez-vous les uns les autres, donnez-vous mutuellement le baiser de paix[3]. Ce baiser n’est pas ici une vaine formalité, une chose de pure politesse, tel que ceux dont les amis du siècle font échange entr’eux sur la place publique. Non, non, il n’a rien de commun avec celui des Gentils. Il unit, il confond les âmes entr’elles, il efface des cœurs le souvenir de toutes les injures. Il est le signe, le symbole de la fusion des cœurs entr’eux, et de l’oubli des torts respectifs. C’est pourquoi Jésus-Christ avait dit : Si donc vous présentez votre offrande à l’autel, et que là vous vous souveniez que votre frère a quelque sujet de se plaindre de vous, laissez là votre offrande, allez d’abord vous réconcilier avec votre frère ; puis vous reviendrez ensuite faire votre offrande. (Matthieu 5.23-24.)

[3] Donnez-vous mutuellement le baiser de paix.
Dans la liturgie de S. Jacques, le diacre donne deux fois le signal du baiser de paix : l’une, aussitôt après la sortie des catéchumènes ; l’autre, après la préface. Cette double cérémonie n’ayant qu’un seul et même but, Cyrille se contente de l’expliquer.
Dans les Eglises Grecque, Latine et Gallicane, les fidèles se donnaient le baiser de paix à l’offrande. Osculum pacis porrigere, tempore quo munera offeruntur, in usu est. (Chrysost. De Compunct. cordis.)
Dans l’ancien Missel Gallican, et dans le Mozarabique, on trouve une oraison : Ad pacem, immédiatement après la préface appelée : Contestation et Illation.
Dans les Eglises d’Afrique et de Rome, la paix se donnait à la suite de l’Oraison Dominicale, avant la communion. Post sanctificationem sacrificii, dit S. Augustin, dicimus Orationem Dominicam, post ipsam PAX VOBIS, ut osculentur se Christiani in osculo sancto. (Tom. II, pag. 227.)
Dans les premiers siècles les deux sexes étaient séparés dans nos églises, comme chez les Grecs. Mais la confusion des deux sexes s’étant introduite, on eut recours à un instrument de paix appelé : Osculatoire, que le diacre présentait au prêtre qui le baisait, celui-ci le présentait au sous-diacre qui, après l’avoir baisé, le présentait au peuple, aux femmes même. Il paraît que c’est en Angleterre, dans le XIIIe siècle, que cet usage prit naissance. Déjà dans le XIIe siècle le baiser de paix mutuel avait été restreint à Rome entre les hommes seulement, comme nous le voyons dans Beleth, au XIIe, et Durand au XIIIe, 1226, pour éviter tout sujet de scandale. Homines osculum, id est, pacis signum, sibi invicem dent. Rational. lib. 14, cap. 53, n. 4.)
Mais les prétentions aux prééminences ont encore fait supprimer l’usage de l’Osculatoire chez les laïcs, presque partout, et même dans certaines Eglises, parmi le clergé assistant, pour éviter toute contestation de rang et de primauté entre les différents dignitaires civils ou ecclésiastiques assistants à l’office.
C’est ainsi qu’à Lyon, le diacre, an Da nobis pacem, présente la patène à l’officiant, qui seul la baise.
Je n’ai pu découvrir à quelle date cet usage avait pris naissance dans l’Eglise de Lyon.

Le baiser est donc ici une réconciliation ; c’est pourquoi il est saint, comme le dit quelque part l’apôtre S. Paul : Saluez-vous les uns les autres par le saint baiser (1 Corinthiens 16.20) ; et le prince des Apôtres, dans le baiser de charité (1 Pierre 5.14.)

IV.

Le prêtre élève ensuite la voix et dit : Sursum corda. (Elevez vos cœurs.) C’est dans ce moment en effet que le cœur de l’homme doit rompre et briser tous les liens qui le tiennent à la terre, se dégager de toutes les affections charnelles pour s’élancer vers la Divinité. C’est comme si le prêtre vous ordonnait dans cet instant de dégager votre cœur des soucis de la vie, des ennuis domestiques, et de le porter droit vers le ciel, au pied du trône du Dieu très-clément.

C’est alors que vous lui répondez : Habemus ad Dominum. Déjà (nous l’avons vers Dieu). Par cette réponse vous adhérez à l’injonction que le prêtre vous a faite. Que personne ne se présente donc ici, si, en prononçant ces paroles : Nous l’avons vers Dieu, son esprit, son cœur, sont hors du temple occupés d’affaires temporelles. Rappelons-nous, au reste, que si la faiblesse humaine ne nous permet pas d’être constamment avec Dieu, c’est au moins dans cet instant que nous devons faire tous nos efforts pour être unis à lui.

V.

Le prêtre continue et dit : Gratias agamus Domino Deo nostro. (Rendons grâces au Seigneur.) Quelles actions de grâces ne lui devons-nous pas en effet pour nous avoir comblés de tant de faveurs, de nous avoir réconciliés avec lui lorsque nous étions ses ennemis (Romains 5.10) de nous avoir gratifiés de l’esprit d’adoption ! (Ibid. VIII, 45.)

Alors vous répondez : Dignum et justum est. (Cela est digne, cela est juste.) Nous reconnaissons ici qu’en rendant grâce à Dieu, nous ne faisons qu’une chose juste et digne. Car Dieu n’a point observé à notre égard les lois de sa justice ; sa bonté les a outre-passées. Il nous a comblés de bienfaits ; il a fait plus, il nous a rendus dignes de ses faveurs.

VI.

Convaincus de notre faiblesse pour chanter les louanges du Créateur, nous appelons pour seconder nos timides accents les voix éclatantes du ciel, de la terre, de la mer, de l’astre du jour, de celui de la nuit, de tout le firmament. Nous invitons toutes les créatures, douées ou non douées de raison, visibles et invisibles, les Anges, les Archanges, les Vertus, les Dominations, les Principautés, les Puissances, les Trônes, les Chérubins aux mille-z-yeux[4] (Ezéchiel 10.12) à chanter et à dire avec le Roi-Prophète : Glorifiez avec moi le Seigneur. (Psaumes 33.4) Nous nous élevons jusqu’aux Séraphins qui portent chacun six ailes, comme l’Esprit-Saint les fit voir au prophète Isaïe. Ils étaient, nous dit-il, rangés autour du trône de l’Eternel ; de deux ailes ils voilaient leurs faces, de deux autres ils couvraient leurs pieds, de deux autres enfin ils étaient prêts à voler. A leurs acclamations éternelles, intarissables, nous essayons d’unir et de chanter avec eux : Sanctus, Sanctus, Sanctus, Dominus Deus sabaoth. (Saint, Saint, Saint, le Seigneur, le Dieu des armées.)

[4] Les Cherubins aux mille-z-yeux.
Toutes les liturgies orientales donnent aux Chérubins l’épithète de Polyommates, qu’on traduit en latin par multoculi ; je le rends par celui de mille-z-yeux.
Les descriptions que l’Ecriture nous donne des Chérubins, sont différentes entre elles ; mais elles conviennent en ce qu’elles les représentent toutes sous une figure composée de différentes choses, comme de l’homme, du bœuf, de l’aigle et du lion. Tels étaient les Chérubins décrits par Ezéchiel. (I, 5 ; X, 20,21.) Ceux que décrit S. Jean (Apoc. IV, 6,7) étaient tous chargés d’yeux devant et derrière. S. Cyrille donne aux Chérubins l’épithète de Polyprosopes (multiplicem aspectum habentes). Ne pouvant rendre euphoniquement cette expression, j’ai préféré lire Polyommates qui se trouve d’ailleurs dans la lithurgie de S. Jacques et de S. Basile.

C’est des Séraphins que nous tenons cette théologie[5], et que nous la répétons, pour ne faire avec toute la mêlée céleste qu’un concert unanime de louanges et de glorification[6].

[5] C’est des Séraphins que nous tenons cette théologie.
On sera peut-être surpris de trouver ici le mot de théologie dans le sens où il est employé. Mais dans la langue grecque, il signifie attribuer la divinité à quelqu’un, le déifier. En ce sens le Trisagion est une parfaite théologie. C’est ainsi que l’appelle S. Maxime, dans sa mystagogie (cap. XIII et XXIV) tantôt sous le nom de théologie sanctifiante, tantôt sous celui de hymnologie théologique.
Dans toutes les liturgies orientales on chante deux fois le Trisagion. 1º après l’introit, avant l’épître on chante : Sanctus Deus, sanctus fortis, sanctus immortalis, miserere nobis. 2º Ensuite après la préface vient le Trisagion, tel que nous l’avons.
Quant au premier Trisagion, le Pape Félix III en raconte ainsi l’origine (Epist. ad Petrum Gnaphæum) : La ville de Constantinople se trouvant ébranlée par un violent tremblement de terre, le peuple se porta aussitôt sur toutes les places et se mit en prières avec le PC. Proclus, lorsqu’un enfant, aux yeux de tout le peuple, fut enlevé dans le ciel, in cœlum raptus, d’où il ne descendit qu’après une heure d’absence. Il raconta que les Anges lui avaient appris cette hymne, lui avaient enjoint de la communiquer au peuple pour qu’il la chantât, afin d’apaiser la colère de Dieu ; moyen qui serait infaillible s’il lachantait dévotement, et c’est ce qui arriva le tremblement de terre cessa aussitôt. (Vid. Onomasticon sacrum, V° Trisagion.)
L’Empereur Théodose II en fit un décret spécial pour toute l’étendue de l’empire romain.
Dans l’Eglise latine on ne le chante qu’une fois dans l’année, la VIe férie de la semaine sainte (le vendredi-saint) en grec et en latin.
Siméon de Thessalonique nous apprend que dans la liturgie de CP. l’Evêque officiant prend, pendant qu’on chante le Trisagion, un chandelier à trois branches, de la main droite, et un à deux branches de la main gauche, et qu’il bénit le peuple en tenant ces deux chandeliers. Le premier à trois branches représente la Ste-Trinité, le second à deux branches représente les deux natures de Jésus-Christ. De templo, pag. 222 et seq. (Voy. Goar. Lib. de sacramentis.)

[6] Nous invitons toutes les créatures visibles et invisibles, les Anges, les Archanges, etc.
Il n’est rien de plus incertain et de moins constant que l’ordre qu’ont mis les Pères Grecs et Latins dans l’énumération des chœurs qui constituent la hiérarchie angélique.
S. Denys compte neuf chœurs, dont il compose trois hiérarchies, 1° des Thrones, 2° des Chérubins, 3º des Séraphins.
Cyrille (Catéch. XVI, 23) ne fait mention que de huit chœurs, savoir : 1° Anges, 2° Archanges, 3° Esprits, 4° Vertus, 5° Principautés, 6° Puissances, 7° Thrones, 8° Dominations.
Dans cette XXIIIe Catéch. n. 6, il retranche les Esprits, et y ajoute les Chérubins et les Séraphins dont il reconstitue le nombre novénaire.
S. Grégoire le Grand (lib, XXXII, in Job. cap. 18) les énumère ainsi : 1° Anges, 2° Archanges, 3° Thrônes, 4° Dominations, 5° Vertus 6° Principautés, 7° Puissances, 8° Chérubins, 9° Séraphins. Mais dans l’homélie XXXIV, in Evangel., il intervertit cet ordre, et place les Vertus à la suite des Archanges, et les Thrones après les Puissances, et devant les Chérubins et les Séraphins.
D’autres variations se remarquent aussi dans Basile de Séleucie. (Orat. in Deiparam.) Dans Nicéphore de CP. (Disput. de sacris imagin.) dans S. Jean Chrysostôme, qui terminent la série par les Chérubins.
Mais plusieurs, sans s’arrêter à la catégorie novénaire, la réduisent à un nombre très-arbitraire.
Quant à leur séjour, les opinions varient également. Cyrille a dit que les Anges peuplaient le ciel. (Catéch. III, 5.)
Quoique l’Ecriture ne fasse mention que de trois cieux, Cyrille les porte à un nombre infini et connu de Dieu seul. Cœli cœlorum. De ce nombre infini il compose neuf sphères, dont il fait le séjour des neuf chœurs des Anges. (Voy. Catéch. XI, 11.)
Sur le nombre des cieux il n’y a pas plus chez les Pères Grecs et Latins d’opinion fixe que sur les chœurs des Anges. Les uns n’ont connu qu’un ciel, comme S. Jean Chrysostôme (Homil. XIV in Genesim) comme Théodoret, qui dit que celui qui compte plusieurs cieux s’attache à des fables, ainsi que Cosme l’Egyptien, etc. D’autres en comptent trois, d’après S. Paul. D’autres en admettent sept, tels qu’Astérius d’Amasie. (Homil. in SS. Petr. et Paul.) Paulin (Poœma ultim.) Philostorge nous permet d’en compter sept, sans crainte d’être accusés d’hérésie. (Hær. XLVI, 3.)
Au reste, le sentiment de Cyrille est en parfaite harmonie avec celui de S. Hilaire, qui admet autant de sphères célestes que de chœurs des Anges.
« Que la science humaine, dit ce saint Docteur, ne se hasarde pas de compter les sphères célestes. L’Apôtre parle, il est vrai, du troisième ciel où il fut élevé ; il parle aussi des Trônes, des Dominations, des Principautés, des Puissances (Colossiens 1.16) auxquelles il faut assigner des stations plus ou moins élevées ; et il donne à entendre qu’il en est d’autres dont la connaissance nous est réservée dans le siècle futur. Mais l’Apôtre ne nous a rien dit sur le nombre des cieux. Je ne sais si c’est par réticence ou par défaut de révélation, il nous suffit de savoir qu’il y a plusieurs cieux. Cœli cœlorum. » (In Psal. CXXXV, 10.)
S. Ignace d’Antioche pensait aussi que les Anges stationnaient dans des sphères qui les rapprochaient plus ou moins du Trône de l’Eternel suivant leur emploi, leur rang, leur dignité dans la hiérarchie céleste. (Epist. ad Trall. n. 5.)
S. Grégoire de Nysse distingue les Anges Périgées, c’est-à-dire qui stationnent autour de notre globe, de ceux qui habitent les sphères supérieures. C’est ainsi que tous les Pères se sont expliqués en commentant ce verset 7 du Ps. XXIII. Attollite portas, principes, vestras.
Les noms de Michel, de Raphaël, de Gabriel, ne sont connus, dit M. Huet, que depuis la captivité. (Demonstr. Evang. p. 169.)

VII.

Après nous être nous-mêmes sanctifiés par cette hymne céleste, nous conjurons la miséricorde divine d’envoyer l’Esprit-Saint sur les dons déposés sur l’autel[7], afin que le pain soit changé au corps et le vin au sang de Jésus-Christ. Car tout ce qui reçoit l’impression du Saint-Esprit est sanctifié et transsubstantié.

[7] Nous conjurons la miséricorde divine d’envoyer son Esprit. :
C’est l’oraison dont parle ailleurs S. Cyrille, sous le titre : Adorandæ Trinitatis (Catéch. xix, 7) et sous celui de Spiritûs sancli (Catéch. XXI, 3) que nous trouvons conçue en ces termes dans la lithurgie de S. Jacques Miserere nostri, Domine Deus, Pater omnipotens, miserere nostrî, Deus servator noster, secundùm magnam misericordiam tuam, et emitte super nos et super hæc proposita dona Spiritum tuum sanctissimum…… ut superveniens, sancta, bond, et gloriosa sui præsentia sanctificet et faciat hunc quidem panem corpus sanctum Christi tui. Le peuple répond Amen… Et hunc calicem pretiosum sanguinem Christi tui. Le peuple répond Amen.
C’est à cette unique prière, sans égard aux paroles de l’Evangile, que Cyrille paraît attribuer ici l’effet de la transsubstantiation. Il ne faut cependant pas croire qu’il entende ôter aux paroles de l’Evangile, que nous appelons sacramentelles, leur efficacité ou seulement la diminuer, comme nous l’avons ailleurs prouvé. Au reste, voyez le Dictionnaire Théologique de Bergier, V°Consécration. Une autre observation importante à faire ici, c’est sur le silence que garde Cyrille sur le canon et la prière de la consécration. Il exprime bien ce qu’on demande et ce qui arrive ; mais il ne dit rien de la formule des prières qu’on appelle, en style de liturgie Les secrètes. Il passe aussi légèrement sur l’action du sacrifice que le Pape S. Innocent, S. Ambroise, S. Augustin, ont fait sur le même sujet.
Quoique S. Ambroise parle des prières du Canon, il ne les indique que comme un mystère et un secret. Quoties sumimus sacramenta per sacræ orationis mysterium in carnem transfigurantur. (Lib. IV, de Fide ad grat. cap. 10.)
C’est ainsi que les Latins prenaient, ordinairement le mot mystère pour une chose qu’on ne devait pas divulguer. Illud tantùm tanquam mysterium teneant. (Cicer. de Orat. cap. 7, n.. 38.)
S. Amboise n’en donne pas d’autre raison : « Parce qu’il faut dit-il, tenir les mystères voilés sous un fidèle silence, de peur qu’ils « ne viennent aux oreilles profanes. » (De Abrah. cap. 5.)
S. Augustin expose la messe des fidèles avec presque autant de détail que S. Cyrille, jusqu’à la préface. Mais, lorsqu’il en vient au canon, il s’arrête, passe outre et dit : Deinde post sanctificationem sacrificii Dei, ubi est peracta sanctificatio, dicimus orationem Dominicam. Remarquez que ni S. Cyrille, ni S. Augustin n’indiquent de la part du peuple aucune adhésion verbale aux prières secrètes, et ne lui font pas répondre Amen. Ainsi soit-il.
Le savant Assemanni, Syrien Maronite, Archevêque de Tyr, mort à Rome au commencement de 1768, nous a laissé un document précieux de l’antiquité sur le motif des prières SECRÈTES qui se font au saint sacrifice de la sainte messe, et sur le SECRET observé en général dans la primitive Eglise. C’est la traduction d’une lettre de Jacques, évêque d’Edesse, qui vivait vers l’an 651.
Après avoir exposé l’ordre de la liturgie, quant aux Ecoutants, aux Energumènes, aux Pénitents, et la manière dont ils sortaient les uns après les autres de l’Eglise, il fait dire au diacre : Claudite januas, Fermez les portes.
« On nous demandera peut-être, continue-t-il, d’où vient qu’on fermait alors les portes ? Nous répondrons qu’on célébrait les portes fermées, on silence, et suivant la tradition orale (c’est-à-dire sans écrit) 1º De peur que les Païens ne connussent nos mystères et ne les contrefissent à l’égard de leurs idoles, comme fit Hiram, roi de Tyr, qui bâtit un temple semblable à celui de Jérusalem, où il faisait offrir des victimes légales ; ou comme Julien, devenu païen, lequel, en l’honneur de ses idoles, dressa des prières, des oblations et des cérémonies, selon la forme et le rit des sacrements de l’Eglise. »
Ici M. Assemanni remarque que Jacques Barsalibi, qui écrivait au XIIe siècle, et dont les écrits lui avaient fourni ce document, avait omis les autres raisons apportées par Jacques d’Edesse.

VIII.

Après la confection de ce sacrifice spirituel et non sanglant, nous demandons à Dieu sur cette victime de propitiation la paix pour toutes les Eglises ; nous le prions pour le maintien de l’ordre social. Nous offrons cette victime pour le salut des empereurs, pour la prospérité de leurs armes, pour les malades, les infirmes, les affligés, pour tous ceux en général qui ont besoin de secours.

IX.

Nous faisons ensuite commémoraison de tous ceux qui se sont endormis ; d’abord des PC., des Prophètes, des Apôtres, des Martyrs, pour qu’à leur intervention, à leurs prières, Dieu daigne accueillir et exaucer les nôtres. Nous prions ensuite pour tous nos pères, pour les Evêques, pour tous ceux d’entre nous qui nous ont précédés dans la voie de l’éternité et (dans l’espoir de la résurrection)[8]. Cette oraison est surtout en faveur de ceux qui sont morts dans l’espérance et la foi. Que cette oraison faite et prononcée en face et sur la victime redoutable, serait d’un grand soulagement pour le salut de leurs âmes !

[8] Dans l’espoir de la résurrection.
Nous ajoutons cette parenthèse, parce que ces mots : in spe resurrectionis, se trouvent dans toutes les éditions.
La prière et le sacrifice pour les morts suppose nécessairement le purgatoire. Outre l’oraison pour les défunts que l’on trouve dans toutes les liturgies, tant orientales qu’occidentales, on trouve encore dans les plus anciens missels et sacramentaires romains des messes particulières pour les morts, ainsi que dans le missel Mozarabique, le sacramentaire de Bobio, le lectionnaire de Luxeuil. La différence que l’on remarque entre les messes mortuaires des Grecs et des Latins, c’est que chez ces derniers, outre certains rites particuliers, on trouve les leçons de l’Ecriture, les oraisons, les antiennes, les préfaces qui leur sont propres, tandis que chez les Grecs les messes mortuaires ne diffèrent des autres que par l’épître et l’évangile, que par une oblation particulière pour le défunt. C’est toujours la lithurgie de S. Jean Chrysostôme.
Tertullien (de Monogamia, cap. X) parle de l’anniversaire que la veuve doit faire célébrer pour l’âme de son mari. Enimvero pro anima ejus (viri) orat (uxor superstes) et refrigerium interim adpostulat ei, et offert ánnuis diebus dormitionem ejus. Et ailleurs (Lib. Exhort. ad castit.) il dit : Pro qua annuas oblationes reddat.
Les Orientaux, outre le jour de la déposition, célèbrent encore le troisième, neuvième, quarantième et l’annuel, ainsi que l’indique l’auteur des Constitutions Apostoliques (lib. VI, 42. Voy. Nat. ad miss. Mozar. p. 617.) Nous ne parlons pas ici de S. Cyprien qui est postérieur à Tertullien, mais dont le témoignage est néanmoins important. (Vid. Epist. LV, p. 247 ; Epist. 1, p. 170.)

X.

C’est ici un point de doctrine sur lequel je ne dois laisser aucun doute dans vos esprits. Car j’ai entendu plusieurs fois dire : Quelle nécessité y-a-t-il de prier pour les âmes des défunts[9], morts en état de péché ou en état de pureté ? Mais je demanderai à ces scrutateurs de la justice divine, si lorsqu’un monarque a envoyé en exil quelques-uns de ses sujets en punition de quelqu’offense, leurs parents, leurs amis, offraient à ce prince irrité une couronne qu’ils auraient eux-même tressée, je demanderai à ces âmes dures si ce prince ne pourrait, sans blesser la justice, se relâcher de la sévérité de son arrêt.

[9] Quelle nécessité y a-t-il de prier pour les âmes des défunts ?
Cette note peut être considérée comme la suite de la précédente. Nous retrouvons, sous le nom de S. Cyrille, les deux paragraphes ci-dessus, n. 9 et 10, dans un sermon d’Eustathius qui vivait sous le Patriarchat d’Eutychus, dans le milieu du VIe siècle, et que nous a reproduit Allatius Leo, dans son livre de Purgatorio. (Rom. 1655, in-8°.)
Certains critiques ont cru que S. Cyrille ne combattait ici que l’ignorance de quelques chrétiens. Car, disent-ils, le premier qui a attaqué le dogme du purgatoire est Aérius. Or, selon S. Epiphane (Hæres. LXXV, 1) cet hérésíarque n’a commencé à dogmatiser que vers l’an 355. Mais quoi qu’il en soit, nous dirons aux enfants de Luther et de Calvin : Remarquez ici cette chaîne traditionnelle, apostolique, dont le premier anneau sans parler des inductions qu’on peut tirer des Evangiles, des Actes, des Epîtres des Apôtres, réside dans les liturgies qui datent du Ier siècle de l’Eglise.
Remarquez, leur dirons-nous encore cette explication franche et catholique de l’appel que nous faisons aux Saints, lequel, loin d’ôter au sacrifice de Jésus-Christ la force de sa médiation, n’est ici que comme un moyen corroboratif pour en obtenir tous les effets.
Faites attention, ajouterons-nous, à cette différence que met l’Eglise entre la prière qu’elle adresse aux Saints et celle qu’elle fait ici pour les morts. Dans la première elle ne fait des saints qu’une simple mention, pour que Dieu, par leur intercession, nous soit favorable, et tienne notre sacrifice pour agréable. Dans le second elle prie pour les défunts.
Enfin nous inviterons ceux de nos frères dissidents qui cherchent la vérité de bonne foi, à remonter avec nous cette chaîne traditionnelle qui ne peut les égarer.
Après avoir entendu S. Cyrille, qu’ils prêtent l’oreille, non pas aux Constitutions Apostoliques, dont l’authenticité est controversée, du moins en partie, mais à Tertullien, mais à S. Cyprien, mais à S. Ambroise, mais à toute l’antiquité ; puisque le premier hérésiarque Aérius qui attaqua le dogme du purgatoire ne date que de l’an 355, et que Tertullien et Cyprien lui sont antérieurs d’un siècle.

C’est ainsi que nous, quoique pécheurs, offrons à Dieu non pas une couronne, mais d’humbles suppliques pour nos frères défunts ; nous faisons plus ; nous lui offrons le corps, le sang de Jésus-Christ son Fils, mort et sacrifié pour nos péchés, nous cherchons à désarmer la justice, nous invoquons sa miséricorde, tant pour nous que pour nos frères décédés.

XI.

A ces prières succède l’oraison dominicale que le Seigneur apprit lui-même à ses propres disciples. Nous reposant sur l’infinie miséricorde de Dieu, nous l’appelons notre Père avec cette confiance qu’inspire une conscience pure, et lui disons : NOTRE PÈRE QUI ÊTES AUX CIEUX.

O clémence adorable ! ô bonté infinie ! ô ineffable tendresse d’un Dieu qui permet à d’ingrats mortels qui ont toujours vécu loin de lui, qui se sont livrés aux plus criminels excès, de s’approcher de lui, qui oublie tous leurs outrages, qui les admet à sa table comme des enfants soumis, et qui veut s’entendre appeler leur Père !

Notre Père qui êtes aux cieux. De quels cieux parlons-nous ? Puissent ces cieux être ceux dont parle l’Apôtre, qui portent en eux l’image de l’homme céleste (1 Corinthiens 15.49) ou ceux parmi lesquels Dieu habite, au milieu desquels il marche ! (2 Corinthiens 6.16.)

XII.

Que votre nom soit sanctifié. Le nom de Dieu est saint de sa nature, que nous le disions ou ne le disions pas. Mais comme les pécheurs le profanent souvent, suivant ces paroles du Prophète que répète l’Apôtre : Vous êtes cause que mon nom est sans cesse blasphémé parmi les nations (Esaïe 52.5 ; Romains 2.24) nous demandons que le nom de Dieu soit sanctifié en nous. Non pas, je le répète, que sa sainteté pût avoir un commencement, et être ce qu’elle n’était pas, mais c’est pour qu’il nous communique sa sainteté et qu’il nous en rende dignes.

XIII.

Que votre royaume advienne. C’est le propre d’une âme pure de pouvoir dire avec confiance : Que votre royaume advienne. Car quiconque aura médité ces paroles de l’Apôtre : Que le péché ne règne donc pas en votre corps mortel (Romains 6.12) quiconque pourra – se rendre témoignage d’une conscience pure de pensées, de paroles et d’actions, pourra dire : Que votre royaume advienne.

XIV.

Que votre volonté soit faite en la terre comme au ciel. Les Anges, toute la milice céleste, font, exécutent la volonté de Dieu, comme l’a dit le Roi-Prophète : Bénissez Jéhova, vous tous qui êtes ses Anges, vous qui êtes puissants et remplis de force, vous qui obéissez à sa voix, et qui faites sa volonté. (Psaumes 102.20.) C’est comme si vous disiez à Dieu en d’autres termes : « Que votre volonté, Seigneur, s’exécute en moi et par moi sur la terre comme elle s’exécute dans le ciel par vos Anges. »

XV.

Donnez-nous aujourd’hui notre pain substantiel. Le pain que vous demandez n’est pas ce pain matériel destiné à nourrir le corps ; il est, disons-nous, substantiel ; ce pain vraiment saint est substantiel en ce sens qu’il est propre, qu’il est destiné à la substance de notre âme. Bien différent du pain matériel, il n’est sujet à aucun des accidents de la digestion ; mais il se distribue dans toute votre économie animale au profit de votre corps et de votre âme.

Le mot Aujourd’hui, se dit ici pour chaque jour. Jusqu’à ce que, dit S. Paul, CHAQUE JOUR soit le jour d’aujourd’hui. (Hébreux 3.13.)

XVI.

Remettez-nous nos dettes, comme nous les remettons à nos débiteurs. Il n’est pas un de nous qui n’ait beaucoup de péchés sur la conscience ; nous offensons Dieu et par pensées et par paroles, et nous commettons beaucoup d’actions condamnables. Car, dit S. Jean, Si nous disons que nous sommes sans péché, nous nous mentons à nous-mêmes. (1 Jean 1.8.) C’est ici une espèce de contrat que nous passons avec Dieu, nous lui demandons le pardon de nos fautes aux mêmes clauses et conditions que nous l’accordons à notre prochain. Considérons donc bien quelles sont les offenses que nous mettons dans la balance divine en contrepoids de nos iniquités, et n’hésitons pas un instant, ne tergiversons pas, hâtons-nous de nous pardonner mutuellement.

Quels que soient les torts dont notre prochain puisse être coupable envers nous, ils seront toujours petits, légers, faciles à réparer, si nous les comparons avec nos offenses envers Dieu qui ne peuvent être que graves, qui ne peuvent être effacés que par la seule miséricorde divine. Gardez-vous donc bien pour de misérables vétilles de vous exclure du pardon de vos péchés qui ne peuvent être que graves, de vous fermer à vous-mêmes la porte des miséricordes divines.

XVII.

Et ne nous induisez pas en tentation, Seigneur. L’intention du Sauveur était-elle que nous demandassions à Dieu de nous soustraire à la tentation ? Et pourquoi est-il écrit quelque part : L’homme non tenté n’est point éprouvé[10] ; et ailleurs : Regardez comme le motif d’une grande joie les diverses tentations dans lesquelles vous tombez. (Jacques 1.2.) Car qui dit tomber en tentation ne dit pas être submergé la tentation ressemble à un torrent difficile à passer, et ceux-là qui dans la tentation ne sont pas submergés ressemblent à ces bons nageurs qui franchissent toutes les vagues, tandis que les autres se laissent emporter et engloutir.

[10] L’homme non tenté n’est point éprouvé. Vir non tentatus, non probatus.
Cet adage, tel qu’il est ici énoncé, ne se trouve dans aucun des Livres saints. Cependant il est cité par beaucoup de Pères Grecs et Latins ; mais aucun d’eux n’a indiqué la source où il l’avait puisé. Il est vrai qu’on trouve au livre de l’Ecclésiastique ces mots : Qui non est tentatus, quid scit (cap. XXXIV, 9) (Que sait celui qui n’a point été tenté) et d’autres paroles de S. Paul qui ont quelque analogie avec cet adage. (Vid. Rom. V, 4,5.) Il est probable que le sens collectif de tous ces passages a formé une espèce de proverbes parmi les docteurs Grecs et Latins.

Prenons pour exemple Judas. Il entra dans le torrent ou la tentation de l’avarice ; il ne le franchit pas, il fut englouti, et périt corps et âme. Pierre entra aussi dans le torrent de l’apostasie ; mais il le traversa, et s’armant de courage il parvint à surmonter la tentation[11]. Ecoutez encore les Saints qui rendent en chœur des actions de grâces pour avoir été délivrés de la tentation. Vous nous avez éprouvés, ô Dieu ! vous nous avez purifiés comme l’argent qui passe à la coupelle ; vous nous avez faits tomber dans les lacets (de l’ennemi) vous avez chargé notre dos de tribulations, vous nous avez mis sous le joug d’hommes (méchants) nous avons passé par le feu et par l’eau, et enfin vous nous avez introduits dans un lieu de rafraîchissements. (Psaumes 65.10-12.)

[11] Il parvint à surmonter la tentation.
S. Cyrille ne prétend pas que S. Pierre n’ait pas commis un grand péché, comme certains docteurs que S. Jérôme (in Matth. XXV, 72) relève avec raison, lesquels, à l’aide d’une restriction mentale et d’une frivole distinction de mots, prétendent le justifier. Nous avons vu (Catéch. II, 19) que Cyrille avoue, sans restriction, que Pierre avait trois fois renié le Sauveur, mais que, touché intérieurement d’un vif regret, il avait obtenu le pardon de son péché, et avait donné aux pécheurs un insigne exemple des effets salutaires de la pénitence.
Voilà ce que S. Cyrille appelle surmonter la tentation ; ce n’est pas, selon lui, d’éviter le péché seulement, mais c’est de se relever aussitôt par la voie de la pénitence. Si donc Judas fut submergé dans la tentation d’avarice, ce n’est pas tant parce que, prêtant l’oreille à la tentation, il avait trahi Jésus-Christ, que, parce qu’au lieu de recourir aux larmes de la pénitence, il avait désespéré de la miséricorde de Dieu et mis fin à ses jours.
Cette doctrine, sur la manière de vaincre la tentation ou d’en être vaincu, paraît répugner au sentiment commun des théologiens.
L’auteur du Pré spirituel, Jean Moschus (cap. 209) s’exprime à peu près de même sur ces paroles du Pater : Et ne nos inducas…. Non ut ne tentemur dicimus, hoc enim fieri non potest, sed ut à tentatione non absorbeamur, faciendo aliquid quod displiceat Deo hoc quippe est non intrare in tentationem. (Vid. Monum. Eccles. Græc. t. 1, p. 447.)
Hesychius qu’on dit avoir été prêtre de l’Eglise de Jérusalem, qui vivait au commencement du VIIe siècle (in Levit. cap. V, 2) a dit aussi Neque enim omnis qui à bestid capitur, jam omni modo ab ed occiditur. Forsitan enim et postquam capitur, liberatur sicut Petrus. Incidit enim in Diaboli laqueum tempore negationis, sed resipiscens evasit et dicit cum David : Anima mea sicut passer erepta est, etc.

Les voyez-vous ici tressaillir de joie d’avoir traversé le torrent des tentations, d’avoir lutté et de ne pas s’être laissé engloutir ? Ils terminent leur chant de victoire par ces mots : Vous nous avez enfin introduits dans un lieu de rafraîchissements. Or, qu’est-ce qu’être introduit dans ce lieu ? sinon être délivré de la tentation ?

XVIII.

Mais délivrez-nous du mal. Si ces mots : Ne nous induisez pas en tentation, eussent renfermé implicitement la demande d’être exempt de toute tentation, le Sauveur n’eût pas ajouté celle-ci : Mais délivrez-nous du mal. Qu’est-il ce mal ? C’est notre ennemi ; c’est le démon, dont nous demandons d’être délivrés.

L’oraison finie, vous répondez : Ainsi soit-il, et par ces mots vous adhérez à la prière que le prêtre vient d’adresser à Dieu au nom de tous, et vous ratifiez en votre nom particulier la demande qu’il vient de faire.

XIX.

Le prêtre dit ensuite : Aux saints les choses saintes[12].

[12] Aux saints les choses saintes. (Sancta sanctis.)
Cet avertissement de l’officiant se rencontre dans toutes les lithurgies orientales et dans le missel Mozarabique, et dans les Constitutions Apostoliques. (Lib. VIII, cap. 13.) (Vid. Catéch. XIX, 7 ; XXI, 3.)
Dans l’Eglise de Jérusalem c’était l’officiant qui disait ces paroles ; mais à Antioche et à CP. c’était la fonction du diacre. (Vid. Chrysost. Hom. LXI, Ad popul. Antioch.)

Les choses saintes sont ce qui est sur l’autel lorsque le Saint-Esprit y est descendu. Vous aussi vous êtes saints par l’infusion du Saint-Esprit dont vous avez été gratifiés. C’est en ce sens que les choses saintes sont faites pour les saints.

A cela vous répondez : Il n’est qu’un seul saint, un seul Seigneur, Jésus-Christ. Car en effet il n’est qu’un seul saint par nature. Nous aussi, nous sommes saints non par nature, mais par communication, par désir, et par la pratique des bonnes œuvres.

XX.

Vous avez entendu le chœur qui dans un chant mélodieux vous invitait à venir prendre place au banquet des saints : Goûtez, et voyez combien est doux le Seigneur. (Psaumes 33.9.) N’appelez pas ici en témoignage vos sens, votre goût, votre palais. Non, vous dis-je, c’est à votre foi inébranlable que vous devez vous en rapporter. C’est elle qui doit écarter tout doute de votre esprit. Car il n’est plus permis à ceux qui sont admis au banquet sacré de voir du pain et du vin, mais seulement l’antitype du corps et du sang de Jésus-Christ.

XXI.

En approchant de la sainte table[13], n’ouvrez pas entièrement la main, n’écartez pas les doigts, mais placez votre main gauche sous la main droite, faites-en une espèce de trône pour y placer le Roi des rois, et dans le creux de votre main recevez le précieux corps en répondant : Amen.

[13] En approchant de la sainte table.
Dans l’Eglise de Jérusalem, la communion se donnait au peuple dans l’intérieur du sanctuaire, au pied de l’autel. (Ex vita sancti Euthymii, pag. 60, Analecta Græcia, t. 1, Catéch. XVIII, 32.)
C’était en général la coutume ancienne de communier dans l’intérieur de la balustrade ou cancels, qui régnait autour de l’autel. (Vid. Ign. Epist. ad Ephes, n. 36 ; Varia loca S. Chrysostomi ; Euseb. Hist. lib. VIII, 9 ; Tertul. de orat. 14 ; De Gallicana, ex Gregor. Tur. lib. IX, 3.)
Mais on trouve aussi des statuts qui ne permettent pas de donner la communion dans l’intérieur de la balustrade qu’aux seuls ministres des autels. (Vid. Conc. Laodic. Can. XIX.)
Du temps de S. Augustin la communion ne se donnait au peuple qu’en dehors de la balustrade qui séparait le chœur de la nef. (Aug. Serm. 392, 5.)

Puis, lorsque respectueusement et avec précaution vous aurez sanctifié vos yeux par le contact du précieux corps, consommez-le. Gardez-vous d’en perdre la plus légère fraction ; croyez que la moindre perte que vous en feriez serait au-dessus de celle d’un de vos membres les plus précieux. Car, dites-moi, je vous prie, si quelqu’un vous avait donné des paillettes d’or, ne les conserveriez-vous pas précieusement ? N’apporteriez-vous pas les plus grandes précautions pour n’en point perdre ? Eh ! quel autre soin, quelle autre précaution ne prendrez-vous pas pour ne rien perdre d’un trésor infiniment plus précieux que tout l’or, toutes les pierreries de la terre ?

XXII.

Après la perception du corps de Jésus-Christ, approchez-vous de la coupe sacrée. Ici vous ne tendrez plus la main ouverte, mais la tête penchée[14], dans un esprit de recueillement et d’adoration, vous direz Amen, pour être sanctifiés par la perception du précieux sang.

[14] Mais la tête inclinée et non pas à genou, comme l’a traduit Bellarmin dans ses controverses. Car anciennement c’était debout, dans l’Eglise Grecque et Latine, qu’on se présentait à la sainte table, comme d’autres l’ont observé avant nous.

Et pendant que vos lèvres en sont encore humides, recueillez-en de l’extrémité de vos doigts, puis portez-les sur vos yeux, votre front et vos autres sens. Enfin en attendant l’oraison du prêtre, livrez-vous à des réflexions d’actions de grâces envers Dieu qui a daigné vous initier à de si hauts mystères.

XXIII.

Retenez et conservez dans toute leur intégrité ces traditions. Maintenez-vous vous-mêmes dans l’état de pureté que vous venez de conquérir. Ayez soin que les souillures du péché ne vous tiennent pas éloignés de cette table sainte et de ces mystères sacrés.

Que le Dieu de paix vous sanctifie intégralement ; que tout ce qui est en vous, le corps, l’âme, l’esprit, se conservent pour l’avènement de Notre-Seigneur Jésus-Christ (1 Thessaloniciens 5.23) à qui appartient honneur, gloire, empire, avec le Père et le Saint-Esprit, maintenant, toujours, dans les siècles des siècles.

Ainsi soit-il.

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