C’est autour du terme θεοτόκος que s’engagea la lutte qui donna naissance à la controverse nestorienne. Ce mot avait été déjà en Occident l’occasion d’une querelle qui est le prélude de cette controverse, absolument comme la querelle des deux Denys avait été le prélude de la polémique arienne.
Vers 420, un moine de Marseille, nommé Léporius, partisan de l’opinion syrienne, combattit le mot Dei genitrix (θεοτόκος), déjà usité en Occident. Il disait que « c’est seulement en tant qu’homme que Jésus est né de Marie, qu’il a souffert, qu’il est mort, qu’il a été tenté ». Inquiété en Gaule pour ses opinions, Léporius passa en Afrique. Il fut condamné par un synode où siégeait Augustin, vers 426. Il dut confesser que Dieu est né de Marie, que, dans l’union des deux natures, tout ce qui appartient à Dieu est passé en l’homme et réciproquement, les deux natures subsistant à côté l’une de l’autre, mais se communiquant mutuellement leurs attributs (c’est la théorie luthérienne de la communicatio idiomatum), de sorte que l’on peut dire que Dieu est né, qu’il a souffert et qu’il est mort.
La controverse qui éclata trois ou quatre ans plus tard entre Nestorius et Cyrille ne fut que la répétition de celle-là.
Nestorius était disciple de Théodore de Mopsueste. Né à Césaréa Germanica, en Syrie, vers la fin du ive siècle, d’une famille obscure, il étudia à l’école d’Antioche, entra au monastère d’Euprèpe, près d’Antioche, et en sortit bientôt après pour recevoir la prêtrise. Chargé par l’évêque d’Antioche des instructions aux fidèles et aux catéchumènes, il se fit rapidement une réputation d’éloquence et de savoir. C’était, en effet, un homme de talent, versé dans la connaissance des Écritures et possédant une grande facilité de parole. Mais il était d’un caractère violent, tenace et emporté.
En 426, la mort du patriarche Sisinnius laissa vacant le siège de Constantinople. Pour échapper aux obsessions des intrigants qui convoitaient cette riche succession, l’empereur Théodose II et sa sœur Pulchérie résolurent d’appeler à Constantinople un étranger, et leur choix s’arrêta sur le prêtre d’Antioche, dont le nom était connu jusque dans la capitale. Cette brusque élévation au premier siège de l’empire fit à Nestorius beaucoup d’ennemis, et explique en partie la violence des persécutions dont il devint plus tard l’objet.
Intronisé en 428, il déploya un grand zèle contre l’hérésie. Il fit fermer quelques chapelles que possédaient encore les Ariens restés à Constantinople, et se montra également sévère à l’égard d’autres petites sectes oubliées. L’historien Cassien dit ironiquement à ce sujet : « Nestorius prenait les devants, pour qu’il ne restât plus au monde d’autre hérésie que la sienne. »
Il s’efforça en même temps de faire prévaloir la doctrine syrienne, qu’il croyait de bonne foi orthodoxe, puisqu’elle était une protestation contre la doctrine d’Apollinaire, condamnée en 381, et il s’appliqua à combattre les exagérations de la théologie égyptienne, qui avait déjà beaucoup de partisans à Constantinople. L’occasion de le faire avec éclat ne tarda pas à lui être offerte. Nestorius avait amené avec lui d’Antioche, un prêtre, Anastase, qu’il avait chargé des instructions et des prédications. Ce prêtre, très attaché, lui aussi, aux idées syriennes, attaqua un jour, du haut de la chaire, l’expression de Marie θεοτόκος, ce qui souleva contre lui le peuple et les moines. L’évêque dut intervenir, et il prit hautement parti pour Anastase. Le jour de Noël, 25 décembre 428, il monta en chaire et exposa sa doctrine. Ce discours excita une grande émotion ; des interruptions éclatèrent dans l’église et le patriarche fut insulté dans les rues par les clameurs des moines. Nestorius les fit sévèrement châtier, et, dans un synode qu’il présida à Constantinople, il condamna le terme θεοτόκος appliqué à Marie et l’opinion égyptienne de l’unité substantielle ou hypostatique — ἕνωσις φυσική — des deux natures. En même temps, dans une suite de sermons dont d’importants fragments nous ont été conservés en latin par Marius Mercator, il exposa et justifia ses propres opinions, qui reproduisent, à quelques nuances près, celles de Théodore de Mopsueste.
Il s’élève d’abord contre l’expression θεοτόκος, et fait valoir contre elle trois arguments :
1° C’est une expression païenne : faire de Marie la mère de Dieu, c’est la transformer en déesse, c’est rabaisser l’incarnation au niveau des fables mythologiques et des fabuleuses généalogies des dieux, naissant de mères mortelles ;
2° Il est absurde en soi de prétendre que Dieu ait une mère. La créature peut-elle enfanter son Créateur ? Ce n’est pas le Logos éternellement engendré du Père, qui est né de Marie, c’est l’homme Jésus, dont le Logos s’est fait un instrument et un temple : non peperit creatura increabilem, sed peperit hominem deitatis instrumentum ; non creavit Deum Verbum Spiritus Sanctus ex virgine, sed Deo Verbo templum fabricatus est quod habitavit ;
3° Enfin Nestorius invoque le passage Hébreux 7.3 : Paulus ergo mendax, dit-il, de Christi deitate dicens, ἀπάτωρ, ἀμήτωρ, ἀγενεαλόγητος.
De même il se refuse à dire que Dieu a souffert, qu’il est mort : ego natum et mortuum et sepultum Deum adorare non queo. Ce qui est né, ce qui est mort, ce qui a été enseveli, ce n’est pas le Dieu-Logos, c’est l’homme, auquel il s’est uni.
Quant à sa théorie de l’union de l’homme et du Logos en Christ, c’est celle de Théodore de Mopsueste. Le Logos a pris un homme complet, qu’il a uni à lui pour y habiter, et, après l’avoir ressuscité, il l’a fait monter au ciel pour le faire asseoir avec lui à la droite de Dieu. Aussi devons-nous l’adorer comme le Fils de Dieu, dont il partage toute la gloire. Divido naturas, dit Nestorius, sed conjungo reverentiam.
Le trouble produit à Constantinople par ces affirmations, se communiqua bientôt à l’Egypte, où les moines prirent bruyamment parti pour et contre Nestorius. Le siège d’Alexandrie était occupé alors par Cyrille, neveu de Théophile, qui s’était montré l’ardent persécuteur de Chrysostôme et d’Origène. Comme son oncle, Cyrille était un homme violent, impérieux et passionnément attaché à la doctrine égyptienne. Il ne pouvait laisser passer sans protestation les attaques de Nestorius contre des opinions qui étaient les siennes. Il se sentait d’autant plus pressé d’intervenir, qu’à la question théologique se mêlait pour lui une question personnelle, une rivalité ecclésiastique. Depuis longtemps, les patriarches d’Alexandrie étaient les rivaux jaloux des patriarches de Constantinople, et cette hostilité n’avait fait que s’accroître à Alexandrie, depuis que le concile de 381 avait donné au siège de Constantinople le premier rang après celui de Rome, malgré les prétentions de celui d’Alexandrie. De plus, Cyrille ne pouvait pardonner à Nestorius son élévation soudaine au patriarcat. Aussi apporta-t-il dans la controverse une ardente passion.
Cyrille écrivit d’abord une Lettre aux solitaires, adressée aux moines égyptiens, pour les mettre en garde contre les hérésies de Nestorius. Puis il écrivit à Nestorius lui-même une Lettre pleine de violents reproches et de réprimandes sévères. En voici les passages les plus importants :
« Il faut admettre en Jésus-Christ deux générations, la génération éternelle, par laquelle il procède de son Père, et la génération temporelle, par laquelle il est né de sa mère. Quand nous disons qu’il a souffert et qu’il est ressuscité, nous ne disons pas que le Dieu-Verbe ait souffert en sa propre nature, car la divinité est impassible — ἀπάθης, — mais nous disons que, le corps qui lui a été fait propre ayant souffert, il a souffert lui-même. Nous disons aussi qu’il est mort. Cependant, le Dieu-Verbe est immortel de sa nature ; il est la vie même. Mais son corps ayant souffert la mort pour nous, sa chair étant ressuscitée, on lui attribue la mort et la résurrection. Nous ne disons pas que nous adorons l’homme avec le Verbe, de peur que ce mot « avec » ne donne quelque idée de division. Nous l’adorons comme une seule et même personne, parce que le corps du Verbe n’est pas étranger au Verbe. C’est ainsi que les Pères ont nommé la Vierge « mère de Dieu », non que la nature du Verbe ait pris d’elle le commencement de son être, mais parce qu’en elle a été formé et animé le corps auquel s’est uni le Verbe divin… »
« Le tort de nos adversaires, dit plus loin Cyrille, est de confesser deux Christs, deux Fils, l’un proprement homme, l’autre proprement Dieu, et d’affirmer entre eux une union de personnes seulement et nous une unité substantielle de natures. Ils nous calomnient, quand il nous font dire que que la divinité est née de Marie et qu’elle est morte. Nous disons que le Verbe divin est né et qu’il est mort suivant l’humanité qu’il a prise… »
A cette lettre de Cyrille, Nestorius ne répondit pas. Il se contenta de la faire réfuter par un de ses prêtres, Photius. Cyrille se montra très blessé de ce procédé ; il vit dans le silence de Nestorius un signe de mépris, et son irritation contre lui ne fit que s’accroître. Il dénonça violemment le patriarche de Constantinople comme impie et hérétique à l’Église, au monde, au peuple, au clergé, aux moines, aux empereurs et à l’évêque de Rome Célestin Ier — C’était le moment où la controverse pélagienne divisait et passionnait l’Occident. Nestorius avait indisposé contre lui l’évêque de Rome en accueillant avec faveur à Constantinople des pélagiens condamnés par lui. Cyrille profita de cette circonstance pour accuser Nestorius de pélagianisme. Il écrivit une longue Lettre à Célestin, s’efforçant de prouver que les erreurs de Nestorius conduisaient aux erreurs pélagiennes et aussi aux erreurs ariennes.
Nestorius écrivit à son tour une Lettre à Célestin, pour se justifier des accusations lancées contre lui et expliquer sa doctrine. Avec une grande humilité et une modération remarquable, il se déclarait prêt à accepter le terme θεοτόκος, pourvu qu’il fût bien entendu que ce terme ne désigne pas Marie comme la mère du Verbe divin, mais signifie seulement que, dans le sein de Marie, a été formé le corps qui sert de temple au Verbe divin. L’enfant est nécessairement consubstantiel à sa mère — ὁμοούσιος. — De même, dit-il, une vraie mère doit être de même nature que ce qui est né d’elle. Marie ne peut donc être la mère du Verbe divin, car comment pourrait-elle enfanter ce qui est plus ancien qu’elle-même ? Nestorius accepte aussi le mot θεοτόκος pour écarter l’opinion arienne qui fait de Christ une simple créature. Le mot χριστοτόκος serait beaucoup plus exact, selon lui, en même temps que beaucoup plus scripturaire, car Marie est la mère de l’Homme-Dieu qui s’appelle Christ ; toutefois il consent à se servir du mot θεοτόκος, pourvu qu’on lui permette d’expliquer en quel sens il l’entend. Il ajoute qu’il considère l’union des deux natures, non comme une ἕνωσις φυσική mais comme une συνάφεια, c’est-à-dire comme une union morale, qui est le fait de la volonté, et non pas comme une unité de substance, qui serait le fait de la nature.
Ces explications et ces concessions de Nestorius furent inutiles. Il fut condamné à la fois par deux synodes réunis, l’un à Rome par Célestin, l’autre à Alexandrie par Cyrille. A Rome, la condamnation fut provoquée par le nom de Pélage, jeté par Cyrille dans la controverse : l’Occident était d’ailleurs fort ignorant des querelles théologiques de l’Orient. A Alexandrie, Cyrille rédigea et fit sanctionner par le synode, comme expression de la foi orthodoxe, douze anathématismes, dirigés contre Nestorius. — En voici la substance :
- Marie y est proclamée mère de Dieu ; l’opinion contraire est frappée d’anathème ;
- L’unité substantielle des deux natures en Christ est affirmée ; c’est une ἕνωσις φυσική ; on déclare donc que le Logos s’est uni substantiellement à la chair — σαρκὶ κατ᾽ ὑπόστασιν ἠνῶσθαι τὸν λόγον. — Anathème à l’opinion contraire ;
- Est frappé d’anathème quiconque divise ou sépare ces deux natures —εἴ τις διαιρεῖ τὰς ὑποστάσεις μετὰ τὴν ἔνωσιν, ἀνάθεμα ἔστω.
- Nestorius est accusé de diviser la personne de Christ, de telle sorte qu’il n’y a plus un seul Seigneur, un seul Christ, mais deux Christs et deux Seigneurs.
Nestorius répondit cette fois. Il rédigea douze contranathèmes, dans lesquels il s’attachait à réfuter point par point la doctrine de Cyrille, tout en se justifiant lui-même. Ces anathèmes de Nestorius nous ont été conservés comme ceux de Cyrille. On trouve les uns et les autres dans le grand ouvrage de Gieseler (K. G., 2e édit., I, 408), et dans Mansi (SS. concil. et decret, collect. nova, IV, 1,099, et V, 1).
1° Nestorius se défend de diviser la personne de Christ et d’établir deux Christs ; il anathématise, lui aussi, une semblable doctrine ;
2° Il attaque le terme θεοτόκος comme inexact et prêtant à de regrettables malentendus ;
3° Il attaque également l’expression ἕνωσις φυσική.
4° Il accuse Cyrille de confondre les deux natures, de transformer le Logos en chair, en le faisant naître charnellement de Marie (Μαριά, disait Cyrille, γεγέννηκε σαρκικῶς τὸν λόγον), et en lui attribuant toutes les vicissitudes de la chair, la souffrance et la mort. Aussi l’anathème est-il lancé à tous ceux qui, comme Cyrille, confondent les deux natures. C’est là, dit Nestorius, un mélange de la chair avec la divinité — κρᾶσις σαρκὸς καὶ θεότητος — qui reproduit, en l’aggravant, l’hérésie d’Apollinaire, lequel unissait directement le Logos à un corps humain, en lui rapportant toutes les impressions de ce corps.
Il serait facile de montrer que les objections faites des deux parts étaient fondées.
Nestorius avait raison contre Cyrille, quand il s’élevait contre le terme θεοτόκος, comme étant à la fois une expression païenne et contradictoire, et quand il accusait Cyrille de confondre les deux natures, jusqu’à assujettir la divinité aux vicissitudes de la chair, tout en effaçant dans la personne de Christ l’humanité véritable.
Mais Cyrille, avait raison à son tour, contre Nestorius, quand il l’accusait de compromettre l’unité de la personne de Christ et de la briser en deux.
Les objections que se renvoyaient l’un à l’autre les deux adversaires étaient également fondées, parce que leurs théories étaient également insoutenables. Nestorius et Cyrille étaient impuissants, l’un comme l’autre, à résoudre le problème. Chacun, pour éviter l’un des écueils que nous avons signalés, tombait dans l’autre. Cyrille, pour ne pas diviser la personne de Christ, confondait les natures ; Nestorius, pour ne pas confondre les deux natures et faire à l’humanité sa place distincte, compromettait l’unité de la personne : il juxtaposait les deux termes sans les unir, et la personnalité unique et distincte de Jésus-Christ manquait de fondement historique. « D’un côté, dit Dorner, c’était une conception magique et fantastique, un Dieu naissant, souffrant, mourant ; de l’autre, une conception mécanique, un Dieu à côté d’un homme, et non pas l’homme-Dieu. » — De plus, Cyrille aboutissait à effacer l’humanité, et à l’absorber dans la divinité ; Nestorius, au contraire, tendait à effacer la divinité au profit de l’humanité.
Toutefois, au point de vue théologique, la conception la plus profonde, celle qui touchait le plus près à la vraie solution, c’était celle de Cyrille. Elle affirmait l’unité de la personne du Christ, elle lui donnait un fondement objectif et permanent, le Logos. C’est le Logos, le Fils de Dieu, qui dit « moi », et qui demeure le centre de la personnalité, après comme avant l’incarnation. Cyrille est ici le plus fidèle à l’esprit des Écritures : λόγος σὰρξ ἐγένετο, dit saint Jean, et non σάρκα ἔλαβεν ; le Logos n’a pas pris un homme, comme le dit Nestorius, il est devenu un homme.
Mais ce qui manque à Cyrille, ce qui rend sa théorie inacceptable, c’est qu’il n’admet pas qu’en devenant homme, le Logos se soit dépouillé de ses attributs divins. Le Logos, au contraire, reste identique à lui-même, revêtu de toute la plénitude des attributs divins, et ces attributs effacent et absorbent l’humanité, comme le soleil efface les étoiles et comme la mer absorbe la goutte de vinaigre. Dès lors, au lieu d’avoir le Fils de Dieu vivant une vie humaine, nous n’avons plus que l’apparition fantastique d’un Dieu qui naît, qui souffre et qui meurt. Mais on était loin encore de cette idée du Fils s’abaissant, quittant l’état de Fils pour devenir homme et vivre une vie humaine.
La publication des anathèmes de Cyrille et des contranathèmes de Nestorius causa une profonde émotion en Orient. Deux partis s’y formèrent :
1° Les évêques de Syrie et d’Asie, ayant à leur tête Jean, patriarche d’Antioche, se prononcèrent en général en faveur de Nestorius, trouvant comme lui que les douze anathèmes de Cyrille ramenaient l’apollinarisme, et estimant aussi que Nestorius avait raison dans sa façon d’entendre le θεοτόκος. Théodoret, de Cyrrhe (Syrie septentrionale, — sur un affluent de l’Oronte) fut l’un des représentants les plus distingués de ce parti favorable à Nestorius, et il prit la plume à son tour pour réfuter les anathèmes de Cyrille ;
2° Les évêques d’Egypte se groupèrent autour de Cyrille.
Les deux partis se livrèrent à une polémique très vive, et toute l’Église d’Orient fut profondément troublée ainsi que la cour de Constantinople, Théodose II ayant pris parti pour Nestorius et Pulchérie pour Cyrille. De toutes parts, on demandait un concile. Cette assemblée seule, pensait-on, pourrait ramener la paix dans l’Église. Théodose convoqua, en effet, un concile général dans la ville d’Éphèse, pour le mois de juin 431, après les fêtes de Pentecôte.
C’était Cyrille qui avait demandé qu’on choisît Ephèse pour le siège du synode, et il avait pour cela ses raisons.
La première, c’est que Marie, mère de Dieu, était très populaire à Éphèse. Une grande basilique y portait son nom. Son tombeau y était honoré à côté de celui de l’apôtre Jean, et il était le rendez-vous de nombreux pèlerins. Elle était la protectrice et la patronne de la ville et de la province tout entière. Lui contester le titre de Mère de Dieu, c’aurait été se faire un mauvais parti à Éphèse.
De plus, l’évêque d’Ephèse, Memnon, avait été gagné à la cause de Cyrille. C’était un homme violent et avide. Il s’était fait beaucoup d’ennemis, et les habitants de la ville avaient plus d’une fois sollicité sa déposition. Il espérait regagner les bonnes grâces du peuple d’Ephèse en faisant triompher au concile Marie mère de Dieu.
Nestorius arriva le premier au rendez-vous, avec un petit nombre de prêtres. Il fut très mal reçu par Memnon, qui lui interdit l’accès de ses églises. Puis arriva Cyrille, accompagné de cinquante évêques et d’un nombreux cortège de prêtres, de serviteurs et de moines, tous zélés partisans et fervents adorateurs de la Mère de Dieu, et prêts à appuyer à coups de poings et de bâtons les arguments de Cyrille. Jean d’Antioche et les évêques syriens, réunis en synode préparatoire à Antioche, furent retardés par divers obstacles, tels que le débordement de l’Oronte et le mauvais état des chemins. Il en fut de même des légats du pape Célestin, que des vents contraires empêchèrent d’arriver au temps fixé.
La présidence appartenait de droit à Jean d’Antioche, les deux autres patriarches étant intéressés dans la cause. Mais Cyrille, par ses intrigues, parvint à se la faire attribuer. Il parvint aussi à faire ouvrir le concile le 22 juin, avant l’arrivée de Jean d’Antioche et des Orientaux, malgré une lettre de Jean annonçant son arrivée pour le 26 au plus tard, et ajoutant que, passé ce terme, le concile pourrait s’ouvrir, même sans lui. Cette lettre avait été apportée à Ephèse par quelques évêques, arrivés dans les premiers jours de juin, entre autres Théodoret. Mais Cyrille n’en tint nul compte, et s’efforça de brusquer les choses.
Nestorius protesta contre la réunion prématurée du concile, et il fut appuyé dans ses protestations par un certain nombre d’évêques et par le comte Candidien, représentant de l’empereur auprès de l’assemblée. Mais Cyrille passa outre. Il ouvrit les débats, le 22 juin, en présence de 198 évêques. Nestorius, cité devant le concile, refusa de comparaître et fut condamné par contumace comme hérétique, en ces termes : « Notre Seigneur Jésus-Christ, blasphémé par Nestorius, déclare, par l’organe du Très Saint Synode ici assemblé, ce même Nestorius déchu de toute dignité ecclésiastique et exclu de la communion des fidèles. » Ensuite, les douze propositions de Cyrille furent lues et déclarées conformes à la vraie foi de l’Église. Enfin, Marie fut proclamée Mère de Dieu, aux acclamations enthousiastes de tout un peuple, et la joie bruyante qui remplit en son honneur la ville d’Ephèse, montra que la Vierge Marie ne tarderait pas à y remplacer la grande Diane d’autrefois.
Trois jours après, le 25 juin, arriva Jean d’Antioche avec les évêques orientaux. Grandes furent leur suprise et leur indignation, quand ils apprirent ce qui s’était passé. Ils protestèrent aussitôt, et se réunirent en concile, au nombre de quarante à soixante, sous la présidence du patriarche d’Antioche. La nouvelle assemblée défit ce que Cyrille avait fait. Nestorius fut absous, Cyrille et Memnon déposés. Les douze anathèmes de Cyrille furent condamnés comme entachés d’apollinarisme.
Sur ces entrefaites arrivèrent les légats romains, le 10 juillet. Cyrille s’empare aussitôt de leurs personnes, les circonvient, les gagne à ses idées, et convoque une nouvelle session de son concile, dans laquelle il leur fait ratifier tout ce qu’il avait fait dans la première. Il fut interdit de signer ou de répandre un autre symbole que le nicéno-constantinopolitain. Il n’y eut donc pas de symbole d’Éphèse : on se borna à condamner la doctrine de Nestorius et à approuver celle de Cyrille.
Ainsi, au lieu d’un concile, il y en eut deux, qui agirent chacun en sens contraire et soumirent tous deux leurs actes à la sanction de l’empereur. Théodose II fut fort embarrassé. C’était un prince faible, au caractère flottant et indécis. Il était personnellement favorable à Nestorius, mais il céda à certaines influences — en particulier, à celle de sa sœur Pulchérie, — et il abandonna son protégé. Il avait commencé par sanctionner les trois dépositions prononcées par les deux assemblées d’Ephèse, celles de Cyrille, de Memnon et de Nestorius, et il avait envoyé un officier de sa cour, le comte Jean, pour provoquer la réunion d’une assemblée nouvelle, qui serait un véritable concile œcuménique et qui trancherait souverainement la question pendante. C’était le plus sage parti ; mais Cyrille, mécontent, réussit à faire revenir l’empereur sur sa décision et finit par obtenir de lui la ratification pure et simple de son concile — qui devint le troisième œcuménique, — et la confirmation de la sentence prononcée contre Nestorius. L’ancien patriarche de Constantinople fut exilé, d’abord en Dacie, puis dans la Haute-Egypte, où il périt misérablement. Pendant ce temps, Cyrille et Memnon reprenaient paisiblement possession de leurs sièges.
La controverse ne fut cependant pas terminée. Les deux partis qui s’étaient constitués continuèrent à subsister après le concile. Mais le parti cyrillien, qui avait pour lui l’autorité d’un concile et l’appui de l’empereur et de l’État, devint bien vite le plus puissant. Les nestoriens persécutés virent la défection décimer leurs rangs. Ce fut d’abord Rabulas, évêque d’Edesse, l’un des plus zélés partisans de Nestorius, qui se rallia au parti de Cyrille et au concile d’Ephèse. Il engagea contre ses anciens amis une polémique violente et attaqua en particulier les écrits de Théodore de Mopsueste, où il croyait découvrir les germes de l’hérésie nestorienne. Puis ce fut le tour de Jean d’Antioche lui-même, l’ancien président de l’assemblée syrienne d’Ephèse. Il rentra dans la communion de Cyrille et prononça l’anathème contre Nestorius. Cyrille, de son côté, pour cimenter la paix, consentit à signer, en 433, une confession rédigée par Théodoret de Cyrrhe, le même qui avait réfuté ses douze anathèmes.
Cette confession, qui a été appelée formule d’Antioche, est une sorte de compromis entre les deux opinions extrêmes, entre Nestorius et Cyrille. En voici les passages principaux, que nous retrouverons presque textuellement dans le fameux symbole de Chalcédoine :
1° Quant à la nature de Jésus-Christ, la formule d’Antioche confesse Ἴησουν Χριστου θεὸν τέλειων καὶ ἄνθρωπον τέλειον, ἐκ ψυχῆς λογιχῆς καὶ σώματος, πρὸ αἰώνων μὲν ἐκ τοῦ Πατρὸς γεννηθέντα κατὰ τὴν θεότητα, ἐπ᾽ ἐσχάτων δὲ τῶν ἡμερῶν ἐκ Μαρίας τῆς παρθένου κατὰ την ἀνθρωπότητα, ὁμοοῦσιον τῷ Πατρι κατὰ τήν θεότητα, καὶ ὁμοοῦσιον ἡμῖν κατὰ τήν ἀντρωπότητα, δύο γὰρ φύσεων ἕνωσις γέγονεν, δι᾽ ὅ ἑνα Χριστόν, ἕνα υἱον, ἕνα κύριον ὁμολογοῦμεν.
Notre Seigneur Jésus-Christ, Fils unique de Dieu, est vrai Dieu et vrai homme, composé d’un corps et d’une âme raisonnable ; qu’il a été engendré du Père avant tous les temps pour ce qui concerne la divinité, et, pour ce qui concerne son humanité, qu’il est né d’une Vierge à la fin des temps pour nous et notre salut ; qu’il est de même substance que le Père pour ce qui concerne la divinité, et de même substance que nous pour ce qui concerne l’humanité, car les deux natures sont unies l’une à l’autre. Aussi ne reconnaissons-nous qu’un seul Christ, un seul Seigneur, un seul Fils.
2° Le nom de θεοτόκος est donné à Marie, mais on explique dans quel sens il faut l’entendre : c’est en vertu de l’union des deux natures, laquelle est une union sans confusion — ἀσύγχυτος ἕνωσις — c’est-à-dire, qui laisse subsister la distinction ;
3° Quant aux passages des Évangiles et des Épîtres relatifs à Jésus-Christ, dit la formule, il en est que nous appliquons à l’unité de la personne, il en est que nous distinguons comme ne visant que l’une ou l’autre des deux natures, soit la nature divine dans sa dignité, soit la nature humaine dans son humilité, — τὰς δὲ εὐαγγελίκας καὶ ἀποστολίκας φωνὰς. τὰς μὲν κοινοποιοῦντες ὡς ἐφ᾽ ἕνος προσώπου, τὰς δὲ διαιροῦντες ὡς ἐπὶ δύο φύσεων, καὶ τὰς μὲν θεοπρέπεις κατὰ τὴν θεότητα, τὰς δὲ ταπεινὰς κατὰ τὴν ανθρωπότητα.
Pour ce qui concerne les expressions évangéliques et apostoliques ils appliquent généralement une partie d’entre elles aux deux natures, parce qu’elles s’adressent à une seule personne, tandis qu’elles distinguent les autres parce qu’elles s’adressent à l’une des deux natures. Les expressions qui conviennent au Dieu s’adressent à la divinité, tandis que les expressions qui marquent l’abaissement s’adressent à l’humanité.
En résumé, cette formule enseigne l’unité de la personne du Christ, la distinction de ses deux natures et sa double homoousie, et elle conserve, en l’expliquant, le terme θεοτόκος. Nous retrouverons tout cela dans le symbole de Chalcédoine, qui marque le terme du développement du dogme de l’incarnation.
La plupart des évêques de Syrie adhérèrent, les uns après les autres, à la formule de pacification signée par Jean d’Antioche et Cyrille. Tous cependant n’y souscrivirent, pas : le schisme nestorien se continua en s’accusant. L’école d’Edesse en fut le foyer, ce qui attira sur elle une persécution assez vive. Quelques-uns de ses docteurs furent destitués et exilés, et allèrent chercher un refuge en Perse. Thomas Barsumas fut le plus considérable d’entre eux : il devint évêque de Nisibis et fut l’organisateur de l’Église nestorienne de Perse.
Plus tard, en 489, sous le règne de l’empereur Zénon, la persécution recommença contre les Nestoriens d’Edesse et de Syrie. Les derniers débris de l’école d’Edesse furent dispersés et allèrent se reformer à Nisibis. L’Église nestorienne, qui avait rompu toute communion avec l’Église catholique et s’était organisée d’une manière indépendante, survécut en Perse à la conquête arabe ; elle entreprit avec succès des missions dans la Haute-Asie et dans les Indes (c’est l’origine des Chrétiens de saint Thomas, sur la côte de Malabar), et elle s’y est conservée jusqu’à nos jours.