De retour à Herrnhout, Zinzendorf y reprit son activité habituelle ; nous ne le suivrons pas dans tous les détails de cette vie pastorale, nous ne relèverons que quelques traits caractéristiques.
Sa sollicitude pour ceux que le Seigneur avait confiés à ses soins était sans bornes. Si l’un d’eux, par exemple, désirait l’entretenir de l’état de son âme, il se gardait de laisser échapper ce qui pouvait être le seul moment favorable, et il s’était fait une règle de ne jamais différer ni abréger d’un instant une conversation de ce genre, dût-elle se prolonger pendant une nuit entière. Souvent il pouvait dire : « Le zèle de ta maison me dévore. (Jean 2.17) » « Aujourd’hui », écrit-il dans son journal, « à la date du 16 février 1731, j’ai été dans une angoisse continuelle au sujet de certaines affaires intérieures concernant la communauté. Si de pareilles journées se renouvelaient souvent, je risquerais d’en mourir. Mais tout cela est une semence pour l’éternité. Il n’y a pas une de nos larmes qu’Il ne recueille et ne mette à part. »
Il ne laissait passer aucune faute, surtout chez les ouvriers de l’église, sans reprendre celui qui s’en était rendu coupable. Ce n’était point la réprimande d’un supérieur faisant usage de son autorité ; c’était l’avertissement d’un frère, se repentant avec ses frères, les encourageant et priant avec eux. « Il n’appréciait pas les divers péchés », nous dit Spangenberg, « de la même manière qu’on le fait ordinairement. Ainsi, lorsque quelqu’un était tombé dans les grossiers péchés de la chair, Zinzendorf était touché : d’une telle douleur, que souvent il pleurait avec le coupable, et s’il le voyait se désespérer de sa faute, il le consolait, tant il était ému de compassion pour un homme que Dieu avait puni, pensait-il, de la plus terrible des punitions, en le laissant tomber dans le péché. » Telles autres fautes, au contraire, que l’on pardonne d’ordinaire plus aisément, le trouvaient extrêmement sévère. Ainsi, quand il s’apercevait d’un mouvement d’orgueil ou d’envie, d’une rancune ou de quelque chose de pareil, « il se déchaînait comme un lion, » dit encore son biographe ; « il ne voulait rien entendre, et il n’y avait pas moyen de l’apaiser. » Car, disait-il, on ne saurait trop veiller sur ces premiers symptômes ; c’est le seul moyen de prévenir une chute, qui sans cela est inévitable. Si, insoucieux de ses avertissements, celui qui les avait reçus finissait par tomber dans quelque acte extérieur de péché, Zinzendorf ne perdait point courage et espérait au contraire que cette transgression grossière révélerait enfin à celui qui l’avait commise tout le mal qui était au fond de son cœur et le forcerait à avoir recours à Jésus pour en être délivré.
Le comte ne pouvait souffrir, non plus, que l’on se montrât différent de ce qu’on était réellement. Si quelqu’un avouait tout franchement ne se sentir aucune disposition à donner son cœur au Seigneur, Zinzendorf disait qu’il fallait attendre que l’heure fût venue pour cet homme-là, et il voulait qu’on le traitât avec les mêmes égards et la même charité que ceux que l’on regardait comme de fidèles disciples de Jésus. Mais l’hypocrisie était une chose abominable à ses yeux.
Une femme arrivée depuis quelque temps à Herrnhout avait l’habitude de parler beaucoup de sa misère spirituelle, disant qu’elle cherchait à se convertir, qu’elle priait assidûment le Seigneur, mais que le Seigneur était sourd à ses prières. On avait douté quelquefois de la vérité de ses paroles, mais elle avait toujours protesté de sa parfaite sincérité. Un jour enfin, dans une réunion, le comte ayant parlé de l’hypocrisie et ayant cité l’exemple d’Ananias et de Saphira pour prouver à quel point ce péché est horrible aux yeux de Dieu, cette femme tomba sur le carreau sans connaissance et il fallut l’emporter. Revenue à elle, elle confessa que jusqu’à ce moment elle avait persisté dans l’hypocrisie la plus détestable.
Voici un exemple d’un autre genre, mais qui prouve également la puissance que l’Esprit de Dieu donna parfois à la parole de Zinzendorf pour briser la résistance des cœurs. Un morave nommé Münster, établi depuis plusieurs années à Herrnhout et qui y avait d’abord vécu heureux et sous la bénédiction du Seigneur, changea peu à peu de manière d’être. A la suite de quelques démêlés qu’il eut avec un autre frère, il tomba dans une sombre mélancolie et perdit toute confiance en Dieu ; il résolut enfin de quitter secrètement Herrnhout. Un soir, le comte, qui depuis plusieurs mois déjà était préoccupé de l’état de cet homme, sans pouvoir prendre sur lui de l’en entretenir, se sentit vivement pressé de l’aller voir. Il court chez lui. Il était dix heures du soir. C’était justement le jour et l’heure que Münster avait choisis pour sa fuite. Le comte arrive au moment où il allait franchir le seuil de sa porte et lui demande amicalement comment il va. « Pas bien, » répond le fugitif d’une voix sourde. — Le comte lui parle alors avec tant d’affection, que le morave, profondément ému, ne peut répondre que par des larmes. Le lendemain, il se présente chez Zinzendorf, lui expose tout ce qui s’est passé dans son âme depuis longtemps, et lui avoue qu’au moment même où il l’a vu entrer chez lui la veille il allait quitter Herrnhout. Münster resta dès lors et jusqu’à la fin de sa vie un membre fidèle de l’église des Frères.
Nous avons dit plus haut l’importance particulière qu’attachait Zinzendorf à l’éducation de la jeunesse et ses principes sur cette matière. Dans le désir qu’il avait de se rendre utile aux enfants, il essaya pendant quelque temps de les instruire lui-même. Mais cet essai ne réussit qu’à demi ; le comte n’avait pas les dons nécessaires à ces fonctions ; il était surtout beaucoup trop sensible aux fautes de ses jeunes élèves et s’en exagérait quelquefois la portée. Enfin, il était trop occupé de la direction générale de l’église pour donner tout son temps à l’éducation des enfants, et, comme on le sait, il est indispensable que celui qui se voue à une œuvre si importante renonce à toute autre affaire et s’y consacre tout entier.
Le soin des malades fut aussi une des œuvres auxquelles les Frères de Herrnhout s’adonnèrent avec zèle. Zinzendorf croyait que toute guérison doit commencer par l’âme, car « c’est du cœur que procèdent les sources de la vie. » Il était persuadé que Dieu a une intention spéciale à notre égard dans chaque maladie qu’il nous dispense, et que nous devons avant tout nous appliquer à connaître cette intention. Une fois que l’on est arrivé à savoir quelle est la cause finale d’une maladie et que l’on obéit à l’avertissement que le Seigneur a voulu nous donner par là, on peut demander à être guéri et l’on doit espérer de l’être.
On vit à cette époque à Herrnhout plusieurs cas de guérisons extraordinaires et soudaines opérées par la foi et la prière. Le comte s’en réjouissait et en bénissait Dieu au fond de son cœur. Lui-même, d’ailleurs, avait vu dans un cas pareil sa prière exaucée d’une manière merveilleuse. Mais il aurait craint que les Frères ne se préoccupassent trop de ces choses ; aussi, quand une de ces guérisons avait lieu, il en parlait comme d’un fait tout simple et ne voulait pas qu’on s’y arrêtât. Il aimait à rappeler que les miracles ne sont pas pour ceux qui croient, mais pour les incrédules ; il ajoutait que la foi qui opère des miracles est un don, mais que celui qui le possède n’est pas pour cela plus enfant de Dieu que tel autre qui ne le possède pas ; enfin, que ce n’est pas là ce qu’il faut rechercher, et que l’essentiel, c’est d’aimer Christ et de s’en remettre à lui pour toutes choses.