Je ne l’ignore pas : c’est en un temps très dur et bien pénible à vivre » que j’ai entrepris d’écrire ce traité destiné à combattre l’hérésie délirante de ces mécréants qui présentent le Fils de Dieu comme une créature. Dans presque toutes les provinces de l’Empire romain, de nombreuses Eglises sont malades, contaminées par la peste de cette doctrine ; une longue familiarité avec cet enseignement les en a comme imprégnées, et, se couvrant bien à tort du nom de vraie religion, elles en arrivent à se persuader misérablement qu’elles ont une foi sincère[1].
[1] Qu’on se souvienne du mot de Jérôme (Dial. adv. Luc. 19) : « L’univers entier soupire et s’étonne de se trouver être arien. »
Je le sais : un volonté qui cherche à se corriger, a du mal à progresser lorsque, par l’assentiment de beaucoup, la pression de l’opinion publique la maintient dans son penchant pour l’erreur. Car l’erreur est dangereuse et lourde de conséquences, lorsqu’elle règne sur l’ensemble des hommes, et la chute d’une foule, même si elle se reconnaît comme telle, cherche pourtant à se justifier par le nombre pour redresser son tort. Elle a cette impudence de présenter son errement comme une trouvaille ; et puisque cette erreur est partagée par beaucoup, elle prétend saisir la vérité ; n’est-il pas légitime de penser que les chances de se tromper sont moins grandes, lorsque beaucoup partagent notre manière de voir ?
En ce qui me concerne, mon penchant intime et les devoirs de ma charge me poussaient à combattre cette erreur, puisqu’en tant qu’évêque de l’Eglise, je me dois au ministère de la prédication évangélique. Toutefois, j’ai d’autant plus à cœur d’écrire cet ouvrage que je sens une foule toujours plus grande, menacée par le danger de cet enseignement d’où la foi est absente. Je tirerais une joie très douce du salut de tous ces hommes, s’ils arrivaient à connaître les mystères d’une foi parfaite, et de ce fait, abandonnaient les théories impies, fruits de la sottise humaine, se détachaient des hérétiques et se soumettaient à Dieu. Oui, qu’ils n’approchent pas de leur bouche cette nourriture qui va les tuer, cet appât trompeur par lequel l’oiseleur s’apprête à les enlacer dans ses filets, et qu’ils prennent leur vol en toute liberté et sécurité. Ils auront alors le Christ pour chef, les prophètes pour maîtres et les apôtres comme guides ; leur foi sera parfaite et leur salut assuré dans la confession du Père et du Fils. Ainsi, au souvenir de cette parole sortie de la bouche du Seigneur : « Celui qui n’honore pas le Fils, n’honore pas le Père qui l’a envoyé » (Jean 5.23), ils s’empresseront de rendre tout honneur au Père, en honorant le Fils.
De fait, tout récemment, ce fléau qui propage la peste et cause la mort, a fait son apparition parmi les peuples, et cette épidémie qui marchait à grande allure n’a pas tardé à semer autour d’elle la ruine, une mort misérable. Rien ne s’est jamais autant attaché à la perte du genre humain que cette hérésie sinistre, ni la dévastation soudaine des villes détruites avec leurs habitants, ni les morts navrantes qu’entraînent les guerres fréquentes, ni les maladies contagieuses impossibles à guérir, qui font tant de victimes !
Car aux yeux de Dieu, par qui vivent tous les morts[2], périt seulement celui qui se perd lui-même. Le Seigneur, en effet, qui jugera tous les hommes, adoucira le châtiment dû à celui qui se trompe par ignorance, en considération de la miséricorde attachée à sa grandeur. Quant à ceux qui le renient, il ne prendra même pas la peine de les juger, il les reniera !
[2] Cf. Luc 20.38.