On a vu qu’au ive siècle les cappadociens eux-mêmes n’étaient pas fixés sur la spiritualité proprement dite des anges, et que saint Grégoire de Nazianze n’ose se prononcer absolument sur cette question. Au ve siècle, les auteurs continuent d’enseigner que les anges sont ἀσώματοι, ὑπὲρ σῶμα καὶ αἴσϑησιν, φύσις ἄσαρκος ἀόρατος et qu’ils ne peuvent éprouver la concupiscence. Ces auteurs s’élèvent surtout contre l’ancienne interprétation du passage Genèse 6.2, qui voyait des anges dans les fils de Dieu séduits par les femmes. Et il serait pourtant téméraire de conclure de tout ceci que la doctrine de la spiritualité des anges fût dès lors communément admise en Orient. C’est que le sens du mot σῶμα n’était pas pour ces auteurs aussi précis qu’il l’est pour nous. D’un côté, saint Cyrille de Jérusalem remarque que tout ce qui n’a pas un corps grossier (παχὺ σῶμα) peut être justement appelé esprit (πνεῦμα), et Philopon reproche en effet à Théodore de Mopsueste et à Théodoret d’avoir attribué aux anges des corps subtils. D’autre part, nous voyons Anastase le Sinaïte distinguer des corps terrestres, à trois dimensions, et des corps célestes qui n’ont point de profondeur ou d’épaisseur (πάχος) : et encore des corps matériels (ὑλικόν) tangibles et corruptibles, et des corps simples (λεπτόν) qui ne tombent pas sous le toucher.
A la fin du ve siècle cependant, le Pseudo-Aréopagite affirma clairement la spiritualité des anges. Il parle de leur simplicité déiforme, ϑεοιδεστάτη ἁπλότης, de leur vie toute intelligente, et les appelle des esprits supra-mondains (ὑπερκοσμίων νοῶν). Cette conception devait triompher. Elle fut naturellement adoptée par saint Maxime dans ses scholies ; mais ce fut plutôt dans l’Église latine qu’elle reçut sa pleine expression. Anastase le Sinaïte se contente d’indiquer comme propre à la nature angélique τὸ ἀπαϑὲς τῆς οὐσίας, et il ajoute : ἀπαϑὲς δὲ τὸ ἀϑάνατον αὐτῷ εἶπον.
Théodoret regarde comme vraisemblable que la création des anges a non pas précédé, mais accompagné celle du ciel et de la terre. Quant au péché des anges déchus, du moment que l’on refusait d’y voir un péché de la chair, on se trouvait naturellement amené à y voir un péché d’orgueil. C’est la pensée de saint Cyrille, de Théodoret, de Basile de Séleucie.
Cette doctrine n’était pas nouvelle. La grande nouveauté introduite dans la théologie des anges à l’époque dont nous parlons fut leur distribution en trois hiérarchies et neuf ordres enseignée par le Pseudo-Aréopagite. Jusqu’à lui, les auteurs, s’inspirant de ce qu’ils trouvaient dans l’Ancien Testament et dans saint Paul, comptaient plus ou moins de catégories angéliques, et n’attachaient d’ailleurs que peu d’importance à ces énumérations. Théodoret, par exemple, nomme les Principautés, les Puissances, les Trônes, les Dominations, les Séraphins, les Chérubins « et d’autres noms à nous inconnus ». La classification de Denys accepte sans doute les dénominations antérieures, mais elle repose sur une théorie de philosophie mystique qui domine toute sa théologie. Le but de l’action divine en nous est de nous déifier (ϑείωσις), et cette déification comprend trois opérations successives, la purification, l’illumination, la perfection (κάϑαρσις, φωτισμός, τελείωσις). Or cette action de Dieu sur nous ne s’exerce pas directement : elle requiert des intermédiaires. Entre ces intermédiaires sont les anges. Les plus élevés, qui forment la première hiérarchie, communiquent immédiatement avec Dieu et puisent en lui leur lumière. Les moins élevés, qui composent la troisième hiérarchie, sont rapprochés de la terre et communiquent avec nous. Ils reçoivent leur lumière de la première hiérarchie, mais indirectement seulement, car entre la première et la troisième hiérarchie s’en trouve une seconde, illuminée par la première, transmettant la lumière à la troisième, et remplissant ainsi entre elles le rôle que l’ensemble des anges remplit entre Dieu et nous. Là d’ailleurs ne s’arrête pas le nombre des intermédiaires. Chaque hiérarchie se compose elle aussi de deux extrêmes et d’un milieu, c’est-à-dire de trois ordres d’anges qui sont entre eux dans le rapport où sont entre elles les hiérarchies. Et l’on obtient ainsi neuf ordres d’esprits célestes, que Denys classe de la façon suivante. La première hiérarchie comprend les trônes, les chérubins et les séraphins ; la deuxième les puissances, les dominations et les vertus ; la troisième les anges, les archanges et les principautés.
Bien que Denys insiste sur les relations des anges avec les hommes, il ne mentionne pas spécialement leur rôle d’anges gardiens. La croyance qui attribue non seulement aux royaumes et aux Églises, mais encore à chaque homme ou du moins à chaque fidèle un ange particulièrement chargé de les conduire était cependant toujours en honneur. Saint Cyrille la connaît et l’adopte en maint endroit. Théodoret fait de même, et remarque que les nations ont pour gardien un archange. Anastase le Sinaïte donne semblablement un ange à chaque fidèle (πιστός). Et si ces auteurs ne définissent pas dans le détail les fonctions de ces anges gardiens, on peut cependant conjecturer quelles elles sont par ce qu’ils disent ailleurs du rôle des bons anges en général. Ces anges nous éclairent et nous enseignent certaines vérités ; ils nous excitent à la prière et intercèdent pour nous ; ils introduisent les élus dans le ciel ; mais ils ne sauraient remettre les péchés, ni d’eux-mêmes sanctifier les âmes.