Ses études. — Ministère à Naples. — Sa conversion. — Ministère à Lyon. — Sa destitution. — Appel à Montauban. — Son professorat. — Ministère à Paris. — Adolphe Monod « l’image fidèle et originale du Réveil. »
Ces débats entre le Réveil et une fraction de l’Église réformée se sont parfois singulièrement élargis. Ils sont devenus de véritables discussions de principes ; le fonds même de la prédication nouvelle a été combattu ; la question s’est posée dans ses vrais termes. La destitution d’Adolphe Monod est restée l’exemple le plus typique de ces luttes intestines.
Avant d’en arriver à ce fait capital, nous rappellerons brièvement le commencement de la vie d’Adolphe Monod ; aussi bien quelques détails sur sa vie et son œuvre se trouvent-ils à leur place dans cette étude, puisqu’on a dit de lui qu’il a été « l’image tout ensemble fidèle et originale de ce mouvement religieux, que nous appelons le Réveilj. »
j – Pédézert, Souvenirs et Etudes, p. 54.
Fils de Jean Monod, il était né à Copenhague, le 21 janvier 1802. Pendant ses études théologiques à Genève, de 1820 à 1824, il n’avait pas subi cette transformation intérieure, qui fit de son frère Frédéric un homme nouveau. Cependant les questions vitales alors débattues ne laissaient pas son âme indifférente ; il avait fait la connaissance d’Erskine : « Cet homme, écrivait-il à sa mère, m’a singulièrement intéressé et frappé. Je l’ai revu samedi, et j’ai eu avec lui une conversation de deux heures ; je puis dire que j’ai été content de lui, très content, et que cette conversation m’aura été utile. Il m’a fait voir plusieurs choses sous un point de vue nouveau ; son système est plus moral et plus philosophique que celui des orthodoxes de Genève… ; il n’a rien de cette petitesse d’esprit qu’on trouve chez quelques-uns de nos orthodoxes, et rien de cette dureté et de cette inflexibilité qu’on trouve chez d’autres… Le résultat de cette conversation sera de me faire penser ; c’est tout ce que j’en puis dire ; car, du reste, elle me laisse ou me replonge plus avant dans le doute ou l’incertitude où je suis au sujet des opinions religieuses : orthodoxe, méthodiste, arien, je suis cela tour à tour, et cette incertitude est un mal cruel, mais nécessaire, et d’où je ne doute pas qu’il ne puisse sortir à la fin d’heureux fruits. En me décidant tout de suite, je risquerais trop de me tromper ; en attendant, en réfléchissant quelques années, je ne sais pas si je trouverai la vérité ; mais du moins j’en serai plus près. » Et ailleurs : « Si tu savais comme j’ai des dispositions à l’orthodoxie ! Il y a chez ces gens-là un sérieux, un zèle, un dévouement, une conviction qui me frappe, me fait douter de ma piété, me fait honte de ma froideur, me fait craindre d’être dans l’erreur. Je veux laisser de côté toute considération humaine, prendre l’Écriture, mon cœur et ma conscience, et juger… Ces affaires religieuses me trottent toujours par la tête. Ces différences me font une peine que je ne puis dire : c’est un mur que je voudrais renverser ; et, cependant, je ne puis pas en conscience croire le méthodisme, comme d’autres ne peuvent pas en conscience ne pas le croire. Oh ! comme je bénirai Dieu si un jour j’ai une foi ferme et tranquille, si je comprends bien l’Écriture, et la lis avec plus de fruit et plus de plaisir ; si je sens en moi un désir de faire le bien plus fort que mes passions, et qui triomphe d’un amour-propre si vif, et d’un égoïsme si opposé au christianismek ! »
k – Souvenirs et, Lettres d’Ad. Monod. Paris, 1885, 2 vol. t. I, p. 35 et suiv.
Cette angoisse ne fit que grandir ; les relations du jeune étudiant avec Gaussen et Erskine contribuaient à augmenter son trouble intérieur et son désir d’arriver à la paix. Au moment même de la consécration, qu’il reçut avec son frère Guillaume lequel avait fait ses études en même temps que lui, il était encore hésitant et partagé.
Après quelques mois de séjour à Paris, il se rendit à Londres ; il s’y lia avec Charles Scholl, pasteur de l’Église française, qui fut un des trois chrétiens à qui, sur son lit de mort, il écrivit une touchante lettre, et auxquels il aimait à rapporter, après Dieu, sa conversion. Il conservait des relations avec ses amis de Genève et s’intéressait toujours au mouvement religieux qui s’y opérait.
Il écrivait, par exemple, au pasteur B. Bouvier : « Vous saurez prendre le milieu entre l’orthodoxie rigoureuse et l’excès opposé ; par excès opposé je n’entends pas le rationalisme, que la mauvaise foi toute seule ou une excessive prévention a pu croire trouver à Genève ; mais j’entends le christianisme de la vieille Compagnie, pur et moral à un haut degré, mais, si je l’ose dire, pas assez humble, pas assez spirituel, ne donnant pas assez de place à l’action du Saint-Esprit, c’est-à-dire de Dieu sur l’homme, ne mettant pas assez en avant cette règle fondamentale du devoir, de « faire la volonté de Dieu, » n’insistant pas assez sur la corruption de l’homme, sur la nécessité d’un changement entier dans ses dispositions, sur l’autorité divine et infaillible de l’Écriture sainte et surtout du Nouveau Testament, et enfin ne parlant pas assez de Jésus-Christ, de l’amour que nous lui devons, de son exemple, de sa Rédemption si incompréhensible, mais si clairement et si fréquemment enseignée dans le Nouveau Testament. — En toutes ces choses, le christianisme du plus grand nombre des membres de la Compagnie ne me satisfait pas entièrement ; — il est vrai que les pasteurs dont je parle traitent quelquefois ces sujets en chaire ; mais alors même, c’est plutôt comme une sorte de concession qu’ils font à l’orthodoxie que comme des choses qu’ils s’appliquent et qu’ils veulent appliquer à leurs auditoires, et ils semblent avouer certains dogmes plutôt que de les sentir.
Le défaut de l’orthodoxie me paraît consister surtout en ce qu’elle oublie ce que le christianisme a de commun avec les autres systèmes religieux, pour s’attacher exclusivement à ses dogmes caractéristiques ; Malan et Gaussen me font l’effet d’avoir toujours peur de n’être pas assez éloignés de ceux qui ne sont pas chrétiens ou qui ne le sont qu’imparfaitement ; la Compagnie me semble être tombée précisément sur le défaut opposé.
Je ne blâme ni les uns ni les autres ; les deux partis s’excusent mutuellement, parce qu’un excès en crée un autre, et d’ailleurs les deux partis renferment des hommes pour lesquels je suis plein de respect et d’admirationl. »
l – Souvenirs, p. 66-67.
Adolphe Monod n’avait pas à ce moment-là de plans bien définis pour l’avenir. Un voyage en Italie l’amena à accepter la direction d’une Église française qui se fonda à Naples, au commencement de 1826 ; il y resta environ dix-huit mois.
« Sa tristesse habituelle, accrue d’un sentiment de solitude, par suite de son éloignement de sa famille, et malgré la société et les soins d’amis dévoués, était devenue peu à peu une mélancolie insurmontable. Il était également pressé par sa conscience de remplir fidèlement les devoirs qu’il avait acceptés, et retenu par le scrupule de prêcher sans convictions arrêtées ; ce temps de ministère à Naples fut pour lui une épreuve douloureusem. » Mais aussi c’est à ce séjour qu’il devait rapporter la plus grande joie de sa vie, sa conversion. L’arrivée d’Erskine à Naples, en mai 1826, le réjouit profondément ; ils reprirent les-entretiens d’autrefois et les impressions qu’avait ressenties l’étudiant en théologie émurent de nouveau l’âme du pasteur : « Mes conversations avec Erskine, écrivait-il, m’ont convaincu que j’ai besoin de quelque chose que je n’ai pas trouvé jusqu’à présent et que je ne puis me donner moi-même. Je pressens et je vois dans M. Erskine et dans d’autres un bonheur, une paix, un ordre, une conviction, que je n’ai point… Je suis dans un état de désordre, de péché. Je le sens, je ne suis pas en harmonie avec moi-même ; mon principe philosophique n’est pas satisfait. La perfection de la créature ne peut consister que dans la relation avec le créateur ; et cependant, et c’est là le péché, j’ai été à moi-même mon centre jusqu’à ce moment. Il faut être dépendant, j’ai voulu être indépendant. J’ai voulu être original ; j’ai craint de me perdre dans le grand tout. J’ai voulu me faire ma religion à moi-même, au lieu de la prendre de Dieu… Conclusion des conversations avec M. Erskine : « Dieu de vérité, tu ne peux pas me refuser la vérité ! Tu es engagé à me la faire trouver. Tu y es engagé par les promesses de l’Évangile… ! Dirige mes réflexions, et fais-les tourner à la recherche de la vérité qui sanctifie. Donne à mon corps et à mon esprit la force nécessaire pour travailler, pour penser, pour te chercher et pour te trouver. Ne permets pas que rien me puisse détourner de la piété qui doit en être l’âme et le principe. Sanctifie-moi par la vérité. Ta Parole est la véritén ! »
m – Ibid., p. 80-81.
n – Souvenirs, p. 96 et suiv.
Cette requête devait être exaucée comme le fut la prière à peu près semblable de Félix Neff. Bientôt la lumière se fait dans le cœur d’Adolphe Monod. « Renonçant à tout mérite, à toute force, à toute ressource personnelle, écrit-il, et ne me reconnaissant de titre à la miséricorde de Dieu que ma misère, je lui ai demandé son Esprit pour changer le mien. Depuis ce jour, dont il y a plus de trois semaines, je n’ai point eu de retour de mélancolie ; c’est qu’auparavant j’étais sans Dieu et chargé moi-même de mon bonheur, et maintenant j’ai un Dieu qui s’en est chargé pour moi. Cela me suffit. Je ne suis pas encore très heureux, ni constamment heureux, parce que le sentiment de la présence et de l’amour de mon Dieu ne m’est ni continuel, ni vif. Dans le moment même que je t’écris, je suis froid et peut-être un peu triste ; mais cette tristesse n’a rien de désespéré ; je sais trop bien que Dieu peut y mettre fin quand il voudra, et qu’il le voudra quand il le faudrao. »
o – Souvenirs, p. 120.
Au milieu de ces luttes intérieures, Adolphe Mo-nod avait achevé son ministère à Naples ; son ancien condisciple et ami, le pasteur Vallette, lui avait promis de venir le remplacer à partir du 1er octobre 1827 ; il resta quatorze ans au milieu de ce troupeau. Les deux amis devaient se retrouver à Paris, l’un dans l’Église de la confession d’Augsbourg, l’autre dans l’Église réformée.
Après un court séjour à Paris, Adolphe Monod fut appelé à Lyon : il entra en fonctions en décembre 1827 ; quelques mois plus tard il devenait président du consistoire.
L’accueil qu’il reçut fut très bienveillant, et, dès là commencement de son ministère, il obtint un encouragement qui avait bien son prix. Sa prédication évangélique rallia autour de lui des personnes pieuses qui avaient formé une Église séparée, mais qui étaient toutes prêtes à se grouper autour d’un pasteur évangélique si elles le trouvaient dans l’Église nationale. On écrivait, dès juin 1828 : « Le ministère d’Adolphe a déjà porté un fruit précieux : il a fait cesser la séparation à Lyon. Le ministre séparatistep est venu à lui, lui a parlé de la manière la plus affectueuse et lui a déclaré qu’il allait renoncer au service qu’il faisait à l’heure du sermon et qu’il se faisait une joie d’être au nombre de ses auditeursq. »
p – M. Dentan, envoyé par la Société continentale.
q – Souvenirs, p. 144.
Mais si cette prédication convenait à quelques-uns, elle ne pouvait que déplaire à beaucoup : à Lyon, en effet, la vraie foi chrétienne avait fait place à cette religion toute de formes, qui ne fut, qui n’est encore, hélas ! que trop connue. « Les protestants se faisaient remarquer, comme tous leurs coreligionnaires, par leur probité et leur moralité ; ils appartenaient à l’élite de la bourgeoisie et obtenaient universellement toute la considération qu’ils méritaient et que leur haut rang commercial accroissait encore. Ils étaient accoutumés à un enseignement religieux des plus modérés, qui rappelait plutôt le vicaire savoyard que Calvin. La mondanité correcte y avait ses coudées franches. Jamais ces honnêtes gens n’avaient entendu parler de la nécessité du repentir et de l’insuffisance aux yeux de Dieu de leurs bonnes œuvres, qu’ils confondaient volontiers avec leurs aumônesr. » Adolphe Monod, tout frémissant encore de la grande lutte intérieure qu’il venait de soutenir, tout enflammé de sa première ferveur, allait leur faire entendre d’autres accents.
r – De Pressensé, Etudes contemporaines, p. 175.
Aussi, dès le début, tandis que sa prédication réjouissait les âmes pieuses, elle scandalisait nombre d’auditeurs, et le consistoire ne tardait pas à manifester son mécontentement. L’histoire de la lutte qui commença alors et qui aboutit à la destitution d’Adolphe Monod a été racontée par lui-même dans une brochure intitulée La Destitution d’Adolphe Monod. Elle se divise en quatre périodes.
Dans la première, qui commence en décembre 1827, le consistoire fait comprendre à Adolphe Monod qu’il désapprouve ses idées et sa prédication, et refuse de sanctionner le choix d’un suffragant orthodoxe que le pasteur malade veut appeler. Le 30 juin 1829, le consistoire demande à Adolphe Monod sa démission ; il la refuse.
La seconde période s’ouvre alors. Adolphe Monod persiste dans son attitude, ne négligeant aucune occasion d’appliquer les principes orthodoxes : c’est ainsi qu’il refuse d’abandonner l’enseignement de ses catéchumènes à un autre pasteur : il ne cède que lorsqu’il voit que, d’après le règlement, il pourrait y être obligé. Il proteste contre la nomination d’un pasteur faite dans une Église de la consistoriale, ce pasteur n’ayant pas une prédication orthodoxe. Il se marie, et fait bénir son mariage par le pasteur Bonifas, de Grenoble.
D’autre part, le consistoire, ayant fait une demande de fonds aux membres de l’Église, reçoit une pétition signée de cent quinze à cent vingt personnes qui réclament l’éloignement d’Adolphe Monod. Une commission nommée demande une seconde fois au président sa démission et lui annonce que, s’il refuse, le consistoire est décidé à le destituer. Il refuse ; mais on ne veut pas prononcer la destitution, car on craint que le gouvernement ne la sanctionne pas. Néanmoins, devant cette résolution, une partie du consistoire, qui voulait la destitution du pasteur, donne sa démission.
Dans la troisième période, du 25 février 1830 au 15 avril 1831, la lutte entre dans l’état aigu ; on supprime le traitement supplémentaire d’Adolphe Monod ; on entrave sa liberté pastorale de toutes manières ; on rédige les procès-verbaux avec une telle partialité qu’il ne peut signer celui de l’une des séances et qu’il est contraint de protester contre les autres d’une manière générale ; on l’invite à s’abstenir de la distribution de traités religieux ; on lui refuse la faculté qu’il avait demandée d’établir un service dirigé par lui seul et on accorde cette faculté à un de ses collègues en le chargeant exclusivement de l’enseignement des écoles ; on refuse l’observation qu’il avait demandée d’une règle dans l’administration de la Cène ; on censure son discours prononcé le 20 mars (Qui doit communier ?) et enfin, on le destitue le 15 avril 1831.
Dans la quatrième et dernière période, du 15 avril au 21 mai 1831, comme aucune réponse ne venait du gouvernement relativement à la destitution, Adolphe Monod refuse de distribuer la Cène à Pentecôte, après avoir, il est vrai, essayé par tous les moyens de se faire remplacer en chaire ce jour-là. Alors, le consistoire l’empêche de recevoir ses catéchumènes, et s’étant constitué en séance sans lui, par conséquent illégalement, le suspend de toutes ses fonctions.
L’arrêté de destitution fut confirmé par une ordonnance royale en date du 19 mars 1832.
Tels sont les principaux incidents de ce débat fameux. Malgré la gravité de la lutte, Adolphe Monod se rend le témoignage qu’il n’a ressenti aucune amertume contre ses adversaires : « J’ai besoin de vous assurer en particulier, dit-il, que la douleur profonde que vous me donnez est pure du plus léger mélange d’amertume contre aucun de vous, et que je donnerais de bon cœur tout ce qui me reste d’une santé déjà chancelante si, par ce sacrifice, je pouvais faire partager à un seul d’entre vous cette félicité divine dont vous redoutez la contagions. » Tout est pour lui une question de principes et de foi.
s – La destitution d’Ad. Monod. Paris, 1864, p. 18.
Cependant, on doit reconnaître que certains de ses actes, quoique parfaitement légitimes à son point de vue, lui rendaient la situation intenable. Au commencement de l’année 1831, par exemple, il présenta, comme président du consistoire, un rapport sur l’état de l’Église de Lyon. S’élevant bien haut au-dessus des circonstances locales, il retraçait avec vigueur la grande lutte du rationalisme et du réveil, qui était alors déchaînée en France et en Suisse : « Entre la doctrine de la grâce, qui reprend possession de l’Église réformée, s’écriait-il, et la doctrine des œuvres qui veut s’y maintenir, a commencé une lutte qui ne peut se terminer que par la défaite de l’une ou de l’autre ; car elles ne peuvent vivre ensemble ; elles s’excluent mutuellement : celui qui est pour l’une est contre l’autre. Cette lutte pénètre partout, et là où elle n’est point encore venue, elle viendra bientôt. Elle est venue à Paris, à Montauban, à Strasbourg, à Montpellier, à Nîmes. Elle est venue aussi à Lyon, et c’est là. ce que j’ai appelé notre révolution spirituelle, dont vous pouvez maintenant apprécier l’origine, le caractère et les suites probablest. »
t – Destitution, p. 115.
Alors, s’appuyant sur le Concordat, qui reconnaît la confession de foi et la discipline réformées, Ad. Monod conclut qu’il est, lui, le seul représentant à Lyon de l’Église authentique, et que c’est à lui que l’État doit donner raison, de par la Confession de foi. « J’estime que la doctrine de la grâce est celle à laquelle seule appartient l’Église réformée de France, et toutes les institutions comme aussi tous les secours qu’elle reçoit de l’État ; qu’elle est chez elle, qu’elle doit y rester, et que c’est à la doctrine des œuvres à sortiru. »
u – Ibid., p. 119.
Après sa destitution, Adolphe Monod ne quitta pas Lyon ; mais, cédant aux instances de quelques amis chrétiens qui le suppliaient de ne pas les abandonner, il fonda l’Église évangélique de cette ville, en faveur de laquelle il adressa, en 1833, un chaleureux Appel aux chrétiens de France et de l’étranger.
Peu à peu cette Église s’accrut et se donna les institutions et les organes nécessaires à son développement, tout en s’efforçant d’éviter la dissidence. C’est pendant cette partie de son ministère qu’Adolphe Monod reçut vocation de la Société évangélique qui l’appela, à plusieurs reprises, comme professeur à l’École de l’Oratoire.
Sa réputation se répandait de toutes parts : on lui demandait sans cesse des prédications, et beaucoup de temples nationaux, comme beaucoup de chapelles indépendantes retentirent de ses puissants et pressants appels à la repentance et à la foi.
En 1836, il fut nommé professeur de morale à la Faculté de Montauban. Il y trouva des collègues et des amis chrétiens qui entrèrent aussitôt en relations fraternelles avec lui. C’étaient les beaux jours de la Facultév : le pieux Bonnard, qui était encore debout, Pierre Encontre, Jalaguier, plus tard de Félice se sentirent aussitôt en communion de pensées avec le nouveau professeur. Le vénérable Marzials, M. de Rapin, les familles de Montbrison, de Preissac, de Maleville, M. de Vicose, la famille Laforgue, les MM. Courtois, à Toulouse, accueillirent aussi avec affection Adolphe Monod et les siens. Ainsi soutenu, il poursuivit à Montauban cette œuvre du Réveil qu’il avait si fidèlement commencée à Lyon. Pendant les onze années de son professorat, dans lequel il enseigna successivement la morale, l’hébreu et l’exégèse, il fut pour les étudiants un maître, un ami, un père spirituel. Soit dans son enseignement, soit dans ses prédications de tous les dimanches, il exerça sur eux une profonde et bienfaisante influence. Lui-même vit peu à peu ses idées théologiques se modifier en face des problèmes de la critique qu’il examinait avec sa conscience et sa loyauté ordinaires. Il abandonna le point de vue de l’orthodoxie du Réveil au sujet des Écritures, et mit la Parole vivante, Jésus-Christ, au-dessus de la Parole écrite, la lettre de la Bible. Au reste, à la fin de sa vie, il devait revenir à sa première théologie, sans toutefois en reprendre les formules exclusives.
v – Voir les Souvenirs et Etudes de M. Pédézert.
Enfin, en 1847, il reçut un appel du consistoire de Paris, qui lui proposait la suffragance de M. Juillerat ; il crut devoir l’accepter. Pendant les neuf ans qu’il y exerça son ministère, il prit une part active aux luttes théologiques et ecclésiastiques qui eurent lieu vers 1848, et qui aboutirent à la fondation de l’Union des Églises libres.
Resté dans l’Église nationale, il continua à y remporter ces magnifiques succès oratoires et surtout religieux, qui l’ont placé au premier rang de nos prédicateurs du dix-neuvième siècle. Hors de France même, ses prédications étaient souvent demandées ; il eut l’occasion de prêcher plusieurs fois en Angleterre dans la langue même de ce pays ; en 1846, on l’avait déjà prié de prendre une part importante à la première assemblée de l’Alliance évangélique, tenue à Londres.
Mais la maladie devait enrayer avant le temps cette débordante activité, et le Seigneur allait reprendre prématurément son fidèle serviteur. Ce fut le jour de Pentecôte 1855, qu’Adolphe Monod prêcha son dernier sermon ; il se coucha pour ne plus se relever et, le 6 avril 1856, il rendait son âme à son Dieu-Sauveur.
On sait quelle fut l’histoire de cette maladie ; retracée dans ce livre, Les adieux d’Adolphe Monod qu’on a comparé à l’Imitation de Jésus-Christ, cette longue souffrance fut en édification à tous ceux qui la contemplèrent, et les admirables allocutions que chaque dimanche le pasteur malade adressait à son entourage sont comme une sorte de testament à ses amis et à l’Église.
Avec Adolphe Monod disparaissait une des gloires les plus incontestées du Réveil ; c’est surtout à ce point de vue que nous avons voulu le considérer dans cette rapide esquisse de sa vie. On a dit qu’il était l’image fidèle et originale du Réveil, parce que dans ses idées et sa prédication se retrouvaient tous les caractères de ce mouvement : foi à la divinité des Écritures, attachement à l’orthodoxie, appels adressés à la conscience, préoccupation du salut, désir de l’ordre ecclésiastiquew.
w – Voir Pédézert, Souvenirs et Etudes, p. 54 et suiv.
On peut dire aussi que l’histoire d’Adolphe Monod a été en raccourci l’histoire du Réveil lui-même ; la lutte intérieure, il l’a connue à Genève et à Naples ; la lutte avec le rationalisme, il l’a connue à Lyon ; la lutte ecclésiastique, il l’a connue à Paris. Mais il faut ajouter qu’il a éprouvé aussi les saintes joies du Réveil et qu’il en a contemplé les fruits ; à Lyon, à Montauban, à Paris, partout où il est monté dans la chaire de vérité, il a vu les temples devenir trop petits pour contenir les auditoires qui voulaient l’écouter ; il a vu les âmes, troublées par l’Évangile qu’il leur prêchait, se convertir et naître à une vie nouvelle.
Aucun homme du Réveil n’a été plus fidèle ; mais on peut ajouter qu’aucun n’a été plus béni.