1517 – mai 1518
Cortège – Tetzel – Le discours de Tetzel – Confession – Quatre grâces – Vente – Pénitence publique – Une lettre d’indulgence – Exceptions – Divertissements et débauches
Une grande agitation régnait alors en Allemagne parmi le peuple. L’Église avait ouvert un vaste marché sur la terre. A la foule des chalands, aux cris et aux plaisanteries des vendeurs, on eût dit une foire, mais une foire tenue par des moines. La marchandise qu’ils faisaient valoir et qu’ils offraient au rabais, c’était, disaient-ils, le salut des âmes.
Les marchands parcouraient le pays dans une belle voiture, accompagnés de trois cavaliers, menant grand train et faisant de fortes dépenses. On eût dit quelque Éminence en tournée, avec sa suite et ses officiers, et non un débitant vulgaire ou un moine quêteur. Le cortège approchait-il d’une ville, un député se rendait auprès du magistrat : « La grâce de Dieu et du saint Père est devant vos portes, » disait l’envoyé. Aussitôt tout était en mouvement dans l’endroit. Le clergé, les prêtres, les nonnes, le conseil, les maîtres d’école, les écoliers, les corps de métier avec leurs drapeaux, hommes et femmes, jeunes et vieux, allaient à la rencontre des marchands, tenant en main des cierges allumés, s’avançant au son de la musique et de toutes les cloches, « de manière, dit un historien, que l’on n’eût pu recevoir plus grandement Dieu lui-même. » Les salutations faites, tout le cortège se dirigeait vers l’église. La bulle de grâce du pontife était portée en tête sur un coussin de velours, ou sur un drap d’or. Le chef des marchands d’indulgences venait ensuite, tenant en main une grande croix rouge en bois. Toute la procession cheminait ainsi au milieu des chants, des prières et de la fumée des parfums. Le son des orgues et une musique retentissante recevaient dans le temple le moine débitant et ceux qui l’accompagnaient. La croix qu’il portait était placée devant l’autel : on y suspendait les armes du pape, et pendant tout le temps qu’elle demeurait là, le clergé du lieu, les pénitenciers et les sous-commissaires venaient chaque jour, après les vêpres ou avant le salut, lui rendre honneur, en portant à la main de petits bâtons blancsw. Cette grande affaire excitait une vive sensation dans les tranquilles cités germaniques.
w – Mit weissen Stæblein. (Instruction de l’archevêque de Mayence aux sous-commissaires de l’indulgence, etc., art. 8.)
Un personnage attirait surtout l’attention des spectateurs dans ces ventes. C’était celui qui portait la grande croix rouge et qui était chargé du principal rôle. Revêtu de l’habit des dominicains, il se présentait avec arrogance. Sa voix était retentissante, et il semblait encore plein de force, quoiqu’il eût déjà atteint sa soixante-troisième annéeξ. Cet homme, fils d’un orfèvre de Leipzig nommé Diez, s’appelait Jean Diezel ou Tetzel. Il avait étudié dans sa ville natale, avait été fait bachelier en 1487, et était entré, deux ans après, dans l’ordre des dominicains. De nombreux honneurs s’étaient accumulés sur sa tête. Bachelier en théologie, prieur des dominicains, commissaire apostolique, inquisiteur, hereticæ pravitatis inquisitor, il n’avait cessé depuis l’an 1502 de remplir l’office de marchand d’indulgences. L’habileté qu’il avait acquise comme subordonné l’avait bientôt fait nommer commissaire en chef. Il avait quatre-vingts florins par mois ; tous ses frais étaient payés ; on lui fournissait une voiture et trois chevaux ; mais ses gains accessoires, on le comprend sans peine, dépassaient de beaucoup son traitement. En 1507, il gagna en deux jours, à Freiberg, deux mille florins. S’il avait les fonctions d’un charlatan, il en avait aussi les mœurs. Convaincu à Inspruck d’adultère et de conduite éhontée, il fut près d’expier ses vices par sa mort. L’empereur Maximilien avait ordonné qu’il fût mis dans un sac et jeté à la rivière. L’électeur Frédéric de Saxe étant survenu, obtint sa grâceυ. Mais la leçon qu’il avait reçue ne lui avait pas donné plus de modestie. Il menait avec lui deux de ses enfants. Miltitz, légat du pape, cite ce fait dans une de ses lettresζ. Il eût été difficile de trouver dans tous les cloîtres de l’Allemagne un homme plus propre que lui au commerce dont on le chargea. A la théologie d’un moine, au zèle et à l’esprit d’un inquisiteur, il unissait la plus grande effronterie ; et ce qui lui facilitait surtout sa tâche, c’était l’art d’inventer de ces histoires bizarres par lesquelles on captive l’esprit du peuple. Tout moyen lui était bon pour remplir sa caisse. Enflant la voix et se livrant à une éloquence de tréteaux, il offrait à tout venant ses indulgences, et savait mieux qu’aucun marchand de foire faire valoir sa marchandiseω.
ξ – Ingenio ferox et corpore robustus. (Cochl. 5)
υ – Welchen Churfürst Friederich vom Sack zu Inspruck erbeten hatte. (Mathes. 10.)
ζ – L. Opp. (W.) XV, 862.
ω – Circumferuntur venales indulgentiæ in his regionibus a Tecelio Dominicano impudentissimo sycophanta. (Melancht., Vita Luth.)
Tetzel (1465-1519)
Quand la croix avait été élevée et que les armes du pape y étaient suspendues, Tetzel montait en chaire, et d’un ton assuré il se mettait à exalter la valeur des indulgences, en présence de la foule que la cérémonie avait attirée dans le lieu saint. Le peuple l’écoutait, et ouvrait de grands yeux, à l’ouïe des vertus admirables qu’il annonçait. Un historien jésuite dit, en parlant des religieux dominicains que Tetzel s’était associés : « Quelques-uns de ces prédicateurs ne manquèrent pas, comme d’ordinaire, d’outrer le sujet qu’ils traitaient, et d’exagérer tellement le prix des indulgences, qu’ils donnèrent occasion au peuple de croire qu’on était assuré de son salut et de la délivrance des âmes du purgatoire aussitôt qu’on avait donné l’argentx. » Si tels étaient les disciples, on peut penser ce qu’était le maître. Écoutons l’une des harangues qu’il prononça après l’élévation de la croix.
x – Hist. du Luthéranisme par le P. Maimhourg, de la compagnie de Jésus, 1581, p. 21.
« Les indulgences, dit-il, sont le don le plus précieux et le plus sublime de Dieu.
Cette croix (en montrant la croix rouge) a autant d’efficace que la croix même de Jésus-Christy.
y – L. Opp. (W.) XXII, p. 1383.
Venez, et je vous donnerai des lettres munies de sceaux, par lesquelles les péchés mêmes que vous auriez envie de faire à l’avenir, vous seront tous pardonnés.
Je ne voudrais pas échanger mes privilèges contre ceux de saint Pierre dans le ciel ; car j’ai sauvé plus d’âmes par mes indulgences que l’apôtre par ses discours.
Il n’y a aucun péché si grand que l’indulgence ne puisse le remettre ; et même, si quelqu’un, ce qui est impossible sans doute, avait fait violence à la sainte Vierge Marie, mère de Dieu, qu’il paye, qu’il paye bien seulement, et cela lui sera pardonnéz.
z – Tetzel défend et maintient cette assertion dans ses antithèses, publiées la même année. Th. 99, 100 et 101. « Sub commissariis insuper ac prædicatoribus veniarum imponere, ut si quis per impossibile Dei genitricem semper virginem violasset, quod eumdem indulgentiarum vigore absolvere possent, luce clarius est. (Positiones fratris J. Tezelii quibus defendit indulgentias contra Lutherum.)
Pensez donc que pour chaque péché mortel il vous faut, après la confession et la contrition, faire pénitence pendant sept ans, soit dans cette vie, soit dans le purgatoire : or, combien de péchés mortels ne sont pas commis dans un jour, combien dans une semaine, combien dans un mois, combien dans une année, combien dans toute la viea… Ah ! ces péchés sont presque infinis, et ils font subir une peine infinie dans les flammes du purgatoire. Et maintenant, au moyen de ces lettres d’indulgence, vous pouvez une fois dans votre vie, dans tous les cas, sauf quatre qui sont réservés au siège apostolique, et ensuite à l’article de la mort, obtenir une pleine rémission de toutes vos peines et de tous vos péchés !… »
a – Quot peccata mortalia committuntur in die… (Löscher’s Reformations acten I, p. 418.)
Tetzel entrait même dans des calculs de finance : « Ne savez-vous pas, disait-il, que si quelqu’un veut aller à Rome, ou dans tel autre pays où les voyageurs courent des dangers, il envoie son argent à la banque, et pour chaque cent florins qu’il veut avoir, il en donne cinq ou six ou dix de plus, afin qu’au moyen des lettres de cette banque, on lui paye sûrement son argent à Rome ou ailleurs… Et vous, pour le quart d’un florin, vous ne voulez pas recevoir ces lettres d’indulgence, au moyen desquelles vous pourrez introduire dans la patrie du paradis, non un vil argent, mais l’âme divine et immortelle, sans qu’elle ait aucun danger à courirb… »
b – Si continuat aliquem ire Romam, vel ad alias periculosas partes, mittat pecunias suas in banco, et ille pro quolibet centum dat quinque, aut sex, aut decem… (Löscher’s Reformations acten I, p. 418.)
Tetzel passait ensuite à un autre sujet.
« Mais il y a plus, disait-il : les indulgences ne sauvent pas seulement les vivants, elles sauvent aussi les morts. Pour cela la repentance n’est même pas nécessaire. Prêtre ! noble ! marchand ! femme ! jeune fille ! jeune homme ! entendez vos parents et vos autres amis qui sont morts et qui vous crient du fond de l’abîme : Nous endurons un horrible martyre ! Une petite aumône nous délivrerait ; vous pouvez la donner, et vous ne le voulez pas ! »
On frémissait à ces paroles, prononcées par la voix formidable du moine charlatan.
« A l’instant même, continuait Tetzel, où la pièce de monnaie retentit au fond du coffre-fort, l’âme part du purgatoire et s’envole délivrée dans le cielc. O gens imbéciles et presque semblables aux bêtes, qui ne comprenez pas la grâce qui vous est si richement présentée !… Maintenant le ciel est partout ouvert !… Refuses-tu à cette heure d’y entrer ? Quand donc y entreras-tu ?… Maintenant tu peux racheter tant d’âmes !… Homme dur et inattentif ! avec douze gros tu peux tirer ton père du purgatoire, et tu es assez ingrat pour ne pas le sauver ! Je serai justifié au jour du jugement ; mais vous, vous serez punis d’autant plus sévèrement, pour avoir négligé un si grand salut. — Je te le déclare, quand tu n’aurais qu’un seul habit, tu serais obligé de l’ôter et de le vendre, afin d’obtenir cette grâce… Le Seigneur notre Dieu n’est plus Dieu. Il a remis tout pouvoir au pape. »
c – Thèse 56. (Positiones fratris J. Tetzelii quibus defendit indulgentias contra Lutherum.)
Puis, cherchant à faire usage d’autres armes encore, il ajoutait : « Savez-vous pourquoi notre très saint Seigneur distribue une si grande grâce ? Il s’agit de relever l’église détruite de Saint-Pierre et Saint-Paul, en sorte qu’elle n’ait pas sa pareille dans l’univers. Cette église contient les corps des saints apôtres Pierre et Paul et ceux d’une multitude de martyrs. Ces corps saints, par l’état actuel de l’édifice, sont maintenant, hélas !… continuellement battus, inondés, souillés, déshonorés, réduits en pourriture par la pluie, par la grêle… Ah ! ces cendres sacrées resteront-elles plus longtemps dans la boue et dans l’opprobred ? »
d – Instruction de l’arch. de Mayence, etc.
Cette peinture ne manquait pas de faire impression sur plusieurs. On brûlait du désir de venir à l’aide du pauvre Léon X, qui n’avait pas de quoi mettre à l’abri de la pluie les corps de saint Pierre et de saint Paul.
Alors l’orateur s’élevait contre les ergoteurs et les traîtres qui s’opposaient à son œuvre : « Je les déclare excommuniés ! » s’écriait-il.
Ensuite, s’adressant aux âmes dociles, et faisant un usage impie de l’Écriture : « Bienheureux sont les yeux qui voient ce que vous voyez, car je vous dis que plusieurs prophètes et plusieurs rois ont désiré de voir les choses que vous voyez, et ils ne les ont pas vues, et d’ouïr les choses que vous entendez, et ils ne les ont point entendues ! » s’écriait-il. Et pour terminer, montrant le coffre-fort où l’on recevait l’argent, il concluait d’ordinaire son pathétique discours, en adressant à trois reprises au peuple cet appel : « Apportez ! apportez ! apportez ! » — « Il criait ces mots avec un si horrible beuglement, écrit Luther, qu’on eût dit un bœuf furieux qui fondait sur les gens et les frappait de ses cornese. » Quand son discours était fini, il descendait de chaire, courait vers la caisse, et, en présence de tout le peuple, y jetait une pièce d’argent, qu’il avait soin de faire sonner bien fortf.
e – Résolut. sur la thèse 32.
f – Tentzel, Reformationsgesch. — Myconii Réf. Hist. — Instruction de l’archevêque de Mayence aux sous-commissaires de l’indulgence. — Thèses de Luther.
Tels étaient les discours que l’Allemagne étonnée entendait aux jours où Dieu préparait Luther.
Le discours terminé, l’indulgence était considérée comme « ayant établi son trône en ce lieu d’une manière solennelle. » Des confessionnaux, ornés des armes du pape, étaient disposés. Les sous-commissaires, et les confesseurs qu’ils choisissaient, étaient censés représenter les pénitenciers apostoliques de Rome dans le temps d’un grand jubilé ; et sur chacun de leurs confessionnaux on lisait en grands caractères leurs noms, leurs prénoms et leurs titresg.
g – Instruction, etc., 5, 69.
Alors on se pressait en foule vers les confesseurs. On venait avec une pièce de monnaie dans la main. Hommes, femmes, petits, pauvres, ceux même qui vivaient d’aumônes, chacun trouvait de l’argent. Les pénitenciers, après avoir exposé de nouveau à chacun en particulier la grandeur de l’indulgence, adressaient aux pénitents cette demande : « De combien d’argent pouvez-vous en conscience vous priver pour obtenir une si parfaite rémission ? » Cette demande, dit l’instruction de l’archevêque de Mayence aux commissaires, cette demande doit être faite dans ce moment, afin que les pénitents soient par là mieux disposés à contribuer.
Quatre grandes grâces étaient promises à ceux qui voulaient aider à élever la basilique de Saint-Pierre. « La première grâce que nous vous annonçons, disaient les commissaires, d’après la lettre de leur instruction, est le pardon complet de tous les péchésh. » Venaient ensuite trois autres grâces : l’une, le droit de se choisir un confesseur qui, toutes les fois que l’heure de la mort semblerait sonner, donnerait l’absolution de tous les péchés et même des plus grands crimes réservés au siège apostoliquei ; l’autre était la participation à tous les biens, œuvres et mérites de l’Église catholique, prières, jeûnes, aumônes, pèlerinagesj ; la dernière enfin était la rédemption des âmes qui sont dans le purgatoire.
h – Ibid.
i – Instruction de l’archevêque, 30.
j – Ibidem, 35.
Pour obtenir la première de ces grâces, il était nécessaire d’avoir la contrition du cœur et la confession de la bouche, ou du moins l’intention de se confesser. Mais, quant aux trois autres, on pouvait les obtenir sans contrition, sans confession, uniquement en payant. Déjà Christophe Colomb, exaltant le prix de l’or, avait dit très sérieusement : « Qui le possède peut introduire les âmes dans le paradis. » Telle était la doctrine enseignée par l’archevêque-cardinal de Mayence et par les commissaires du pape. « Quant à ceux, disaient-ils, qui veulent délivrer des âmes du purgatoire et leur procurer le pardon de toutes leurs offenses, qu’ils mettent de l’argent dans la caisse ; mais il n’est pas nécessaire qu’ils aient la contrition du cœur ou la confession de la bouchek. Qu’ils se hâtent seulement d’apporter leur argent ; car ils feront ainsi une œuvre très utile aux âmes des trépassés et à la construction de l’église de Saint-Pierre. » De plus grands biens ne pouvaient être offerts à plus bas prix.
k – Auch ist nicht nöthig dass sie in de ni Herztn zerknirscht sind, und mit dem Mund gebeichtet haben. (Ibid., 38.)
La confession finie, et c’était bientôt fait, les fidèles se hâtaient de se rendre vers le vendeur. Un seul était chargé de la vente. Il tenait son comptoir près de la croix. Il jetait des regards scrutateurs sur ceux qui s’approchaient de lui. Il examinait leur air, leur port, leurs habits ; et il demandait une somme proportionnée à l’apparence de celui qui se présentait. Les rois, les reines, les princes, les archevêques, les évêques, devaient, selon le règlement, payer pour une indulgence ordinaire vingt-cinq ducats. Les abbés, les comtes, les barons, en payaient dix. Les autres nobles, les recteurs et tous ceux qui avaient un revenu de cinq cents florins en payaient six. Ceux qui avaient deux cents florins par an en payaient un, d’autres seulement un demi. Du reste, si cette taxe ne pouvait être suivie à la lettre, de pleins pouvoirs étaient donnés au commissaire apostolique ; et le tout devait être arrangé d’après les données de la « saine raison » et la générosité du donateurl. Pour des péchés particuliers, Tetzel avait une taxe particulière. La polygamie se payait six ducats ; le vol d’église et le parjure, neuf ducats ; le meurtre, huit ducats ; la magie, deux ducats. Samson, qui faisait en Suisse le même commerce que Tetzel en Allemagne, avait une taxe un peu différente. Il faisait payer pour un infanticide quatre livres tournois ; pour un parricide ou un fratricide, un ducatm.
l – Nach den Sätzen der gesunden Vernunft, nach ihrer Magnificenz und Freigrbigkeit. (Instruction, etc., 26.)
m – Müller’s Reliq. III, p. 264.
Les commissaires apostoliques rencontraient quelquefois des difficultés dans leur négoce. Il arrivait souvent, soit dans les villes, soit dans les villages, que les maris étaient opposés à tout ce trafic, et défendaient à leurs femmes de rien porter à ces marchands. « Qu’avaient à faire leurs dévotes épouses ? N’avez-vous pas votre dot ou d’autres biens à votre disposition ? leur disaient les vendeurs. Dans ce cas, vous pouvez en disposer pour une œuvre si sainte, contre le gré de vos marisn. »
La main qui avait donné l’indulgence ne pouvait pas recevoir l’argent ; cela était défendu sous les peines les plus sévères : on avait de bonnes raisons pour craindre que cette main ne fût pas fidèle. Le pénitent devait déposer lui-même le prix de son pardon dans la caisseo. On montrait un visage irrité à ceux qui tenaient audacieusement leurs bourses ferméesp.
n – Instr. 27. Wieder den Willen ihres Mannes.
o – Ibidem, 87, 90 et 91.
p – Luth. Opp. Leipz. XVII, 79.
Si, parmi ceux qui se pressaient dans les confessionnaux, se trouvait quelque homme dont le crime eût été public, sans que les lois civiles l’eussent atteint, il devait faire avant tout pénitence publique. On le conduisait d’abord dans une chapelle ou dans une sacristie ; là, on le dépouillait de ses vêtements, on lui ôtait ses souliers et on ne lui laissait que sa chemise. On lui croisait les bras sur la poitrine ; on lui plaçait une lumière dans une main, un cierge dans l’autre. Puis le pénitent marchait en tête de la procession qui se rendait à la croix rouge. Il se mettait à genoux jusqu’à ce que le chant et la collecte fussent terminés. Alors le commissaire entonnait le psaume Miserere mei ! Les confesseurs s’approchaient aussitôt du pénitent et le conduisaient à travers la station vers le commissaire, qui, prenant la verge de sa main et l’en frappant à trois reprises doucement sur le dosq, lui disait : « Que Dieu ait pitié de toi et te pardonne ton péché ! » Il entonnait ensuite le Kyrie eleison. Le pénitent était ramené devant la croix et le confesseur prononçait sur lui l’absolution apostolique et le déclarait réintégré dans la compagnie des fidèles. Tristes momeries terminées par une parole sainte, qui, dans un tel moment, était une profanation !
Voici l’une des lettres d’absolution. Il vaut la peine de connaître le contenu de ces diplômes qui furent l’occasion de la réforme de l’Église.
q – Dreimal gelind auf den Rücken. (Instruction.)
« Que Notre-Seigneur Jésus-Christ ait pitié de toi, N. N., et t’absolve par les mérites de sa très sainte passion ! Et moi, en vertu de la puissance apostolique qui m’a été confiée, je t’absous de toutes les censures ecclésiastiques, jugements et peines que tu as pu mériter ; de plus, de tous les excès, péchés et crimes que tu as pu commettre, quelque grands et énormes qu’ils puissent être et pour quelque cause que ce soit, fussent-ils même réservés à notre très saint père le pape et au siège apostolique. J’efface toutes les taches d’inhabilité et toutes les notes d’infamie que tu aurais pu t’attirer à cette occasion. Je te remets les peines que tu aurais dû endurer dans le purgatoire. Je te rends de nouveau participant des sacrements de l’Église. Je t’incorpore derechef dans la communion des saints, et je te rétablis dans l’innocence et la pureté dans laquelle tu as été à l’heure de ton baptême. En sorte qu’au moment de ta mort, la porte par laquelle on entre dans le lieu des tourments et des peines te sera fermée, et qu’au contraire la porte qui conduit au paradis de la joie te sera ouverte. Et si tu ne devais pas bientôt mourir, cette grâce demeurera immuable pour le temps de ta fin dernière.
Au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit… Amen.
Frère Jean Tetzel, commissaire, l’a signé de sa propre main. »
Avec quelle habileté des paroles présomptueuses et mensongères sont ici intercalées entre des paroles saintes et chrétiennes !
Tous les fidèles devaient venir se confesser dans le lieu même où la croix rouge était plantée. Il n’y avait d’exception que pour les malades, les vieillards et les femmes enceintes. Si cependant il se trouvait dans le voisinage quelque noble en son château, quelque grand personnage en son palais, il y avait aussi exemption pour luir ; car il pouvait ne pas se soucier d’être mêlé à tout ce peuple, et son argent valait bien la peine qu’on allât le chercher dans sa maison.
r – Inst. 9
Y avait-il quelque couvent dont les chefs, opposés au commerce de Tetzel, défendissent à leurs moines de visiter les lieux où l’indulgence avait érigé son trône, on trouvait encore moyen de remédier au mal en leur envoyant des confesseurs chargés de les absoudre, contre les règles de leur ordre et la volonté de leurs chefss. On ne laissait pas un filet de la mine sans trouver moyen de l’exploiter.
Puis arrivait ce qui était le but et la fin de toute l’affaire : la supputation des deniers. Pour plus de sûreté, le coffre avait trois clefs : l’une était dans les mains de Tetzel ; la seconde, dans celles du trésorier délégué de la maison Fugger d’Augsbourg, à qui l’on avait commis cette vaste entreprise ; la troisième était confiée à l’autorité civile. Quand le moment était venu, les caisses étaient ouvertes en présence d’un notaire public, et le tout était dûment compté et enregistré. Christ ne devait-il pas se lever pour chasser du sanctuaire ces vendeurs profanes ?
s – Inst. 69
La mission terminée, les marchands se délassaient de leurs peines. L’instruction du commissaire général leur défendait, il est vrai, de fréquenter les cabarets et les lieux suspectst ; mais ils se souciaient peu de cette interdiction. Les péchés devaient paraître bien peu redoutables à des gens qui en faisaient un si facile trafic. « Les quêteurs menaient une mauvaise vie, dit un historien catholique romain ; ils dépensaient dans les cabarets, dans les brelans et dans les lieux infâmes, tout ce que le peuple retranchait de ses nécessitésu. » On assure même que lorsqu’ils étaient dans les cabarets, il leur arrivait de jouer aux dés le salut des âmesv.
t – Inst. 4
u – Sarpi, Concile de Trente, p.5
v – Schröck, K. G. v. d. R. I, 116