« Et pendant que Pilate était assis sur le tribunal, sa femme lui envoya dire : N’aie rien à faire avec cet homme de bien ; car j’ai beaucoup souffert aujourd’hui en songe à son sujet. Alors les principaux sacrificateurs et sénateurs persuadèrent au peuple de demander Barrabas et de faire périr Jésus. Et le gouverneur, prenant la parole, leur dit : Lequel des deux voulez-vous que je vous relâche ? Et ils dirent : Barrabas. Pilate leur dit : Que ferai-je donc de Jésus qu’on appelle Christ ? Tous lui dirent : Qu’il soit crucifié ! Et le gouverneur leur dit : Mais quel mal a-t-il fait ? Alors ils crièrent encore plus fort : Qu’il soit crucifié ! Pilate donc, voyant qu’il ne gagnait rien, mais que le tumulte augmentait de plus en plus, prit de l’eau et se lava les mains devant le peuple, disant : Je suis innocent du sang de ce juste. C’est à vous d’y penser. »
Il est digne de remarque qu’une femme païenne ait eu le courage de prendre en main la cause de notre Sauveur, alors que ses propres disciples l’abandonnaient, et que le peuple et les autorités juives réclamaient son sang innocent. Ce qui ne l’est pas moins, c’est qu’ils aient, elle et son faible mari, qui était revêtu de l’autorité, du droit et de la justice au nom de l’empereur romain, désigné le condamné par l’épithète de ce juste. Tout homme qui connaît les prophéties inconscientes du paganisme, rapprochera cette expression du passage célèbre de la République de Platon, où ce grand sage de la Grèce décrit l’idéal du juste dans cet homme qui, « sans avoir commis d’injustice, passe pour le plus scélérat des mortels. On le fouettera, on le mettra à la torture, on le chargera de chaînes, on lui brûlera les deux yeux ; enfin, après qu’il aura enduré mille maux, on l’attachera sur une croix et on lui fera sentir qu’il ne faut pas s’embarrasser d’être juste, mais de le paraître. » Aristote aussi dit du juste parfait, « qu’il est élevé bien au-dessus de l’ordre et des institutions politiques du monde, et qu’il en doit, quelque part qu’il puisse paraître, briser et rompre les cadres. » Les prophéties de la sagesse grecque et la majesté du droit romain s’unissent ici dans la personne d’une dame romaine, femme du représentant de l’empereur à Jérusalem, pour attester devant des hommes impies l’innocence et la justice du Christ, aux heures les plus sombres de sa condamnation. Claudia Procla, comme l’appelle la tradition dans l’évangile de Nicodème, au ch. II, et dans Nicéphore Calliste, Hist. I, 30, — était probablement une prosélyte de la porte ou l’une de ces païennes craignant Dieu, qui, sans embrasser précisément la religion juive, soupiraient après le Dieu inconnu, et cherchaient dans les ténèbres. Quant à Pilate, il lava bien ses mains, mais non pas son cœur ; en livrant le Christ, qu’il avait déclaré innocent et juste, il se condamnait lui-même.