Aberdeen, 20 février 1637
Cher et honoré frère,
Que la grâce et la paix soient sur vous. Votre lettre a rafraîchi mon âme. Grâce à Dieu, la session est close, et non sans quelque honte pour moi. J’ai eu de mauvais moments. Christ, mon Seigneur, est Dieu, et moi je ne suis que cendre et que poudre. J’avais supposé que, lorsqu’il voile sa face, c’était la colère dont parle l’Écriture. Mais c’est le diable qui voile la face du Sauveur, et la désigne sous de mensongères paroles. J’ai donc agi comme un enfant, et maintenant ce que j’ai le plus à cœur est d’être un chrétien. Depuis que je suis à Aberdeen, j’ai vu le ciel et l’enfer. Avant mes épreuves, je n’avais point connu l’Époux de mon âme tel qu’Il est en réalité. Viennent donc les croix, me voici prêt à les porter, joyeux d’être par elles plus étroitement uni à Christ. Au nom de mon Seigneur Jésus, je vous somme, Monsieur, d’aimer avec moi notre Sauveur et d’annoncer ce qu’Il a daigné faire à mon égard.
Un des fruits de mes souffrances, c’est le désir de voir le nom de Christ se répandre au loin à cause de moi dans son royaume. J’espère ne le plus souiller désormais, cependant je ne suis point sans quelque amertume à cet égard, ni débarrassé de quelque vieux levain de jalousie ; car le Seigneur a éloigné de moi mes amis, mes anciens admirateurs ; ma congrégation s’est dispersée, ma couronne s’est flétrie. Mes sabbats n’ont plus de voix ; semblables à une pierre fixée au pied d’un oiseau, ils arrêtent ma fuite. Ne serait-ce point parce que je n’ose pas dire : Cela est bien, Seigneur Jésus ? Aux jours de la prospérité, nous parlons haut, même en la présence du Seigneur ; mais quand les eaux nous engloutissent, nous n’osons plus élever la voix. Nous ne savons pas combien est grand le mal que nous nous faisons quand notre volonté devient notre idole. Autrefois je ne voulais manger que des choses douces au palais, aujourd’hui je n’ose me plaindre quand je n’ai pour me rassasier que les miettes qui tombent de, la table. Autrefois je me plaignais du moindre désordre, maintenant je demeure silencieux quand je vois les serviteurs de Dieu amaigris, et les enfants de perdition reluire au soleil. En contemplant ces choses, je prie Dieu de ne jamais me rendre l’exercice de ma libre volonté. Veuille Christ la soumettre à la sienne, la fouler sous ses pieds s’il le faut et me délivrer de ce monde impie.
Travaillez, Monsieur, tandis que vous êtes jeune, votre soleil atteindra bientôt son méridien, puis il déclinera. Ayez faim de la grâce, cher frère, et, par-dessus toutes choses, efforcez-vous de mortifier vos convoitises. Quelles profondes racines elles jettent dans le cœur de la jeunesse ! qu’il s’y trouve d’orgueil et de vanité ! Plus vous vous avancerez dans la route du ciel, plus vous approcherez de Christ, plus vous ferez de progrès dans la mortification, plus aussi vous trouverez qu’il vous reste encore à faire. Je n’ai jamais trouvé si difficile de me séparer du monde que depuis que je suis en prison. Arrive le jour de la visitation, toutes nos vieilles idoles se relèvent et se lamentent autour de nous. Vous aurez grand’peine à ne pas briser votre cœur. Mieux vaut donc en finir une bonne fois avec les tentations, afin d’être prêt ensuite à marcher à chaque nouvel appel. Les plus beaux lieux de ce monde ne valent guère mieux que la demeure souterraine d’une taupe. Séparez-vous, même de cela. Que ne puis je habiter ma maison qui n’est pas faite de main d’homme !
Rappelez-moi au souvenir de votre mère. Dites-lui de prier pour mon prochain élargissement. Puisse le flot du Seigneur ne pas l’atteindre ! Qu’elle cherche les choses célestes, ce sont elles qui mettront son cœur en paix. Que la grâce soit avec vous.
S. R.