Je ne me lasse pas de vous redire (ou écrire) les mêmes choses …
Socrate jugeait les parents inaptes à instruire leurs propres enfants et Alain, le philosophe, estimait que si un père devait enseigner le calcul ou l’orthographe à son fils, il se révèlerait très vite un piètre pédagogue. L’expérience leur donne abondamment raison.
Qu’est-ce qu’un père, désireux de bien élever sa famille, pourrait apprendre d’un enseignant ?
1. — La patience d’abord. Ambitieux pour son fils ou sa fille, le père se montre généralement trop pressé d’enregistrer des progrès chez son « élève chéri ». A son avis, deux ou trois leçons sur le même sujet devraient largement suffire pour qu’il acquière définitivement connaissance et bonnes habitudes. C’est pourquoi il s’emportera s’il doit revenir ou s’attarder sur des thèmes déjà vus … comme si l’anglais se parlait couramment après deux ou trois heures de cours ! Le père découragera son élève qui gémira : « Je ne retiens rien … A quoi bon ? Tout est difficile » !
Non ! Le faucheur ne regarde pas au bout du champ, pas plus que l’instituteur n’évalue les progrès de l’écolier à la fin de chaque journée. Semaine après semaine, il renouvellera la dictée ou l’exercice de grammaire, sans lassitude et avec confiance, car indispensables sont les répétitions. Sans se poser d’inutiles questions ni dramatiser les piétinements de ceux qu’il instruit, le maître sait qu’à force de corriger des fautes et de revenir sur les mêmes règles, l’enfant finira par écrire correctement. Autrement dit, il regarde son élève avec espérance, sans le houspiller. Ce qu’il deviendra plus tard lui importe plus que ce qu’il est ou sait présentement.
Quelle leçon pour les parents sottement découragés de ne pouvoir enregistrer dans l’immédiat des progrès dans l’éducation de leurs enfants, de ne pas être en mesure de cueillir sur le champ les fruits de leur enseignement. Alors ils s’indignent : « J’ai beau lui répéter de plier sa serviette après chaque repas, c’est comme si je parlais en l’air … Je n’arrive pas à lui faire laver les mains avant de se mettre à table. Je le lui redis tous les jours mais sans succès. C’est désespérant » … Cessez donc de vous tourmenter. Me plaindrai-je parce que les aiguilles de ma montre paraissent immobiles ? En fait, elles tournent, mais imperceptiblement. Alors continuez de répéter vos « leçons » avec foi, inlassablement et vous constaterez, avec le temps, que votre enfant a contracté de bonnes habitudes. Laissez au Saint-Esprit le soin de rendre vos interventions efficaces … lorsqu’il le jugera bon.
2. — La sérénité, ensuite. En général, le père met trop de passion pour ne pas dire d’orgueil, à jouer son rôle d’éducateur. En ferait-il une affaire de prestige ? Il semble que l’honneur de la famille et sa propre éducation dépendent des progrès de l’enfant. A tel point que chaque faute paraît avoir pour le père valeur d’offense, et une négligence de quelque gravité, l’équivalence d’une insulte qui le heurte et même le blesse. A l’école le maître n’est jamais offensé. C’est là sa force. Une faute de syntaxe, même grossière, ne l’atteint pas et il ne sort jamais humilié d’un cours de maths mal digéré. Si l’un de ses élèves transgresse une règle de grammaire, il continuera d’enseigner avec la même application, sans s’émouvoir puisque le temps finira par faire ce qu’il n’a pu obtenir le jour même.
Or, qu’un père se fasse éducateur et le voilà qui explose à tout moment. Une majuscule mal formée ou un pluriel oublié suffisent pour le mettre en fureur : « Est-ce possible que mon fils ignore encore cette règle élémentaire ? » Réaction déraisonnable. N’’est-il pas naturel que l’enfant, comme tout apprenti, hésite, oublie, s’achoppe et piétine ? Pourquoi dramatiser ses moindres faux-pas ? Jugulez vos émotions. Soyez délivré de vous-même et devenez un paisible enseignant. L’essentiel est d’y être déterminé.
3. — L’absence de soupçons. Un père met trop de sentiments lorsqu’il éduque les siens. En disant : « Mange ta soupe … plie ta serviette … apprends ta leçon POUR ME FAIRE PLAISIR », il invoque un faux motif. Il veut des progrès, du travail « pour se sentir aimé » si bien qu’il soupçonnera l’indifférence et croira discerner un manque d’affection si le fils ou la fille montre peu d’empressement à obéir.
A l’école, les leçons prennent figure de nécessité. On ne résout pas un problème pour faire plaisir mais parce qu’il le faut, un point c’est tout. Et c’est parce qu’il se croit à tort mal aimé que le père s’indigne sans indulgence, ce qui ne stimule guère l’enfant. En classe, l’erreur est tolérée et l’élève qui ne réussit pas un exercice n’a pas « un mauvais cœur » pour autant. « On lave l’ardoise » et il n’en reste plus trace. Apprenons de ces maîtres « à laver l’ardoise » après chaque leçon, sans soupçonner l’indifférence ou la mauvaise volonté derrière chaque échec.
4. — La mesure enfin. Une autre erreur trop courante chez les parents soucieux de bien faire, est de donner une importance exagérée à la leçon elle-même. L’instituteur consacre, par exemple, trois quarts d’heure – pas plus – à l’orthographe. Parce qu’il veut tenir son emploi du temps, au bout des quarante-cinq minutes il ordonne : « Fermez vos cahiers et prenez vos livres d’histoire ». Une heure plus tard, lorsque sonneront les douze coups de midi, on se lèvera pour rentrer à la maison, même si l’on patauge encore dans les méandres de la guerre de Sécession ou sur les vraies causes de la défaite de Trafalgar. Il serait mal venu de trouver là prétexte à soutenir l’attention de la classe au delà du temps fixé. Or, un père se plaît à prolonger une leçon lorsqu’il l’estime importante. C’est une erreur. N’allongez pas indûment votre « enseignement ». Une fois l’explication fournie, la faute relevée et corrigée, « lavez l’ardoise » et changez de thème. Surtout, ne consacrez pas un après-midi entier à discourir sur l’ordre, l’exactitude ou la politesse. Soyez précis mais bref. Peu importe s’il vous apparaît que la leçon n’est pas encore apprise. Demain vous y reviendrez autant de fois qu’il sera nécessaire. Passez à autre chose, changez de ton et de thème … et vos enfants, ravis, apprécieront votre pédagogie.
LES PARENTS S’INTERROGENT