L’Ancien-Testament nous enseigne qu’il y a un lieu éclairé d’une pâle lumière dans lequel se rendent tous les vivants et qu’il nomme le Scheol. Ce lieu est distinct du sépulcre. Il nous rapporte même certaines résurrections, 1 Rois 17.21 ; 2 Rois.4.34, détails qui supposent tous évidemment que l’homme ne meurt pas tout entier. Dieu retire-t-il son Esprit, source de toute force, l’âme humaine n’est plus qu’une forme vaine dont le séjour est le royaume des morts.
Entre l’âme et le corps mort, nulle relation n’est enseignée. Qu’on remarque la différence de la pensée de l’Israélite et de celle des Egyptiens, aux yeux desquels conserver le corps, c’était faire durer l’âme. L’empire des morts est un lieu bas et profond plein de ténèbres. Les morts y sont réunis par races et par familles. D’où l’expression être rassemblé vers ses pères (Genèse 25.8 ; 35.29), etc. Ils sont plongés dans un éternel silence et semblables à des gens engourdis. Dans ce pays de l’oubli, on ne peut louer Dieu. Aussi ses habitants sont-ils appelés les Rephaïm, débiles ou sans force. L’enterrement est le dernier honneur et la dernière joie. On ne revient pas du Scheol. Il ne peut y être question ni de félicité, ni de tourments positifs. Aux yeux de Moïse, le jugement se prononce uniquement ici-bas. Toutefois le législateur hébreu enseigne clairement que la mort est incapable de briser le lien qui unit les justes à l’Éternel. Les prophètes, éclairés de lumières plus hautes, dégagent plus nettement de ses ombres, l’idée de la vie éternelle. Ils entrevoient l’époque où le trépas sera complètement vaincu. La victoire sur la mort n’est d’abord qu’une affaire collective. Il s’agit du peuple Israélite pris dans son ensemble plus que des individus qui le composent (Ésaïe 40.28 ; Psaumes 102.26 ; Osée 6.2 ; 13.13-14). L’idée du relèvement du juste, considéré comme individu, se dessine cependant peu à peu dans Esaïe (ch. 26), dans Ezéchiel (le célèbre ch. 37). Placés à un point de vue plus subjectif, les hagiographes, à leur tour, mettent en lumière l’idée intime que la communion de Dieu avec les siens ne peut être interrompue ni par la mort, ni par le tombeau. « Dieu délivrera mon âme de la puissance du Schéol » s’écrie le Psalmiste Psaumes 49.16 « et il me prendra. » Qui ne reconnaît l’allusion évidente à l’histoire d’Enoch ? Qu’on lise aussi Psaumes 73.23. Ici encore, nulle parole objective de Jéhovah, sur laquelle puisse s’appuyer cette espérance. Mais c’est le postulat de la foi réclamant pour le juste l’existence dans la gloire, et la possession non interrompue de sa communion avec Dieu.
La nature de la vie éternelle est cependant voilée. De là les soupirs, les plaintes, les doutes que respirent certains psaumes. Si le livre de Job ne proclame pas nettement l’immortalité, comme le prétend le Dr Ewald, il en pose les grandes lignes. L’heure viendra où ceux qui diffament le Patriarche seront confondus, et où Job lui-même sera le témoin de sa réhabilitation. (Job 19.25-27) C’est un éclair de lumière traversant la nuit, et consolant les âmes fidèles jusqu’à l’aube du jour où Celui qui a vaincu la mort aura mis en évidence l’immortalité. Ésaïe 26.19 prédit le relèvement des justes, Ezéchiel et surtout Daniel (Daniel 12.2-3) annoncent une double résurrection. Celle des justes et celle des méchants. Toutefois il ne s’agit encore que du peuple Israélite.
Les ténèbres couvrent toujours cette mystérieuse existence et l’Ecclésiaste a déjà marqué le point suprême auquel s’arrête la pensée religieuse. C’est la résignation, en même temps que la proclamation d’une vérité gravée d’une manière invincible dans son âme que si le corps retourne à la poussière, l’Esprit retourne à Dieu qui l’a donné. Résignation douloureuse, noble tristesse d’une âme qui, en dépit de la ruine de toutes ses espérances, ne s’est point laissé ravir le sens des choses divines.
Le livre de la Sagesse, composé sous l’influence de la théologie Alexandrine dit expressément que Dieu a fait l’homme pour l’immortalité (Sagesse 2.23) et la mort des justes n’est qu’une défaite apparente, un voyage qui les conduit au pays de la paix (Sagesse 3.1 s.). Le deuxième livre des Maccabées, composé avant l’an 70 de l’ère chrétienne, confirme cet enseignement (2 Maccabées 6.28 ; 12.43 ; 15.14 ; 7.11). La conception de la résurrection est ici essentiellement matérialiste. C’est, du reste, l’idée incomplète qu’on s’en forme généralement pendant cette période. L’un des martyrs, mis à mort par Antiochus Epiphane, exprime l’espoir que Dieu lui rendra la langue et les mains mutilées par l’ordre du persécuteur. (2 Maccabées 7.11.) A son tour, la portion la plus ancienne du livre apocryphe d’Hénoch (160 av. J.-C.) nous représente les justes ressuscités et vivant d’une existence analogue à la vie terrestre. Les Similitudes, écrites pendant le règne d’Hérode le Grand, montrent avec netteté que le corps des ressuscités est d’une substance identique à l’organisme terrestre. D’après le Psautier de Salomon (un demi-siècle avant J.-C.) qui est moins explicite, les justes « vivent dans le Seigneur pour l’éternité ». (14.1 s.) Les Targums, dont la rédaction semble appartenir à la période comprise entre le ive et le le viiie siècle apr. J.-C., sous la forme dans laquelle ils nous sont parvenus, mais dont les idées fondamentales remontent au commencement du ier siècle, et même à celui qui le précède, nous offrent le même enseignement. Les écoles de Shammaï et de Hillel qui ne voient dans le corps nouveau qu’une sorte de cristallisation des éléments de l’organisme antérieur, dissous par l’action du sépulcre affirment aussi la résurrection. Est-il besoin d’ajouter dès lors que les Pharisiens ne souffraient pas que l’on mît cette doctrine en discussion, et excluaient du bonheur messianique celui qui la niait ? (Sanhed. X : 1.)
Tel est le point jusqu’où la lumière divine a pu éclaire l’âme humaine, à l’époque de Jésus-Christ. L’idée de la résurrection s’appliquant aux éléments divers qui constituent l’homme est encore enveloppée d’obscurité. Les Sadduccéens la nient. Les Esséniens, qui ne voient dans le corps que la prison dans laquelle l’âme immortelle et éthérée est tombée, en cédant à un attrait physique considèrent la mort comme la délivrance de l’âme, et la cessation de cette juxtaposition des éléments contradictoires qui constituent la nature humaine. Ainsi la pensée religieuse hésite entre une conception imprégnée d’un matérialisme grossier ou celle d’un spiritualisme excessif. D’autre part, tandis que les uns n’enseignent qu’une résurrection des justes, les autres déclarent que justes et injustes se relèveront pour le jugement éternel. La Mishnah elle-même suppose que, seuls, quelques pécheurs signalés par leurs forfaits ne sortiront pas du sépulcre (Sanh. X : 3). Indécision aussi sur le jour de ce grand événement. Aux yeux de ceux-ci, les justes seuls renaîtront avant l’aube de l’époque messianique. Pour les seconds, justes et impies se relèveront à ce moment de l’histoire des siècles. Pour d’autres enfin, la résurrection générale n’aura lieu qu’après les joies de l’époque du Messie.
Si les Pharisiens, gardiens vigilants de l’orthodoxie Juive, enseignent cette grande doctrine, on peut ajouter qu’il y a hésitation chez quelques-uns de leurs membres. Le Pharisien Josèphe est, sur ce point, bien plutôt platonicien qu’Hébreu et se rapproche de l’idée des Esséniens. Dans le lieu invisible, où habitent les âmes des trépassés elles sont (selon le livre apocryphe d’Esdras, composé à la fin du ier siècle de l’ère chrétienne) enfermées dans des demeures (habitacula) placées dans le monde inférieur (4 Esdras 5.37 ; 4.41). Elles y demeureront jusqu’au jour de la résurrection. Le séjour des âmes est fermé par des portes d’airain (Sal.16.2), garnies de verrous (Ev. Nicod., c. 21) et elles ne seront brisées que par l’embrasement du monde. (Sybill., VII : 225 s.). A l’époque de la venue du Messie les justes selon les uns (Psautier de Salomon), tous les juifs morts, selon les autres (Daniel-Hénoch) reprendront vie pour s’unir avec ceux qui seront encore vivants, et prendront part avec eux à la félicité paradisiaque, et au repas de mille années où, parmi les mets, seront servis Leviathan et Behemoth. (C.p. Luc 14.14 s.). C’est la première résurrection. A la fin de cette période, selon d’autres esprits, Juifs impies et païens se relèvent, à leur tour, pour le jugement (Apoc. Baruch, 4 Esdras). Alors l’esprit des pécheurs sera jeté dans un four embrasé (Hénoch, 98.3 ; 103.8 ; 108.3). Les justes, au contraire, revêtus d’un corps lumineux brilleront d’un éclat 343 fois plus grand que le soleil et que la constellation des pléiades (Targ. Jonath, 2 Samuel 23.4). La manne, le « doux pain du ciel » sera leur nourriture (Sybill. VII : 149) et ils jouiront d’une relation ininterrompue avec les anges (506-507).
On le voit, le Christianisme seul a dissipé les ombres de l’existence mystérieuse qui se déroulera dans le monde invisible. Il a rétabli l’harmonie entre les conceptions incomplètes et contradictoires qui dominaient les esprits, donné à chacun des éléments de la vérité entrevue par l’âme de l’homme sa valeur réelle, spiritualisé les conceptions grossières, affirmé les réalités niées par un faux spiritualisme, en un mot, il a mis en lumière la vie et l’immortalité. [C. p. Langen. Judenthum in Palestina, p. 336-519. Œler Theolog. de l’A.-T. traduit Rougemont. Tome I et II passim. Real-Encycl. von Herzog. u. Plitt. I, 161 s. — Wabnitz. Revue Theol. 1881.1-18 Schürer. Lehrb. der Neut.-Zeitg. 14 s., 321, 140, 475, 556 ss. (G.R.)