Les derniers temps, acharith haiamimu (pour la première fois, Genèse 49.1), ἔσχαται ἡμέραι (Actes 2.17), ἐσχάτη ὥρα (1 Jean 2.18), ἔσχατος χρόνος (1 Pierre 1.20 ; Jude 1.18), καιρός (1 Pierre 1.5), sont les termes de l’histoire où cesse l’action libre, cachée ou manifestée, bonne ou mauvaise, de la cause seconde, pour faire place à l’action divine qui l’arrête, la consomme et la juge. Là où les jours de l’homme finissent, les « jours de l’Eternel » commencent.
u – Littéralement : la suite des temps.
Mais si la notion biblique des derniers temps est aisée à définir, le terminus a quo et le terminus ad quem de cette période terminale de l’histoire n’en sont pas moins, l’un difficile, l’autre impossible à fixer.
Nous disons, quant au terme final de l’histoire, qu’il est impossible, qu’il est téméraire, en tout cas, d’en préciser la date ; et quoi qu’en puissent penser et qu’en aient pensé dans tous les temps les amateurs des multiplications apocalyptiques, nous estimons que toute tentative de prédire « le jour et l’heure » que Jésus lui-même ignorait sur la terre (Marc 13.31) est proscrite pour tous les temps et pour tous ses disciples par la réponse qu’il leur a faite après sa résurrection : Actes 1.7. A tout propos Jésus affirme en même temps que la certitude de la chose, l’incertitude permanente de la date (Luc 12.40 ; Marc 13.35), et l’expérience a prouvé d’ailleurs que les recherches chronologiques de cet ordre, condamnées en principe, le sont aussi par leurs résultats, n’étant propres qu’à entretenir une curiosité malsaine et à distraire l’esprit de la réalité des choses elles-mêmes, quand elles ne sont pas déjà démenties par l’événement.
Une expérience où l’illustre et sage Bengel lui-même n’a pas été heureux, et qu’il n’a pas faite sans dommage pour plusieurs de ses après-venants, ne devrait plus tenter personne après lui. L’an 1838 fixé longtemps d’avance par les calculs apocalyptiques du prélat wurtembergeois pour la fin du monde, s’écoula sans que rien de nouveau se passât sous le soleil, sauf que des âmes trop confiantes dans une autorité humaine et ecclésiastique en furent ébranlées dans leur foi.
La prévision même de la proximité chronologique des derniers temps, si fréquente dans les conversations et les discours religieux, et justifiée en apparence par la précipitation des événements à laquelle nous assistons aujourd’hui, par l’accumulation des signes prédits comme les avant-coureurs de la fin, par les rapides progrès entre autres de l’évangélisation des nations, n’en reste pas moins une chose prématurée et irréfléchie. Des échéances imprévues peuvent survenir entre nous et l’accomplissement final, et si la première génération de chrétiens, si les Eglises apostoliques elles-mêmes ont pu s’y tromper et nourrir à cet égard des espoirs illusoires, nous devons nous contenter d’attendre le jour du Seigneur comme toujours possible, peut-être prochain, peut-être même imminent, et admettre que de nombreuses générations pourront l’attendre encore.
« Jésus, a écrit avec raison M. Meyer, a voulu que ses disciples fussent aussi certains de sa venue qu’incertains relativement au jour et à l’heure où elle aurait lieu, afin qu’ils eussent continuellement devant les yeux la perspective d’une rencontre imminente avec le Fils de l’hommev ».
v – Le Christianisme de Christ, page 105.
Le point de départ des derniers jours à son tour n’est point un terme immobile et il semble reculer avec la marche même des temps.
La première annonce qui en ait été faite est placée dans la bouche du patriarche Jacob (Genèse 49.1), et ce premier horizon prophétique coïncidait avec l’établissement futur des enfants d’Israël dans la terre de Canaan. Reprise d’époque en époque par les prophètes d’Israël, à mesure que s’allongeait le champ de la vision, la formule des derniers jours a signifié successivement le retour de l’exil et l’avènement de l’ère messianique, tantôt confondus dans un même plan, ou espacés sur des semaines d’années ou des siècles.
Mais une fois cette grande étape franchie, les témoins de la première venue du Messie découvrirent aussitôt de nouveaux intervalles jusqu’alors masqués aux regards de l’homme ; il est devenu bientôt manifeste que la période de la fin, ouverte avec le premier accomplissement des promesses du salut, se déroulerait en de multiples horizons jusqu’au terme définitif de l’accomplissement de toutes choses ; et déjà la prophétie nous fait entrevoir dans les brumes du plus lointain avenir la succession de deux retours de Christ en gloire, tour à tour confondus et distincts, l’un qui sera surtout de grâce, l’autre surtout de jugement.
Deux courants d’intuitions, l’un favorable à la proximité de la parousie de Christ, l’autre à son ajournement, traversent incontestablement l’eschatologie du N. T.
D’une part, Jésus annonce à ses auditeurs qu’ils vont être les témoins de son retour, Matthieu 26.64, et que même plusieurs d’entre eux assisteront à cet événement, Matthieu 16.28 ; 24.34 ; Luc 21.32.
Ailleurs cependant ses prévisions vont à une longue durée de l’économie actuelle : ce sont les paraboles de l’Ivraie et du Levain, qui prédisent les lents déploiements du principe chrétien à travers le monde, Matthieu 13.31-33 ; c’est l’époux qui tarde à venir, Matthieu 26.64w ; le maître revenant d’un long voyage, v. 14 et 19 (comp. Luc 19.12) ; le maître de la maison rentrant soit le soir tard, soit à minuit, peut-être à l’heure où le coq chante, peut-être même au matin, Marc 13.35 ; ce sont enfin « les temps des Gentils », et l’évangélisation du monde annoncés comme devant précéder son retour, Luc 21.24 ; Matthieu 24.14.
w – Nous sommes de ceux qui entendent le sommeil des Vierges de la mort corporelle, et notre principale raison est que ce trait est commun aux sages et aux folles.
Chez les apôtres et dans les églises apostoliques, chez Jean entre autres et jusqu’à la fin du siècle, prédomina et s’affirma l’attente de l’avènement imminent, ou du moins prochain, de Christ et de la fin de toutes choses : Actes 2.16 et sq. ; 1 Thessaloniciens ; 1 Corinthiens 7.29 ; 15.51 ; 2 Corinthiens 5.3-4 ; Romains 13.11 ; 1 Pierre 4.7 ; 1 Jean 2.18. Mais la deuxième épître aux Thessaloniciens déjà et le chapitre 11 de l’épître aux Romains, où est prédite la conversion finale des Juifs, nous enseignent, d’autre part, que la probabilité du retour prochain de Christ ne s’était jamais convertie ni dans la pensée de Paul ni dans son enseignement en certitude absolue ; et cette perspective elle-même ne tarda pas à faire place chez lui à l’attente personnelle de la mort : Philippiens 1.21 ; 2 Timothée 4.6.
Vers la fin du premier siècle, l’auteur de l’épître appelée la deuxième de Pierre devait déjà s’efforcer de justifier les démentis apparents donnés aux promesses divines devant les impatiences des fidèles et les propos des moqueurs, 2 Pierre 3.8-9 ; et les tableaux de l’Apocalypse, quelque interprétation qu’on leur donne, excluent l’imminence du terme final des choses.
Note ThéoTEX : Avec Frédéric Godet et plusieurs exégètes de son époque, Gretillat ne considère pas la 2ième épître dite de Pierre, comme ayant l’apôtre pour auteur. La principale raison avancée par Godet, ne réside pas dans la différence de style importante avec la 1ère de Pierre, mais dans le fait que la seconde n’est pas mentionnée dans l’histoire de l’Église avant le début du troisième siècle. Toutefois, Godet (et Gretillat le suit, il semble), ne remet pas en question la canonicité de cet écrit, c’est-à-dire son inspiration. Mais comment cela se pourrait-il, tandis que dès le premier verset, l’auteur de l’épître se donne pour Simon Pierre lui-même ? Godet n’a pas eu l’occasion de s’expliquer là-dessus : voir sa réponse à M. Clément, parue dans Le Chrétien Évangélique de 1874, rééditée par ThéoTEX, dans le livre Articles et Sermons. Probablement, pour maintenir simultanément la non-authenticité et la canonicité de l’épître, Godet devait imaginer qu’elle avait été composée tardivement par un écrivain chrétien, à l’aide de matériaux apostoliques, qu’il aurait eu à sa disposition. Mais la fraude qui consiste à se faire passer pour l’apôtre paraîtra toujours incompatible avec la sainteté de l’Ecriture. Il est à noter que Louis Bonnet, ami de Godet, tenait quant à lui l’épître pour authentique.
Deux tentatives extrêmes provoquées par cette antinomie, réelle ou apparente, sont en présence : l’une, d’attribuer aux auteurs du N. T. une erreur concernant la date de la fin ; l’autre, d’accorder la donnée de la proximité de la parousie avec l’événement.
Quant à la première alternative, il ne serait pas incompatible en soi avec l’inspiration et l’autorité dogmatique des auteurs du N. T., que tout en enseignant l’incertitude du jour et de l’heure, et en continuant à recommander à l’Eglise une attitude permanente d’attente et de vigilance, les apôtres eussent erré sur l’élément chronologique du sujet, qui serait resté en dehors de l’illumination qu’ils avaient reçue. Mais il serait contraire aux résultats obtenus précédemment dans la christologie, de charger d’une semblable méprise l’enseignement du Maître lui-même.
M. Godet a pensé pouvoir sauvegarder tout à la fois l’autorité absolue de la parole de Christ et la crédibilité de la tradition du troisième Evangile, mais aux dépens de la version de Matthieu et de Marc, qui serait une reproduction inexacte et sur ce point inintelligente des derniers discours eschatologiques de Jésus-Christ. La supériorité de la version de Luc sur celle des deux premiers synoptiques consisterait en ce que, d’une part, elle distingue deux discours de Jésus-Christ, l’un annonçant la parousie : ch. 17, l’autre : ch. 21, dont le sujet principal, quoique non exclusif, a été la ruine de Jérusalem. Dans ce dernier discours lui-même, les deux événements, la ruine de Jérusalem et la parousie, seraient nettement distingués l’un de l’autre, étant séparés, d’après le verset 24, par le vaste intervalle des « temps des Gentils », tandis qu’ils apparaissent juxtaposés dans les versions de Matthieu (Matthieu 24.29 et sq.) et de Marc (Marc 13.24 et sq.)x.
x – Commentaire sur l’Evangile de saint Luc,
Mais il faudra reconnaître, d’une part, que la distinction des deux événements qui se marque dans Luc 21.24, paraît s’évanouir au v. 32, tandis que, d’autre part, leur juxtaposition chronologique qui paraît marquée dans Matthieu 24.29 ; Marc 13.24, serait incompatible avec les faits interposés entre le présent et la fin (Matthieu 24.4-14 ; Marc 13.10). Les versions de Matthieu et de Marc ont si peu, selon nous, supprimé ou ignoré les intervalles séparant la ruine de Jérusalem et le retour de Christ qu’à trois reprises les disciples déjà instruits du premier de ces événements (Matthieu 24.2 ; Marc 13.2), y sont prémunis contre l’impatience qui voudrait avancer l’autre : « Ce ne sera pas encore la fin, Matthieu 24.6. — Toutes ces choses ne seront qu’un commencement de douleurs, v. 8. — Celui-là seul qui persévérera jusqu’à la fin sera sauvé, v. 13 ; » — et l’Eglise de tous les temps est avertie qu’elle ne verra le τέλος qu’une fois l’œuvre achevée de l’évangélisation des nations (Matthieu 24.14 ; Marc 13.10).
Si donc l’on parle de la confusion des deux événements, je la trouve dans Luc comme dans Matthieu et Marc ; et si l’on parle de leur distinction, je la trouve dans Matthieu et Marc comme dans Luc.
MM. Lutteroth (Essai d’interprétation des dernières parties de l’Evangile selon saint Matthieu, pages 361 et sq.), Meyer (Christianisme du Christ, pages 100 et sq.) et Godet ne croient pas pouvoir faire autrement que de rapporter à la ruine de Jérusalem et du peuple juif les traits du tableau : Matthieu 24.21-28, qui précède immédiatement le εὐθέως (v. 29) ; et les deux premiers de ces interprètes accordent la prédiction avec l’événement en spiritualisant les phénomènes sidéraux annoncés v. 29, de manière à enlever à cet endroit une portée exclusivement eschatologique : « L’idée qui se dégage de ce passage, écrit M. Meyer, est celle de la grandeur du triomphe du Christ, triomphe qui se réalisera, à la confusion des adversaires, par la vertu d’une puissance supraterrestre et vraiment divine. Toute autre lumière pâlira, toute autre puissance chancellera devant la gloire et la puissance du Fils de l’homme » (page 101). M. Lutteroth va plus loin, et entend les mots : « le Fils de l’homme enverra ses anges » (v. 31) de l’envoi dans le monde des messagers de l’évangile (page 365). Il nous paraît que toute interprétation spiritualiste de ce passage est condamnée par le v. 30, qui reporte tous les événements du contexte ensemble à la fin des temps (καί τότε).
Nous ne saurions accorder non plus à M. Godet que les versets précédant le εὐθέως, v. 29, ne comportent pas d’autre relation que celle qu’il leur prête aux événements de l’histoire du peuple juif. Le v. 27 entre autres nous paraît contredire cette application exclusive.
Nous croyons pouvoir nous rattacher à l’opinion de Luthardt (Lehre vonden letzten Dingen, 3te, Aufl., pages 90 et sq.), Kliefoth (Eschatologie, pages 131 et sq.), selon laquelle les versets qui précèdent le εὐθέως (v. 21-28) nous transportent déjà, par un procédé de prolongement de perspective fréquent dans le langage prophétique, à l’époque des dernières luttes qui précéderont immédiatement le retour de Christ.
Il est de plus facile de reconnaître dans les premiers fléaux annoncés par Jésus dans son discours eschatologique, les thèmes des premières descriptions de l’Apocalypse (voir Kliefoth, ibid, pages 134 et 135). Nouvelle raison pour nous de ne pas limiter aux quarante années qui ont suivi la mort de Christ la portée de ses prédictions concernant les signes précurseurs de son avènement.
Une autre tentative d’accorder la donnée de la proximité du retour de Christ avec l’événement, a été défendue avec science et talent par MM. Brustony et Révelz. Elle consiste à identifier la parousie prétendue future et visible de Christ avec ce retour purement spirituel qui s’opère au cours de l’économie présente, en faisant dater le règne de Christ sur la terre, vulgairement appelé le millénium, soit de la chute de l’empire romain (M. Bruston), soit de la Pentecôte (M. Rével).
y – Revue théologique de Montauban, 1881, nos 1 et 2. Le millénium ; Revue de théologie et de Philosophie, 1890, n° 2. L’enseignement de Jésus sur son retour.
z – Revue de théologie et de philosophie, 1885, n° 6 et 1886, n° 1. La Parousie.
Nous n’osons nous déclarer aussi désintéressé dans la question que peut-être il faudrait l’être, mais nous n’en pouvons mais ; nous avons été élevé dans la croyance au millénium, et ramener notre idéal du règne visible de Christ, prédit par les prophètes de l’Ancienne et de la Nouvelle alliance en traits si lumineux et devenu l’objet du long désir des âmes fidèles des deux alliances, à la mesure des quinze ou des dix-huit siècles qui viennent de s’écouler ; réduire le millénium au spectacle encore récent du sang versé des confesseurs de Jésus-Christ et de la lutte moderne pour l’existence, nous causerait un réel désappointement, et peut-être les âmes « réunies sous l’autel » (Apocalypse 6.9 et sq.) auraient-elles quelque raison de se dire frustrées comme nous-même.
Sans doute la chrétienté civilisée du XIXe siècle a fait des pas de géant depuis les jours où les quatre bêtes de la vision de Daniel sortirent de la mer ; mais que nous sommes loin encore de voir « les épées changées en hoyaux, les hallebardes en serpes » et les débonnaires héritant la terre !
Toutefois la seule question qui se pose ici est celle de savoir s’il est vrai que Jésus et l’Ecriture ne nous annoncent qu’un accomplissement purement spirituel du drame du salut.
L’opinion que nous venons de rapporter a pour elle les paroles dans lesquelles le Christ annonce à ses disciples son retour immédiat dans la personne de l’Esprit qu’il allait envoyer à sa place (Jean 14.18, 28 ; 16.16), ou dans les actes de sa royauté qu’il allait exécuter soit envers les individus (mort individuelle, Jean 14.3), soit envers l’Eglise ou envers le monde (Matthieu 21.28 ; 26.64, etc.). Tout est de savoir si l’idée d’un retour spirituel de Christ, qui suffit en effet à un certain nombre des prédictions de Jésus-Christ, épuise la portée de toutes les autres.
« Avec la chute de l’Empire romain, a écrit M. Bruston, commence le Règne de mille ans. Rien n’indique que les élus descendent sur la terre pour y régner ; ils restent donc au ciel où ils étaient déjà depuis le moment de la mort, et ils y restent à l’état d’âmes, car ce sont des âmes que le prophète voit assises sur des trônes. Quant à la vie dont elles sont douées, c’est une vie qui continue, et non qui commence, avec le millénium, comme leur sacerdoce qui a commencé même dès ici-bas. Et c’est là ce que l’auteur appelle la première résurrection. Encore une fois, elle n’a pas lieu au début du millénium, mais au moment de la mort de chaque croyant, conformément à l’enseignement de Jésus (Luc 14.14 ; 20.26-38 ; Jean 16.25 etc.) ».
Dans le second article précité, M. Bruston s’efforce d’établir : 1° La proximité de la venue glorieuse de Christ ; 2° L’impossibilité de donner à l’annonce de ce retour prochain un sens matériel.
Mais il ignore et supprime la série des paroles de Jésus-Christ citées plus haut, qui annoncent le retardement de son retour, et il va jusqu’à citer en faveur de son point de vue la parabole des Marcs (Luc 19.11-27), dont les mots : dans un pays éloigné, v. 12, opposés à l’opinion régnante que le règne de Dieu allait paraître bientôt (v. 11), nous y paraissent directement contraires.
M. Bruston a décidément compromis dans ses premiers articles son interprétation à nos yeux en renonçant à l’accorder avec l’eschatologie de Paul, qui aurait été influencée à une certaine époque par les « puériles leçons des rabbins ». Les dernières épîtres de Paul diffèrent, selon lui, assez sensiblement des premières, « et l’on ne peut guère méconnaître que son eschatologie surtout s’est modifiée dans le sens spiritualistea ».
a – Revue théologique, 1884, no 2, pages 163 et 164. Nous n’en avons que plus apprécié, nonobstant la divergence de nos vues, le respect absolu professé par l’auteur, dans son récent article en particulier, pour la parole de Jésus Christ et les documents qui nous l’ont conservée.
Au passage Philippiens 1.21-23, cité par notre auteur à l’appui de ce dernier propos, nous croyons pouvoir opposer dans la même épître : Philippiens 3.20-21 comme confirmant notre point de vue.
La différence entre le cas de M. Bruston et le nôtre, c’est que nous acceptons les passages qu’il nous oppose comme annonçant un retour de Christ prochain et spirituel, tandis que ceux, qui prédisent un retour visible et lointain sont pour lui nuls et non avenus.
M. Rével a cru pouvoir affirmer de son côté, sur la foi du docteur Warren, que le terme grec παρουσία, qui se rencontre, nous dit-on, vingt-quatre fois dans le N. T. et dix-sept fois en rapport avec la personne de Christ, signifie non pas avènement, mais présence (de πάρειμι, adsum), désignant dès lors non pas un fait, mais un état. Cela serait que les termes ἐπιφάνεια (qui se rencontre six fois dans le N. T.) et ἀπολάλυψις (1 Corinthiens 1.7 ; 2 Thessaloniciens 1.7) suffiraient à annoncer sans contestation possible une apparition future, manifeste et instantanée de Christ sur la terre. Mais la signification futuriste de παρουσία est forcée soit par la jonction de ce mot avec ἐπιφάνεια dans 2 Thessaloniciens 2.8, soit par le contexte de : Matthieu 24.3, 27 ; 1 Corinthiens 15.23, etc. Le caractère phénoménal de l’événement lui-même ressort également du parallèle énoncé par les anges entre le retour de Christ et son départ qui venait d’être l’objet de la contemplation des disciples, Actes 1.11, en même temps que du caractère attribué d’avance à cet événement, d’un objet de vision pour tous les hommes, Matthieu 24.30 ; 2 Thessaloniciens 1.7 ; Apocalypse 1.7b.
b – Revue de théologie et de philosophie, 1890, pages 145 et sq. comp. surtout page 152.
Mais si c’est bien un retour visible que Jésus et les apôtres ont entendu annoncer, comment accorder les deux courants d’intuitions signalés plus haut, ou faut-il, au risque de porter atteinte à l’autorité même de Jésus-Christ, renoncer à leur accord ?
Nous croyons devoir distinguer encore ici entre le plan normal de l’histoire et le plan modifié par l’action des causes secondes.
Selon le plan normal, depuis que Dieu est apparu en chair, que la parole : Tout est accompli ! est descendue de la croix, et que la promesse de l’effusion du Saint-Esprit sur les fidèles (Actes 1.8) a eu son effet, il est très vrai de dire que les derniers temps sont venus (1 Jean 2.18), et saint Pierre en voit la preuve dans les événements qui se passent dès le jour de la Pentecôte (Actes 2.17 et sq.). Dès ce jour-là, l’œuvre spirituelle du salut est achevée, et ni le monde ni l’Eglise n’ont à attendre une nouvelle manifestation divine de vie et de vérité avant l’apparition visible et universelle de la personne de Christ. Mais si « tout est prêt » du côté de Dieu, tout ne l’est pas du côté de l’homme, et l’avènement effectif de la fin des temps a été dès l’origine soumis à des conditions et par conséquent exposé à des retards dépendant de la volonté et de l’activité humaine : la conversion d’Israël (Actes 3.19 et sq.)c ; l’Evangile porté à toutes les nations (Matthieu 24.14) ; la persévérante supplication de l’Eglise (Luc 18.1-8 ; cf. Apocalypse 22.20) ; l’ardent désir des fidèles (σπεύδοντας τὴν παρουσίαν : 2 Pierre 3.12).
c – Le ὅπως ἄνdoit être traduit par : « afin que viennent les temps de rafraîchissement de la part du Seigneur », et non par : jusqu’à ce que …
Supposé que le peuple de Dieu eût dès l’époque de son établissement en Canaan, ou à celle du retour de l’exil, qui fermaient l’horizon des anciens prophètes, atteint sa pleine maturité morale, rien ne se fut opposé en Dieu même à la rencontre de l’une ou de l’autre de ces phases préparatoires du salut avec son accomplissement. Et supposé encore que l’Eglise et l’humanité eussent été à la hauteur de l’idée divine dès le premier avènement du Messie, qu’Israël tout entier, comme « un peuple de franche volonté » eût été à son poste d’apôtre des Gentils à l’heure suprême de son histoire, aucun empêchement supérieur n’eût arrêté non plus la succession immédiate de la première venue de Christ en faiblesse et de son retour en gloire.
La raison des délais que subit jusqu’à cette heure la réalisation finale des promesses divines est donc de l’ordre humain, et elle se décompose en deux particulières : ni l’humanité incroyante n’est mûre pour le jugement (2 Pierre 3.9 ; cf. Romains 2.3-4), ni l’Eglise militante n’a achevé sa tâche à l’égard du monde ; et comme l’intensité de la force perverse se mesure à celle de la force salutaire, ces deux raisons se ramènent en effet à une seule.
Selon le plan normal de l’œuvre du salut, le retour visible et glorieux de Christ aurait coïncidé avec ce retour spirituel qui a commencé dès l’heure où fut prononcée la parole : Tout est accompli ! Selon le plan modifié par l’insuffisance des agents et des moyens, le retour visible de Christ, retardé durant des siècles et des milliers d’années, mais point supprimé et toujours imminent, est tour à tour distingué de son retour spirituel et permanent qu’il consommera : ἔρχεσθαι ἐν τῇ δόξῃ (Matthieu 16.27), et se confond avec celui-ci dans une même perspective (voir v. 28, où la venue de Christ est annoncée comme imminente, mais non plus comme visible et glorieuse)d.
d – La prédiction : ἀπάρτι ὄψεσθε τὸν υἱὸν… faite par Jésus devant le souverain sacrificateur, Matthieu 26.64, s’est d’ores et déjà réalisée une fois au moins à la lettre, soit par les signes extérieurs qui ont accompagné la descente du Saint-Esprit (Actes 2.1-13), soit dans l’apparition de Jésus lui-même à un de ses plus violents adversaires, Actes 9.3-4.
Et comme le premier des derniers jours portait déjà en soi la dernière délivrance et le dernier jugement, que la consommation des temps ne doit être que la reproduction maximée et agrandie de toutes les clôtures particulières des périodes antécédentes, la génération qui allait assister à la plus décisive de ces crises particulières, le jugement d’Israël, pouvait être désignée par là même comme le témoin de tous les symptômes et prodromes du jugement futur de l’humanité : Matthieu 24.34 ; Luc 21.33 ; dans la catastrophe imminente et locale qui s’annonce, se verra l’image raccourcie de la fin lointaine du monde (γένηται au lieu de πληρωθῆ).