Béni soit le Dieu et Père de notre Seigneur Jésus-Christ qui, selon sa grande miséricorde, nous a fait renaître, en nous donnant, par la résurrection de Jésus-Christ d’entre les morts, une espérance vivante de posséder l’héritage incorruptible !
L’évangéliste Luc et l’apôtre Paul mentionnent, au nombre des manifestations de Jésus ressuscitéf une apparition à Simon Pierre qui, d’après leurs récits, fut la première dont un apôtre ait été témoin, et eut lieu le jour même de la résurrection du Sauveur, mais sur laquelle d’ailleurs ils n’entrent dans aucun détail. On ne peut s’empêcher de regretter ce silence. Il dut y avoir quelque chose de tout particulièrement saisissant dans la première rencontre du Crucifié, vainqueur de la tombe, avec le disciple honoré de tant de grâces et de tant de privilèges et qui l’avait trois fois renié.
f – Luc 24.34 ; 1 Corinthiens 15.5.
Certes, la joie de tous les disciples fut vive quand le Seigneur leur fut rendu. Chacun la manifeste avec une vérité d’expression et de sentiment qui témoigne, avec mille autres traits, de la fidélité historique des récits évangéliques. Marie-Madeleine n’a qu’un mot, un cri du cœur, qu’accompagne un transport d’adoration et d’amour : « Rabboni ! » c’est-à-dire : mon Maître ! Les deux disciples aux yeux desquels Jésus a disparu au moment même où, dans l’hôtellerie d’Emmaüs, il venait de se faire connaître à eux, se disent l’un à l’autre : « Notre cœur ne brûlait-il pas au dedans de nous, tandis qu’il nous parlait en chemin et qu’il nous expliquait les Écritures ? » Thomas, à qui la nouvelle de la résurrection de Jésus avait d’abord paru trop bonne pour être vraie, contraint enfin de céder à l’évidence, répare l’opiniâtreté de son doute en s’élançant d’un bond jusqu’aux plus hautes sommités de la foi et s’écrie : « Mon Seigneur et mon Dieug ! » Nous ne savons pas ce que dit Jean, le disciple de prédilection, l’âme profonde et contemplative ; probablement il sentit beaucoup plus qu’il n’exprima ; il a lui-même résumé son histoire morale de ce jour en ces deux mots sobres et pleins : « Il vit et il cruth. » Mais Pierre, l’homme de l’expansion, de la parole prompte et ardente, qu’aura-t-il dit quand il aura revu son Maître, ce Maître miséricordieux qui, au lieu de le repousser et de le condamner, l’honorait encore, lui, l’infidèle, lui, le renégat, en se manifestant à lui plus tôt qu’aux autres apôtres ? Ce qu’il dit, nous l’ignorons ; ce qu’il éprouva, nous le savons par la réponse qu’il fit à Jésus quelques jours plus tard : « Seigneur, tu sais toutes choses, tu sais que je t’aime » ; nous le savons aussi par l’épître de l’apôtre, en particulier par les paroles qui commencent cette épître et que nous proposons aujourd’hui à votre méditation religieuse. On peut dire qu’elles comblent, en quelque mesure, cette lacune de l’histoire évangélique que je signalais tout à l’heure. Il est vrai qu’elles ont été écrites environ trente ans après la résurrection de Jésus, mais elles montrent d’autant mieux combien avait été profonde et durable l’impression produite par ce grand événement sur le cœur de l’apôtre. Usé par les fatigues de son laborieux ministère plus encore que par les années, approchant déjà de cette mort par laquelle il devait imiter et glorifier son Maître, l’apôtre, qui jusque-là sans doute avait agi et prêché plutôt qu’écrit, s’adresse aux chrétiens d’Asie Mineure pour les fortifier dans leur foi et les consoler dans leurs épreuves ; et quelle est sa première pensée ? La résurrection de Jésus-Christ ! Le souvenir toujours présent et toujours nouveau de cette glorieuse délivrance fait tressaillir son cœur, et lui dicte, au moment même où il prend la plume, ces paroles pleines d’une si vive allégresse et d’une reconnaissance si ardente : « Béni soit le Dieu et Père de notre Seigneur Jésus-Christ qui, selon sa grande miséricorde, nous a fait renaître, en nous donnant, par la résurrection de Jésus-Christ d’entre les morts, une espérance vivante ! »
g – Jean 20.28.
h – Jean 20.8.
Mes frères, comme les trente années qui s’étaient écoulées depuis la résurrection de Jésus-Christ n’empêchaient pas la joie de l’apôtre d’être toujours jeune et vive, ainsi les dix huit et bientôt dix-neuf siècles qui nous en séparent aujourd’hui ne nous empêcheront pas de nous associer à cette joie, si du moins nous avons la foi de Simon Pierre et si nous savons comprendre comme lui les bienfaits de la résurrection du Seigneur. – Ne pouvant les considérer tous, nous appellerons votre attention sur un seul de ces bienfaits, celui que signale notre texte. Nous contemplerons avec Simon Pierre, dans la résurrection du Sauveur, le fondement de la vive espérance – plus littéralement, de l’espérance vivante – du chrétien.
Il importe de constater tout d’abord la réalité du fait remarquable énoncé dans notre texte. Ce fait est celui-ci : les chrétiens possèdent, et possèdent seuls, peut-on ajouter, une vive espérance d’un éternel et bienheureux avenir, et cette espérance procède de la résurrection de Jésus.
J’ai déjà dit que Pierre parle ici d’après son expérience personnelle. Cette expérience est très instructive, parce qu’elle nous montre quelles lumières et quelle certitude nouvelle la résurrection de Jésus apporta aux hommes qui étaient, avant Jésus-Christ, de beaucoup les plus avancés et les plus éclairés, au point de vue religieux, qu’il y eût alors sur la terre, je veux dire aux Juifs fidèles. Le fils de Jona était l’un de ceux-là : de bonne heure il s’était attaché avec toute l’ardeur de sa jeune imagination et de son âme pieuse aux espérances prophétiques qui étaient la consolation de son peuple opprimé. Sans doute il était trop sérieux pour s’en tenir au messianisme charnel des pharisiens. Il comprit bientôt, à la voix de Jean-Baptiste, qu’Israël avait besoin d’être moralement renouvelé par la repentance avant d’entrer dans le royaume de Dieu. Mais ce royaume n’en devait pas moins être, aux yeux du jeune Juif, une splendide résurrection de l’ancienne théocratie. Un nouveau David devait s’asseoir sur le trône du premier, à Jérusalem, et y établir un empire aussi grand par la justice que par la puissance et la durée ; c’est à Jérusalem que toutes, les nations devaient venir adorer le Dieu du peuple élu, et apporter à son roi le tribut de leurs volontaires hommages. Vous pouvez juger si le cœur du fils de Jona bondit à ce mot de son frère : « Nous avons trouvé le Messiei ! » A partir de cet instant il s’attacha à Jésus, il l’aima, il le suivit de lieu en lieu ; « son cœur brûlait au dedans de lui » tandis qu’il écoutait « ses paroles de vie éternellej », que pourtant il ne comprenait qu’à demi. Les déclarations les plus claires du Seigneur au sujet de la spiritualité de son règne et de son œuvre, ne parvenaient pas à dissiper, à corriger les illusions de l’apôtre. Un jour il dit naïvement à Jésus : « Seigneur, nous avons tout quitté et nous t’avons suivi ; que nous en reviendra-t-ilk ? » Un autre jour, comme pour la première fois Jésus avait parlé ouvertement des souffrances et de la mort qui l’attendaient, le fils de Jona eut la hardiesse de le reprendre et de lui dire : « A Dieu ne plaise, Seigneur ! Cela ne t’arrivera pointl. » Si la seule annonce de la Passion du Sauveur l’avait si fortement troublé, à plus forte raison dut-il en être ainsi de l’événement lui-même. L’ébranlement total de sa foi causé par un revers si cruel et si inattendu (tout prédit qu’il était), explique en partie son triple reniement. Au moment où il renia Jésus, en vérité Pierre ne le connaissait plus, c’est-à-dire qu’il ne savait plus s’il était le Christ. Nul ne fut plus abattu, plus consterné que lui durant ces deux mortelles journées du vendredi et du samedi ; car, à la douleur, à la déception immense qui lui était commune avec tous les disciples, se joignait l’accablant remords de sa faute personnelle. Mais aussi, quand il vit Jésus ressuscité, ce fut pour lui comme une clarté subite éclatant au sein de la nuit la plus profonde ; ce fut (comme il le dit lui-même dans notre texte) comme une régénération, comme une résurrection d’entre les morts. Dès ce moment, de juif qu’il était, Simon Pierre est devenu chrétien. Son espérance renaît plus brillante que jamais et désormais immortelle. L’espérance demeure même le trait dominant de sa vie morale et de sa conception chrétienne ; on peut dire, en observant bien que ces qualifications n’ont rien d’exclusif, que Pierre est l’apôtre de l’espérance, comme Paul l’apôtre de la foi et Jean l’apôtre de l’amour. Mais l’espérance de Simon Pierre est maintenant transfigurée, spiritualisée. Elle se détache de la terre pour embrasser du regard ces vastes horizons que la résurrection de Jésus-Christ lui a ouverts. Cette résurrection révèle et garantit à l’apôtre l’existence d’un nouvel ordre de choses, surnaturel, définitif, dont Jésus ressuscité et glorifié est le centre, et qui devient désormais la patrie de son âme et l’objet de sa vivante espérance. Le contraste que nous avons signalé entre deux époques de la vie et de la pensée de Simon Pierre, dont l’une précède la résurrection de Jésus et dont l’autre la suit, est précisément celui du judaïsme et du christianisme. Ceux qui, croyant apporter du nouveau, s’efforcent de faire descendre notre espérance du ciel à la terre et ne veulent pas attendre d’autre royaume de Dieu qu’un état social plus supportable, mais d’où ni la souffrance, ni la mort, ni le péché ne seraient bannis, ne s’aperçoivent pas que ce qu’ils nous offrent n’est qu’un nouveau judaïsme, moins religieux que le premier et qui n’a point de promesses.
i – Jean 1.48.
k – Matthieu 19.27.
l – Matthieu 16.22.
Si l’espérance vivante dont parle notre texte manquait aux Juifs, à plus forte raison était-elle étrangère aux païens. Ils n’attendaient, eux, ni Messie, ni royaume de Dieu d’aucune sorte. Selon leurs traditions, l’âge d’or appartenait au passé ; et quant à une vie après la mort, sans doute ils en avaient quelque idée, mais ils ne possédaient à cet égard aucune certitude ; les plus sages et les plus pieux disaient avec Socrate mourant : « Nul ne sait ; ce qui en est, excepté Dieum. » J’ajoute que si la vie future était à peine pour eux un objet de croyance, elle était moins encore un objet d’espérance. Généralement ils supposaient que les âmes vont en bas comme les corps ; ils imaginaient, dans les entrailles de la terre, un lieu de tourment pour les méchants, et pour les justes de paisibles demeures dont la morne sérénité n’inspirait pas aux vivants un bien grand attrait. Si quelques philosophes aimaient à se représenter les âmes des bons voyageant avec les étoilesn, c’étaient là des rêves poétiques qui ne persuadaient et ne consolaient guère ceux même qui les avaient conçus, encore moins le reste des hommes, et qui demeuraient sans influence sur la vie pratique. « Ceux qui n’ont point d’espérance ! » c’est par ce mot expressif et sombre que saint Paul, dans sa première épître aux Thessaloniciens, caractérise l’état moral des païens et jusqu’à un certain point celui des Juifs eux-mêmes : « Ne vous affligez pas au sujet des morts, comme les autres (les non-chrétiens), qui n’ont point d’espérance. » Et qu’ajoute-t-il pour relever le courage de ses lecteurs ? « Si nous croyons que Jésus est mort et qu’il est ressuscité, nous savons aussi que Dieu ramènera par Jésus ceux qui seront morts, afin qu’ils soient avec luio. » Toujours la résurrection de Jésus-Christ, vous le voyez ! C’est elle qui, pour les païens comme pour les Juifs, a changé l’hypothèse de la vie future en une réalité, a illuminé cette face sombre de la mort, a rempli le vide et animé le silence de l’éternel avenir.
m – Platon Apologie de Socrate.
n – Cicéron, Songe de Scipion.
Dix-huit siècles de christianisme ont confirmé l’assertion des deux apôtres : depuis que la résurrection de Jésus est prêchée, l’espérance habite sur la terre. Sans doute, cette espérance n’est pleinement vivante que dans le cœur des chrétiens ; mais, par contagion en quelque sorte, elle se communique à ceux même qui n’ont pas une foi vivante et personnelle en Jésus-Christ. Elle constitue aujourd’hui encore, malgré l’incrédulité et le matérialisme contemporains, un fait religieux, moral, social, dont la portée est immense ; tellement que si l’on demandait quel est le trait qui, plus que tout autre, distingue la société moderne de la société antique et en marque la supériorité, je crois qu’il faudrait répondre : c’est l’espérance et la préoccupation de la vie future.
Et croyez-le, cette espérance est vivante encore en ce sens qu’elle est indestructible. Que l’incrédulité moderne s’efforce de sceller de nouveau le tombeau du Christ ; qu’elle range autour de ce tombeau, comme autant de gardiens, ses savants, ses critiques, ses philosophes ; qu’elle nous prêche sur tous les tons qu’il faut nous contenter de ce qui est actuel, et que les devoirs et les bonheurs de la terre doivent suffire à un homme raisonnable… Tôt ou tard elle s’apercevra à sa confusion que la tombe est vide, que le Christ est vivant, et que l’espérance de l’âme humaine, avec lui ressuscitée, comme lui ne peut plus mourir.
Je souffre, il est trop tard ; le monde s’est fait vieux.
Une immense espérance a traversé la terre :
Malgré nous vers le ciel il faut lever les yeuxp.
p – Alfred de Musset.
Après avoir constaté le fait, il nous reste à le comprendre, à pénétrer plus avant, s’il se peut, dans l’intelligence du rapport qui existe entre l’espérance vivante du chrétien et la résurrection de Jésus-Christ.
Une espérance vivante, c’est une espérance qui subsiste, qui demeure, par opposition à une espérance intermittente, qui ne se produirait que pour se dissiper, ne s’élancerait vers le ciel que pour retomber aussitôt, semblable à un oiseau qui, par impossible, se serait aventuré d’un vol téméraire dans des régions où l’air serait trop rare et trop léger pour le soutenir. Or, cette dernière image caractérise assez bien l’espérance que l’homme tire tout entière de son propre cœur. Avant la résurrection de Jésus-Christ, que possédaient les hommes en fait de garanties d’un avenir au delà de la tombe ? Ils avaient les élans de leur imagination, les nobles aspirations de leurs âmes altérées de justice, de bonheur, d’immortalité, les démonstrations de leurs philosophes. Tout cela réuni prouve, je le veux bien, que la vie à venir doit ou devrait être, mais non pas qu’elle soit. Il y a tant de choses qui devraient être et qui ne sont pas ! comme aussi il y en a tant qui ne devraient pas être et qui sont ! à commencer par le péché, dont en général les philosophes tiennent peu de compte et qui pourtant complique singulièrement la question ; car, à supposer qu’une créature fidèle à Dieu puisse compter sur la vie éternelle, peut-on en dire autant d’une créature coupable ? Quoi qu’il en soit, la mort, avec la destruction qu’elle opère, – destruction terrible et qui semble si complète, – la mort est un fait, un fait indéniable, inexorable. Si vous voulez que je sois sûr de la vie à venir, il faut qu’elle devienne aussi un fait. Car la raison et la conscience proclament ce qui doit être, l’idéal ; l’expérience seule constate ce qui est, le réel. Notre siècle devrait être de cet avis, lui qui se vante d’être positif.
Avant la résurrection de Jésus, il y avait aussi, je le sais, la révélation de Dieu dans l’ancienne alliance ; il y avait les enseignements des prophètes et, en dernier lieu, ceux de Jésus lui-même. Dieu me garde de mépriser les clartés indirectes, mais déjà précieuses, que jette l’Ancien Testament sur le mystère de la destinée de l’homme après la mort ! Dieu me garde de contester la valeur du raisonnement sublime de Jésus : Longtemps après la mort des patriarches, Dieu s’est dit le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob ; donc ces saints hommes vivaient et ils vivent, car Dieu n’est pas le Dieu des morts, mais des vivantsq ! Dieu me garde de considérer comme insuffisantes et dignes d’une confiance médiocre des déclarations du Seigneur telles que celles-ci : « Votre récompense sera grande dans les cieux… » « Celui qui croit en moi vivra quand même il serait mort… Je le ressusciterai au dernier jour ! » Et pourtant, oui, en un sens il faut oser le dire : ces déclarations de Jésus seraient insuffisantes et impuissantes à nous persuader, bien plus, elles seraient inacceptables, contradictoires, si sa résurrection n’était pas venue y imprimer le double sceau de la réalité historique et de l’approbation divine. Si Jésus n’était pas ressuscité, je crois qu’au lieu de léguer l’espérance au monde, il l’aurait laissé (à supposer que le monde eût conservé son souvenir et son image) plus désespéré qu’auparavant ; je crois qu’au lieu de résoudre le problème de la destinée humaine, il l’aurait compliquée d’un mystère plus obscur et plus douloureux que tous les autres. Quoi ! dirions-nous alors, cette vie de Jésus si sainte, si pure, si céleste, s’est éteinte dans les ténèbres les plus épaisses et les plus profondes, auxquelles nulle aurore n’a succédé ! Le saint de Dieu a senti la corruption ! Le sépulcre a été vainqueur de celui qui a dit : « Je suis la vie ! » Que puis-je encore espérer, ou plutôt que n’ai-je pas à craindre, moi qui porte en moi-même ce principe de dissolution et de mort, le péché, dont Jésus était exempt ? Quand la mort rendra-t-elle sa proie, si elle a gardé le Rédempteur ? Quand la tombe dira-t-elle son secret, si le Fils de Dieu n’a pu rompre son effrayant silence ?… Mais maintenant Jésus est ressuscité, nul fait n’est mieux attesté dans l’histoire : Pierre l’a vu (vous avez entendu son témoignage) ; Jean l’a vu, et les autres apôtres, et les saintes femmes, et les cinq cents frères dont parle saint Paul ; ajoutons que les conséquences immenses de cet événement, la foi des apôtres ranimée, l’Esprit Saint descendant sur eux, l’Église fondée, le christianisme conquérant le monde, en attestent la réalité et la grandeur. Nous avons maintenant la preuve que nous exigions, la vie future est un fait historique, positif, palpable ; vaincue dans la personne du second Adam, la mort sera vaincue en son temps chez tous ceux qu’il veut bien appeler ses frères : l’incertain est devenu certain, l’avenir est devenu présent, l’invisible est devenu visible en Jésus ressuscité. Grâce à la résurrection de Jésus nous possédons une espérance vivante ; car elle repose, non sur un sentiment pur, ni sur un raisonnement abstrait, mais sur la personne vivante de Jésus, vainqueur de la mort.
L’espérance chrétienne est encore, grâce à la résurrection de Jésus-Christ, une espérance vivante, parce que son objet est vivant, en d’autres termes parce que la vie qu’elle nous promet est une véritable vie. Ce qui manque à l’existence future dont nous parlent les philosophes, c’est la plénitude au moins autant que la certitude. Ils ne peuvent se dissimuler que la mort est un dépouillement réel et profond de l’être humain, mais ils n’ajoutent pas avec saint Paul qu’après avoir été dépouillés nous serons revêtusr, ils n’osent parler de résurrection. Qu’est-ce que l’immortalité qu’ils nous promettent ? Que sera l’existence de l’âme privée de tout organisme, de tout moyen de communication avec le monde extérieur, dans le silence et dans la nuit par conséquent ? Ils l’ignorent ; et si on les presse, plusieurs n’osent garantir que l’individualité sera conservée. Le corps est le vase, l’âme est le parfum ; que deviendra le parfum, quand le vase sera brisé ? O vous que des pensées semblables ont souvent troublés, vous qui frémissez d’avance en pensant à l’attouchement glacé du roi des épouvantements, vous qui vous demandez peut-être si la tombe vous rendra de vous-mêmes et de vos bien-aimés autre chose qu’une ombre pâle, sans couleur, sans caractère, et qui peut-être ne serait plus reconnaissable, venez à la tombe ouverte de Jésus Christ. Certes, il était bien mort, mais voyez comme il est vivant ! Son visage a les mêmes traits, il est reconnu de ses disciples, du moins lorsqu’il veut l’être ; sa voix a le même accent, demandez à Marie-Madeleine ; il connaît ses disciples par leur nom, il leur rappelle les choses qu’il leur disait quand il était avec eux ; surtout son cœur a pour eux le même amour ; il les appelle ses frères, et si, dans la relation qui l’unit à eux, il y a plus de vénération d’un côté, il n’y a pas moins de tendresse de l’autre. Il est le même, et pourtant il est glorifié ; il est entré dans un mode d’existence supérieur et déjà presque céleste ; il est affranchi des conditions et des entraves de la vie matérielle, d’autant plus affranchi qu’il s’y soumet quand il lui plaît. Il n’a rien laissé dans sa tombe que l’infirmité, que la mortalité elle-même. Eh bien ! si nous sommes à Jésus, « comme nous avons porté l’image de l’Adam terrestre, nous porterons l’image du célestes ». « Il transformera nos corps vils pour les rendre semblables à son corps glorieuxt », c’est-à-dire pour en faire des organes dociles et transparents de l’esprit. Il nous attend dans la maison du Père où il y a beaucoup de demeures et où il a préparé une place à chacun de nous. Être avec Jésus, être comme Jésus, vivre comme lui d’une vie pleinement vivante et où il n’y aura plus aucun mélange ni aucun germe de mort, lui devenir semblables parce que nous le verrons tel qu’il est, n’y a-t-il pas dans cette espérance de quoi nous remplir, comme s’exprime notre apôtre, d’une joie ineffable et glorieuseu ? Trouvez-moi de tels élans, de telles actions de grâces chez ceux pour qui le soleil de Pâques ne s’est jamais levé.
r – 2 Corinthiens 5.4.
s – 1 Corinthiens 15.49.
t – Philippiens 3.21.
u – 1 Pierre 1.9.
J’aperçois un dernier lien, plus fort que tous les autres peut-être, par lequel l’espérance chrétienne se rattache à la résurrection de Jésus-Christ. Une espérance vivante, c’est une espérance personnelle et joyeuse. Ce n’est pas tout de savoir qu’il y a une vie éternelle, que cette vie est vraiment une vie ou plutôt qu’elle est la vie, et que ceux qui en seront jugés dignes seront bienheureux. Une grave question reste à éclaircir : « Suis-je de ceux-là ? Serai-je sauvé ? » Car après la mort, suit le jugement ; il y a plus d’un chemin au delà de la tombe. Que les âmes superficielles ou contentes d’elles-mêmes se rassurent ici, soit par la contemplation de leurs propres vertus, soit par quelques phrases banales sur l’universelle miséricorde de Dieu, cela peut se comprendre ; mais une conscience réveillée ne se payera pas de cette monnaie. Il ne lui faut rien de moins, pour calmer ses craintes, que « le sang de la nouvelle alliance, répandu pour la rémission de ses péchésv » ; rien de moins que la rédemption accomplie par Jésus-Christ. Or, pour être complète et certaine, notre rédemption exige la résurrection de Jésus-Christ aussi bien que sa mort. Car, « comme il a été livré à la mort à cause de nos offenses, il est ressuscité à cause de notre justificationw ». En d’autres termes, nos péchés l’ont tué ; notre justification le ressuscite. La mort de Jésus est comme la réparation que l’humanité offre à Dieu ; la résurrection de Jésus est l’absolution que Dieu accorde à l’humanité. Jésus s’étant mis à notre place et s’étant fait le représentant et la rançon des pécheurs, dans sa mort je vois ce que je suis par moi-même et devant la justice de Dieu ; dans sa résurrection, je vois ce que je suis par Jésus et devant la grâce de Dieu.
v – Matthieu 26.28.
w – Romains 4.25.
Quand je vois le Fils de l’Homme expirant sur le Calvaire dans d’indicibles tourments, se plaignant d’être abandonné de Dieu et comme transpercé par le glaive de sa justice, je me dis : Voilà le sort que j’ai mérité ! je répète ce mot d’un pauvre Béchouana à qui l’on racontait la crucifixion du Sauveur : « Jésus ! descends de là ! c’est ma place ! » Spectacle émouvant et sublime sans doute, mais qui, par lui-même, ne suffirait pas pour apporter la paix à ma conscience ; car, « si l’on fait ces choses au bois vert, que fera-t-on au bois secx ? » Si le juste est traité de la sorte, « que deviendra l’impie et le pécheury ? » Mais voici : à deux jours de là, ce même Évangile qui m’a retenu au pied de la croix me conduit dans le jardin de Joseph d’Arimathée. Ici je vois mon Sauveur vivant, debout auprès de sa tombe ouverte, rayonnant d’une gloire immortelle et prêt à aller s’asseoir à la droite de Dieu dans les lieux très hauts. Que me dit ce nouveau spectacle ? Ah ! si la mort est vaincue, c’est que le péché, cause de la mort, a été vaincu le premier ; si notre souverain sacrificateur sort la face radieuse de ce Saint des Saints où il était entré pour faire la propitiation de nos péchés avec son propre sang, c’est que Dieu a reçu et agréé son sacrifice ; si le ciel s’ouvre pour notre frère aîné, c’est qu’il nous est ouvert aussi ; c’est que tous ceux qui croient en Jésus sont en principe justifiés, glorifiés, assis dans les lieux célestes avec lui. Ainsi je m’écrie avec saint Paul : « Qui condamnera ? Christ est mort ! Bien mieux, il est ressuscité, il est à la droite de Dieu, il intercède pour nousz ! » Mon espérance est vivante parce que mon Rédempteur est vivant.
x – Luc 23.31.
y – 1 Pierre 4.18.
z – Romains 8.34.
Une espérance vivante ! n’est-ce pas précisément ce qu’il nous faut, mes chers frères, et se peut-il qu’un cœur d’homme entende une telle parole sans tressaillir ! Une espérance vivante, c’est-à-dire qui ne meure pas, qui ne se flétrisse pas, comme le font l’une après l’autre les espérances terrestres, mais qui soit à l’épreuve des déceptions de la vie, des démentis de l’expérience, des assauts de l’incrédulité ! Une espérance vivante, c’est-à-dire qui se développe comme tout ce qui vit, qui grandisse au milieu des ruines de nos félicités d’ici-bas, qui croisse et fleurisse comme une plante sacrée sous la rosée amère de la douleur ! Une espérance vivante, c’est-à-dire vivifiante aussi, qui illumine les heures les plus sombres, qui nous sauve de cette mort qui s’appelle le découragement et de cette autre mort qui s’appelle l’égoïsme, qui communique à toutes les facultés de notre âme une expansion généreuse, qui nous inspire l’amour pour Dieu et l’amour pour les hommes, qui se répande du côté du ciel en action de grâces, et du côté de la terre en dévouement, en charité, en saint et chaleureux prosélytisme ! Eh bien ! l’apôtre Pierre, qui possédait cette espérance, nous en donne le secret dans notre texte. Sa source, c’est l’infinie miséricorde de Dieu ; son objet, c’est l’héritage incorruptible qui nous est gardé dans les cieux ; son fondement visible et historique, c’est la résurrection de Jésus-Christ. Venez donc en ce beau jour à la tombe ouverte de votre Sauveur, pour y apprendre l’espérance. Ne craignez pas de descendre dans cette tombe, comme le firent jadis Pierre et Jean ; vous y trouverez, à côté du linceul vide qui enveloppait le corps de Jésus, d’autres objets bien dignes de votre attention : le sceptre de la mort brisé, la sentence qui nous condamnait déchirée par la main du Rédempteur et effacée avec son sang ; vous y respirerez comme un parfum de vie éternelle. Vous en sortirez fortifiés pour les combats de la vie, persuadés que cette même puissance qui a ressuscité Jésus d’entre les morts est prête à se déployer en vous pour vous arracher à votre mort spirituelle, pour vous rendre vainqueurs de la chair, du monde et de Satan, et saintement jaloux de glorifier, non seulement par un élan passager de reconnaissance, mais par une vie d’obéissance et d’amour, Celui qui, dans sa grande miséricorde, nous a fait renaître en nous donnant, par la résurrection de Jésus-Christ, une espérance vivante de posséder l’héritage incorruptible.