1.[1] Les fils de Mariamme héritèrent du ressentiment de leur mère. Réfléchissant au crime de leur père, ils le regardaient comme un ennemi, cela dès le temps où ils faisaient leur éducation à Rome, et plus encore après leur retour en Judée : cette disposition ne fit que croître chez eux avec les années. Quand ils furent en âge de se marier et qu'ils épousèrent, l'un la fille de sa tante Salomé, l'accusatrice de leur mère, l'autre[2] la fille du roi de Cappadoce, Archélaüs, leur haine se doubla de franc parler. Leur audace fournit un aliment à la calomnie, et dès lors certaines gens firent entendre clairement au roi que ses deux fils conspiraient contre lui, que même celui qui avait épousé la fille d'Archélaüs, comptant sur le crédit de son beau-père, se préparait à fuir pour aller accuser Hérode devant l'empereur. Le roi, saturé de ces calomnies, fit alors revenir le fils de Doris, Antipater, pour lui servir de rempart contre ses autres fils et commença à lui marquer sa préférence de mille manières.
[1] Section 1 Ant., XVI, 1, 2 : 3, 1-3 (jusqu'au § 80). Le retour des princes en Judée est de 22 av. J.-C., le rappel d'Antipater de l'an 14. On notera que dans tout le récit de Bellum, Alexandre est mis en vedette plus que son frère.
[2] Alexandre.
2.[3] Ce Changement parut intolérable aux fils de Mariamme. Devant la faveur croissante de ce fils d'une mère bourgeoise, la fierté de leur sang ne put maîtriser son indignation ; à chacun des affronts qu'ils recevaient, leur ressentiment éclatait. Pendant que leur opposition s'accentuait chaque jour, Antipater se mit à intriguer de son côté, montrant une habileté consommée à flatter son père. Il forgeait contre ses frères des calomnies variées, répandant les unes lui-même, laissant propager les autres par ses confidents, jusqu'au point de ruiner complètement les espérances de ses frères à la couronne. En effet, il fut déclaré héritier du trône à la fois dans le testament de son père et par des actes publics : quand il fut envoyé en ambassadeur vers César[4], son équipage fut celui d'un roi ; il en avait les ornements et le cérémonial, excepté le diadème. Avec le temps il fut assez fort pour ramener sa mère dans le lit de Mariamme usant alors contre ses frères d'une arme double, la flatterie et la calomnie, il travailla l'esprit du roi jusqu'a lui faire projeter leur supplice.
[3] Section 2 Ant., XVI, 3, 3 (§ 81-86) ; 4, 1 (§ 87-89).
[4] 13 av. J.-C.
3.[5] Le père traîna l'un d'eux, Alexandre, à Rome, et l'accusa devant César d'avoir tenté de l'empoisonner. Le prince, trouvant enfin l'occasion d'exprimer librement ses plaintes et ayant devant lui ni juge plus (impartial ?) qu'Antipater et de sens plus rassis qu'Hérode[6], eut cependant la modestie de voiler les fautes de son père, mais réfuta avec force les calomnies dont il était l'objet. Puis il démontra de la même manière l'innocence de son frère, qui partageait ses périls, et se plaignit de la scélératesse d'Antipater et de l'ignominie où tous deux étaient plongés. Il trouvait un secours à la fois dans la pureté de sa conscience et dans la force de ses discours ; il avait, en effet, un grand talent de parole. Quand, à la fin, il déclara que leur père pouvait les mettre à mort, s'il tenait l'accusation pour fondée, il arracha des larmes à tous les assistants. L'empereur touché s'empressa d'absoudre les accusés et de les réconcilier aussitôt avec Hérode. Les conditions de l'accommodement furent que les princes obéiraient en tout à leur père et que le roi serait libre de léguer la couronne à qui bon lui semblerait.
[5] Section 3 Ant., XVI, 4, 1 (depuis § 90-5). Il résulte de ce récit détaillé que le frère utérin d'Alexandre (Aristobule) et Antipater assistaient au procès, qui eut lieu non à Rome, mais à Aquilée (11 av. J.-C. ?)
[6] δικαστὴν ἐμπειρότερον (libri ἐμπειρότατον) Ἀντιπάτρου καὶ Ἡρώδου φρονιμώτερον. Texte bizarre, sûrement altéré.
4.[7] Après cette dérision, le roi quitta Rome, écartant, semblait-il, ses accusations contre ses fils, mais non ses soupçons. Car Antipater, instigateur de sa haine, l'accompagnait, tout en n'osant pas manifester ouvertement soit inimitié, par crainte de l'auteur de la réconciliation. Quand le roi, en longeant le littoral de la Cilicie, aborda à Elaioussa, Archélaüs les reçut aimablement à sa table ; il félicita son gendre de son acquittement et se réjouit de voir le père et les fils réconciliés ; il s'était d'ailleurs empressé d'écrire à ses amis de Rome pour les prier de prêter assistance à Alexandre dans son procès. Il accompagna ses hôtes jusqu'à Zéphyrion et leur fit des présents dont la valeur montait à trente talents.
[7] Section 4 Ant., XVI, 4, 5, § 127 ; 6, § 131. Le récit de Guerre est ici plus détaillé (lettres d'Archélaüs à Rome, chiffre des présents, etc.).
5.[8] Arrivé à Jérusalem, Hérode assembla le peuple et, lui présentant ses trois fils, s'excusa de son voyage, puis adressa de longs remerciements à Dieu, mais aussi à César, qui avait rétabli sa maison ébranlée et assuré à ses fils un bien plus précieux que la royauté la concorde.
« Cette concorde, dit-il, j'en resserrerai les liens moi-même, car l'empereur m'a institué maître du royaume et arbitre de ma succession. Or, considérant à la fois mon intérêt et la reconnaissance pour son bienfait, je proclame rois mes trois fils que voici, et je demande à Dieu d'abord, à vous ensuite, de confirmer mon suffrage. Ils ont droit à ma succession, l'un par son âge, les autres par leur naissance ; et l'étendue de mon royaume suffirait même à un plus grand nombre. Ceux donc que César a réconciliés, que leur père exalte, à votre tour respectez-les, décernez-leur des honneurs qui ne soient ni injustes, ni illégaux, mais proportionnés à l'âge de chacun, car en honorant quelqu'un au delà du droit que lui confèrent les années, on le réjouit moins qu'on n'attriste celui qu'on néglige. Je choisirai avec soin les conseillers intimes[9] qui devront vivre auprès de chacun d'eux, et je les instituerai garants de leur bonne intelligence, sachant bien que les factions et les rivalités des princes ont leur source dans ta méchanceté de leurs amis, comme leur concorde dans la vertu de ceux-ci. D'ailleurs j'exige non seulement de ces confidents, mais encore des chefs de mon armée, qu'ils mettent jusqu'à nouvel ordre leurs espérances en moi seul : ce n'est pas la royauté, ce sont les honneurs royaux seulement que je décerne à mes fils ; ils jouiront ainsi des agréments du pouvoir, comme s'ils étaient les maîtres, mais c'est sur moi que retombera le poids des affaires, quand même je ne le voudrais pas. Au reste, considérez tous mon âge, la conduite de ma vie, ma piété. Je ne suis pas assez vieux pour qu'on puisse escompter ma mort à bref délai, ni adonné aux plaisirs qui sapent la jeunesse même : j'ai honoré assez la divinité pour pouvoir espérer le plus long terme de l'existence. Quiconque fera donc la cour à mes fils, en vue de ma perte, encourra mon châtiment comme coupable envers eux-mêmes. Car ce n'est pas la jalousie envers ces enfants, sortis de moi, qui me fait limiter les hommages qu'on leur adresse, c'est la conviction que l'excès de flatterie encourage la jeunesse à la témérité. Si donc chacun de ceux qui approchent mes fils se persuade bien que, vertueux, il s'assurera ma reconnaissance, que, factieux, il perdra sa méchanceté même auprès de celui qu'il flattera, je pense qu'ils prendront tous à cœur mes intérêts, je veux dire ceux de mes fils ; car il est bon pour eux que je règne et bon pour moi qu'ils s'entendent entre eux. Quant à vous, mes chers fils, considérez les liens sacrés de la nature, qui maintiennent l'affection même entre les bêtes sauvages. Considérez César, auteur de notre réconciliation, considérez moi-même qui conseille là où je pourrais ordonner, et restez frères. Je vous donne, dès ce moment, la robe et les honneurs des rois je prie Dieu de confirmer mon jugement, si vous restez unis ».
A ces mots, il embrassa cordialement chacun de ses fils, et renvoya la multitude ; les uns appuyaient de leurs vœux ses paroles, tandis que ceux qui désiraient un changement feignaient de ne les avoir pas même entendues.
[8] Section 5 Ant., XVI, 4, 5, § 132-135 (version beaucoup plus abrégée).
[9] συγγενεῖς καὶ φίλους, terme technique de la hiérarchie de cour hellénistique.