A la question : que suis-je ? Hume avait répondu : une série de perceptions fuyantes et particulières, dont le lieu n’est nulle part, et dont nul ne sait si elles correspondent à une réalité quelconque. A son anthropologie phénoméniste correspondait un scepticisme radical. — A la même question, M. Ribot vient de nous répondre : la personnalité humaine est un phénomène terminal, un état instable toujours en voie de se faire et de se défaire, la traduction psychique de l’organisme physiologique, une sorte de sublimation évanescente et fortuite de la vie corporelle et physique. Son anthropologie phénoméniste cache un matérialisme inavoué.
A part le scepticisme de l’un et le matérialisme de l’autre, c’est une seule et même réponse. Je suis, sans doute, cela est incontestable, mais je ne suis rien ; rien qu’un agrégat de perceptions successives, un agrégat de réflexes nerveux, que la mort ou la maladie dissout irrémédiablement. Et mon plus haut titre de gloire, la pensée, la conscience que j’ai de moi-même, n’est qu’un heureux accident, sans permanence, sans durée, sans stabilité aucune et surtout sans avenir.
Cette réponse est-elle décisive ? et satisfaisante ?
Elle est en tout cas parfaitement conséquente avec la méthode de l’un et de l’autre philosophe, qui, à deux siècles d’intervalle, et bien que l’un l’ait fait porter sur un examen purement interne et l’autre sur un examen purement externe, se rejoignent ou à peu près dans leurs conclusions finales. Si elle est irréprochable une fois la méthode admise, il faut la critiquer dans sa méthode et non pas en elle-même. C’est ce que nous allons faire. Notre critique s’adressera donc au sensationnisme comme tel, et nous lui demanderons s’il rend compte, ou s’il tient compte de la totalité comprise dans cette affirmation : je suis, lorsqu’elle est prononcée, non pas encore par un être religieux et moral, mais simplement par un être conscient ; c’est-à-dire lorsqu’elle est prononcée, car son énoncé même implique la conscience de soi. Et cette question générale, nous l’examinerons sous les quatre aspects suivants :
- Le réflexe nerveux rend-il compte de la sensation ?
- La sensation rend-elle compte de l’idée ?
- Le sensationnisme rend-il compte de la conscience ?
- Le sensationnisme rend-il compte du principe de causalité (ce dernier envisagé comme type des catégories de la raison ou des principes de liaison des idées) ?