Abraham avait voulu aider par lui-même à la réalisation de la promesse. Vaine tentative ! Il ne tarda pas à comprendre, avec confusion, qu’il faisait fausse route, et à recueillir dans sa famille les fruits amers de la désobéissance. Il put craindre alors que Dieu ne lui eût retiré sa grâce et qu’il ne dût perdre l’espoir de voir le jour du salut et l’accomplissement de la promesse. Treize ans s’écoulèrent après la naissance d’Ismaël ; ce temps fut, sans aucun doute, tout particulièrement pénible pour lui. Ce qu’il avait espéré — avoir de Sara ce fils qui possédera Canaan et sera en bénédiction à toute la terre — devenait de jour en jour plus improbable. Mais Dieu se souvient enfin de son serviteur tant éprouvé. Celui-ci vient d’atteindre ses quatre-vingt-dix-neuf ans, quand le Seigneur lui apparaît de nouveau. Il ne lui rappelle pas ses fautes ; il se révèle à lui en Père et le console comme autrefois : « Je suis le Dieu tout-puissant ; marche devant ma face, et sois intègre ; et j’établirai mon alliance entre moi et toi. » — « Alors Abraham tomba sur sa face. » Dieu ne dit pas : Ma promesse est anéantie, — comme Abraham l’avait craint ; il ne retire pas sa parole, comme Abraham et Sara l’eussent bien mérité. Il la répète et la confirme ; il scelle d’une manière solennelle et irrévocable son alliance. Il y a bien de quoi faire tomber Abraham sur sa face ! Qu’est-ce qui pourrait nous humilier davantage que cette pensée : « Il ne nous a pas fait selon nos péchés et ne nous a pas rendu selon nos iniquités ! » (Psaumes 103.10). Les marques de sa bonté gratuite nous courbent dans la poussière. Nous avions forfait notre adoption, rompu l’alliance du baptême, mérité que Dieu détournât à jamais sa face de nous. Mais voici, il vient à nous, il se souvient de son alliance, il se rappelle le temps où nous avions pour lui le premier amour. Envers nous, infidèles, il est demeuré fidèle ; il nous traite encore comme ses enfants, et il nous confirme à nouveau l’alliance de sou amour, qui sera éternelle. « Voyez quel amour le Père nous a témoigné.… ! » (1 Jean 3.1). Pourrions-nous ne pas tomber sur notre face avec Abraham, et adorer le Tout-Puissant ? Pourrions-nous perdre jamais le sentiment de sa présence et de sa paternelle Providence ? Ou est-ce trop réclamer, quand il demande à Abraham et aux enfants d’Abraham de « marcher devant lui et d’être intègres, » c’est-à-dire sans reproche, sans faute, parfaits ; parfaits, il est vrai, non en puissance, — cela n’est pas possible, — mais en amour pour lui et pour nos frères, en dévouement joyeux et sans réserve pour obéir à sa volonté dans l’œuvre de notre vocation !
Dieu donne à Abraham et à Sara de. nouveaux noms : à lui, celui de « père de plusieurs peuples ; » à elle, celui de « princesse. » Ce changement de noms signifie qu’il va créer quelque chose de nouveau et qu’il veut faire pour eux plus qu’ils n’attendaient. Il leur renouvelle la promesse : « Je donnerai ce pays à toi et à ta postérité, et — ajoute-t-il — il y aura entre moi et toi une alliance éternelle, afin que je sois ton Dieu et celui de, ta postérité après toi. » Les biens célestes sont évidemment compris dans cette promesse. Abraham, qui cependant est mort sans rien posséder en Canaan, doit posséder ce pays à toujours : cela ne peut être réalisé que dans la résurrection des justes. Dieu se nomme son Dieu, et il conservera ce titre éternellement ; or, il n’est pas le Dieu des morts, mais celui des vivants. Abraham, pour nous, est mort ; il ne l’est pas pour Dieu. Pour Jésus, la fille de Jaïrus, Lazare, dormaient seulement (Matthieu 9.24 ; Jean 11.11) ; car il avait le pouvoir de les rappeler à la vie. Abraham et les autres justes ne sont pas morts, pour Dieu ; ils vivent ; leur sommeil prendra fin ; sa parole toute-puissante les rappellera bientôt à la vie, à une vie incorruptible. L’espérance de la vie éternelle remplissait le cœur d’Abraham. Quand Dieu dit à un homme : » Je suis ton Dieu, » il a la vie éternelle. Il nous l’a dit, à nous aussi, et nous pouvons lui répondre : « Je suis à toi ; tu es à moi ; et rien ne peut nous séparer. » L’amour de Dieu nous enveloppe, et la mort elle-même et tout ce qui pourra la suivre, ne nous en séparera pas ! Dieu ne meurt pas, et quand il dit à Abraham : « Je suis ton Dieu, » c’est comme s’il lui disait : Toi aussi tu vivras, quand bien même tu serais mort !
Abraham reçoit l’ordre de circoncire les siens [note 21]. Cet ordre concerne tous ses descendants, même Ismaël et sa race. Par là, ils se distingueront des peuples qui ne sont pas issus d’Abraham et n’ont pas de part à l’alliance ; par là aussi, le souvenir de cette alliance, des grâces reçues et des obligations contractées, s’imprimera d’une manière ineffaçable dans leur mémoire. Ce fut plus tard, de la part des Juifs, une erreur de croire qu’ils étaient justifiés par la circoncision ; erreur bien enracinée, et à laquelle Paul dut livrer de rudes combats dans les Eglises d’Antioche et de Galatie. Il est vrai que Dieu l’avait ordonnée sous des peines très sévères ; tout enfant incirconcis, est-il dit, « sera retranché du milieu de son peuple. » Cependant le dessein de Dieu en l’instituant était tout autre que ne pensaient les Juifs. Il en est de cette cérémonie comme de la loi de Moïse dont le but n’était pas de justifier et de sauver l’homme ; car elle ne pouvait implanter dans les cœurs la vie éternelle. L’une et l’autre sont pour la race d’Abraham un signe de l’alliance et un moyen de séparer Israël des païens. Ce peuple, d’où sortira le Sauveur, doit « habiter à part et ne point être mis au nombre des nations ; » ainsi le dit le prophète Balaam (Nombres 23.9).
La circoncision est le sceau ou la divine attestation de la justice qu’Abraham avait déjà obtenue par la foi pour lui et pour les siens (Romains 4.11). En même temps, comme la loi en général, elle est le symbole d’une vérité morale et d’une action de Dieu dans l’homme : elle symbolise une sentence de mort. Le vieil homme que nous portons tous en nous n’est pas apte à être amélioré, ennobli et rendu peu à peu agréable à Dieu ; il ne mérite que de mourir. Ce jugement de mort doit s’exécuter sur lui, et une nouvelle créature, faite à l’image de Dieu, doit être formée à sa place. La circoncision est le symbole de la destruction des œuvres de la chair (Galates 5.19-21). Il faut que le cœur corrompu, qui les produit, le péché, qui nous est inné à tous, meurent, et qu’un nouvel homme naisse. En un mot, Dieu réclame une « circoncision du cœur ; » il veut accomplir en nous une œuvre dont le rite extérieur n’est qu’une figure.
Créer en nous un cœur nouveau, c’est ce que Dieu s’est proposé dès le commencement. Voilà ce qu’il voulait dire à Abraham en lui ordonnant la circoncision. Mais ce travail qui devait aboutir à la circoncision du cœur, s’est trouvé si extraordinairement difficile, que pendant toute l’ancienne alliance il n’a jamais pleinement réussi (Romains 8.3) : Le but a été atteint pour la première fois en Jésus-Christ homme. La perversité et l’impureté naturelles de notre nature ont été en lui entièrement vaincues et anéanties. C’est pour symboliser ce fait qu’il a été soumis dans son enfance à la circoncision. Ce qui n’était chez les autres que cérémonie extérieure, devient chez lui réalité spirituelle. Il n’a pas seulement l’ombre, le mot, mais aussi la chose. Sa vie et sa Passion réalisent parfaitement la circoncision du cœur ; il résiste jusqu’au sang à la tentation ; il renie et repousse le péché chaque fois qu’il s’approche ; il s’associe constamment au jugement de Dieu sur le mal ; il poursuit, jusqu’à la pleine victoire, la lutte à mort qu’il faut livrer à la chair. Il possède le nouveau cœur, plein d’amour, d’obéissance et de foi, humble, pur, patient ; avec lui commence la nouvelle création, dont la gloire cachée et la vitalité indestructible éclatent dans sa résurrection. C’est ainsi qu’il accomplit les types de la loi. La circoncision du huitième jour — le premier jour d’une nouvelle semaine — est en rapport avec la résurrection du Seigneur.
C’est pour nous que Jésus a remporté cette victoire de la nouvelle créature sur le cœur désespérément malin du vieil homme. Il ne doit pas rester seul ; nous devons nous joindre à lui, être, nous aussi, des premiers-nés de la nouvelle création. Quand Moïse, au terme de sa lourde tâche, s’adressait au peuple d’Israël dans les champs de Moab et prononçait son chant du cygne, ces derniers discours où respirent un amour et une joie, une consolation tout évangéliques, il lui fit cette grande promesse : « Si tu te convertis à l’Eternel ton Dieu, il aura compassion de toi, et il te rassemblera de nouveau du milieu de tous les peuples chez lesquels il t’aura dispersé ; et l’Eternel circoncira ton cœur et le cœur de ta postérité, afin que tu aimes l’Eternel ton Dieu de tout ton cœur et de toute ton âme, et que tu vives » (Deutéronome 30.1-6). Ces paroles, qui renferment déjà la promesse de la, nouvelle alliance, où le Seigneur gravera sa loi non sur des pierres, mais dans les cœurs, et où tous le connaîtront et seront son peuple. (Jérémie 31.31-34), sont accomplies pour ceux qui sont en Christ. Qui cette sublime promesse concernerait-elle, si ce n’est nous, qui avons été baptisés au nom de Christ, qui avons reçu son Esprit et qui sommes invités au banquet de l’Agneau ? Mais il s’agit de la saisir par la foi, de ne pas renier ou entraver l’œuvre de grâce que Dieu fait en nous, par notre timidité, nos doutes, notre ingratitude, mais de l’affirmer et d’y revenir sans cesse, sans nous la laisser jamais ravir. Dieu recevait déjà les enfants dans son alliance avec Israël ; son, amour paternel nous a introduits dès notre tendre enfance dans la nouvelle alliance ; le baptême nous a incorporés à Christ : et la circoncision du cœur, réalisée en lui, s’accomplit aussi en nous, non par la main des hommes, mais par l’Esprit du Dieu vivant (Colossiens 2.11-13). Il faut croire cela, l’affirmer et le maintenir envers et contre toutes les dénégations et toutes les tentations. L’Esprit de Dieu veut achever cette œuvre de grâce. De notre part, elle réclame la prière, la vigilance, un profond sérieux ; il nous en coûtera un travail incessant. Ce qu’il faut sans cesse établir de nouveau, c’est que le vieil homme n’a aucun droit de se relever, qu’il doit rester mort et anéanti. Ce travail ne sera point sans fruits : si la circoncision du cœur a pu être réalisée en Christ, elle le sera aussi en ceux qui lui appartiennent, et elle aura enfin pour couronnement notre propre résurrection.
« Je suis le vrai cep, et mon Père est le vigneron ; il émonde tout sarment qui porte du fruit, afin qu’il porte encore plus de fruit » (Jean 15.1-2). Pour faire de la circoncision du cœur une vérité, le Père céleste emploie le châtiment. Sa serpette tranchante abat les jets nuisibles et inutiles des sarments. Cette circoncision continuelle est nécessaire ; qui ne le voit par son propre cœur et sa propre expérience ? La souffrance est l’instrument dont Dieu se sert pour opérer cette purification ; elle nous fait mal, et il faut qu’il en soit ainsi ; car, sans cela, elle ne nous ferait pas de bien. Mais, lorsque nous demeurons tranquilles, sous sa main qui nous frappe, nous ne tardons pas à connaître la douceur de ses consolations et à sentir comment il nous affranchit intérieurement de nos penchants mauvais, comment il nous conduit dans le bien et nous y affermit. Voilà le sens de la circoncision ordonnée aux Israélites et du baptême que nous avons reçu. Il signifie que nous voulons nous soumettre à la main du Seigneur qui nous châtie, et porter patiemment la croix qu’il nous imposera, aussi longtemps qu’elle sera nécessaire, c’est-à-dire tous les jours de cette vie mortelle, de ce temps précieux de grâce. Des châtiments envoyés par lui et supportés avec patience, sont aussi un signe de son alliance ; car « le Seigneur châtie celui qu’il aime ; si vous souffrez le châtiment, Dieu vous traite comme ses enfants » (Hébreux 12.6-7). Ils sont destinés à nous sanctifier, et notre désir unique et ardent doit être que, par l’Esprit de Dieu et par les épreuves qu’il envoie, la circoncision du cœur soit réalisée en nous comme en Christ, en sorte que, au lieu d’être exclus du peuple de Dieu, nous ayons à toujours notre part parmi ceux qui gardent son alliance.