Il est arrivé cependant que la tradition de la rédemption leur est restée invisible, et qu’ils n’ont pu la comprendre ; c’est une difficulté que l’on ne peut pas aplanir en un seul mot, surtout quand on les voit varier comme à l’envi les uns des autres. Comptez ces docteurs, vous aurez autant de rédemptions. Ils se sont attachés à nier le baptême, seul moyen de régénération divine ; le temps viendra où nous les réfuterons, parce qu’en dernier résultat toute la foi est ainsi rejetée par ces hérésiarques.
Ces hommes, sous l’influence du démon, ont osé soutenir que la rédemption n’était nécessaire qu’à ceux qui voulaient parvenir à un haut degré de perfection dans la vertu qui est au-dessus de toutes les vertus ; elle est alors la seule voie qui conduise au Plerum, parce que cette haute vertu les plonge dans le sein de Bythus.
Le baptême de Jésus, toutefois, suffit pour remettre les péchés ; celui du Christ fait descendre dans les plus inaccessibles profondeurs de la perfection : le premier tient de la vie matérielle ; le second, de celle de l’esprit. Le baptême prêché par Jean était un baptême de pénitence ; celui de Jésus, un baptême de perfection ; lui-même a semblé le faire entendre lorsqu’il a dit : « Je dois recevoir un autre baptême, et je me hâte d’y arriver ; » ils veulent encore que Jésus ait voulu parler de ce même baptême de perfection. Lorsque la mère de Zébédée, le priant de faire asseoir ses fils à sa droite et à sa gauche dans le royaume céleste, le Seigneur répondit : « Pouvez-vous recevoir le baptême que je dois recevoir ? » À les entendre, Saint Paul lui-même aurait fait souvent allusion à cette rédemption de perfection ; seulement chacun d’eux interprète ces choses à sa manière.
Il en est, par exemple, qui, en imagination, bâtissent une couche nuptiale, l’ornent, et au moyen de quelques mots profanes prétendait faire des noces mystiques, à l’instar des alliances sublimes dont nous avons déjà parlé. À d’autres, il plaît mieux de baptiser au nom du Père universel et inconnu, au nom de la Vérité, mère de toutes choses, et au nom de celui qui descendit sur Jésus pour réunir, dans une rédemption et une communion unique, toutes les vertus. Ceux-ci préfèrent jeter dans l’étonnement et l’effroi les hommes qu’ils trompent, en prononçant des mots hébreux, tels que basema, cacabasa, bæænaora, mystadia, ruada, cusia, cacoraba, babefor, calathi (les explications varient). Voici ce que signifient ces mots : « J’invoque celui qui est au-dessus de toute puissance, celui qui s’appelle Lumière, Esprit et Vie ; je l’appelle, parce qu’il a régné sur le corps. » Voici encore d’autres paroles mystiques de la rédemption, dont quelques autres d’entre eux se servent : « Le nom qui est caché par toute divinité, puissance et vérité, ce nom puissant, revêtu par Jésus de Nazareth dans les vies de la Lumière, le Christ, le Seigneur, vivant par l’Esprit saint, pour la rédemption des anges. » Ce nom tout entier est : Messia, Uphareg, Namamsaeman, Chaldeam, Mosomedea, Acphrané, Psana, Jesus Nazaris. Ces derniers mots signifient : « Je ne divise ni le cœur, ni la puissance céleste qui a la miséricorde en partage, puissé-je jouir de ton nom, Sauveur de la vérité ! » Ce sont là les paroles sacramentelles de l’initiateur ; écoutez ce qu’à son tour répond l’initié : « Raffermi et racheté, j’arrache mon âme à ce siècle, à tout ce qui dépend du siècle ; je le fais au nom de Jao, qui a racheté son âme dans la rédemption et la vie du Christ. » Les assistants répondent : « Paix à tous ceux sur qui ce nom a reposé. » Alors on fait une onction balsamique sur l’initié, et cette onction, qui est d’un parfum exquis, est le symbole de toutes les perfections.
Il en est d’autres, parmi eux, qui jugeaient inutile de donner au néophyte, l’eau du baptême ; mais, mêlant un peu d’eau avec de l’huile, ils les répandent sur la tête de l’initié, en répétant les paroles déjà citées : c’est là ce qu’ils appellent leur cérémonie de la rédemption. Ceux-là y joignent des parfums, ceux-ci désapprouvent et répudient tous ces moyens, prétendant que des créatures visibles et sensibles sont impuissantes à représenter l’inénarrable et invisible mystère, ajoutant que ce qui est périssable ne peut agir au nom de ce qu’on ne peut voir, de ce qui est immatériel, de ce que même il est impossible de s’imaginer. Pour eux, la suprême rédemption consiste à reconnaître la grandeur ineffable. Tout ce qui tient à l’ignorance de la chute et à la passion ne peut anéantir leurs conséquences que par la vérité opposée à l’ignorance, qui sera la rédemption de l’homme intérieur ; elle n’est point matérielle comme le corps, puisque le corps et la matière sont sujets à la corruption ; elle n’est pas psychique, puisque l’âme a été le produit d’une souillure, et qu’elle ne sert, pour ainsi dire, que de demeure à l’esprit ; c’est à cause de cela qu’il faut que la rédemption soit toute spirituelle.
L’homme intérieur et spirituel trouve, suivant eux, sa rédemption dans la connaissance, et nos adversaires, arrivés à ce point culminant, n’ont plus rien à rechercher ; ils possèdent la rédemption seule et véritable.
D’autres encore, dont je n’ai pas encore parlé, rachètent même les mourants par une aspersion d’huile et d’eau mêlée qu’ils font sur la tête de l’agonisant, en prononçant les paroles que nous avons rapportées déjà. L’effet de leur cérémonie leur paraît si certain, qu’elle empêche les puissances supérieures mêmes d’avoir aucun droit sur ceux pour qui cette cérémonie est faite. L’homme intérieur s’élève dans les plus hautes régions de l’invisible, laissant toutefois sa dépouille mortelle au sein des créations matérielles. Mais ils lui recommandent, quand il arrivera vers les puissances célestes, de dire : « Moi, Fils, sorti du Père, préexistant à tout, Fils dans celui qui préexiste, je viens voir ce qui est à moi et ce qui est aux autres : aux autres, non pas précisément, mais à Achamoth, femme qui les a créés pour son usage. Mon Père est le préexistant, descendu de lui, je reviens au lieu de mon départ. » Ce moyen est infaillible, disent-ils, pour le faire partir avec toutes les puissances, qui le conduisent jusqu’à Demiurgos, qu’il faut aborder en lui disant : « Je suis un vase plus précieux que cette femme dont vous êtes né ; elle ignore d’où elle est sortie ; moi je sais d’où je viens, et nul ne le sait mieux que moi ; j’implore l’assistance de l’incorruptible sagesse qui est dans le Père et qui est la mère de votre mère, et n’a ni père ni époux ; que nul homme n’a approchée, mais à qui son sexe seul a suffi pour vous produire. J’appelle, j’implore, je conjure sa mère. »
À ces paroles, Demiurgos éprouve un extrême trouble, se reproche sa naissance, rougit de sa mère, s’enfuit et rejette loin de lui le lien dont il retenait l’âme et l’ange qui la conduisait.
Voilà tout ce que nous possédons, relativement aux doctrines des hérésiarques, sur la rédemption ; mais leur peu d’accord entre eux à ce sujet, leurs dissentiments si variés et si multipliés, rend la tâche que nous nous sommes imposée de les rapporter, fort pénible à remplir.