Samuel Vincent. — Son influence sur le mouvement théologique. — Avènement du rationalisme. — Les journaux religieux. — Les Archives du Christianisme. — Le Semeur. — l’Espérance. — Le Lien. — La lutte ecclésiastique. — Projet de réorganisation de l’Église. — Développement du principe de la séparation de l’Église et de l’État. — La Société des Intérêts généraux du protestantisme français. — Les assemblées de 1848 (mai et septembre). — La question des confessions de foi. — Projet de loi organique. — Le décret-loi de 1852. — Progrès du libéralisme. — La fondation de l’Union des Églises libres. — Sa confession de foi. — Sa constitution. — Adolphe Monod et l’Église libre. — Fin de l’époque du Réveil.
Nous en arrivons au troisième caractère qu’ont revêtu les luttes provoquées par le Réveil. D’abord purement locales, pour ainsi dire personnelles, elles sont devenues, avec Adolphe Monod, de véritables discussions de principes. Quelques années encore, et elles seront une sorte de tournoi théologique et ecclésiastique auquel prendra part tout le protestantisme français.
En réalité, dès les premières années du siècle, deux courants se dessinent dans notre Église. C’est, d’une part, l’orthodoxie stricte, représentée par Daniel Encontre et ceux que nous avons appelés les précurseurs français du Réveil ; de l’autre, une théologie plus attachée au côté moral de l’Évangile, et par là même disposée à repousser tout dogmatisme. Le chef de cette école sera Samuel Vincent.
Mais avant que le parti nouveau se groupât autour de l’éminent pasteur de Nîmes, ce parti n’en existait pas moins. On n’a qu’à se souvenir de la situation de l’Église réformée au commencement du siècle. Si cette Église était restée extérieurement, officiellement orthodoxe, plusieurs de ses pasteurs avaient depuis longtemps abandonné la prédication des dogmes spécifiques de cette orthodoxie. On prêchait l’état de faiblesse de l’homme plus que sa corruption innée, la rédemption de l’humanité éclairée par la lumière de l’Évangile plus que le salut par la croix, surtout les devoirs, les vertus plus que la conversion et la justification gratuite par la foi. L’esprit philosophique du dix-huitième siècle avait détrôné le dogme pour lui substituer la morale. Ce travail s’était accompli lentement, insensiblement, mais sûrement.
Alors la nécessité d’un réveil se fit sentir, et les chrétiens qui devaient y travailler apparurent. Mais, à ce moment précis, entrait aussi en scène un homme qui devait entraver cette œuvre et puissamment contribuer à créer, vis-à-vis du parti du Réveil, un parti hostile, — Samuel Vincent.
Chose curieuse, Vincent, au commencement de sa carrière, n’eut à aucun degré l’idée ou le désir de combattre le Réveil. Au contraire, il le salua avec joie.
Plus qu’aucun autre, il souhaitait de voir le protestantisme sortir de sa léthargie, ne plus se contenter de ces formes extérieures qui restent sans signification si un souffle personnel et vivant ne vient pas les animer. On connaît sa célèbre page sur l’état de notre Église après la Révolution.
Aussi, tandis que des prédicateurs, soit français, soit étrangers, faisaient retentir nos temples d’appels à la conversion et relevaient les anciens dogmes, Samuel Vincent s’efforçait, dans un autre domaine, de réveiller l’intérêt pour les questions religieuses.
En 1817a il traduisait de l’anglais la Philosophie morale de Paley, en 1819, les Preuves et les autorités de la révélation chrétienne de Chalmers. L’année suivante, il répondait dans ses Observations sur l’unité religieuse à Lamennais qui venait, dans son premier volume de l’Essai sur l’indifférence, d’attaquer le protestantisme et de le dénoncer comme la source de toutes les erreurs et de toutes les incrédulités. Vincent établissait que le protestantisme, loin d’avoir pour dogme fondamental la souveraineté de la raison humaine, comme le prétendait Lamennais, reposait essentiellement sur la foi à la divinité de l’Écriture Sainte. « Il n’y a de protestant que celui qui regarde le Nouveau Testament comme le code d’une révélation divine. Le protestant est conduit par sa raison à admettre ce dogme… Une fois ce dogme admis, le Nouveau Testament est la Parole de Dieu ; il devient la règle infaillible de la croyance… Le protestant admet donc tout ce qu’une interprétation simple et impartiale lui fait trouver dans le Nouveau Testament… Le protestant se sert de sa raison et de toutes les lumières historiques, philologiques et critiques dont il peut s’entourer pour s’assurer du véritable sens de l’Écriture Sainte ; et quand il est éclairé sous ce rapport, il croit, même sans comprendre. Il se repose sur la véracité de Dieu dont il interprète les déclarations. Ainsi, le protestant (ou, si l’on veut, le plus grand nombre des protestants) croit à la Trinité, sans la comprendre ; à l’Incarnation, sans la comprendre ; à la Rédemption, sans la comprendre. Il lui suffit d’avoir bien compris que l’Écriture sainte enseigne la Trinité, l’Incarnation, la Rédemption. Le protestant sait qu’une révélation peut lui enseigner des choses auxquelles sa raison ne saurait atteindre… Loin de rejeter tout ce qu’il ne peut comprendre dans l’Évangile, le protestant s’attend, au contraire, à ce que l’Évangile lui révèle des choses supérieures à ses moyens actuels de connaître. C’est pour cela qu’il a besoin d’une révélation et qu’il la désireb. »
a – Il était, depuis 1809, pasteur à Nîmes, où il avait été appelé à l’âge de vingt-deux ans : il y resta (comme pasteur-catéchiste, puis comme pasteur titulaire, et enfin comme président du consistoire) jusqu’à sa mort, en 1837.
b – Observations…, p. 140-145.
Lamennais répondit, mais d’une manière évasive, et Samuel Vincent compléta sa réfutation en publiant ses Observations sur la voie d’autorité appliquée à la religion.
Comme on a pu le voir par les quelques citations qui précèdent, la théologie de Vincent n’avait, à cette époque, rien de subversif. Sa théorie de l’autorité, reproduisant d’ailleurs fidèlement celle qui avait cours dans l’Église, ne contredisait en aucun point celle du Réveil. Seulement sa pensée allait subir une évolution qui devait, au bout de quelques années, le mettre en contradiction avec ses premières déclarations et en faire un des pères du rationalisme.
En 1820, il entreprit la publication des Mélanges de religion, de morale et de critique sacréec. Le but principal de ce recueil était de stimuler le goût pour les études théologiques et de faire connaître à la France les théologiens allemands, en commentant ou en traduisant les plus célèbres d’entre eux, surtout Schleiermacher, qui exerça sur les idées de Vincent une influence décisive.
c – Il en parut dix volumes, de 1820 à 1824.
Les Mélanges cessèrent de paraître en 1825, quand Ch. Coquerel prit la direction de la Revue protestante, laquelle soutint, mais avec moins d’éclat et de profondeur, la même cause. En 1829, Samuel Vincent commença à faire paraître Religion et christianisme, dont il confia la rédaction à Fontanès ; mais peu après les événements politiques arrêtèrent cette publication.
Cependant le mouvement anti-dogmatique faisait de sensibles progrès. Samuel Vincent s’était séparé des Archives du christianisme auxquelles il avait collaboré pendant quelque temps. En 1823, Charles Coquerel se retira aussi de la rédaction.
Cinq ans après, en 1828, eut lieu l’affaire de la consécration Grawitz. Grawitz avait demandé l’imposition des mains aux pasteurs de Paris ; mais deux de ceux-ci déclarèrent ne pas pouvoir participer à cette consécration, à cause des doctrines du candidat, lequel, arrêté par cette opposition, dut s’adresser à un autre consistoire.
Les deux partis devenaient de plus en plus distincts ; l’un, sous l’influence du Réveil, s’attachait plus que jamais aux dogmes traditionnels de la Réforme ; l’autre, entraîné par la tendance émancipatrice de Vincent, faisait toujours davantage consister la religion dans le sentiment et répétait la célèbre formule de son chef : « Tout dogme qui n’éveille pas un écho dans l’âme, qui ne lui fait pas rendre un son n’est pas nécessaire au salut. »
C’est ainsi que le rationalisme du dix-neuvième siècle tendait la main au moralisme de la fin du dix-huitième ; le parti de Samuel Vincent se fortifia de tous ceux qui, au temps de la Révolution, puis à celui du Consulat et de l’Empire, prêchaient ce christianisme vague et inefficace dont nous avons parlé ailleurs. Mais il y avait entre ces deux tendances une différence capitale qu’il importe de discerner nettement. Les prédicateurs de la morale, au commencement du siècle, laissaient leurs troupeaux dans l’indifférence et le sommeil spirituel. Samuel Vincent, au contraire, s’efforce de les réveiller. Comme Turrettin à Genève au dix-huitième siècle, il voit dans la réaction contre le dogmatisme le salut pour la vie de l’Église, et il n’hésite pas à combattre avec énergie tout ce qui pourrait favoriser le retour de ce dogmatisme.
Et alors, dans l’opposition faite aux prédications des hommes du Réveil se mêlent et se confondent les deux tendances. Au début, c’est surtout l’ancien parti, plus indifférent que rationaliste, qui proteste contre le mouvement nouveau, qui prend prétexte de la nationalité étrangère des évangélistes ou de telle autre raison analogue pour combattre leur œuvre et surtout pour s’indigner de ce qu’on vient troubler sa tranquillité. Plus tard, c’est au nom d’idées, de principes, que ces querelles locales seront provoquées : la destitution d’Adolphe Monod en est le plus éclatant des exemples. C’est le point exact où les deux tendances s’unissent : l’Église de Lyon en veut au prédicateur qui condamne son indifférence et secoue sa torpeur ; les pasteurs placent la question sur le terrain dogmatique. Désormais, ce sera sur ce terrain que se livreront toutes les batailles.
Comme il est naturel, la presse sera la principale arène de ces luttes.
Le premier en date des journaux religieux était les Archives du Christianisme, fondées en 1817, qui devaient contenir des essais théologiques, des rapports sur les diverses Sociétés, une partie, bibliographique, des notices biographiques et quelques morceaux de poésie sacrée. Elles furent l’organe de l’orthodoxie, combattirent vigoureusement le catholicisme et le rationalisme, et eurent le privilège d’être fort lues et toujours respectées.
En 1832, lors du grand mouvement dont nous avons précédemment esquissé l’histoire, on sentit le besoin d’avoir une feuille d’un genre différent de celui des Archives. On fonda alors le Semeur : « Nous déclarons, disait le programme des rédacteurs, ne prendre et n’accepter aucune autre dénomination que celle de chrétiens, c’est-à-dire de disciples de Jésus-Christ. Nous ne sommes ni de Rome, ni de Genève, mais nous tendons une main fraternelle aux hommes de toutes dénominations, qui ont choisi Christ pour leur espérance et pour leur lumière, reconnaissant en lui Dieu manifesté en chair. C’est autour de l’Évangile ou plutôt autour de la Bible tout entière que nous nous groupons, et non autour d’un homme ou d’une fraction particulière de l’Église chrétienned. » On sait « quelle influence ce journal, qui fut par excellence celui de Vinet, exerça sur tout le protestantisme de langue française et même au dehors de ses frontières ecclésiastiquese. »
d – Le Semeur, t. I, p. 3.
e – Une Église séparée de l’Etat, p. 76.
L’Espérance, qui avait été fondée en 1838 et que Bost rédigea quelque temps à Genève, à cause des frais de cautionnement qui étaient fort grands à Paris, fut transportée peu après dans cette ville, et eut pour rédacteur, jusqu’en 1842, Napoléon Roussel.
Des mains de Napoléon Roussel, elle passa dans celles de M. le pasteur Hosemann, de 1842 à 1845 ; à cette dernière date, son rédacteur en chef fut M. le pasteur Pédézert, alors à Paris. Sous sa direction, l’Espérance, qui paraissait deux fois par semaine et avait été jusque-là un journal moitié politique, moitié religieux, devint une feuille hebdomadaire exclusivement religieuse. Après sa nomination à Montauban, en 1849, M. Pédézert continua à s’occuper de l’Espérance ; et même lorsqu’il en eut cédé la direction à M. Grandpierre, il en resta jusqu’à la fin un des principaux collaborateurs.
Le parti libéral avait aussi ses organes. D’abord les trois journaux fondés par M. Coquerel père, le Protestant, qui parut de 1831 à 1834 ; le Libre examen, de 1834 à 1837 ; le Lien, à partir de 1841 ; de 1837 à 1841 avait été publié à Valence l’Evangéliste, représentant la même tendance.
[Il était imprimé à Valence, mais rédigé à Nîmes par le pasteur Fontanès ; il ne faut pas le confondre avec le journal du même nom, qui fut l’organe du méthodisme. A côté de ces journaux très répandus se trouvaient d’autres publications de moindre importance ou d’un autre caractère : le Disciple de Jésus-Christ (Martin Paschoud), le Commentateur évangélique (Poupot), le Catholique apostolique et non romain (Cambon) ; l’Echo de la Réforme (Grawitz) ; le Réveil (Massé) ; la Sentinelle (Meyuadier et Roman) ; la Bonne nouvelle (Bourchenin, Germain, Maffre et Montet) ; la Revue théologique de Montauban (1840-1842), qui cessa sa publication pour ne pas avoir à se mêler aux discussions théologiques et ecclésiastiques ; les Archives évangéliques (Borrel et Frossard) ; la Voix du Nord (Société protestante du Nord) ; la Feuille protestante des Églises et écoles d’Alsace ; la Voix nouvelle (Philippe Boucher), etc.]
Les idées du chef de l’école, Samuel Vincent, s’étaient profondément modifiées. Sur l’autorité, il avait abandonné son premier point de vue ; la Bible, dans les Vues sur le protestantisme, est distincte de la Révélation, et il faut se garder de les confondre. La révélation est une chose, les livres en sont une autre. L’autorité suprême réside, non plus dans cette révélation dont il faut critiquer, juger, apprécier les documents, mais dans la conscience : « C’est parce qu’il a une conscience sainte et pure… ; c’est parce qu’il porte en lui l’incorruptible idéal de ce qu’il doit être, que l’homme est capable de sentir l’imperfection, l’abaissement et le vice de ce qu’il est (l). » La conscience est la voix de Dieu même, un guide incorruptible et sacré ; elle est inaltérablement puref.
f – Vues sur le protestantisme, édition de 1859, p. 369, 454.
La révélation est-elle alors nécessaire ? Sans doute, car, si le christianisme n’est plus une révélation « de choses supérieures à nos moyens actuels de connaître, » il est une révélation de l’âme à elle-même : « Une révélation historique a cet immense avantage de rendre clair ce qui est obscur et vague, déterminé ce qui était indécis, extérieur ce qui était intérieur, et, pour tout dire en un mot, objectif ce qui était subjectifg. » Il n’y a donc pas, il ne peut pas y avoir conflit entre la conscience et la révélation.
g – Méditations, p. 255.
Au point de vue du péché, même contradiction entre les premières opinions de S. Vincent, celles de 1820, et celles de 1825. Tout d’abord, il avait considéré le péché comme une révolte contre la loi divine : « Le péché, le péché, l’horrible péché ! voilà ce que nous trouvons au fond de nos cœurs… Je ne dis pas des péchés ; je dis le péché, c’est-à-dire un désordre fondamental ; une volonté qui n’est pas celle de Dieu, qui n’est pas celle de l’Évangile, qui n’est pas celle de la conscienceh. » A partir de 1823, il insiste beaucoup plus volontiers sur l’homme idéal que sur l’homme réel. Il se plaît à présenter le Christ comme l’homme parfait : « C’est l’homme parfait qui se réalise et marche devant nous… Surpris, touché, attendri, gagné, je me sens en quelque sorte révélé à moi-même ; je me retrouve dans mon propre cœur, et je m’écrie, plein d’une vie nouvelle : Voilà l’homme ! » Et ailleurs : « Voilà l’homme. Tous ces traits lui appartiennent ; ils sont non seulement le privilège, mais le devoir de l’humanité. Chacun sent qu’ils sont faits pour lui. Chacun, en descendant dans sa conscience avec le flambeau que Jésus lui mit dans la main, y trouve écrits en caractères à jamais ineffaçables que non seulement il peut, mais qu’il doit les réaliser. Chacun sent qu’il n’est complètement et réellement homme qu’à ce prixi. »
h – Mélanges, VII, p. 161-163.
i – Méditations, p. 206, 228.
Quant à la chute, il n’en est plus question. L’homme commence à l’animalité, à la vie de la chair ; il doit se développer et arriver à la vie de l’esprit. Le péché doit donc être dans un pareil système (quoique Vincent n’ait pas tiré cette conclusion) un moindre bien, un degré inférieur du développement humain, la résistance de la chair au développement de la vie spirituelle.
Comme il faut s’y attendre, la Rédemption change aussi de caractère. Dans la première conception de S. Vincent, l’œuvre de Jésus-Christ mérite vraiment ce nom ; elle est la libération du pécheur par le sacrifice de la croix : « Ce que l’homme ne pouvait faire (pour se racheter), Jésus l’a entrepris. C’est pour cela qu’il a vécu et qu’il est mort. Il a souffert, il a versé son sang pour rendre le pardon possible à l’homme pécheur et pour satisfaire à loi morale outragée. Il a effacé les transgressions du genre humain, apaisé Dieu, rouvert le ciel, anéanti le péchéj. » Dans les Méditations, l’œuvre de Christ n’est plus une Rédemption ; c’est une Révélation, un Enseignement. Jésus nous révèle par ses prédications, par sa vie l’homme parfait. Sa mort est purement un éclatant exemple d’obéissance, de soumission absolue à la volonté de Dieu. Elle est une démonstration magnifique du triomphe possible de l’esprit sur la chair.
j – Mélanges, VII, p. 166.
L’évolution dogmatique était donc bien complètek.
k – Voir Maurice Blanc, Samuel Vincent, sa vie, ses ouvrages (thèse de Montauban), 1890.
Les deux tendances théologiques ainsi en présence allaient entrer en lutte à propos de questions ecclésiastiques.
Dès 1831 avait été demandée la révision des lois organiques. En 1834, les Conférences pastorales de Paris avaient nommé une commission pour rédiger un projet d’organisation des Églises réformées, projet qui devait ensuite être soumis aux consistoires. Un travail important fut ainsi publié, mais n’eut aucun résultat. « Ce projet était assez étrange. Il faisait choisir les anciens moitié parmi les notables, moitié parmi les autres membres de l’Église. Il voulait des synodes, mais des synodes non dogmatiques. Dans une même phrase, il prétendait que l’ancienne discipline n’est plus pour nous aujourd’hui qu’un souvenir à demi effacé » et avouait qu’elle est cependant « considérée par la loi comme actuellement en vigueur. » La Conférence se partagea à l’endroit des synodes, et, dans l’impossibilité de s’entendre, résolut de soumettre la question aux pasteurs et aux consistoires. Cette consultation ne produisit qu’une réponse du consistoire de Nérac (19 décembre 1835) »l.
l – Doumergue, L’Unité de l’Église réformée de France, p. 136.
Le projet de la Conférence de 1835 fut retiré par la Conférence de 1836. « En 1839, le ministre des cultes forma une grande commission chargée de présenter un prof et d’ordonnance portant règlement d’administration pour les Églises réformées. Ce projet rédigé et révisé par le Comité de législation du conseil d’État, en faveur de l’Église nationale, visait le méthodisme et mettait de sérieuses entraves à l’évangélisation des catholiques. Soutenu par Ath. Coquerel, il fut vivement attaqué par MM. Lutteroth et de Gasparin ; soumis aux discussions des consistoires, il fut abandonné en présence des contestations qu’il soulevaitm. »
m – Encyclopédie des sciences religieuses, art. France protestante.
La lutte se généralisait, d’ailleurs, et se propageait sur tous les domaines. En 1835, M. Guizot avait fait nommer une commission chargée de soumettre au ministre les plans les plus favorables au développement des études religieuses dans notre Église. Cette commission, sous l’inspiration de Samuel Vincent, proposa le transfèrement de la Faculté de Montauban à Paris. Malgré les vives sympathies d’un grand nombre de protestants, ce projet ne put aboutir. Discuté pendant plusieurs années à la Chambre des députés, il finit par être retiré. Les hommes éminents qui dirigeaient la Faculté, entraînés dans la lutte, furent l’objet de nombreuses attaques. Les deux tendances qui se partageaient l’Église se disputaient, en effet, la direction de l’enseignement théologique et, tandis que la nomination d’Ad. Monod était l’objet de nombreuses protestations, le discours de M. Nicolas, à son entrée dans la Faculté, était de même très vivement attaqué.
D’un autre côté, la discipline des Églises nationales était battue en brèche par de nouvelles pratiques ecclésiastiques. Frédéric Monod n’hésitait pas à consacrer des laïques pour les besoins de l’évangélisationn. Les méthodistes formaient peu à peu de véritables églises. Le lien avec l’État paraissait lourd à plusieurs ; les idées de Vinet sur la séparation faisaient leur chemin ; déjà la chapelle Taitbout, l’Église évangélique de Lyon, celle de Saint-Etienne, d’autres fondées au Havre, à Strasbourg, fournissaient des exemples vivants de ce que pouvait être la séparation de l’Église et de l’État, et le succès de ces nouvelles théories ecclésiastiques était significatifo.
n – Voir Archives du Christianisme, 1844. p. 163, 183, 190, 211.
o – Voir, sur les circonstances dans lesquelles ces Églises indépendantes s’étaient constituées : Union des Églises évangéliques de France. Synode constituant. Paris, 1849, p. 20 et suiv.
Cependant, dans le parti du Réveil lui-même, il y avait une scission. L’Espérance condamnait la dissidence et défendait le maintien du lien concordataire. Les Archives, au contraire, proclamaient la nécessité de la séparation. Scherer y déclarait « que le protestantisme légal était le fléau du règne de Dieu en Francep. »
p – Voir Scherer, De l’état actuel de l’Église réformée en France. Paris, 1844.
L’antagonisme s’affirma nettement aux Conférences de Paris en 1840 ; Frédéric Monod s’écria, en parlant de la Société évangélique : « Nous agirons avec les consistoires partout où nous le pourrons, sans eux s’il le faut, et contre eux s’ils nous y obligent. »
Deux ans après, en 1842, M. de Gasparin et quelques amis, à la suite des atteintes portées à la liberté de conscience, voulurent fonder une Société des intérêts généraux du protestantisme français. Ce fut aux Conférences de Paris que le projet fut développé au milieu des plus vives discussions. En effet, ceux qui en avaient pris l’initiative soutenaient qu’une base dogmatique était indispensable pour former cette Société, et qu’il était impossible que l’orthodoxie et le rationalisme fissent œuvre commune. Malgré l’opposition du parti libéral, la Société fut fondée, et, pendant plusieurs mois, les journaux ne furent remplis que de protestations et d’adhésions. Aussi, la Société, entravée dès sa naissance par toutes ces discussions, ne tardât-elle pas à disparaître.
Les choses en étaient là lorsque éclatèrent les événements de 1848. Les partisans de la séparation de l’Église et de l’État crurent que l’heure, depuis longtemps attendue, venait enfin de sonner. De leur côté, les défenseurs de l’Église nationale pensèrent qu’il fallait profiter des circonstances pour réorganiser cette Église. La commission consistoriale du Gard proposa aux consistoires de nommer trente-neuf mandataires qui devaient se rendre à Paris en mai 1848 « pour s’y réunir en commission et préparer avec soin et avec conscience le travail de révision de la loi organique des cultes protestants. » Cette assemblée fraya les voies au Synode, qui se réunit le 11 septembre 1848q.
q – Voir, sur ses délibérations, Nouvelle Revue de théologie et des questions religieuses. Montauban, 1er mai 1891. J. Pédézert, L’Assemblée de mai 1848.
Les membres de cette nouvelle assemblée avaient été élus par le suffrage à deux degrés, la masse des troupeaux ayant désigné les électeurs chargés de choisir les délégués. Chacun des quatre-vingt-douze consistoires avait été invité à nommer un mandataire ecclésiastique ou laïque. Trois consistoires seulement s’abstinrent. L’assemblée ne compta guère que quatre-vingts membres présents. Au reste, c’était un Synode purement officieux, qui n’avait aucune autorité légale et dont les résolutions devaient être proposées, non imposées à l’acceptation des Églises.
De longs et sérieux débats s’ouvrirent sur la question des confessions de foi. On avait soumis, en effet, à l’assemblée un projet de confession de foi, l’ancienne confession de La Rochelle n’ayant pas une autorité reconnue.
Mais il fallut d’abord traiter la question de fond et s’expliquer sur le principe des confessions de foi. Depuis longtemps, d’ailleurs, les deux partis avaient pris position. Samuel Vincent était un adversaire résolu de toute confession. Il considérait ces déclarations comme propres à engendrer des schismes, l’expression de la foi pouvant devenir de plus en plus précise, de plus en plus minutieuse et resserrer toujours davantage le cercle de ceux qui professeraient une même conviction sur les points de détail. De plus, il pensait que les confessions de foi ne peuvent que créer une uniformité factice au détriment de la véritable vie de l’Église.
Au reste, cette opposition aux confessions de foi remontait aux premières années du mouvement rationaliste. En 1824, lors d’un concours ouvert à Montauban pour la nomination de deux professeurs, on demanda qu’une déclaration de foi fût signée par les candidats. L’un d’eux, Ferdinand Fontanès, refusa, non parce que la déclaration n’exprimait pas le contenu de sa foi, mais par opposition au principe lui-mêmer.
r – Pour le prouver, il signa après le concours, mais sans y prendre part.
De leur côté, les orthodoxes luttaient vigoureusement pour le maintien des confessions de foi. Stapfer fut un de ceux qui le demandèrent le plus énergiquements, et l’influence de Vinet ne pouvait que pousser dans cette voie le parti évangéliquet.
s – Voir Archives du Christianisme, octobre 1824.
t – Voir Vinet, Liberté religieuse et questions ecclésiastiques, p. 205 et suiv., 239 et suiv.
Aussi, les discussions du Synode de 1848 sur les confessions de foi furent-elles longues et animées. Au bout de cinq jours de délibérations, une majorité de soixante-neuf voix contre six, et sept abstentions, adopta la proposition suivante : « L’assemblée, attendu qu’il résulte du dépouillement des cahiers des assemblées consistoriales que la généralité des Églises a exprimé le vœu que ses délibérations ne touchent pas aux questions dogmatiques ; attendu qu’il résulte de la discussion à laquelle elle vient de se livrer que le moment n’est pas venu, en effet, de toucher au statu quo sous ce rapport, réserve ces questions et décide qu’une commission sera immédiatement nommée pour rédiger un projet d’adresse aux Églises, comme préambule à mettre en tête de son projet d’organisation. »
Au fond, cette question des confessions de foi était insoluble, parce que les deux partis se plaçaient sur des terrains différents. L’orthodoxie partait de l’idée d’Église et déclarait qu’une Église est l’association de ceux qui professent la même foi : donc, il est nécessaire d’exprimer cette foi. Les libéraux parlaient de l’idée du protestantisme, qui, à leurs yeux, avait pour principe fondamental la liberté d’examen appliquée à l’enseignement biblique : il était donc impossible de formuler fût-ce un minimum de foiu. Toutes les autres raisons, données par l’un ou l’autre parti, n’étaient que des amplifications ou des conséquences de celles-là. En réalité, dans toutes les discussions sur la matière, tout se ramène à ce conflit, qui pourtant n’en est pas un, puisque les deux adversaires n’ont pas le même point de départ et ne raisonnent pas sur la même idée. Aussi, tous les débats de 1848, tous ceux de 1872 n’ont rien changé au fond de la question. Ni les orthodoxes, ni les libéraux ne se sont avoués vaincus. Chacun, en toute bonne foi, a gardé ses opinions, dont la vérité ne lui a pas paru le moins du monde entamée. Après le vote sur les confessions de foi, l’assemblée de 1848 formula un projet de loi organique dont voici les points principaux :
u – Voir Coquerel, L’Orthodoxie moderne, 2e édition. Paris, 1855, p. 36, 198, 213, passim.
Reconstitution de l’église locale ou de la commune ecclésiastique ayant son conseil presbytéral. La loi de germinal n’avait pas posé cette base et avait groupé les protestants en consistoires, composés d’une moyenne de six mille âmes.
Nomination des membres laïques des conseils presbytéraux et des consistoires non plus par les plus imposés, mais par tous les protestants âgés de vingt-cinq ans révolus, résidant depuis un an dans la paroisse, justifiant de leur première communion et reconnaissant la Bible pour la Parole de Dieu et l’unique règle de leur foi.
Rétablissement des synodes particuliers et du Synode général. Voici ce que l’on proposait pour ce dernier corps : chaque consistoire y enverra un député ecclésiastique ou laïque à tour de rôle. Chaque Faculté de théologie y sera représentée par l’un de ses membres. Le Synode général se réunira tous les trois ans. Il arrêtera ou approuvera les règlements généraux relatifs au culte, à la discipline, à l’organisation et à l’administration de l’Église. Il statuera définitivement sur les décisions rendues par les synodes particuliers touchant les changements demandés aux circonscriptions des Églises. Il prononcera, quand il y aura lieu, la révocation des pasteurs, les consistoires et les synodes particuliers n’ayant que le droit de les suspendre, et il en informera immédiatement le gouvernement. Avant la fin de chaque session, il nommera une commission de cinq membres pour suivre l’exécution de ses décisions. Mais, son mandat rempli, la commission se dissoudra bientôt.
Cinquante-cinq membres, sur soixante-trois, votèrent ce projet de loi organique. En se séparant, le Synode officieux renouvela l’engagement pris, en 1660, au dernier Synode national de Loudun, en désignant la ville de Nîmes pour la réunion du Synode général de 1851. Ce vote resta à l’état de vœu comme les autres, le gouvernement n’ayant jamais accordé une valeur officielle aux décisions de ce Synodev.
v – Voir Historique de l’assemblée générale des Églises réformées de France, tenue à Paris au mois de septembre 1848. Publié par le Disciple de Jésus-Christ. Paris, 1850.
Cependant, quatre ans plus tard, le décret-loi du 26 mars 1852 introduisait dans la constitution de notre Église deux des mesures votées en 1848, la reconstitution de la paroisse et le suffrage universel succédant à celui des plus imposés. Malheureusement, en n’exigeant pour l’électorat paroissial que des conditions religieuses insuffisantes, il livrait l’Église aux masses ignorantes, et à la place du Synode général, il mettait une création nouvelle, le Conseil central, n’émanant à aucun degré de l’Église et ne pouvant, par conséquent, prétendre en aucune manière la représenter.
Ce ne fut qu’en 1872, que le gouvernement de la troisième République accorda la réunion du Synode général. Mais, à ce moment, sa convocation n’était plus demandée que par une fraction du protestantisme. Les choses avaient, en effet, bien changé depuis 1848. Le libéralisme s’était éloigné de plus en plus des doctrines traditionnelles de l’Église. A partir de 1849, le surnaturel chrétien, l’authenticité des documents bibliques, que l’ancien parti des Coquerel, Réville, Fontanès père, avait toujours maintenus, avaient été combattus par Scherer, Colani, et la Revue de Strasbourg, d’abord, il est vrai, attachée aux principes évangéliques, mais bientôt devenue l’organe du libéralisme le plus avancé.
Mais, d’autre part, le parti orthodoxe recrutait des adhérents de plus en plus nombreux ; l’influence du Réveil s’étendait, tandis que le rationalisme perdait du terrain, en accentuant et multipliant ses négations. Il était facile de prévoir, avant même la convocation d’un Synode, de quel côté serait la majorité. Aussi les libéraux ne désiraient-ils pas sa réunion et protestèrent-ils contre la convocation de l’assemblée de 1872. En effet, le Synode de 1872, à l’encontre de celui de 1848, proclama la nécessité des confessions de foi, et vota, à une majorité de soixante et une voix contre quarante-cinq, la déclaration de foi du 20 juin 1872.
« Le 28 février 1874, un décret délibéré au conseil d’État autorisait la publication de la déclaration de foi, et ce document devenait partie intégrante de la constitution de l’Église réformée » (Doumergue, L’Unité de l’Église réformée, p. 199).
C’était une satisfaction tardive donnée aux partisans des confessions de foi ; aussi bien quelques-uns d’entre eux ne l’avaient-ils pas attendue. Après le vote du Synode de 1848, qui refusait de se prononcer sur les questions dogmatiques, Frédéric Monod et le comte de Gasparin envoyèrent à l’assemblée leur démission et sortirent de l’Église officielle. Réunis aux hommes qui, sur divers points de la France, partageaient leurs convictions et leurs idées ecclésiastiques, ils fondèrent avec eux l’Union des Églises évangéliques de France, fédération d’Églises groupées autour d’une confession de foi commune et discutant leurs intérêts dans des synodes périodiques.
Le premier Synode, le Synode constituant, se réunit à Paris, en août 1849. Treize églises constituées, dix-huit près de se constituer ou encore en formation, avaient nommé des députés ; sept, sans se faire représenter, avaient écrit pour témoigner leur adhésion et leur sympathie.
Le Synode discuta et vota une constitution, en tête de laquelle était la déclaration de foi suivante :
« Ces Églises se rattachent par leur foi aux Églises des temps apostoliques et à celles de tous les temps qui ont maintenu la vérité chrétienne ; elles se rattachent ainsi aux Églises réformées de France, qui ont tant souffert pour cette vérité.
Elles font d’un cœur et d’une bouche, la profession suivante :
Nous croyons que toute l’Écriture de l’Ancien et du Nouveau Testament est inspirée de Dieu et constitue ainsi l’unique et infaillible règle de la foi et de la vie.
Nous adorons un seul Dieu, Père, Fils et Saint-Esprit, Créateur des cieux et de la terre.
Le Père, dans son infinie et éternelle miséricorde, lorsque nous étions entièrement perdus, par suite de la désobéissance d’Adam, et justement condamnés à cause de nos péchés, a tellement aimé le monde, qu’il a donné son Fils unique.
Le Fils, « la Parole qui était au commencement avec Dieu, » et qui était véritablement Dieu au-dessus de toutes choses béni éternellement » est devenu véritablement homme, « Dieu manifesté en chair. » Jésus-Christ est le seul Médiateur entre Dieu et les hommes. Il nous a parfaitement rachetés de la condamnation éternelle par sa mort sur la croix, s’étant offert lui-même à Dieu pour nous comme une oblation et une victime d’agréable odeur. Livré pour nos offenses, il est ressuscité pour notre justification. Il est monté au ciel et il s’est assis à la droite de Dieu, où il intercède pour nous.
Le Saint-Esprit, que le Fils a envoyé de la part du Père, régénère les rachetés, « élus selon la prescience de Dieu ; » Il habite en eux, il les fait marcher dans l’intelligence de sa Parole et dans la sanctification sans laquelle nul ne verra le Seigneur. Il est accordé à tous ceux qui le demandent. C’est par lui que Jésus-Christ dirige et gouverne l’Église qui est son épouse et son corps.
Jésus-Christ appelle tout homme à la repentance, sauvant pleinement, gratuitement et sans aucun mérite qui leur soit propre, tous ceux qui croient en, son nom et qui s’approchent de Dieu par Lui.
Nous attendons des cieux le Seigneur Jésus qui doit revenir et nous introduire dans la gloire. Il ressuscitera les morts, jugera le monde avec justice et rendra à chacun selon ses œuvres.
Telle est la foi commune à nos églises. Nous voulons faire tous nos efforts pour la propager. En même temps, nous tendons une main fraternelle à tous ceux qui, en quelque lieu et sous quelque dénomination que ce soit, aiment le Seigneur Jésus et l’invoquent en sincérité, et nous les considérons comme membres de l’Église universelle. Au Père qui nous a aimés, au Fils qui nous a lavés de nos péchés dans son sang, et au Saint-Esprit notre Consolateur, soit louange et gloire à jamais ! Amenw. »
w – Article 2 de la Constitution. Voir Union des Églises évangéliques de France. Synode constituant. Paris, 1850, p. 58.
Quant aux caractères des Églises nouvelles, ils résident dans la distinction nette et tranchée qui les sépare du monde, distinction obtenue par la profession individuelle de la foi et par l’indépendance complète vis-à-vis de toute autre autorité religieuse que celle de Jésus-Christ. Le but de l’union des Églises, c’est la gloire de Dieu, l’édification du corps de Christ et l’extension du règne de Dieu.
« Chaque Église qui entre dans l’Union conserve la liberté de déterminer elle-même sa constitution particulière, selon ses lumières et ses besoins. Elle règle, en conséquence, son culte, sa discipline et la forme de son gouvernement intérieur.
Toute Église, pour faire partie de l’Union, devra en exprimer le désir, — adhérer à la profession de foi, — être constituée sur le principe de la profession individuelle de la foi, avec la garantie d’une discipline exercée dans son sein, — s’interdire toute admission à la Cène, liée à une instruction de catéchumènes ou à un âge convenu, — pourvoir à ses dépenses par des contributions volontaires et ne recevoir aucune subvention de l’État, — être dans une situation complètement indépendante, — n’avoir, soit dans sa constitution écrite, soit dans ses usages, soit dans sa marche, rien de contraire à la Constitution, — être admise par le Synode, qui constatera l’accomplissement réel de ces conditions, etc. »
C’était donc toute une constitution nouvelle reposant sur le principe de la séparation de l’Église et de l’État. Cette cause fût, dès lors, vigoureusement défendue parles Archives du Christianisme, puis par la Revue chrétienne.
D’autre part, Adolphe Monod, qui restait attaché à l’Église nationale, croyait devoir exposer les motifs de sa décision dans une brochure intitulée : Pourquoi je demeure dans l’Église établiex. Sans vouloir juger, encore moins condamner, ceux qui se séparaient et fondaient une Église nouvelle, il déclarait que la séparation ne lui paraissait pas opportune et que « la tâche de l’Église, à son avis, n’était pas la fondation d’un ordre nouveau pour lequel nous ne sommes pas mûrs, mais le développement de la vérité et de la vie qui amènera l’ordre nouveau dans le temps de Dieu. »
x – Paris, 1849.
[M. de Gasparin répondit à Ad. Monod dans trois articles des Archives du Christianisme, parus les 28 juillet, 11 et 25 août 1849, et réunis en brochure sous ce titre : Réponse à la brochure de M. le pasteur Adolphe Monod. Paris, 1849. Tout en rendant hommage à l’élévation des sentiments de celui dont il examinait les idées, il ne se laissait pas convaincre, et croyait plus que jamais que la voie ecclésiastique est celle de la fidélité chrétienne.]
L’époque du Réveil se terminait donc en France, comme elle s’était terminée à Genève, par une réorganisation de l’Église nationale et par la fondation d’une Église libre.
Quoiqu’il existât, avant 1849, des Églises libres, c’est de cette époque que date l’application du principe de la séparation de l’Église et de l’État et de l’individualisme ecclésiastique. Les Églises libres fondées auparavant avaient dû leur naissance plutôt à des circonstances particulières et locales qu’à la mise en pratique d’un principe théorique. Il faut faire cependant une exception pour la chapelle Taitbout.
Elle se terminait avec un profond sentiment de reconnaissance pour les bénédictions obtenues : « Essayez de compter, disait Adolphe Monod, ce que notre Église possédait de pasteurs orthodoxes quand le Réveil a commencé, en 1819 ; puis, refaites le même calcul pour 1849. Je n’ai garde d’indiquer des chiffres ; mais est-ce trop de dire que, dans le cours d’une génération, le nombre des pasteurs orthodoxes s’est multiplié par dix, par quinze, par vingt peut-être ? Voilà pour le clergé, dont chacun sent ici l’immense influence. Dans les troupeaux, les choses sont moins faciles à suivre, mais le même mouvement s’y découvre à l’observateur attentif. Voyez nos Sociétés religieuses. Les plus populaires d’entre elles ne sont-ce pas celles qui ont arboré le plus franchement les couleurs orthodoxes ? S’il en est qui languissent, ne sont-ce pas celles qui n’offrent pas des garanties suffisantes à cet égard ? Enfin, s’il en est qui, après avoir longtemps végété, prennent aujourd’hui une vigueur nouvelle, ne sont-ce pas celles qui s’engagent à leur tour dans la bonne voie par la direction de leurs œuvres et par le choix de leurs ouvriers ? … Que mes lecteurs me permettent une question plus intime. Jetez les yeux sur les neuf ou dix familles qui vous sont les mieux connues, à commencer par la vôtre, et comparez ce qu’elles sont aujourd’hui à ce qu’elles étaient en 1819 : comparez les occupations, les goûts, les sacrifices, les entretiens, l’éducation, les lectures, les amitiés et le reste, et puis dites, ingrats que vous êtes, si Dieu vous a laissé manquer d’encouragementy ? »
y – Pourquoi je demeure dans l’Église établie, p. 31 et suiv.
Mais ces actions de grâces pour le passé n’empêchaient pas l’expression d’un sentiment de tristesse en face des lacunes et des imperfections du présent : « Je vois le réveil contemporain de plus en plus occupé, agité des questions ecclésiastiques. C’est le point entre tous où s’attachent l’intérêt le plus ardent et les débats les plus animés, tant dans le sein d’une communion chrétienne que dans les rapports d’une communion à l’autre : la polémique de l’Église et la controverse de l’Église menacent d’absorber celles de la foi…
Ce travail, aussi inévitable qu’il est important, cache un piège subtil : il tend à détourner notre attention de Jésus-Christ sur son peuple, de l’invisible sur le visible, de l’essentiel sur l’accessoire, de l’esprit sur la forme. Ce danger est peut-être le plus redoutable auquel le réveil général ait été exposé depuis bien des annéesz. »
z – Ibid., p. 64, 65.
Ces plaintes, qu’André Blanc avait déjà fait entendre en 1846, Bost devait les répéter en 1854, et, songeant aux beaux jours de 1830, M. Kuhn a écrit dans sa préface à la Vie de Louis Meyer : « Les hommes du Réveil ont disparu les uns après les autres, emportant dans leur tombe le secret de leur joie. Ceux qui survivent regrettent ces belles années de foi et d’espérance, et, les comparant douloureusement aux défaillances et aux révoltes présentes, ils se demandent s’ils auront des successeurs dans l’œuvre à laquelle ils ont voué leur viea. »
a – Louis Meyer, sa vie, son œuvre. Paris, 1886, p. vi.