Résultats directs de l’œuvre de Wesley.
Sa théologie : Celle de la Réformation. — Prédestination. — Repentance. — Foi. — Justification. — Sanctification. — Perfection chrétienne. — Témoignage de l’Esprit. — Persévérance finale. — Caractère de cette théologie.
Son organisation : Société, classe, billet. — Réunions diverses. — Fonctionnaires des sociétés. — Prédicateurs. — Circuits. — Itinérance. — Conférence.
Sa force numérique : à la mort de Wesley ; aujourd’hui. — Grande-Bretagne. — Missions méthodistes. — Branches secondaires. — Le méthodisme américain. — Branches diverses. — Les Églises de noirs. — Statistique générale. — Conférence œcuménique de 1881.
Résultats indirects. — Régénération de l’Angleterre : classes populaires et classes élevées. — Témoignages de Priestley, Macaulay, Lecky et Green en Angleterre, et de MM. Scherer, de Witt, Saint-Marc Girardin et de Rémusat en France. — L’Église anglicane et les dissidents. — L’Angleterre moderne. — Conclusion.
L’œuvre de Wesley a eu des résultats de deux sortes, les uns directs, les autres indirects. D’une part, elle a donné naissance à la puissante organisation qui porte le nom de méthodisme, et, d’autre part, elle a abouti à un grand mouvement religieux qui a renouvelé le protestantisme évangélique, surtout en pays anglo-saxon. Il nous reste à indiquer à grands traits cette double action.
Le méthodisme fut l’œuvre spéciale de la vie de Wesley. Il convient de l’envisager dans sa théologie et dans son organisation, avant de résumer sommairement ses progrès et sa rapide expansion.
Le méthodisme ne fut pas un mouvement théologique, au sens strict : ce fut un réveil de la vie religieuse, par un retour énergique à l’enseignement apostolique. La théologie de Wesley, devenue celle des Églises qui se réclament de lui, fut conforme, dans ses grands traits, à celle de la Réformation anglaise, telle qu’elle est fixée dans les Homélies et les Trente-neuf Articles. Les Articles de foi qu’il prépara lui-même pour l’Église méthodiste américaine sont un abrégé des Trente-neuf Articles, qu’il réduisit à vingt-cinq, en omettant ceux qui ont rapport à la descente aux enfers, aux livres apocryphes, aux symboles des Apôtres, de Nicée et d’Athanase, à la régénération baptismale, à la prédestination, à l’autorité de l’Église et des conciles, au ministère, à l’efficacité des sacrements indépendamment du caractère moral de celui qui les administre, à la consécration des évêques et des ministres, au pouvoir civil, etc. Aux sociétés anglaises, Wesley ne donna pas de confession de foi, et aujourd’hui encore elles n’en possèdent pas. Leur enseignement doctrinal a pour type les sermons de Wesley.
Pleinement d’accord avec l’universalité des Églises évangéliques sur les dogmes fondamentaux de la Trinité, de la participation du Fils et du Saint-Esprit à l’essence divine, de l’incarnation du Fils de Dieu et du caractère expiatoire de son œuvre, Wesley l’était également sur le dogme de la chute et du péché originel, et c’est à tort qu’on lui a lancé l’accusation de semi-pélagianisme. Il suffit de lire sa réfutation de l’ouvrage du Dr Taylor pour s’en convaincre. Il enseigne que l’humanité, comme race, est déchue en Adam, et que les hommes sont pécheurs, non par l’imputation du péché d’Adam, mais par une corruption transmise naturellement de père en fils.
Wesley se sépare de l’orthodoxie calviniste sur la doctrine de l’étendue de l’œuvre de la rédemption. Il affirme avec l’Écriture que Jésus-Christ est mort pour tous les hommes, que « tous peuvent recouvrer par le second Adam tout ce qu’ils ont perdu par le premier, et qu’il n’est pas un enfant des hommes qui soit finalement perdu, si ce n’est par son propre choixa. » En prenant parti contre le calvinisme sur cette question de la prédestination, sans affaiblir toutefois la doctrine de la grâce, Wesley rendit un immense service au Réveil et fraya la voie à la nouvelle théologie évangélique qui s’est ralliée presque universellement à son point de vue.
a – Stevens, t. II, p. 410.
Les doctrines qui se rapportent à l’appropriation du salut sont celles que la théologie de Wesley a mises au premier plan. « Nos grandes doctrines, dit-il, celles qui renferment toutes les autres, sont la repentance, la foi et la sainteté. Nous considérons la première comme le portique de la religion, la deuxième comme la porte, la troisième comme la religion elle-mêmeb. » L’enseignement méthodiste s’est surtout attaché en effet à ces doctrines vitales. S’il n’a pas eu la prétention d’innover absolument sur ces points, il a su leur donner des formules plus précises et plus pratiques, qui, en les mettant à la portée de toutes les intelligences, leur ont frayé le chemin des consciences.
b – Principles of a Methodist further explained. Œuvres, t. VIII, p. 414.
La repentance conserve pour Wesley sa haute importance et son caractère sérieux. Il n’y voit pas une vaine formalité, mais « un profond chagrin » d’avoir offensé Dieu, se manifestant par des « fruits de repentance ». Pour Wesley, la repentance évangélique précède nécessairement la foi qui justifie.
La foi est pour lui, comme pour saint Paul, l’unique moyen de s’approprier le salut. « Elle n’est pas seulement, dit-il, un assentiment donné à tout l’Évangile de Christ ; c’est aussi une complète assurance sur le sang de Christ, une confiance dans les mérites de sa vie, de sa mort et de sa résurrection ; un recours à Lui comme à notre sacrifice expiatoire et à notre vie, comme à celui qui s’est donné pour nous et qui vit en nousc. »
c – Sermon sur le Salut par la Foi, prêché devant l’université d’Oxford en 1138. Œuvres, t. V, p. 9.
Le salut tout entier, justification, régénération, sanctification, s’obtient par la foi. La justification n’est autre chose que le pardon des péchés ; elle change complètement les relations du pécheur avec Dieu. Elle est toujours accompagnée de la régénération. « L’une de ces œuvres est celle que Dieu fait pour nous en pardonnant nos péchés, et l’autre est celle qu’il fait en nous en renouvelant notre nature déchue. Au point de vue du temps, aucune des deux n’est avant l’autre. Dans le moment même où nous sommes justifiés par la grâce de Dieu, par le moyen de la rédemption qui est en Jésus, nous sommes aussi « nés de l’Esprit ». Toutefois, dans l’ordre de la pensée, la justification précède la nouvelle naissance. Nous concevons d’abord que la colère de Dieu soit détournée de nous, et ensuite que son Esprit agisse dans nos cœursd. » Wesley définit la régénération « ce grand changement que Dieu opère dans l’âme, quand il la fait passer de la mort du péché à la vie de la justice » Par la régénération, œuvre du Saint-Esprit en l’homme, la nature morale du croyant est changée, il entre dans la famille de Dieu et reçoit « l’esprit d’adoption ».
d – Sermon sur la Nouvelle Naissance, Œuvres, t. VI, p. 65.
La sanctification enfin est, pour Wesley comme pour tous les chrétiens, l’œuvre de la purification de l’âme, et elle a pour point de départ la régénération. « La sanctification commence, dit-il, dès que nous commençons à croire ; et, dans la mesure où la foi se développe, la sainteté se développe aussi. » De bonne heure, Wesley se convainquit, par l’étude de l’Écriture, que cette œuvre de purification intérieure et de victoire sur le péché doit s’accomplir pleinement dès cette vie, et ce fut cette doctrine qu’il prêcha sous les noms bibliques de sanctification entière et de perfection chrétienne. Voici en quels termes il définit cette grâce capitale : « C’est aimer Dieu de tout son cœur, de toute son âme, de toute sa pensée et de toute sa force, ce qui implique qu’aucune disposition mauvaise et contraire à l’amour ne demeure dans l’âme, et que toutes les pensées, toutes les paroles et toutes les actions sont gouvernées par l’amour pur. » La perfection chrétienne réalisable dès cette vie est donc la perfection de l’amour ; les chrétiens parvenus « par la foi » à cet heureux état « ne sont exempts ni d ignorance ni d’erreur. Nous n’avons pas plus le droit d’attendre qu’un homme soit infaillible qu’omniscient. Nul ne sera affranchi des infirmités et des tentations que lorsque l’esprit sera retourné à Dieue. »
e – Voy. les Sermons de Wesley, passim, son Plain account of Christian Perfection et le Last Check de La Fléchère.
Une autre doctrine qui a une large place dans la théologie de Wesley, c’est celle du témoignage du Saint-Esprit. Il le définit « une impression intérieure faite sur l’âme, par laquelle l’Esprit de Dieu témoigne immédiatement et directement à mon esprit que je suis enfant de Dieu, que Jésus-Christ m’a aimé et s’est donné pour moi, que tous mes péchés sont effacés, et que moi, personnellement, je suis réconcilié avec Dieuf. » Tandis que la plupart des Églises chrétiennes admettent que les croyants en général peuvent parvenir à une assurance plus ou moins satisfaisante de leur salut, en s’appliquant les déclarations de l’Écriture et en portant « les fruits de l’Esprit, » Wesley enseigne que tout fidèle peut aspirer à recevoir un témoignage direct et une assurance positive de son salut.
f – Sermon sur le Témoignage de l’Esprit. Œuvres, t. V, p. 115.
Ce témoignage de l’Esprit n’était pas pour Wesley la certitude inconditionnelle du salut final. Il rejetait la doctrine calviniste de la persévérance finale, comme il rejetait la prédestination absolue, et cela par une conséquence logique rigoureuse ; plaçant la liberté et la responsabilité de l’homme au point de départ de la vie chrétienne, il ne pouvait songer à le dépouiller ensuite de ces périlleuses prérogatives. La possibilité de l’apostasie, si clairement enseignée dans l’Écriture, demeurait ainsi un avertissement pour tous.
Wesley, toujours préoccupé du danger des tendances antinomiennes, renonça de bonne heure à employer le terme de « justice imputée », trouvant que « l’emploi fréquent de ce terme non nécessaire avait fait un mal immense ».
Telle est, dans ses grands traits, la théologie que Wesley plaça à la base de son œuvre. Claire, simple et pratique, elle avait tout ce qu’il fallait pour devenir populaire. Formulée dans le style limpide et aphoristique de Wesley, propagée par ses admirables sermons, elle devint le thème des études et des prédications de ses auxiliaires laïques et fut pour ses sociétés une nourriture fortifiante. La meilleure preuve de son efficacité, ce fut le grand mouvement religieux que nous avons raconté dans ce livre et qui, on peut l’affirmer, fut le résultat de la prédication fidèle des doctrines évangéliques remises en honneur par Wesley.
En donnant au méthodisme une théologie qui n’était autre chose que l’affirmation des grandes doctrines du christianisme expérimental, Wesley le plaçait sur un fondement large et solide. Nous avons à nous occuper maintenant de ce que l’on pourrait appeler la charpente de l’édifice ; nous voulons parler de l’organisation du méthodisme, telle qu’elle était sortie d’une lente élaboration de plus d’un demi-siècle.
A la base de cette organisation se place la société proprement dite, comprenant l’ensemble des fidèles qui, dans chaque localité, se rattachent aux principes du méthodisme. Pour faire partie de la société, il suffit d’avoir « le désir de fuir la colère à venir », sans qu’aucune adhésion à un formulaire dogmatique soit requise ; et, pour en demeurer membre, il faut prouver la sincérité de ce désir par une conduite chrétienne, et pratiquer la communion fraternelle par la fréquentation de la classe.
La classe, qui est bien le pivot central de toute l’organisation méthodiste, est un moyen excellent d’exercer la cure d’âme, en même temps qu’elle est la réalisation au sein de l’Église de la vie fraternelle et commune, si bien comprise dans l’Église apostolique et si négligée de nos jours. Composée en général d’une douzaine de personnes, elle a un président ou conducteur laïque, choisi à cause de la maturité de son expérience chrétienne et de son jugement. Sa tâche est de veiller sur l’état spirituel des personnes qui lui sont confiées, non seulement dans les réunions hebdomadaires de la classe, mais encore par des visites à domicile. La classe est le noyau de l’Église, et, grâce à son organisation si simple, elle a pu très souvent la suppléer. En divisant le travail pastoral, elle l’a rendu efficace, en même temps qu’elle rendait possible l’exercice d’une discipline sérieuse.
En réunissant chaque semaine les membres de la société, la classe a eu aussi l’avantage de fournir un moyen facile pour la perception des deniers de l’Église, et le conducteur qui a à rendre compte au prédicateur de l’état religieux des membres de sa classe a à rendre compte de leurs souscriptions à l’économe local. Ainsi s’est formé un système financier d’une grande simplicité et en général d’une grande efficacité.
Wesley emprunta aux anciennes Églises un usage qu’il greffa sur les classes. Il remettait périodiquement à chacun de leurs membres une petite carte imprimée portant un texte de l’Écriture ou une gravure symbolique, avec le nom écrit à la main de la personne qui la recevait, et la signature du prédicateur qui la remettait. Ce billet trimestriel servait d’attestation et devait être présenté pour obtenir l’admission à certaines assemblées d’Église.
Outre les classes proprement dites auxquelles se rattachaient tous les membres, les sociétés avaient quelques autres réunions : les band-meetings, assemblées d’un caractère plus intime encore que les classes, et qui, par cela même, n’eurent pas leur caractère obligatoire et tombèrent assez généralement en désuétude ; — les agapes, réunions où toutes les classes d’une société rassemblées rompaient le pain ensemble, selon l’usage de l’Église primitive, et s’entretenaient d’expériences chrétiennes en toute liberté ; — les longues-veilles (watchnights), réunions fraternelles d’édification qui se prolongeaient jusqu’à minuit, et qui, se tenant à l’origine chaque mois au moment de la pleine lune, n’ont plus lieu que le dernier jour de l’année, pour consacrer à la prière l’heure qui marque le passage d’une année à une autre ; — le renouvellement de l’alliance, service spécial du premier jour ou du premier dimanche de l’an, où la société se consacrait à Dieu par un acte solennel.
L’administration de la Cène au sein des sociétés était encore rare au moment de la mort de Wesley, par suite du petit nombre de pasteurs consacrés qu’elles possédaient ; mais cette anomalie ne devait pas durer, et les sociétés allaient marcher dans la voie d’émancipation légitime que leur fondateur leur avait ouverte.
Il y avait là, on le voit, un ensemble remarquable de moyens d’édification qui tous tendaient à développer énergiquement la vie spirituelle des membres et à asseoir sur des bases inébranlables l’unité des sociétés. Des réunions trimestrielles ou mensuelles, qui se régularisèrent peu à peu, rapprochaient les divers agents qui y débattaient les intérêts spirituels et matériels des sociétés.
A part les conducteurs de classes dont nous avons parlé, les sociétés avaient en effet divers fonctionnaires qu’il nous reste à mentionner. Les curateurs (trustees) étaient préposés à l’administration des immeubles. Les économes (stewards) centralisaient les diverses recettes et les appropriaient aux besoins des sociétés ; leur emploi répondait un peu à celui des diacres dans d’autres Églises. Les prédicateurs locaux étaient de pieux laïques qui, ayant le don de la parole, consentaient à donner à l’évangélisation leurs dimanches et souvent leurs soirées, sans être rétribués pour leurs services. Ces utiles agents, dont le nombre se multiplia beaucoup, sont devenus des auxiliaires précieux, et c’est à leur concours surtout que le méthodisme doit cette faculté que les autres Églises lui envient de pouvoir, avec de modiques ressources, embrasser de vastes champs d’évangélisation.
Nous avons raconté dans ce volume les débuts modestes du ministère itinérant, cette institution qui plus qu’aucune autre a fait le succès du méthodisme. Elle occupe une place capitale dans son organisation et suffirait à elle seule à prouver le caractère à la fois original et providentiel de ce mouvement. Cette intrépide milice, qui comptait ses membres par centaines à la mort de Wesley, était continuellement en mouvement. Wesley avait fait de l’itinérance sa loi. Par ce système, il réussissait non seulement à tenir en éveil le zèle de ses missionnaires, mais à multiplier leur action et à atteindre de grands résultats avec peu d’ouvriers. Il avait divisé la Grande-Bretagne en circonscriptions appelées circuits, parce que les prédicateurs qui en avaient la charge devaient en parcourir successivement les principales localités et en faire ainsi le tour ; leur séjour dans un même circuit ne devait d’ailleurs, sous aucun prétexte, durer plus de trois ans, et à chaque conférence ils pouvaient même être appelés à une mutation de poste. Un ministère ainsi discipliné et possédant l’excellent esprit que Wesley avait su inculquer à ses agents devait être une force immense, et ses succès ne doivent pas nous étonner.
Pendant sa vie, Wesley avait été le lien visible de ce vaste organisme. A sa mort, la conférence annuelle, qui avait été jusque-là un corps essentiellement consultatif, hérita de ses droits et devint la cour suprême où se débattirent les intérêts des sociétés. D’autres modifications de détails se produisirent avec le temps dans cette organisation ; nous n’avons pas à les raconter ici ; elles n’ébranlèrent en rien d’ailleurs l’œuvre de Wesley et servirent plutôt à la consolider.
Telle qu’elle est, cette organisation a prouvé sa puissance par une durée de plus d’un siècle, pendant laquelle le méthodisme a suivi la loi d’un progrès toujours grandissant. Si certaines parties du système n’échappent pas à la critique, parce qu’elles se ressentent de la position ecclésiastique de Wesley, les esprits impartiaux sont forcés d’admettre que, dans son ensemble, il est admirablement adapté aux besoins pour lesquels il a été créé.
« Le propre du méthodisme, a dit M. Cucheval-Clarigny, et c’est là ce qui a fait sa fécondité, est de ne jamais laisser le chrétien abandonné à lui-même et privé de tout secours spirituel. A défaut de ministre du culte, le fidèle le plus isolé est assuré de trouver conseil, encouragement ou consolation chez l’exhortateur ou chez le chef de classe. En même temps que la hiérarchie savamment graduée du méthodisme lui permet d’atteindre jusqu’aux limites extrêmes de la civilisation, elle embrasse jusqu’aux derniers rangs de la sociétég. »
g – Revue des Deux-Mondes du 15 août 1859.
La force numérique du méthodisme, à la mort de Wesley, se résumait dans les chiffres suivants : 540 prédicateurs itinérants, dont 313 en Angleterre et 227 en Amérique ; 134 599 membres, dont 76 968 en Angleterre et 57 631 en Amérique. Wesley s’en allait par le chemin de toute la terre, accompagné des bénédictions de plus de cent trente mille âmes conquises sur le péché, et d’autres milliers d’âmes dont il avait été le père spirituel l’avaient devancé dans le sein de Dieu.
Le méthodisme ne devait pas mourir avec Wesley. La disparition de son fondateur le laissait en possession de moyens d’action éprouvés et d’une tradition déjà longue de foi et de dévouement. Il resta fidèle à cette tradition et à ces moyens d’action. Les crises qu’il traversa furent des crises de croissance, qui, même lorsqu’elles produisirent des schismes dans son sein, ne nuisirent pas sensiblement à son développement.
Dans la Grande-Bretagne, le corps religieux fondé par Wesley a continué à exister jusqu’à nos jours et forme l’Église méthodiste wesleyenne. Elle a tenu sans interruption ses conférences annuelles et a eu à Leeds sa cent trente-neuvième en juillet 1882. Ces assemblées, depuis quelques années, ne sont plus uniquement composées de pasteurs, et l’élément laïque y est fortement représenté. L’Église comptait en 1882 un total de 434 407 membres, plus 25 251 en Irlande et 102 303 dans les missions. Ses pasteurs étaient au nombre de 1909 en Grande-Bretagne, 261 en Irlande et 562 dans les missions. A cette Église se rattachent l’Église évangélique méthodiste de France et de Suisse, avec 2000 membres, les Églises wesleyennes du Canada, avec 123 000 membres, et de l’Australie, avec 69 000 membres, placées sous la direction de conférences distinctes et autonomes, mais affiliées à la conférence britannique.
Les missions de l’Église wesleyenne de la Grande-Bretagne, qui sont placées sous sa direction immédiate, en Europe, aux Indes, en Chine, en Afrique et aux Antilles, ont un budget annuel qui atteint actuellement quatre millions de francs. Les œuvres polynésiennes, qui sont le plus beau fleuron des missions wesleyennes, relèvent actuellement de la conférence d’Australie.
Nous avons raconté comment naquirent les premières missions du méthodisme pendant la vie de Wesley. Le Dr Coke, à qui il avait confié la tâche d’organiser le méthodisme américain, se trouva tout désigné pour diriger les entreprises missionnaires de sa communauté ; il mit à leur service son intelligence, sa fortune et sa vie. La mission des Antilles, qui arracha à la dégradation des milliers d’esclaves et hâta l’heure de leur émancipation, lui dut sa rapide extension. Cette mission s’étendit en 1814 à la Guyane britannique, dans l’Amérique du Sud. A la mort de Coke (1814), la mission des Antilles comptait déjà 31 missionnaires et 17 000 communiants. Ces chiffres s’élèvent aujourd’hui à 103 missionnaires et 50 000 communiants. Au Dr Coke revient aussi l’honneur d’avoir fondé la mission de Ceylan, quoiqu’il soit mort sur le navire qui l’y transportait avec sept autres missionnaires. En 1817, l’œuvre missionnaire s’étendit à l’Inde continentale. La première mission méthodiste en Afrique fut fondée à Sierra-Leone en 1811 ; dix ans plus tard, la Sénégambie était occupée ; en 1835, ce fut le tour de la Côte-d’Or. L’un des missionnaires qui accompagnaient Coke lors de son dernier voyage en 1814 fut laissé au cap de Bonne-Espérance, et fonda, au sud de l’Afrique, la première station méthodiste, commencement d’une œuvre qui a prospéré admirablement et qui compte aujourd’hui plus de 100 missionnaires et 20 000 communiants. Les missions océaniennes commencèrent en 1815 dans la Nouvelle-Galles du Sud ; cinq ans plus tard elles atteignaient la Tasmanie ; deux ans plus tard, l’archipel Tonga ; l’année suivante, la Nouvelle-Zélande ; douze ans plus tard, les îles Fidji ; trois ans plus tard, l’Australie méridionale ; un an plus tard, l’Australie occidentale. Les victoires remportées dans ces contrées de l’hémisphère austral sont parmi les plus brillantes qu’ait enregistrées l’histoire des missions modernes. Les missionnaires wesleyens ont conquis à la foi et à la civilisation des archipels entiers naguère habités par des peuplades de féroces cannibales. A la mort du docteur Coke, qui avait fait de l’extension des missions wesleyennes l’œuvre de sa vie, il devenait nécessaire, pour que cette œuvre ne périclitât pas, de lui donner une organisation régulière. La Société des missions wesleyennes fut fondée en 1816, et à elle se rattachèrent bientôt, sur tous les points de l’Angleterre. de nombreuses associations auxiliaires. Cette société, qui a donné un développement considérable à l’œuvre commencée par Wesley et par Coke, est étroitement reliée à la conférence britannique, dont elle n’est qu’une commission exécutive et permanente.
De l’Église wesleyenne fondée par Wesley sont sorties en Angleterre diverses branches secondaires, qui ont conservé les principes distinctifs du méthodisme, tout en innovant sur quelques détails de l’organisation. La « nouvelle connexion » (Methodist New Connexion), fondée en 1797, compte aujourd’hui 172 prédicateurs et 33 143 membres ; elle a de plus 7 missionnaires et 935 membres en Irlande, et 7 missionnaires et 1483 membres dans ses missions. Les « Chrétiens de la Bible » (Bible Christians), organisés en 1815, ont 299 prédicateurs et 35 655 membres. Les « méthodistes primitifs » (Primitive Methodist Connexion) ont 1152 prédicateurs et 181 329 membres, en y comprenant leurs missions. Les « Églises méthodistes libres unies » (United Methodist Free Churches), formées en 1857 par la réunion de divers groupes de séparatistes, ont, y compris leurs missions, 84 047 membres et 432 prédicateurs.
Le méthodisme américain, organisé en Église distincte par Wesley, a eu une fortune encore plus rapide que le méthodisme anglais. Sous la direction de ses grands évêques missionnaires, Asbury et Mac-Kendree, il marcha, avec une ardeur tout apostolique, à la conquête spirituelle de ces immenses régions que les colons ajoutaient d’année en année au domaine primitif des treize Etats fondateurs de l’Unionh. Au commencement du xixe siècle, la nouvelle Église avait vu le chiffre de ses membres s’élever en seize ans de 15 000 à 64 000. Sept ans après, ce chiffre montait à 144 000 ; il était en 1817 de 224 000, en 1827 de 381 000, en 1837 de 658 000 ; dix ans plus tard, il avait décru, par suite de la scission amenée par la question de l’esclavage, et il tombait à 636 000 ; mais en 1857 il remontait à 820 000 ; dix ans plus tard, en 1867, il s’élevait à 1 146 000 ; et il est aujourd’hui de 1 743 000. Cette Église a célébré en 1866 le centenaire du méthodisme américain, et a créé à cette occasion, pour l’extension de ses œuvres générales, un fonds spécial qui s’est élevé à plus, de 43 millions de francs. En 1872, elle a fait de sa conférence générale, qui se réunit tous les quatre ans et est le corps suprême de l’Église, un corps composé par égale partie de délégués pasteurs et de délégués laïques.
h – Voy., sur cette œuvre d’extension du méthodisme dans l’ouest des États-Unis, nos ouvrages les Prédicateurs pionniers de l’Ouest américain et Un missionnaire en Californie.
Les schismes n’ont pas plus manqué au méthodisme américain qu’au méthodisme anglais. Le plus considérable fut celui de 1844, amené par la question de l’esclavage. Les méthodistes du sud, ayant vainement tenté de faire abolir la règle disciplinaire de l’Église qui interdisait la vente et l’achat d’esclaves, se séparèrent des méthodistes du nord. Cette scission fit perdre à l’Église près d’un demi-million de membres, avec 1 345 ministres itinérants. L’Église méthodiste épiscopale du sud, qui a été le fruit de cette scission, a aujourd’hui 4000 ministres et 840 000 membres. Il est à espérer que, toute cause de désunion entre ces deux principales branches du méthodisme américain ayant disparu avec l’esclavage, le moment approche où la fusion s’opérera et où toute trace des anciennes luttes aura disparu.
D’autres branches du méthodisme américain ont une certaine importance : les méthodistes protestants (1314 ministres, 113 405 membres) ; l’Association évangélique (912 ministres, 113 871 membres), les Frères unis (2196 ministres, 157 835 membres).
Les noirs émancipés des Etats-Unis se sont organisés en Églises distinctes et se répartissent en trois grandes communautés : l’Église méthodiste épiscopale africaine (1832 ministres et 391 044 membres) ; l’Église méthodiste épiscopale africaine de Sion (1650 ministres et 300 000 membres) ; l’Église méthodiste épiscopale de couleur (638 ministres, 112 300 membres). Ces trois Églises ont ensemble un total de plus de 800 000 membres, et, si l’on y ajoute les membres de couleur des autres fractions du méthodisme américain, on peut évaluer à près d’un million les noirs qui appartiennent en Amérique à cette branche de l’Église chrétienne.
On calcule que les diverses Églises méthodistes qui se rattachent dans le monde aux doctrines prêchées par Wesley et qui retiennent les grands traits de sa discipline ecclésiastique réunissent un total de 32 000 ministres, 89 000 prédicateurs locaux et cinq millions de membres communiants. Il n’y a aucune exagération à évaluer à quinze ou vingt millions le chiffre des habitants du globe qui sont aujourd’hui placés sous l’action religieuse des disciples de Wesley.
L’unité du méthodisme universel s’est solennellement affirmée, pour la première fois, dans la conférence méthodiste œcuménique qui a eu lieu dans la chapelle de City-Road à Londres, en septembre 1881, et où se sont rencontrés, pour conférer sur des questions d’intérêt commun, quatre cents délégués représentant vingt-huit fractions du méthodisme des deux mondes.
Ces résultats directs du mouvement méthodiste, si remarquables soient-ils, ne sont pas les seuls, et il nous reste à rappeler ce que la civilisation générale et l’état moral de la race anglo-saxonne doivent à son influence.
Tous les historiens s’accordent aujourd’hui à reconnaître que le siècle dernier, qui fut, à tant d’égards, une époque de dissolution pour l’Europe continentale, fut au contraire pour la Grande-Bretagne le moment de l’une de ces crises bienfaisantes qui régénèrent un peuple et ouvrent devant lui une ère nouvelle. Tandis que partout ailleurs les convictions baissaient et que les mœurs se dégradaient au souffle du scepticisme, ce peuple-là, dans son île solitaire, rebâtissait pierre à pierre l’édifice peu solide jusqu’alors de ses convictions et celui moins solide encore de ses mœurs. Aussi, lorsque vint la fin du siècle et qu’au bruit du tocsin révolutionnaire, les vieilles institutions s’écroulaient partout avec les vieux principes. l’Angleterre sut seule résister au courant.
Cette régénération de l’Angleterre fut surtout l’œuvre du méthodisme, et l’histoire impartiale s’empresse enfin de le constater. Si Priestley reconnaît déjà que « le méthodisme a non seulement christianisé, mais civilisé cette partie de la nation qui échappait à l’attention du clergé trop soucieux de sa dignitéi, » Macaulay se moque de « ces prétendus historiens de l’Angleterre sous George II qui passent sous silence l’apparition du méthodismej ». Les historiens anglais les plus récents ne tombent pas dans ce travers. M. Lecky consacre plus de cent vingt pages de sa grande Histoire de l’Angleterre au xviiie siècle à étudier ce mouvement religieux, et il affirme que « l’influence de Pitt en politique et celle de Wesley en religion furent les plus importants facteurs du relèvement moral continu qui se produisit dans la nation à partir du milieu du siècle ». M. J.-R. Green, dans son Histoire du peuple anglais, constate le même fait et attribue au méthodisme la réforme profonde qui s’opéra dans l’anglicanisme aussi bien que dans la nation en général.
i – Lettre à Burke.
j – Stevens, Hist. of Meth., t. II, p. 514.
En France même, les écrivains qui ont étudié ce siècle ont généralement rendu justice à l’influence prépondérante de Wesley et de son œuvre ; ces témoignages, à coup sûr désintéressés, ont trop de poids pour que nous nous dispensions d’en citer quelques-uns. M. Edmond Scherer appelle le méthodisme « un mouvement religieux qui a changé la face de l’Angleterre », et il ajoute :
« Oui, l’Angleterre, telle que nous la connaissons aujourd’hui, avec sa littérature pudique et grave, avec son langage biblique, avec sa piété nationale, avec ses classes moyennes dont la moralité exemplaire fait la force du pays, l’Angleterre est l’œuvre du méthodisme. Le méthodisme a plus fait que d’établir une secte, il a vivifié toutes les autres, il a étendu son influence jusqu’à l’Église établie, il y a remis en honneur les doctrines de la Réformation, il en a réveillé le clergé, il lui a communiqué l’esprit missionnairek. »
k – Revue des Deux-Mondes du 15 mai 1861.
Le témoignage que M. Cornélis de Witt rend à Wesley et à son œuvre n’est pas moins sympathique :
« La foi de Wesley était agissante et communicative ; son courage était à l’épreuve de la moquerie comme de la violence, et son génie d’organisation égalait celui des grands fondateurs d’ordres monastiques. Wesley avait un autre mérite bien plus rare parmi les novateurs. L’esprit de réforme n’avait pas altéré en lui l’esprit de conservation. En fondant une société religieuse, il n’avait pas l’intention de fonder une secte. Ministre de l’Église anglicane et témoin de ses défaillances, il avait senti que, pour réveiller le clergé des paroisses, il fallait créer une sorte de clergé régulier ; que, pour annoncer l’Évangile à ceux qui n’allaient pas à l’église ou qui n’y entendaient que de froides exhortations, il fallait organiser une armée d’ardents missionnaires ; que, pour atteindre le cœur des masses, il fallait aller les chercher dans les champs, les marchés et les carrefours, et les haranguer dans leur propre et vulgaire langage.
Tout en se séparant de l’Église anglicane beaucoup plus qu’il ne l’aurait voulu, Wesley lui a fait infiniment plus de bien qu’il n’aurait osé l’espérer ou même le penser. Il a fait mieux pour elle que d’exciter son activité en excitant sa jalousie ; il a agi sur elle par ses paroles, par ses exemples, par la chaleur rayonnante de sa foi. Il ne lui a pas rendu seulement le zèle ecclésiastique, ce zèle trop souvent intéressé qui peut se combiner avec l’indifférence pour le salut des âmes ; il lui a rendu la vie religieuse, et avec la vie religieuse l’efficacité morale. Si l’Angleterre d’aujourd’hui ne ressemble plus à l’Angleterre du commencement du dix-huitième siècle, elle le doit en grande partie à Wesleyl. »
l – La société française et la société anglaise au dix-huitième siècle, p. 237.
M. Saint-Marc Girardin dit de son côté :
« Pendant que la France se livrait de plus en plus à l’esprit philosophique, en Angleterre l’esprit religieux se réveillait et se répandait par le méthodisme. Quand je lis la vie de Wesley et de Whitefield, j’admire ce que peut la foi individuelle. Il y avait en Angleterre un grand mouvement irréligieux au commencement du dix-huitième siècle. Voltaire y avait trouvé cet esprit d’incrédulité et l’avait rapporté en France. Cet ascendant de l’incrédulité n’effraya pas un instant Wesley et Whitefield. Ils résolurent de défaire par la pensée et par la parole ce qu’avaient fait la pensée et la parole, et d’opposer la liberté de la foi à la liberté de l’impiété. Ils prêchèrent, ils écrivirent ; ils furent moqués, ils furent persécutés ; ils persévérèrent et réussirent… Wesley et ses disciples ranimèrent l’esprit chrétien dans ceux mêmes qui les combattaient… La société anglaise sortit plus religieuse et plus forte des luttes soutenues pendant la seconde moitié du dix-huitième siècle par le méthodisme et contre le méthodisme ; et, comme c’était une foi sincère que cette foi rallumée par la liberté de discussion, quand vint la question de l’abolition de l’esclavage, cette foi agit et travailla pendant trente ans à faire triompher l’abolitionm. »
m – Journal des Débats du 9 novembre 1861.
Citons enfin M. Charles de Rémusat :
« Ce qui a surtout signalé la naissance du méthodisme à notre attention, c’est qu’il nous paraît un des symptômes, et de beaucoup le plus frappant, d’une disposition intime qui sommeillait, il y a plus d’un siècle, au sein de la race anglo-saxonne, et qui peut-être n’aurait été jamais ranimée ni satisfaite si cette renaissance de la Réformation n’avait trouvé des promoteurs pour « réveiller la foi dans les cœurs endormis ». C’est en second lieu que leur œuvre et leur exemple ont exercé une influence indirecte. beaucoup plus considérable aux veux de l’historien que les effets immédiats de leur prédication, et suscité, avec le temps, dans toute la Grande-Bretagne et presque dans tous les pays d’origine britannique. un mouvement religieux qui a démenti la prédiction d’observateurs tels que Voltaire et Montesquieun. »
n – John Wesley et le Méthodisme, p. 64.
Ces voix parties des camps les plus divers s’accordent, on le voit, à attribuer à Wesley et au méthodisme une large part dans le relèvement moral de l’Angleterre. Ce relèvement s’accomplit dans tous les sens. Les classes ouvrières furent les premières atteintes ; les quartiers pauvres des grandes villes, les districts manufacturiers et houillers, où le vice et la misère se donnaient la main, furent, nous l’avons vu, le théâtre préféré de l’activité de Wesley et de ses auxiliaires. Ces populations avilies se transformèrent peu à peu sous l’influence de la prédication évangélique. Non seulement de nombreuses conversions se produisirent, mais le niveau général s’éleva rapidement ; les mœurs s’améliorèrent et s’adoucirent ; le goût de l’instruction se développa. Kingswood, les Cornouailles, le Staffordshire, le Northumberland furent témoins en quelques années de transformations merveilleuses parmi leurs populations de mineurs, naguère encore adonnées à tous les excès et redoutées à cause de leur brutalité. Sur tous les points de l’Angleterre s’élevaient maintenant des chapelles, où se pressaient des foules qui jadis encombraient les cabarets. De jolis cottages, respirant l’aisance et l’ordre, remplaçaient peu à peu les hideuses cabanes où s’entassaient, dans un horrible pêle-mêle, de nombreuses familles. Des écoles et des bibliothèques populaires surgissaient à mesure que se manifestaient des besoins intellectuels jusqu’alors inconnus.
En se moralisant, les classes inférieures devaient nécessairement influer sur les classes élevées, et le mouvement parti des couches les plus basses de la société atteignit en effet les plus hautes. Le niveau moral de la nation s’éleva si bien qu’il s’imposa même à cette noblesse corrompue qui, à première vue, semblait incorrigible. Sous la pression de ces classes inférieures et moyennes qui grandissaient rapidement en moralité et en dignité, il fallait bien que les hautes classes suivissent une progression parallèle, sous peine d’abdiquer. C’est ce qui se produisit, et l’histoire offre peu de transformations plus radicales que celle-là.
L’Église anglicane qui, pour mieux sauvegarder sa dignité, ne s’occupait pas du peuple, comme Priestley l’en accuse, avait été trop longtemps complice des désordres de la noblesse et lui avait inculqué l’indifférence religieuse. Elle-même toutefois fut atteinte et transformée par le Réveil, qui suscita dans ses rangs des hommes tels que Perronet, La Fléchère, Grimshaw, Romaine, Venn, Berridge, Newton, et, par leur moyen, y produisit un mouvement remarquable. Le parti évangélique, qui, en ce siècle, a exercé une influence si considérable sur la situation religieuse et politique de la Grande-Bretagne, se rattache, par une filiation directe, au réveil du siècle dernier.
Le méthodisme amena une transformation toute semblable au milieu des Églises dissidentes, qui, quoique moins déchues, avaient à peu près perdu toute action sur les masses. Entraînées elles aussi par le Réveil, elles retrouvèrent leur zèle ancien et prirent une part importante aux œuvres de propagande évangélique.
Ce travail de rénovation, d’où la nation anglaise sortit rajeunie, s’accomplit dans toutes les sphères de sa vie, sociale, politique, intellectuelle et morale. Une littérature saine et moralisante prit la place des productions impures du siècle précédent. Richardson, Goldsmith, de Foe, Johnson, en créant des œuvres d’un caractère moral, secondèrent, sans s’en douter, la grande révolution religieuse.
Grande révolution en effet que celle-là, qui, complétant la révolution politique du siècle précédent, a créé l’Angleterre moderne, cette nation qui donne au monde l’exemple de la fécondité des institutions libérales appuyées sur l’Évangile.
Sachons admirer les hommes qui ont donné à l’humanité l’une de ces salutaires impulsions qui la font avancer sur le chemin que Dieu lui a tracé. L’admiration nous rapproche d’eux et, dans une certaine mesure, nous fait pénétrer dans leur âme, vivre de leur vie et nous associer à leur œuvre. En nous rappelant ce qu’ils firent avec des moyens limités, nous apprenons ce que nous pourrions faire nous-mêmes dans la sphère où nous sommes placés.
Sachons surtout nous souvenir que l’homme n’est que l’ouvrier de Dieu, et qu’à Dieu seul revient la gloire de ces entreprises fécondes dont nous ne voyons, ignorants et chétifs que nous sommes, que le côté tout humain. Wesley et Whitefield, comme Luther et Calvin, et comme tous les ouvriers fidèles de la vérité, savaient qu’ils n’étaient que les instruments de Dieu, et ce que nous admirons chez eux plus encore que leurs grandes œuvres, c’est cette humilité profonde qui les portait à faire remonter tout honneur à Dieu. C’est aussi le sentiment qui nous anime en face de l’œuvre de Wesley ; et ce sentiment se résume bien dans ces mots que ce grand serviteur de Dieu prononçait en mourant : Ce qui vaut le mieux, c’est que Dieu est avec nous !