Matthieu 8.1-4 ; Marc 1.40-45 ; Luc 5.12-16
Il est dit (Marc 16.20), de la prédication des apôtres, que le Seigneur « confirmait leur parole par les miracles qui l’accompagnaient. » Nous avons ici un remarquable exemple d’un fait analogue. Ce fut après le sermon sur la montagne qu’eut lieu la guérison du lépreux, ainsi que d’autres miracles très importants ; ces miracles étaient comme le sceau de son enseignement ; ils le revêtaient d’une autorité divine. « Comme Jésus descendait de la montagne, un lépreux s’étant approché se prosterna devant lui ; » la lèpre couvrait son corps tout entier, et il vint pour obtenir sa part des bénédictions promises à ceux qui pleurent. Nous dirons tout d’abord quelques mots au sujet de la lèpre et de la souillure légale qui y était attachée. Ce n’est pas ici le lieu de donner des détails médicaux au sujet de cette maladie, et de distinguer les différentes espèces de lèpre ; on craignait la contagion, c’est pourquoi l’on avait soin d’isoler le lépreux, et cependant cette maladie n’était pas contagieuse. La loi de Moïse n’avait pas un but simplement hygiénique, car chez ceux qui ne l’observaient pas, le lépreux n’était pas exclu de la société ; Naaman commandait les armées de Syrie, Guéhazi s’entretenait familièrement avec le roi d’Israël. Là même où la loi de Moïse était en vigueur, l’étranger et l’homme en séjour n’étaient pas soumis aux ordonnances concernant la lèpre ; il n’en eût pas été ainsi si la maladie avait été contagieuse, si l’exclusion du lépreux n’avait pas eu un but spécialement religieux.
Les ordonnances au sujet de la lèpre avaient un sens différent et beaucoup plus profond, que nous allons examiner. Le même principe d’après lequel tout ce qui concernait la mort était un motif de souillure légale, devait faire également envisager la maladie comme une cause de souillure, car elle pouvait amener la mort, qui est une conséquence du péché. Dieu choisit une maladie pour montrer que le mal ne venait pas de lui, et pour faire comprendre au peuple qu’il avait besoin d’une purification morale, purification que lui seul pouvait opérer. Dans ce but, Dieu a choisi la lèpre, qui devait représenter le péché. Ce mal était terrible ; la lèpre était en elle-même une mort, un empoisonnement des sources de la vie, une dissolution progressive du corps, car un membre après l’autre se desséchait et tombait (Nombres 12.12) ; cette maladie était incurable, mais il pouvait arriver toutefois que le lépreux fût guéri par une intervention de Dieu (2 Rois 5.7). Le lépreux était considéré comme un grand pécheur, comme mort dans ses fautes et dans ses péchés (Lévitique 13.45 ; Nombres 6.9 ; Ézech.24.17) ; quand il s’agissait de le réintégrer dans la société, on employait les mêmes moyens de purification que lorsqu’on avait touché un cadavre, à savoir : le bois de cèdre, l’hysope, l’écarlate (Nombres 19.6, 13, 18 ; Lévitique 14.4-7). David fait allusion à cette coutume (Psaumes 51.7) ; il se considère comme étant un lépreux spirituel, très éloigné de Dieu, et ayant besoin d’être rapproché de lui. La lèpre étant un emblème et une preuve du péché, il en résultait, pour le malade, une exclusion complète du camp de Dieu ; Dieu n’est pas le Dieu des morts, mais des vivants ; or, le lépreux était regardé comme mort, et par conséquent comme devant être exclu du camp (Lévitique 13.46 ; Nombres 5.2-4 ; 2 Rois.7.3) ; les rois eux-mêmes devaient subir cette loi (2 Chroniques 26.21 ; 2 Rois 15.5) ; tout pécheur doit être exclu de la cité de Dieu (Apocalypse 21.27).
Il est à peine besoin de faire remarquer que le lépreux n’était pas nécessairement plus coupable que les autres ; le plus souvent, cette maladie était un châtiment théocratique, le châtiment de péchés commis contre la théocratie. Les Juifs l’appelaient « le doigt de Dieu » et disaient qu’elle s’attaquait tout d’abord à la maison d’un homme, puis à ses vêtements, s’il refusait de s’humilier, et enfin à sa personne, s’il persistait dans le péché ; de même, les jugements de Dieu, si l’homme les méprise, finissent par atteindre le centre de sa vie. Les Juifs disaient aussi que la repentance sincère était le seul moyen d’être délivré de la lèpre ; celle-ci étant le signe extérieur et visible de la corruption morale la plus profonde, on comprend que le Seigneur ait dû manifester sa puissance à son égard. Il se montre vainqueur de la mort dans la vie, ainsi que de la mort réelle ; comme témoignage rendu à sa messianité, nous lisons : « Les lépreux sont purifiés » (Matthieu 11.5). Le caractère terrible de cette maladie et la souffrance extrême qui l’accompagnait ne pouvaient être enlevés par aucune main humaine, en sorte que le divin Médecin des corps et des âmes devait être ému de compassion à l’égard de ces malades.
Le lépreux dont parle notre récit, « s’étant approché se prosterna devant Jésus, » reconnaissant en lui son supérieur, sans admettre pour cela sa divinité ; les paroles dont il se sert pour exprimer ce qu’il désire sont remarquables comme déclaration d’une foi simple et humble, qui attend avec confiance la réponse quelle qu’elle soit ; il s’abandonne à une sagesse et à un amour supérieurs : « Seigneur, si tu le veux, tu peux me rendre pur. » Alors le Seigneur « étendit la main et le toucha » approuvant ainsi sa profession de foi : « Je le veux, » dit-il, « sois pur. » Ce contact de Jésus avec un homme souillé est remarquable, puisque, sous la loi, on l’évitait, comme produisant une souillure légale ; les adversaires de la loi, les anciens gnostiques, disaient que Christ voulait montrer par là son mépris pour les ordonnances de cette loi. Mais Tertullien leur répond très bien en indiquant le sens profond de la défense de toucher ceux qui avaient une souillure légale, à savoir que nous ne devons pas souiller nos âmes en participant aux péchés des autres ; saint Paul dit : « Sortez du milieu d’eux et vous en séparez, et ne touchez à aucune chose impure ; et je vous recevrai » (2 Corinthiens 6.17). Ces préceptes s’adressaient à tous, jusqu’à la venue de Celui qui ne pouvait contracter aucune souillure, et devait ôter le péché du monde. Jésus purifie celui qu’il touche, car en lui la vie triomphe de la mort, la santé de la maladie, la pureté de la souillure. En lui cette parole se réalise dans le sens le plus absolu : Tout est pur pour les purs.
Ambroise et d’autres supposent que la recommandation faite par Jésus aux lépreux de ne pas parler de sa guérison, avait pour but d’enseigner à ses disciples à éviter l’ostentation dans leurs œuvres de miséricorde. Il est plus probable que le Seigneur, par cette défense, a voulu empêcher les foules de venir à lui pour n’obtenir que des bienfaits temporels ; il a voulu aussi éviter d’exciter, par la renommée de ses miracles, la haine de ses ennemis (Jean 11.46-47). Mais Jésus-Christ avait sans doute aussi un but plus élevé ; il tenait compte de l’état moral du malade qu’il guérissait. Dans notre récit cependant, il est probable qu’il faut entendre la défense de Jésus ainsi : « Garde-toi d’en parler à personne, » jusqu’à ce que tu te sois montré aux sacrificateurs, de peur que si tu en parles auparavant, les prêtres, par jalousie, ne s’efforcent de nier que tu fusses un lépreux, ou contestent la réalité de ta purification. Le lépreux devait se montrer au prêtre afin que celui-ci pût déclarer que la maladie l’avait quitté (Lévitique 14.3), accepter son offrande et la présenter a Dieu en propitiation pour le lépreux, qui serait ensuite réintégré dans l’assemblée d’Israël.