L’objet propre de la foi chrétienne n’est pas le miracle, comme l’a écrit Schérer, mais la personne de Jésus-Christ ; car ce n’est pas l’orthodoxie qui nous sauve, mais notre union vivante avec le Sauveur du monde. Il n’en est pas moins vrai que cette union même, sans laquelle on n’est chrétien que de nom, implique la croyance au surnaturel. Le fils de Marie, pas plus que tel autre prophète, n’aurait eu qualité pour devenir « objet de la foi, » si son apparition historique n’avait le caractère d’une intervention divine, brisant à un moment donné le cours naturel des choses et posant un commencement nouveau dans la vie de l’humanité.
Nous ne saurions, par conséquent, passer sous silence la question du miracle.
Ce problème a sensiblement changé de face depuis une vingtaine d’années, alors que deux partis seulement étaient en présence, les rationalistes et les croyants, les uns tous d’accord pour rejeter le miracle, les autres unanimes à l’accepter. On se flattait peut-être que la discussion était close et qu’il n’y avait pas à y revenir. Et voici qu’au sein même de l’Eglise la question se pose derechef, plus pressante, plus complexe que jamais ! Qui ne sait qu’aujourd’hui, dans nos pays de langue française et ailleurs, on voit même des théologiens évangéliques ou qui passent pour tels, juger que la foi au miracle, dans le sens traditionnel du mot, est une superstition surannée que l’ignorance excusait naguère, mais incompatible avec la science moderne ?
Un pareil jugement se conçoit à notre époque de transition, de désarroi intellectuel, où l’éclat des découvertes scientifiques frappe encore d’éblouissement les esprits. Mais nous estimons que ces théologiens sont dans l’erreur, qu’ils sacrifient inconsciemment à la grande idole du jour, et même, si le mot nous est permis, qu’ils se montrent « plus royalistes que le roi. » Le fait est que, dans cette grave question, l’attitude de la « science moderne, » j’entends de la vraie, de celle qui, toute à son affaire, ne songe pas à dogmatiser, est beaucoup plus simple et modeste, partant plus correcte : elle ne nie, pas plus qu’elle n’affirme, le miracle ; elle se contente de l’ignorer, et nous ne lui demandons pas davantage. Il s’agit de religion, non de science. On ne « démontre » pas l’action divine à qui ne l’a point éprouvée ; pour croire vraiment aux miracles, il faut en être un soi-même, et voilà pourquoi les faits de cet ordre seront toujours un mystère, perceptible pour la foi seule.
Mais alors, à quoi bon discuter le sujet ? Tout simplement pour dissiper les préventions et maintenir le bon droit de l’Eglise en face des négateurs.
Ce vaste et important sujet enferme deux questions qu’on a trop souvent mêlées, et dont nous ne traitons ici que la première ; une question de principe : le miracle est-il possible ? et une question de fait : y a-t-il eu des miracles ? La seconde, évidemment, ne peut être tranchée à priori ; elle est du ressort des recherches historiques. Voulez-vous savoir si les animaux antédiluviens ressemblaient aux nôtres ? Prenez la bêche et la pioche, remuez les profondeurs des couches terriennes où gisent leurs ossements, mettez-vous en quête de leurs fossiles, et faites la comparaison. Voulez-vous savoir s’il y a eu des miracles ? Consultez les faits, et voyez si les miracles ont laissé quelque part dans le sol de l’histoire des empreintes assez originales et assez nettes pour mériter créance.
Mais encore faut-il, pour aboutir, que de telles recherches ne soient pas entravées par le parti pris déclarant d’avance : « C’est impossible ! » Voltaire ne voulut jamais admettre que les coquillages fossiles de nos montagnes y eussent été déposés par la mer : il expliquait leur présence dans ces hauts parages en disant que des pèlerins les y avaient apportés ! Sa haine de la Bible troublait son jugement. L’appréciation rigoureuse des faits et des témoignages, l’étude désintéressée des documents a seule voix au chapitre sur la question de la réalité du miracle.
Il en est tout autrement de la question préalable, qui a trait à sa possibilité. Elle se trouve résolue à priori dans le sens affirmatif, du moment qu’on fait de Dieu un être distinct du monde, une cause intelligente et libre, un Créateur : il semble que le déisme, et combien plus l’« évangélisme ! » ne peuvent échapper à cet aveu que par une inconséquence. Pourquoi le miracle serait-il impossible ? Parce que, nous dit-on, il serait en contradiction avec l’ordre naturel que Dieu a établi une fois pour toutes.
Cet énoncé renferme implicitement les trois propositions suivantes, dont chacune appelle nos réserves : 1° l’ordre naturel est immuable ; 2° le miracle est une violation de l’ordre naturel ; 3° Dieu ne change jamais. La question peut donc être décomposée comme suit : que sont les lois de la nature ? qu’est-ce que le miracle ? quelle est la vraie notion de l’immutabilité divine ?
Que faut-il entendre par les lois de la nature ? Et d’abord, qu’est-ce que la « nature » elle-même ? Il siérait avant tout de se mettre d’accord sur sa définition, car je soupçonne derrière ce vocable élastique des choses assez différentes suivant les auteurs. On a dit, par exemple, que rien, excepté Dieu, n’existe en dehors de la nature ; qu’elle embrasse tout sauf lui. En un sens, on a raison. Si l’on s’en tient à l’étymologie, il est clair que ce mot est applicable à tout ce qui est né (natus), à tout ce qui a commencé dans le temps, et le Créateur seul n’est pas dans ce cas. Mais nul n’ignore que les mots ont leur histoire et finissent par changer de contenu. Si l’on ne veut pas embrouiller les questions, il faut laisser au mot « nature » son sens technique, le sens qu’il a dans le langage usuel aussi bien que dans la science : quand on parle des « beautés de la nature » ou des « lois de la nature, » on ne songe ni aux beaux-arts ni à la politique, et je ne sache pas qu’on fasse rentrer dans les « sciences de la nature » les sciences historiques ou morales.
Si la nature embrassait tout, le problème qui nous occupe ne se poserait pas ; il serait insoluble ou n’aurait pas de sens. Pour le formuler et le résoudre, il faut distinguer nettement entre la nature et l’ordre universel. Celui-ci, je m’en réfère à la lumineuse démonstration de Pascal, se compose de trois sphères d’inégale importance et qui se pénètrent mutuellement : l’ordre matériel, l’ordre intellectuel et l’ordre spirituel. Or, ceux qui opposent au miracle les lois de la nature, ne le nient pas au nom des lois de la pensée ou des lois morales, mais au nom des lois constatées par la physique, la chimie, l’astronomie, et les sciences semblables. La « nature ». n’est autre chose que le monde visible ou l’ordre phénoménalg.
g – Dans sa récente brochure : Essai sur la notion du miracle considérée au point de vue de la théorie de la connaissance (Neuchâtel, 1897), M. A. Schinz, assimile les lois de la nature aux « lois aprioristiques de la pensée. » C’est que l’auteur est déterministe.
Le terrain est ainsi déblayé, et l’objection, circonscrite dans ses vraies limites, apparaît dans toute sa portée. Me trompé-je en présumant qu’il suffit d’en préciser les termes et, pour ainsi dire, de la remettre à sa place, pour montrer son peu de solidité ? Sa thèse est absolue : Le miracle est impossible ! N’y a-t-il pas disproportion frappante entre sa base d’opérations, la nature, et la hardiesse en quelque sorte comminatoire de sa théorie ? Une thèse absolue ne peut se fonder légitimement que sur un principe absolu : est-il licite de présenter les lois du monde matériel sous la catégorie de l’absolu ? Nous le contestons pour deux raisons majeures. Soit qu’on envisage ces lois au point de vue des conditions du savoir humain, c’est-à-dire subjectivement, ou qu’on les considère en elles-mêmes, en regard de l’ordre universel, c’est-à-dire objectivement, dans les deux cas nous ne sortons pas du relatif.
Vous affirmez que les lois de la nature sont immuables ? Je demande : qui vous l’a dit ? qu’en savez-vous ? Qu’elles aient un certain cachet de fixité, cela saute aux yeux ; mais votre thèse, exprimée sans aucun tempérament, n’est-elle pas empreinte de dogmatisme ? Si nous ne connaissons l’univers que par l’observation des phénomènes, c’est-à-dire des « apparences, » n’y a-t-il pas une évidente pétition de principes à introduire dans ce domaine la notion d’absolu ? Cette prétendue invariabilité de l’ordre phénoménal est justement ce qui est en question. Sur quoi se base-t-elle ? Sur la supposition qu’il n’y a jamais eu de miracles, uniquement là-dessus ; ce qui revient à dire que le miracle est impossible, parce qu’il n’y en a jamais eu.
Les lois de la nature sont-elles écrites quelque part, sur un code tombé du ciel ? Nullement ; c’est l’homme lui-même qui les formule. Elles sont des inductions par lesquelles on cherche à se rendre compte des faits, ou la synthèse scientifique d’un certain nombre d’expériences. Le savant remarque que tels phénomènes se reproduisent toujours dans telles circonstances données, et il en conclut à la présence de forces invisibles agissant toujours de la même manière ; après quoi, faisant un saut dans l’inconnu, il élève à la hauteur d’une loi, d’un principe permanent et universel, cette régularité du jeu des forces physiques.
Il en résulte, chose significative, que les lois de la nature ont un caractère hypothétique et sont susceptibles d’être constamment révisées, rectifiées même, car les observations scientifiques sont toujours partielles et fragmentaires : quelle que soit la masse des faits déjà étudiés, il en reste un nombre infiniment plus grand encore, dont on n’a pas pu tenir compte. L’homme est donc obligé, et c’est son droit, de conclure du particulier au général ; mais il n’a pas le droit de nier, au nom d’une classe de phénomènes qu’il a pu constater, telle autre classe de phénomènes, les monstres, par exemple, les prodiges, les miracles, qui ne rentrent pas dans le champ de ses investigations. Il peut poser des règles, en partant des données empiriques qu’il a rassemblées ; il ne lui est pas permis de formuler des dogmes, et c’est ce qu’il ferait en décrétant que ses jugements sont sans appel, que les règles qu’il a découvertes ne souffrent pas d’exceptions, et que les choses ont été et seront telles à tous les moments de la durée et sur tous les points de l’espace. C’est au nom d’un sophisme pareil que les matérialistes niaient autrefois que le monde ait eu un commencement.
Puis, que sont les lois de la nature, prises en elles-mêmes ? Elles ne sont autre chose que le rapport des phénomènes entre eux. Elles ont donc un caractère de contingence très marqué, c’est-à-dire que leur nécessité est toute relative ; ce sont des lois d’opportunité ou de convenance, qui n’ont rien à faire avec les questions de principe. Je puis concevoir le monde visible organisé tout autrement qu’il n’est, soumis à des lois différentes. La loi des saisons règne sur notre globe : il ne s’ensuit pas qu’elle doive nécessairement régir les autres astres ; nous savons que le contraire a lieu ; sur la terre, elle était opportune au plus haut point à cause de l’homme, mais rien ne prouve qu’elle ne doive pas cesser un jour.
« Une vue saine de la méthode, dit Ernest Naville, fait comprendre que, pour la science des faits, nous sommes en présence de lois qui peuvent être certaines, mais jamais nécessaires, et le plus souvent en présence d’hypothèses probables arrivées à des degrés divers de confirmationh.
h – La logique de l’hypothèse, 2e édit., p. 285. Paris, Félix Alcan, 1895. Voir aussi : De la contingence des lois de la nature, par E. Boutroux, 2e édit. Paris, Félix Alcan, 1895.
Il y a des lois qui ont un caractère de nécessité absolue, ce sont les lois de la pensée, les principes de la logique et de la raison : tout effet a une cause, le contenant est plus grand que le contenu, deux affirmations qui s’excluent ne peuvent être vraies en même temps. Voilà des principes immuables, qui seraient vrais même si le monde visible n’existait pas, des lois qu’on ne peut contredire sans déraison, puisqu’elles sont la condition de la pensée même.
Il est d’autres lois encore qui sont immuables, ce sont les lois du monde moral. Quand je dis que le Créateur pouvait façonner le monde matériel d’après un autre plan, imposer un autre mode d’action aux forces de la nature, imaginer un cosmos tout différent du nôtre, je ne l’offense pas, je le glorifie ; je rends hommage à sa puissance et à son infinie sagesse. Si je suppose, au contraire, qu’il eût pu abolir ou changer les principes de la morale, faire que le bien fut mal et le mal bien, que la justice et l’honnêteté fussent des défauts, la souillure et le mensonge des vertus, j’injurie Dieu, je blasphème. C’est que la loi morale est la plus immuable de toutes ; elle exprime l’essence de Dieu même : c’est le monde supérieur duquel procèdent tous les autres. Les lois de l’intelligence sont elles-mêmes d’ordre inférieur, parce qu’elles sont de pures abstractions, qui ne touchent en rien le fond des choses. Cadres formels de la faculté de connaître, elles n’ont point d’existence propre et ne constituent pas un monde réel.
Il n’est donc, en somme, que deux ordres de réalités, le monde matériel et le monde spirituel. Or, si la loi du bien est éternelle et souveraine par essence, les lois de la nature ne peuvent pas l’être. Il n’y a pas deux absolus rivaux, il faut choisir : si vous maintenez que l’ordre physique est immuable en soi, vous niez du même coup l’immuabilité de l’ordre moral ; vous attachez plus de valeur au monde visible qu’au monde invisible, au corps qu’à l’âme : de fait, malgré vos intentions spiritualistes, vous avez des opinions matérialistes.
A notre avis, la constance des lois de la nature a pour vraie formule le principe d’inertie : elles sont immuables parce que la matière est passive, dépourvue de toute spontanéité. Un corps immobile ne peut se mettre en mouvement tout seul, ni s’arrêter de lui-même, une fois lancé dans l’espace : il reste indéfiniment ce qu’il est, à moins d’être actionné du dehors. En d’autres termes, les lois de la nature demeurent invariables par le fait de l’inertie, tant qu’une cause étrangère n’en vient pas modifier le cours. Mais rien ne vous permet de statuer à l’avance que cette éventualité ne se réalisera jamais.
Et le principe d’inertie, qu’est-il, après tout, quand on y réfléchit ? Il n’est que la contre-partie ou l’envers du principe de causalité, et signifie simplement que les phénomènes ne sont pas leur propre cause. La nature n’est qu’une résultante, une combinaison d’effets, qui seront à leur tour, je ne dis pas la cause, mais le moyen d’autres effets : elle ne renferme pas des causes réelles. Il n’y a de causes, au sens vrai du mot, je veux dire des forces initiales, que dans le domaine des esprits, des volontés conscientes et libres. Une seule chose est donc « absolue » dans la nature, c’est sa neutralité ou son laisser-faire. Nier le miracle à priori au nom de l’ordre phénoménal, ce serait conférer à cet ordre un caractère inviolable et sacré qui ne lui appartient à aucun titre : ce serait, en quelque manière, diviniser la nature.
A l’appui de notre opinion, nous pouvons invoquer un témoignage peu suspect, celui du savant libre penseur Huxley, professeur de biologie à Londres, mort le 29 juin 1895. Dans un article intitulé : Science and Bishops, qui a fait sensation en Angleterre, il déclare qu’on méconnaît souvent le sens réel des locutions « ordre de la nature » et « loi de la nature » :
« Il ne faut pas, dit-il, attacher à cet ordre et à ces lois plus de portée qu’à des généralisations faites au moyen de l’expérience. Personne ne peut avoir la présomption de dire ce que l’ordre de la nature doit être… Quiconque est capable de réflexion logique admettra sûrement la vérité et la profonde portée de cette considération, qui détruit dans leur fondement toutes les objections à priori élevées contre les miracles ordinaires ou contre l’efficacité de la prière… Personne n’a le droit de dire à priori qu’un événement quelconque, dit miraculeux, est impossible ; et personne n’a le droit de dire à priori que la prière destinée à obtenir quelque changement dans le cours ordinaire de la nature, ne peut pas réussir. »
Ainsi, l’ordre naturel n’autorise personne à nier le miracle à priori ; ce serait contraire à l’esprit scientifique lui-même.
Les adversaires du miracle se partagent aujourd’hui en deux classes, l’une plus conservatrice, l’autre plus radicale, mais qui nous paraissent également dans l’erreur. Nous avons lu ces mots quelque part sous la plume d’un pasteur réformé : « J’admets les miracles, mais je repousse le surnaturel. Ce credo… paradoxal caractérise bien la nouvelle tendance qui s’est fait jour, celle de chrétiens cultivés qui, désireux de concilier la science et la foi, s’efforcent de ramener, j’allais dire de rabaisser le miracle au niveau de la nature. Trop imbus, encore, selon nous, de l’esprit positiviste du siècle, ils n’ont pas rompu complètement avec le préjugé d’une science autoritaire se mêlant de décréter ce qui est possible ou impossible ; mais, d’autre part, leur piété personnelle est trop vivante, leurs convictions évangéliques trop enracinées, pour douter de l’efficacité de la prière et mettre en suspicion les écrivains sacrés. Ils admettent la vérité de l’histoire sainte, la réalité des faits inouïs qu’elle raconte ; ils reconnaissent que Jésus a chassé les démons, guéri les malades, ressuscité les morts. Seulement, à les en croire, tous ces prodiges se rattacheraient à l’ordre naturel par des liens que nous ignorons. Les miracles sont pour eux des phénomènes extraordinaires encore inexpliqués, mais dont la science découvrira peut-être un jour le secret, comme elle l’a fait déjà pour la magie et les arts occultes.
Passe encore si ces chrétiens entendaient par « l’ordre naturel » l’ordre universel, selon la définition que nous avons écartée au début ; mais non ! c’est bien de la nature, au sens strict du terme, de l’engrenage phénoménal, qu’ils ont l’intention de parler. Et alors nous ne pouvons les suivre. Le miracle est par définition un acte surnaturel et renferme toujours à un degré quelconque un élément de puissance créatrice. En temps ordinaire, sans doute, Dieu gouverne le monde par les lois générales. Mais pourquoi imposer une limite à son action, en lui disant : « Tu iras jusque-là et pas plus loin ! Exauce-moi, mais… sans toucher à la nature !
Comment veut-on qu’/fl dirige la nature sans la toucher, ou qu’il nous exauce sans la diriger ? Ou bien son action se distingue de l’enchaînement des phénomènes, ou elle ne s’en distingue pas. Dans le premier cas, elle intervient comme une force spéciale, capable de modifier le cours des choses jusqu’au miracle inclusivement. Dans le second, elle est partout uniforme, elle ne change rien à quoi que ce soit, et il ne faut plus parler d’exaucement : qu’on prie ou qu’on ne prie pas, le résultat est exactement le même.
Le rationalisme était bien plus conséquent, lorsqu’il rejetait du même coup l’efficacité de la prière et le miracle. Les deux choses sont logiquement inséparables. Le pilote qui tient le gouvernail peut, il est vrai, avoir l’œil ouvert et sa main rester longtemps immobile ; mais n’est-il pas des cas où sa force doit agir et étreindre la barre avec plus de vigueur ? Il a suffi de directions providentielles pour exaucer la requête d’Elihézer, cherchant une compagne pour Isaac (Genèse 24) ; mais, pour exaucer le centenier de Capernaüm et guérir à distance son serviteur malade (Matthieu 8.31), n’a-t-il pas fallu plus que cela ? un fiat souverain de la grâce divine ? Quand Jésus ressuscite Lazare, a-t-il recours à je ne sais quel mécanisme subtil de l’ordre phénoménal ? A qui donc le ferez-vous croire ? Quoi ? Rendre la vie à un cadavre en décomposition serait un phénomène naturel ? Et la science moderne, qui peut se vanter de si grandes conquêtes, trouvera un jour peut-être le secret d’en faire autant ? Ah ! si elle nourrissait une telle ambition (son orgueil, Dieu merci, ne va pourtant pas encore jusque-là), il faudrait l’imputer à une suggestion de l’être qui disait à nos premiers parents : « Vous serez comme des dieux ! » Non, « c’est l’Eternel qui fait mourir et vivre, qui fait descendre au sépulcre et en fait remonter. » (1 Samuel 2.6)
Cette façon de concilier la science et la foi, intéressante comme symptôme de l’état des esprits, est un essai qui ne peut aboutir. Aussi la plupart des théologiens qui repoussent le miracle en tant que surnaturel, vont-ils plus loin dans le sens de la négation. Entraînés par la logique sur les pas des Strauss et des Renan, ils tranchent dans le vif de l’histoire sainte et lui font subir un triage dont on devine l’arbitraire. Laissant debout les faits merveilleux qu’ils peuvent à la rigueur expliquer psychologiquement par l’ascendant moral de Jésus sur son entourage (les guérisons, par exemple), ils visent à élaguer tous les prodiges qu’il a accomplis sur la nature extérieure :
« Si le prodige a pénétré dans la vie de Jésus sur deux ou trois points : changement de l’eau en vin, multiplication matérielle des pains et des poissons, malédiction du figuier stérile, la raison en est dans les méprises ou les altérations légendaires dont ses biographes sont seuls responsables et qu’une critique un peu attentive élague sans violence (?)i. »
i – Esquisse d’une philosophie de la religion, par Aug. Sabatier, p. 72
Bref, ces savants n’acceptent que les miracles dont ils croient pouvoir dire : « Ce ne sont pas des miracles ! »
L’ordre naturel est intangible, donc le miracle, au sens réel du mot, est impossible ! Telle est l’idée préconçue sur laquelle les deux groupes sont d’accord. Sommes-nous donc déraisonnables en admettant la possibilité d’événements surnaturels ? Nous ne le pensons pas. Le miracle serait contraire à la raison s’il était un effet sans cause, un produit du hasard ; mais ce ne sont pas les chrétiens qui expliquent la naissance du monde par la génération spontanée, ou qui, échappés « comme par miracle » à un grand danger, publient gravement dans les journaux qu’ils doivent leur salut à « un hasard… providentiel ! »
Vous dites que le miracle est impossible : tout dépend de la définition qu’on en donne. Assurément, s’il fallait y voir une « violation de l’ordre, » un renversement des lois de la nature, et, pour ainsi parler, une divine contravention, ce serait un non-sens, une impiété d’y croire, car Dieu ne saurait se contredire et troubler l’harmonie de l’univers. Mais, à nos yeux, le miracle n’est pas une dérogation aux lois de la nature. En ces termes, la définition est inexacte et la question mal posée. Ou, du moins, il faut s’entendre. Quand je soulève un fardeau au-dessus du sol, ma force musculaire, obéissant à ma volonté, entre en lutte avec la loi de la pesanteur et en neutralise les effets : appelez-vous cela une dérogation aux lois de la nature ? Alors je consens que le miracle en soit une. Mais si vous prenez l’expression en mauvaise part et que vous refusiez de l’appliquer à mon acte, je vous dénie aussi le droit de l’appliquer au miracle, et cela au nom des principes que nous tenons de la révélation elle-même.
La Bible n’ignore pas qu’il existe un « ordre naturel » établi de Dieu. Parlant des phénomènes physiques, elle déclare que « l’Eternel a donné des lois et ne les violera point. » (Psaumes 48.6) « Si ces lois viennent à cesser devant moi, la race d’Israël aussi cessera pour toujours d’être une nation devant moi. » (Jérémie 31) De cette immuabilité des lois du cosmos, qu’ils ont proclamée deux ou trois mille ans avant les modernes, les écrivains sacrés ont-ils conclu à la négation du surnaturel ? Au contraire ! Ils y voyaient une preuve, une garantie de la fidélité de Dieu à son alliance, un motif de compter sur son secours, dût-il être miraculeux. Leur foi les élevait à une hauteur où les deux sphères se rejoignent dans l’unité. Il ne leur venait pas à l’esprit de les opposer l’une à l’autre.
Ce point de vue n’est-il pas le meilleur, le seul vraiment rationnel ? L’homme n’est-il pas en quelque manière un être surnaturel au sein de la nature ? Quand les nègres de l’intérieur de l’Afrique voient pour la première fois un navire à vapeur, ils s’imaginent avoir devant les yeux une apparition surnaturelle : se trompent-ils ?… Oui et non. Ils ont raison en ce sens que la nature à elle seule n’eut jamais produit cette merveilleuse machine ; qu’il a fallu pour cela le génie créateur de l’homme, un déploiement inouï d’énergies intellectuelles et morales, c’est-à-dire le concours d’une force supérieure à la matière. A la place de l’homme, mettez Dieu : toutes proportions gardées, le miracle n’est pas autre chose. C’est l’intervention d’une force divine dans le jeu des forces de la nature, mais il ne les supprime point, il s’en sert. Il n’est pas contra naturam, mais præter naturam, il ne contredit pas la nature, il la dépasse, il la domine pour l’employer à ses fins et produire un nouvel ordre de choses qui deviendra naturel à son tour. Il n’est donc ni « conforme » à la nature ni « contraire » à la nature, mais comme une greffe qui la transforme en vue d’un résultat meilleur.
La greffe est-elle réussie ? Etait-elle nécessaire, opportune ? Ceci est une autre question. Il ne s’agit plus de savoir si le miracle est en désaccord avec la nature, mais en désaccord avec Dieu.
La notion de l’Etre parfait, tel est, en définitive, le vrai point de départ de toute la discussion, le seul légitime quand on n’est pas matérialiste ou panthéiste. Opposer la nature comme un obstacle à Celui qui a fait la nature, nous ne concevons point ce langage. Comme si la matière n’était pas subordonnée à l’esprit ! Comme si le monde phénoménal était autre chose qu’un moyen, un utile instrument, admirable par surcroît !
Mais quand l’objection, émanant de la haute idée qu’on pense avoir de Dieu, est formulée en ces termes : ce sont les perfections divines elles-mêmes qui sont menacées par l’ingérence d’un pouvoir magique dans le cours des choses ; Dieu respecte son ouvrage et ne le modifie pas arbitrairement ; les lois de la nature sont immuables, non en soi, mais parce que c’est lui qui les a fondées ; alors nous écoutons avec sympathie et pensons que sur ce terrain il sera plus facile de s’entendre.
J.-J. Rousseau lui-même, par un de ces éclairs de bon sens qui ne sont point rares sous sa plume, blâme sévèrement ceux qui mettent en question que Dieu puisse faire des miracles : « c Cette question, dit-il, serait impie si elle n’était absurde : ce serait faire trop d’honneur à celui qui la résoudrait négativement que de le punir ; il suffirait de l’enfermer. » Malheureusement, c’est là une concession purement platonique : Dieu pourrait faire des miracles, s’il le voulait, mais… il ne peut pas le vouloir, parce qu’il ne peut se démentir. Nous retrouvons ici le dogme préféré de la « religion naturelle, » la thèse favorite de Jules Simon : Dieu est immuable par essence, il ne saurait modifier sa volonté, ni, par conséquent, les lois qu’il a établies.
Certes, la volonté de Dieu n’est pas changeante, notre conscience l’atteste non moins que la raison. Que deviendraient nos espérances immortelles ? Où serait notre confiance, notre sécurité, si nous ne savions que Dieu est fidèle ? Cette précieuse vérité, les chrétiens ne l’ont pas apprise des philosophes. N’est-ce pas la Bible qui dépeint Dieu comme « le Père des lumières, en qui il n’y a ni variation ni ombre de changement ? » (Jacques 1.17) Mais elle parle de cet attribut à un point de vue religieux et y voit avant tout une perfection morale, vivante et active, tandis que l’immutabilité divine, telle que le rationalisme la conçoit, a un caractère négatif et abstrait, et ressemble plutôt à l’immobilité de la mort : c’est une idole métaphysique.
Nous ignorons ce qu’est Dieu ontologiquement, mais nous savons une chose, c’est que sa volonté est toujours semblable à elle-même. Partons de cette donnée, admise également par nos contradicteurs. Pour dissoudre l’objection qu’ils en tirent contre la foi chrétienne, une simple question suffira : la volonté de Dieu peut-elle, oui ou non, être conditionnelle dans certains cas ? Si oui, elle ne peut plus être immobile ni uniforme ; car, se proposant des fins éventuelles, elle agira ou n’agira pas, ou agira autrement, suivant que les conditions seront bien ou mal remplies. Si non, vous tombez dans le fatalisme absolu, et ce n’est pas la prière seulement qui devient inutile, c’est tout travail quelconque. Croisons-nous les bras, comme les Arabes en temps de famine. S’il est écrit que nous devons mourir de faim, tous, nos efforts n’y peuvent rien changer ; et si Dieu a résolu de nous conserver la vie, sa volonté s’exécutera infailliblement, quoi que nous fassions. Chose singulière, et qui montre combien les meilleurs esprits peuvent être aveuglés par une idée fixe ! Jules Simon déclare que, « si Dieu devient semblable à l’un de nous, accessible à la colère et la pitié,… la Providence doit changer de nom et s’appeler le Destin. » (p. 249.) C’est pour le Dieu dont la volonté est conditionnelle et sait se plier aux circonstances, dont l’action varie selon les fluctuations de l’histoire, c’est pour le Dieu-Père qu’il réserve le nom de Destin ! Comme si ce terme n’impliquait pas justement l’idée opposée, celle d’une volonté inconditionnelle qui va son chemin avec une nécessité irrésistible et implacable, sans égard aux vœux ni aux douleurs de ceux qu’elle broie sur son passage !
Cependant Jules Simon n’est point fataliste et peut aisément être réfuté par lui-même : « Nous savons, dit-il, que Dieu se réjouit de nos vertus et qu’il nous aime à proportion de nos mérites. » (p. 320.) Notre conduite influe donc sur les sentiments de l’Eternel et sur sa félicité. Nos vertus lui causent de la joie ; partant, nos péchés lui causent du déplaisir. Et voilà notre philosophe pris en flagrant délit d’anthropomorphisme ! Il dit encore : « Le bonheur que Dieu nous réserve est sans pair. Nous sommes sûrs de l’atteindre… » (Qu’allez-vous ajouter ? Du moment que Dieu vous le « réserve, » tout est fini par là !) en suivant la justice. » (p. 318) Même pensée deux pages plus haut : « Le bonheur ne peut nous manquer dans une autre vie, si nous sommes justes. » (p. 316) Ainsi la volonté de Dieu est que nous soyons parfaitement heureux dans l’autre monde ; et néanmoins, si sacrée qu’elle soit, cette volonté pourrait ne pas s’accomplir ; cela dépend… de nous ! Que devient alors cette autre déclaration : « Ce Dieu qui attend notre résolution pour agir n’est plus le Dieu infini de la raison ? » (p. 228.) Elle tombe. Est-ce à dire que Dieu ait « une volonté capricieuse, aux mouvements désordonnés ? » (p. 249.) Cela signifie, au contraire, qu’il a un plan sagement « ordonné, » où les moyens sont subordonnés aux buts, les buts secondaires au but suprême, les biens inférieurs au souverain bien ; et c’est par fidélité envers lui-même que sa volonté diffère selon les cas : ce n’est pas elle qui change, mais les milieux où s’exerce son action. « Si nous souffrons avec lui, dit saint Paul, nous régnerons aussi avec lui ; si nous le renions, lui aussi nous reniera, car il ne peut se renier lui-même. » (2 Timothée 2.12-13)
Minuscule conjonction que ce petit mot de deux lettres : si ! Eh bien, nous n’hésitons pas à le dire, il n’en faut pas davantage pour faire crouler par la base et le rationalisme spéculatif, et le matérialisme et le panthéisme, toutes les formes du déterminisme. Introduisez l’idée de condition quelque part dans l’organisme universel, et vous n’avez plus de raison valable pour nier le surnaturel, l’exaucement des prières et la possibilité du miracle. L’ordre naturel, tel que nous le connaissons, est lié à certaines éventualités d’un autre ordre, et ne constitue plus un tout fermé : le mot si a ouvert la brèche, la digue est rompue, et le fleuve des eaux vives peut faire sa trouée pour se répandre à flots sur l’humanité.
Remontez à la source de ce fleuve : elle se confond avec les origines du monde, comme l’a si bien compris le livre des Proverbes, dans cette intuition grandiose où, personnifiant l’intelligence ordonnatrice de l’univers, il fait dire à la Sagesse :
Quand Dieu traçait le cercle de la terre
Et mesurait l’espace de sa main.
Quand, près de lui, j’étais son ouvrière,
Mon idéal était le genre humain.
Nous traduisons librement, mais ces mots du texte : « Je faisais mes délices des enfants des hommesj, » ne peuvent signifier autre chose : avant que l’homme fût, je travaillais déjà en sa faveur.
j – Proverbes 8.31.
On dit que Dieu ne fait jamais des miracles : la science elle-même nous met en situation d’affirmer le contraire. Nous en avons des exemples authentiques dans l’histoire de la formation du globe. Il fut un temps où la vie n’existait pas sur notre planète. L’apparition de la première cellule végétale, de la première fleur qui ait embaumé l’atmosphère, a-t-elle été une « violation de l’ordre naturel, » une dérogation aux lois jusqu’alors en vigueur ? C’était un miracle, pourtant, le résultat d’un acte divin, à moins d’avoir recours à l’idée absurde de la génération spontanée, plus tard apparaissent des organismes doués de mouvement et de sensibilité : rien dans le passé ne le faisait prévoir. La création des espèces animales a-t-elle été un « désordre ? » Un ange devait-il dire à Dieu : « De grâce arrête-toi ! Tu as établi le monde comme il est, tu n’as pas le droit d’y rien changer ! » Et surtout quand l’homme parut, et avec lui la loi morale, le monde supérieur de la liberté, de la conscience, du divin, n’était-ce pas l’irruption d’un principe nouveau, de valeur éternelle cette fois, au sein de la nature ?
Et qui vous dit que l’œuvre est achevée, que l’acte créateur, après avoir produit l’homme primitif, a dit son dernier mol, que le plan du divin architecte ne comportait pas, à des heures déterminées par lui, certaines reprises du travail séparées par des intervalles de repos ? La philosophie de la nature, sous la plume pénétrante de M. Emile Boutroux, aboutit à cette conclusion d’une singulière saveur :
Le triomphe complet du bien et du beau ferait disparaître les lois de la nature proprement dites et les remplacerait par le libre essor des volontés vers la perfection, par la libre hiérarchie des âmesk.
k – De la contingence des lots de la nature, 2e édit., p. 170.
Non, Dieu n’agit point par caprice ; il ne fera pas des miracles pour le simple plaisir d’en faire ou pour étonner les mortels : sa puissance ne va pas à l’aventure elle est toujours inspirée par sa parfaite sagesse ; mais lui seul est juge de sa propre pensée et des meilleurs moyens de la réaliser. De la part des matérialistes, je le répète, la négation du miracle est logique ; mais dans la bouche de ceux qui croient en Dieu, qui estiment que la nature n’a pas son but en elle-même, et pour lesquels la suprématie du monde moral n’est pas un vain mot, cette négation ne se comprend plus. Elle se comprend d’autant moins que le désordre règne en ce monde. Il faudrait fermer les yeux pour ne le point voir.
L’ancien déisme ne se lassait pas de répéter que le miracle est une retouche de l’œuvre divine, et qu’en y croyant on porte atteinte à la perfection du Créateur, dont on fait un « ouvrier malhabile. » Mais, quand il employait cette image, il oubliait un point essentiel : il faisait totalement abstraction du monde moral et raisonnait comme s’il n’y avait de place que pour un mécanisme aveugle dans le temple auguste de la création. Prenez la loi morale au sérieux, tout change. La liberté humaine, condition du bien, impliquait la possibilité du mal. Dieu savait donc d’avance que son œuvre pouvait être gâtée ; et, s’il l’a néanmoins mise au jour, n’est-ce pas la preuve qu’il se réservait, le cas échéant, d’intervenir pour imprimer à l’histoire une direction nouvelle, plus conforme à son intention première ? Et si, le désordre une fois produit, il avait laissé le monde aller à la dérive, s’il avait renoncé à réaliser son plan, cessé de vouloir ce qu’il voulait à l’origine, n’est-ce pas alors qu’il eût paru se renier lui-même et se démentir ?
Une seule chose est « contre nature, » c’est le péché, cette révolte insensée contre la loi suprême, ce renversement de l’ordre divin. Or, le péché existe, avec toutes ses conséquences, la corruption, la souffrance et la mort. Voilà pourquoi une « retouche » était nécessaire, je veux dire un remède, une œuvre de restauration. Quand les pharisiens disaient à Jésus-Christ : « Il ne t’est pas permis d’opérer des guérisons le jour du sabbat, » il leur répondait victorieusement : « Le Fils de l’homme est maître même du sabbat, car le sabbat (loi divine pourtant) a été fait pour l’homme, et non point l’homme pour le sabbat. » Les adversaires du miracle raisonnent exactement comme les pharisiens. Ils disent à Dieu : « Il ne t’est pas permis d’agir dans le monde en dehors des lois naturelles ; il ne t’est pas permis de sauver les hommes par un miracle, dussent-ils périr dans le désespoir ! » N’avons-nous pas le droit de leur répondre, à l’exemple de notre Maître : « La nature a été faite pour l’homme, et non point l’homme pour la nature ; c’est pourquoi le Fils de l’homme est seigneur même des lois de la nature ? »
Comme un ouvrier modèle, dont l’œuvre a été gâtée par une cause étrangère à sa volonté, et qui se remet au travail sans tarder un instant, « l’Eternel n’abandonne pas l’ouvrage de ses mains. » L’homme perdait de vue les réalités supérieures : il fallait l’arracher à l’esclavage de la chair et le rendre à sa haute destination. Il fallait que l’invisible fit acte de présence et de souveraineté au milieu du visible ; il fallait que le bien personnifié apparût sur la terre, et que le monde moral, audacieusement méconnu, affirmât ses droits sur la création inférieure. La carrière du Fils de l’homme a été d’un bout à l’autre la vivante démonstration de ce principe, qui est à la base de l’économie universelle et qui allait sombrer dans le gouffre du mal : c’est que l’empire absolu appartient à la sainteté.