L’histoire des religions a reçu dans ces derniers temps une impulsion qu’elle n’avait jamais eue, favorisée qu’elle est par les progrès de la philologie comparée, et toutes les deux par les nouveaux moyens d’informations que la civilisation moderne procure à tout le monde et à la science en particulier. L’on n’étudie plus seulement aujourd’hui les mythologies des peuples classiques que tout homme cultivé doit connaître. La science porte aujourd’hui ses investigations, et non les moins curieuses et les moins instructives, jusque chez les sauvages les plus reculés ; elle les interroge sur leurs croyances et leurs traditions religieuses ; elle consigne avec soin, avec un soin qui sera parfois jugé excessif et superstitieux, leurs réponses, dont aucune ne sera négligée dans les constructions systématiques projetées.
La thèse courante aujourd’hui, et dont Hegel, croyons-nous, fut le principal initiateur, c’est que l’évolution religieuse est soumise comme toute autre à des lois nécessaires, d’où il résulte que les formes même les plus dégradées de la religion avaient leur place nécessaire et par conséquent légitime dans le progrès de l’humanité.
Dans sa Philosophie des religions, Hegel établit leur hiérarchie en trois degrés.
Le premier comprend la religion où Dieu est partout dans l’identité du naturel et du spirituel. C’est le degré de la servitude, qui est représenté par les différentes formes du fétichisme.
Le second degré est celui où l’individualité spirituelle apparaît ; où la pensée devient dominante et déterminante, et où l’élément naturel se trouve réduit à la mesure d’un moment passager et accidentel.
Ce second degré comprend trois variétés : la religion de l’élévation (Erhabenheit) ; la religion de la beauté ; la religion de l’utilité (Zweckmässigkeit). Ce sont les religions des Juifs, des Hellènes et des Romains.
Le troisième degré est celui de la religion absolue (le christianisme) où dominent la vérité et la liberté, et qui comprend lui aussi trois déterminations principales : la première, dans laquelle Dieu est pour l’esprit fini pure pensée : c’est le règne du Père (les premiers siècles du christianisme). La seconde est le règne du Fils, où Dieu entre dans l’élément de la représentation et de la particularisation (époque des disputes christologiques). La troisième est le règne de l’esprit où s’exprime la conscience de la réconciliation de l’homme avec Dieu (hégélianisme).
Nous n’avons pas à réfuter le paganisme comme tel, puisqu’il ne trouverait plus de défenseurs an milieu de notre civilisation. L’accord cessera dès qu’il s’agira de le juger. Devons-nous le tenir pour une phase absolument anormale, pour une déviation coupable du développement religieux de l’humanité, pour un phénomène étranger au plan divin de son histoire, sans raison d’être ni métaphysique ni morale ; pour une chute dans la chute ou bien pour un degré du progrès ?
Pour résoudre cette question principale, unique même, nous examinerons les trois points suivants, compris dans le sujet de notre chapitre :
- Age du polythéisme ;
- Caractéristique morale du polythéisme ;
- Rang à assigner au polythéisme dans la série des religions.