Je suis sorti nu du sein de ma mère, et nu je retournerai dans le sein de la terre. L’Eternel a donné, et l’Eternel a ôté ; que le nom de l’Eternel soit béni !
(Job 1.21)
Vous savez tous vraisemblablement qu’au commencement de la semaine qui vient de s’écouler, j’ai perdu un fils mort pour la patrie, comme tant d’autres, dans la force de l’âge, alors qu’il avait toutes sortes de raisons d’aimer là vie et qu’il la faisait aimer aux autresa. Je vous suis, ainsi que tous les miens, profondément reconnaissant de la sympathie qu’un grand nombre d’entre vous nous ont exprimée, et que tous éprouvent, j’en suis certain. Mais, cela dit, ce n’est pas de moi qu’il peut être question dans cette chaire, c’est de vous et du salut de vos âmes. Vous vous étonnerez peut-être que je n’interrompe pas mes prédications au lendemain d’un si grand malheur. Mais, à mon âge surtout, le temps est court ; les occasions qui me sont offertes de vous annoncer la Parole de Dieu sont d’autant plus précieuses qu’elles sont désormais plus rares, et je ne puis m’empêcher d’espérer que celle-ci sera particulièrement favorable. Vous m’écouterez avec sympathie et vous reconnaîtrez sans peine que j’ai acquis plus qu’auparavant le droit et la capacité de porter avec vous vos souffrances. C’est en effet aux affligés que je m’adresse surtout aujourd’hui. Ceux qui ont été épargnés jusqu’à ce jour (oh ! que Dieu veuille continuer à entourer ceux qui leur sont chers de sa protection paternelle !) n’auront aucune difficulté à entrer dans nos sentiments. Ils savent d’ailleurs qu’en ces temps terribles nous sommes tous et tous les jours sous la menace du malheur et de la mort. On dit beaucoup que nos chers soldats ont fait d’avance le sacrifice de leur, vie, et que c’est là ce qui les rend intrépides. Nous aussi, leurs parents, faisons d’avance le sacrifice de ces vies qui nous sont si précieuses ; donnons-les à Dieu et à la France. Ainsi, si nous sommes frappés à notre tour, notre douleur sera exempte de murmure ; si nous continuons à être épargnés, notre joie sera pleine d’actions de grâces.
a – Sermon prêché le 5 Mars 1916 au Grand-Temple de Nîmes, par M. le pasteur BABUT, à l’occasion de la mort de son fils E.-Ch. Babut, sous-lieutenant d’infanterie, tué à l’ennemi le lundi précédent, 28 février.
Les circonstances dans lesquelles furent prononcées les paroles que j’ai prises pour texte vous sont sans doute familières. Par sa piété et sa fidélité. Job est tout spécialement l’objet de la faveur de Dieu, qui s’honore d’avoir un tel serviteur ; mais, en même temps, il est en butte à toute la malignité de Satan. Celui-ci jette à Dieu une sorte de défi ; il prétend que la grande piété de Job ne résistera pas à l’épreuve de l’adversité. Et Dieu accepte le défi ; il laisse faire ce cruel adversaire ; il lui permet à deux reprises, d’abord de priver Job de ses biens, puis de mettre la main sur sa personne, pourvu que sa vie soit sauve. Job est donc précipité du faîte d’un bonheur exceptionnel jusqu’au fond de l’adversité la plus complète ; après avoir perdu ses biens et ses enfants, il est en proie à une lèpre hideuse ; il devient un objet de pitié et même de dégoût pour ceux-là mêmes à qui la veille il faisait l’aumône. Sa femme seule lui reste, mais loin de lui être secourable, elle lui donne ce conseil impie : « Maudis Dieu, et meurs ! » Job alors se redresse dans toute l’énergie de sa foi. Il bénit Dieu au lieu de le maudire ; il prononce ces admirables paroles : « L’Eternel avait donné, l’Eternel a ôté ; que le nom de l’Eternel soit béni ! » En tout cela, dit l’auteur sacré, Job ne pécha point, et n’attribua à Dieu rien qui soit indigne de lui. Mes frères et mes sœurs en Jésus-Christ, nous avons tous plus de lumière et de privilèges spirituels que Job ; efforçons-nous pourtant, comme nous y exhorte l’apôtre Jacques, d’imiter et d’égaler sa patience.
Ce qui me frappe d’abord, c’est que Job considère son malheur essentiellement, uniquement même, au point de vue de Dieu et de sa volonté souveraine. Il ne s’arrête pas aux causes secondes. Il ne s’indigne pas contre la maladresse ou le manque de conscience des constructeurs qui bâtissent des maisons qu’un coup de vent renverse, ni contre la police mal faite qui livre les honnêtes gens et leurs biens à la merci des brigands. Quant à Satan, Job paraît ne rien savoir de son intervention. Il y a pourtant là un côté des faits qui est réel et sur lequel nous aurons à revenir ; Dieu n’est pas la seule cause et la seule volonté qui agisse, dans le monde. Mais la tendance naturelle et légitime de l’âme religieuse est de se placer vis-à-vis de Dieu, de se persuader que c’est à lui qu’elle a affaire, de recevoir de sa main les maux comme les biens. Ne vous laissez pas ravir cette foi, mes chers frères ; ne soyez pas de ceux qui séparent Dieu et l’exilent, pour ainsi dire, du cours actuel des choses et qui, lorsqu’ils souffrent, se persuadent que Dieu n’est pour rien dans ce qui leur arrive. Cette supposition est contraire au langage constant de l’Ecriture sainte et aux déclarations les plus formelles du Seigneur Jésus-Christ. Dans ma conviction, elle heurte et froisse les besoins les plus profonds de nos âmes bien plutôt qu’elle ne les satisfait. Combien plus consolante et plus évangélique est cette pensée de l’épître aux Hébreux : « Dieu nous châtie en Père, pour nous rendre participants de sa sainteté » ! Il sait ce qu’il fait, alors même que nous ne le savons pas et que nous n’y comprenons rien.
Ce que j’admire encore chez Job, c’est qu’il fait une réflexion bien simple et qui pourtant ne vient pas à l’esprit de beaucoup d’affligés. Plusieurs ne voient que la sévérité actuelle de Dieu : ils s’en étonnent ; ils en demandent le pourquoi avec insistance et même avec amertume. « Pourquoi Dieu me prend-il ce bonheur dont je ne pouvais pas me passer ? pourquoi retranche-t-il cette vie, sans laquelle ma propre vie n’a plus de charme ni de raison d’être ? » Job est plus juste et plus raisonnable que cela. Il considère que ce que Dieu prend, il l’avait d’abord donné. Qu’avons-nous en effet que nous n’ayons reçu de lui ? Il ne pense pas que le malheur qui le frappe dans sa vieillesse doive lui faire oublier toute une vie de prospérité et de bénédictions. Réfléchissez à cela, mes frères. Dites-vous que si votre malheur d’aujourd’hui est si grand, c’est que votre bonheur d’hier ne l’était pas moins. Si la perte de l’être aimé vous est si cruelle, c’est donc que sa présence et son affection vous étaient exceptionnellement douces. Rappelez-vous le jour heureux, et qui devrait être inoubliable, où Dieu vous a donné, soit ce mari dévoué, soit cet aimable enfant. Après l’avoir donné une première fois, Dieu a continué pendant des années à vous le donner chaque jour de nouveau, soit en écartant de lui le péril, en le relevant de telle grave maladie, soit en lui donnant ces qualités du cœur et de l’esprit qui vous l’ont rendu toujours plus cher et qu’atteste aujourd’hui la profondeur de vos regrets. Est-ce que tout cela n’eût pas mérité de votre part une vive et constante reconnaissance ? Mais peut-être votre bonheur vous a-t-il paru si naturel, si normal, que vous avez à peine songé à en remercier Dieu. Vous ne consentez à discerner sa main que lorsqu’elle vous frappe. N’y a-t-il pas là beaucoup d’injustice et d’ingratitude ?
« Ah ! dites-vous peut-être, Dieu aurait mieux fait de me laisser ignorer ce bonheur que de m’en faire jouir pour un peu de temps et de me plonger ensuite, en me le retirant, dans une souffrance d’autant plus amère. » – Il y a vraiment beaucoup de déraison dans ce langage. Ne saviez-vous pas que tout bien terrestre est passager, que tout lien terrestre se rompt tôt ou tard, que tout trésor terrestre est de ceux que les vers et la rouille détruisent ? Prétendiez-vous que Dieu établît pour vous une économie spéciale et unique, et transportât d’avance l’immortalité dans le domaine de la mort ? – « Non, dites-vous, mais pourquoi mon bonheur a-t-il été plus court que celui de tant d’autres, que je pourrais nommer ? » Mais je dis à mon tour : pourquoi votre bonheur a-t-il été plus long que celui de tant d’autres qu’il me serait facile de nommer aussi ? N’est-ce pas à Celui-là seul qui nous a fait de tels dons qu’il appartient d’en fixer la durée ? Lui adresser des reproches à cet égard, quereller en quelque sorte les voies de sa Providence, n’est-ce pas méconnaître à la fois l’absolue dépendance où nous sommes vis-à-vis de lui comme étant ses créatures, et l’indignité à l’égard de ses faveurs divines qui résulte de notre commune désobéissance à ses saintes lois ?
« L’Eternel avait donné…. » D’après les vérités évidentes que nous venons de rappeler, Job aurait pu dire : « L’Eternel avait prêté. » En effet, tous les biens de ce monde ne nous sont remis que pour quelques jours ; ils ne peuvent pas devenir notre propriété réelle et immuable. Comme l’a dit le poète, nos félicités les mieux établies en apparence
Ne sont jamais sur nous posées
Que comme l’oiseau sur les toits.
Cela est absolument vrai de tous les biens matériels. Nul n’a réussi à transporter un sac d’écus au-delà de la tombe ; à quoi cet argent lui servirait-il ? Il n’a pas cours dans l’autre monde. Dans le séjour des morts, le riche qui se traitait bien et magnifiquement tous les jours n’a plus de quoi payer une goutte d’eau. Mais nous ne pouvons pas, nous ne devons pas considérer sous le même jour les affections qui nous unissent à ceux que Dieu nous a donnés à aimer, ni leur attribuer la même irrémédiable fragilité. Dieu nous les a donnés ; ici le mot de Job reprend toute sa force. Et l’apôtre Paul assure que « les dons et la vocation de Dieu sont sans repentance. » Si nous aimons en Dieu ceux qui nous sont chers, si nous avons prié pour eux et si nous avons cherché par-dessus tout le bien de leurs âmes, il y a dans le lien qui nous unit à eux quelque chose d’éternel. Il n’y a donc pas entre les deux sentences dont se compose mon texte une parité absolue. Au point de vue chrétien, nous avons le droit de dire : Dieu nous a donné, mais ce n’est pas pour un temps seulement. Dieu nous ôte, mais ce n’est pas pour toujours. Voilà pourquoi encore l’action de grâces a toujours sa raison d’être et le murmure est insensé.
« L’Eternel a ôté ». Telle est la seconde sentence de notre texte. Nous avons déjà constaté que si celle-ci a sa profonde vérité religieuse, elle n’exprime pourtant qu’un côté de la vérité. Job aurait eu le droit de se plaindre des Bédouins pillards qui ont fait leur proie de ses serviteurs et de ses troupeaux ; il aurait eu le droit surtout de protester contre l’intervention de Satan, de la détester et de la maudire. Par ce côté, le malheur subit et immense de Job n’est pas conforme à la volonté vraie et première de Dieu. Dieu n’aurait pas eu de lui-même l’idée (je sens tout ce que ce langage a d’humain et d’imparfait, mais je n’en puis trouver un plus exact) d’accabler de maux son fidèle serviteur et de pousser à l’excès sa souffrance, pour voir jusqu’où irait sa patience. Ces choses ne peuvent arriver que dans un monde où le mal est entré et dont Satan est le prince. Ainsi se trouve justifiée cette protestation qui est innée à l’homme contre la souffrance, surtout contre celle où la méchanceté de l’homme est plus visible et plus certainement agissante. C’est pour cela peut-être que les discussions et les contestations auxquelles Job ne craint pas de se livrer ensuite au sujet des voies divines sont finalement de la part de Dieu l’objet d’une indulgence qui nous étonne. Dans le même esprit, nous avons le droit de dire : Dieu n’a pas voulu cette guerre ; il n’a pas voulu la mort de nos enfants et la disparition subite, stupide et brutale de ces richesses intellectuelles et morales qu’ils avaient lentement accumulées et qu’ils emportent avec eux de ce monde ; c’est l’orgueil et l’ambition des hommes qui ont fait cela. Il est effrayant de penser qu’à un certain moment, quand l’empereur d’Allemagne a repoussé les tentatives réitérées et presque désespérées de la France, de l’Angleterre, de la Russie et de l’Italie pour écarter le conflit ; quand il a décidé d’exécuter le complot meurtrier qu’il avait formé dès longtemps contre la paix du monde, il a prononcé l’arrêt de mort de nos enfants, et en même temps celui de toute l’élite de la jeunesse contemporaine. Je ne le maudis pas ; je ne puis ni ne veux maudire personne, sachant que je n’ai personnellement d’espoir qu’en la pure grâce de Dieu ; mais je suis effrayé de la responsabilité que cet homme et ses conseillers ont encourue, et de tous mes vœux j’appelle un état de choses où il ne sera plus possible à un seul individu de déchaîner par un mot, par un geste, de telles calamités sur le genre humain. De toute la puissance de mon âme, je maudis la guerre. Je crois et je compte que le sang de nos enfants n’aura pas coulé en vain, non pour la conquête, mais pour la paix, pour la justice et pour l’humanité.
Tout cela dit, il faut pourtant en revenir à la parole de Job : « L’Eternel a ôté. » Puisqu’il a fixé à l’action de Satan ses limites, qu’il aurait évidemment pu faire plus étroites ou plus larges, il lui a donc laissé, en deçà de ces limites, toute liberté d’agir ; il lui a permis de faire tout le mal qu’il voulait et qu’il pouvait. Dans le même sens et au nom du même principe, il faut bien admettre que Dieu a permis la présente guerre et tous les malheurs particuliers qu’elle entraîne. L’Eternel a ôté ; c’est donc lui, maître souverain de toute destinée humaine, qui a rappelé de ce monde nos enfants. Cette pensée a un côté profondément mystérieux et douloureux ; je suis loin de l’ignorer ou de le contester. Mais elle renferme aussi une précieuse consolation. Rappelons-nous la belle parole que Joseph adresse à ses frères, quand il les voit confus, désolés, épouvantés du crime qu’ils ont commis à son égard : « Ce que vous aviez pensé en mal, Dieu l’a pensé en bien. » Les frères de Joseph n’avaient en vue que de se débarrasser d’un frère dont ils étaient jaloux ; de leur odieux complot, Dieu a fait sortir le salut temporel de l’Egypte éprouvée par la famine, et celui de la la famille de Jacob elle-même. Les ennemis de Jésus, n’obéissant qu’à la passion, à l’envie, à la haine religieuse, ont commis le plus grand crime dont la terre ait jamais été témoin. Dieu a fait servir ce crime à la rédemption de l’humanité. Si donc, tout en blâmant et en détestant, plus énergiquement que nous ne pouvons le faire, la guerre actuelle, Dieu l’a permise et par conséquent l’a fait entrer dans les plans de sa Providence, c’est qu’en un sens quelconque Dieu l’a pensée en bien, Dieu a le dessein et possède le secret d’en faire ressortir du bien. Quel sera ce bien ? Une manifestation plus éclatante que jamais de la gravité et de la folie du péché ? Une condamnation sans appel, non seulement de cette guerre, mais de toute guerre ? Une proclamation décisive de la nécessité et de la beauté du sacrifice ? Un appel plus pressant que jamais à nous attacher aux promesses de vie éternelle que Jésus-Christ seul nous apporte ? L’abandon d’un christianisme nationaliste, superficiel et mensonger, et le retour au christianisme apostolique, personnel, vivant, aimant et sanctifiant ? – Oui, nous croyons que, par sa sagesse, sa bonté et sa fidélité, Dieu fera découler de nos malheurs actuels ces bienfaits, et d’autres encore que nous n’apercevons pas.
Ce que je viens d’affirmer au sujet de la guerre en général, il faut oser le dire aussi de chacune des douleurs et des calamités dont elle est la source. Puisque Dieu les a permises, il faut qu’en un sens quelconque Dieu les ait pensées en bien, car Dieu ne peut avoir que de bonnes pensées. Je n’aurai pas la hardiesse de les interpréter et d’essayer de dire le pourquoi de votre épreuve et de la mienne. N’est-ce rien cependant de constater que nos chers soldats ont succombé dans l’accomplissement d’un devoir, qu’ils ont donné leur vie pour la patrie et pour l’humanité, et que, par ce côté, leur mort offre une certaine ressemblance, aussi éloignée que vous voudrez, avec celle de leur Sauveur et du nôtre ? Comment ne pas croire que Dieu éprouve des compassions spéciales pour cette élite si prématurément et si cruellement fauchée par la mort ; qu’il veut le bonheur et non le malheur, la vie et non la mort de ces jeunes qui se sont sacrifiés pour autrui ; qu’il leur réserve des compensations ineffables ? S’il les a ôtés de ce monde, il ne les a pas retranchés de son empire, ni par conséquent de son amour, et partout où subsiste l’amour de Dieu, l’espérance l’accompagne.
Reste la dernière partie de notre texte : « Que le nom de l’Eternel soit béni ! » Si les deux premières sentences nous disent ce que Dieu a fait, la dernière nous apprend ce que nous devons faire à l’égard de Dieu.
Avant tout, cette parole exprime la plus entière, la plus admirable soumission. Job se soumet à Dieu, à quel moment ? Lorsque Dieu lui cache sa face, lorsqu’il semble le livrer à Satan ; lorsque, après lui avoir tout pris, il le jette, misérable et immonde lépreux, dans la cendre de son foyer. Et jusqu’où Job pousse-t-il la soumission ? Comme je l’ai déjà remarqué, ce n’est pas assez pour lui de repousser avec horreur la pensée de maudire Dieu, ce n’est pas assez de s’abstenir de tout murmure : il bénit le nom de l’Eternel. Telle doit être, à plus forte raison, la soumission chrétienne. Elle ne dit pas seulement, avec le grand-prêtre Héli : « C’est l’Eternel, qu’il fasse ce qui lui semblera bon » ; pas seulement avec le psalmiste : « Je me suis tu et je n’ai pas ouvert la bouche, parce que c’est toi qui l’as fait. » Elle dit, avec Jésus à Gethsémané : « Père, s’il n’est pas possible que la coupe amère s’éloigne, que ta volonté soit faite et non la mienne ! » Cette soumission n’est donc pas seulement un aveu d’impuissance ; elle n’est pas seulement la reconnaissance du droit souverain de Dieu, qui reprend à son gré ce qu’il avait donné : elle est un acquiescement filial à la volonté du Père céleste.
La soumission, ainsi comprise et appliquée, contient et implique la confiance. Car le Père peut éprouver grandement et mystérieusement ses enfants, mais il ne peut pas ne pas vouloir leur bien.
Confiance d’abord à l’égard de ceux qui nous quittent. J’en ai déjà dit quelque chose. Ils ne sont pas perdus. Ce qu’ils seront n’est pas manifesté, pas plus que ce que nous serons nous-mêmes ; mais nous croyons que, par la direction souveraine et paternelle de Dieu, leur carrière, si brusquement interrompue ici-bas, se poursuivra ailleurs, dans un milieu plus favorable sans doute que cet affreux champ de bataille où ils ont passé les derniers jours de leur vie. Plusieurs nous ont attesté qu’ils priaient, qu’ils se confiaient en Dieu, qu’ils avaient mis toute leur espérance en Jésus-Christ et qu’ils n’avaient pas peur de la mort. Nous bénissons Dieu à leur sujet ; de telles morts sont déjà embellies et consolées par l’espérance, en attendant qu’elles soient englouties dans la victoire. D’autres, plus nombreux peut-être, n’étaient pas aussi avancés, aussi fermes dans la foi ; ils n’avaient pas eu à leur gré assez de temps, assez de facilités pour résoudre la question religieuse ; ils étaient peut-être séparés de Jésus-Christ et de son Évangile par des malentendus résultant, soit des objections et des préjugés de la science, soit aussi, ne l’oublions pas, des inconséquences et des infidélités du christianisme contemporain. Dieu les rejettera-t-il, alors qu’avant d’avoir pu se livrer à de plus mûres réflexions, ils ont marché à la mort par devoir ? Comme tout pécheur, ils ne peuvent être sauvés que par Jésus-Christ ; mais Dieu n’a-t-il pas le moyen de leur faire rencontrer et trouver ailleurs Celui qu’ils ont mal connu ici-bas ? Le bon Berger ne cherche-t-il pas sa brebis perdue jusqu’à ce qu’il l’ait trouvée, et n’est-ce pas pour sauver le monde, non pour le perdre que Jésus-Christ a donné sa vie ? Ayons confiance aussi pour nous-mêmes. Vous êtes peut-être tentés de dire qu’après avoir perdu ce que vous aviez de plus cher, la vie ne peut plus être pour vous qu’un délai inutile et importun avant l’éternel repos. Tenir ce langage, ce serait vous calomnier vous-même et calomnier Dieu. Vous calomnier vous-même, car il y a dans votre âme tout un trésor d’énergies insoupçonnées qui vous rendront capable, si vous le voulez, de vous adapter à l’existence terrestre, telle qu’elle vous est faite aujourd’hui, et d’en tirer encore un bon parti. Mais surtout, c’est calomnier Dieu, dont la grâce et le secours ne sont jamais au-dessous des devoirs et des épreuves qu’il impose à son enfant. Quand on a entre les mains la Parole de Dieu avec ses fermes et magnifiques promesses, au-dessus de soi un Dieu qui est un Père, un Sauveur qui est un intercesseur miséricordieux, devant soi la vie éternelle avec ses horizons sans bornes, à côté de soi des frères et des sœurs à aimer et à servir, on ne doit pas, on ne peut pas désespérer de la vie ; elle aura toujours son utilité, sa beauté et sa douceur.
Pour cela, il faut qu’elle soit désormais tout entière consacrée au service de Dieu. C’est la dernière et la plus haute leçon de l’épreuve. Que le nom de Dieu soit béni ! dit Job ; mais ce n’est pas seulement par nos paroles, c’est par nos vies, que le nom de notre Dieu doit être béni. Vous vous rappelez ce que Dieu dit à Abraham, après qu’il eût offert son Isaac sur la montagne de Morija : « Maintenant, je sais que tu m’aimes, parce que tu ne m’as pas refusé ton fils, ton unique. » Voilà qui nous concerne, chers compagnons d’infortune et de deuil. Nous avons donné à la patrie ce que nous avions de plus précieux, nos enfants ; dans notre pensée, n’était-ce pas aussi les donner à Dieu ? Jésus-Christ a-t-il sur nos cœurs des droits moins absolus que la France ? Après avoir fait au Seigneur ce don, pourrions-nous lui refuser quelque chose ? Notre argent, par exemple, ou notre temps, ou notre témoignage, ou nos services sous une forme quelconque ? Ayant appris de l’exemple de nos enfants qu’il n’y a rien de meilleur et de plus beau que le sacrifice, n’offrirons-nous pas nos corps et nos personnes en sacrifice vivant et saint à Dieu d’abord, puis aux hommes pour l’amour de Dieu ?
Ainsi l’événement douloureux qui a mis fin peut-être à ce que nous appelions notre bonheur, deviendra pour nous le point de départ d’une vie plus noble et plus pure. Nos enfants revivront en nous, et leur activité si tôt brisée se prolongera en quelque manière par ce qui reste de la nôtre. Après avoir béni désormais le nom de l’Eternel sans eux pendant les jours obscurs de notre existence terrestre, nous le bénirons demain avec eux dans la lumière du ciel.
Amen.