Je me vois encore obligé, à mon grand regret, de parler de moi. Je le ferai très brièvement, mais je ne puis l’éviter. M. de Gasparin a dressé cette liste de caractères pour me les appliquer. Il est à présumer qu’il en sera de cette application personnelle, comme du fond même de la question. Voyons-le !
Les remarques de M. de Gasparin sur le style mystique sont sans doute à mon adresse, puisqu’il trouve, dans son dernier article, que mon exposition est incertaine, vague, nébuleuse, telle enfin que je n’avance pas une proposition qui ne puisse être au besoin désavouée. Que répondre à ce reproche contre mon style ? Mon embarras ressemble à celui que j’éprouverais, si j’avais à défendre contre quelque blâme, le ton de ma voix ou la coupe de ma figure. Quant à celui de contradiction, je me demande si c’est mon livre qui est ici le vrai coupable, ou bien M. de Gasparin qui ne peut accorder des choses qui me semblent parfaitement conciliables, et qui voit des antithèses là où je ne trouve que de l’unité. J’espère que ce qui suit démontrera la justesse de cette observation. Voici, en effet, la manière dont M. de Gasparin applique ces cinq caractères du mysticisme à ma personne et à mon écrit.
Si je ne traite pas expressément du dogme dans un livre où je n’y étais pas appelé, et si au contraire je m’attache à démontrer que le christianisme est essentiellement une manifestation réelle du saint amour de Dieu dans la personne divine et humaine du Rédempteur, ce qui était ma thèse capitale, j’établis, aux yeux de M. de Gasparin, une opposition entre le dogme et l’amour ! Si je remarque par occasion, et sans appuyer nulle part sur la différence des types d’enseignement, qu’il y a des variétés dans la forme doctrinale des apôtres, malgré leur profonde et essentielle unité, alors, au jugement de M. de Gasparin, je n’ai qu’une vérité de Pierre, de Paul, de Jean, ou des vérités provisoires, mais je n’ai pas la vérité chrétienne, la vérité éternelle et absolue !
Si je reconnais des périodes ecclésiastiques dans lesquelles ont prédominé soit la doctrine, soit la législation morale, soit la réconciliation fondée par le Christ, et que je leur attribue un bien relatif, à côté de défauts notoires, alors, selon M. de Gasparin, je dis que tout est bien ; que tout est vrai, que rien n’est faux ; que chaque chose est utile à sa place ; que tout se réduit à des questions d’opportunité, d’impression et de succès !
Si je trouve que la charge prophétique du Christ domine dans l’antique Église, la royale au moyen âge, la sacerdotale à la réformation, et que la vérité se trouve dans leur harmonique alliance, je divise le Christ, d’après M. de Gasparin, et j’introduis une espèce nouvelle d’hérésie nestorienne !
Si je présente l’Église comme étant le corps de Christ, sans la différencier du monde en termes explicites, parce que cela s’entend tout seul, et si je la fais agir, d’un concert libre, avec l’État, pour réaliser la fin suprême de l’humanité, alors encore, s’il faut en croire M. de Gasparin, j’identifie l’Église avec le monde, et je ne sais voir en elle qu’une société tantôt vivante, tantôt morte, et parfois même hostile à la personne et à l’œuvre du Sauveur !
Si je fonde l’œuvre de la rédemption sur la nature spéciale de la personne divine et humaine de Jésus, et non pas la nature de sa personne sur son œuvre, au jugement de M. de Gasparin, je nie la rédemption et je ne mets à sa place que la rencontre de Dieu et de l’homme en Christ !
Si, en caractérisant d’une façon générale les périodes de l’Église, je ne détermine pas leur progrès par rapport à la Bible, si je ne traite pas de l’inspiration, et si je trouve la révélation proprement dite non pas tant dans l’Écriture qu’en Christ ; d’après M. de Gasparin je me sépare du principe scripturaire, et je veux qu’on s’appuie plutôt sur ce qu’on sent que sur ce qu’on lit !
Si, enfin, en comparant le christianisme avec les autres religions, j’emploie l’expression judaïsme pour désigner celle de l’Ancien Testament, cela montre à M. de Gasparin que tout particulièrement je dédaigne l’ancienne économie !
Tout cela, je m’imagine, n’a pas besoin de réfutation ; il suffit d’avoir constaté ces jugements. Oui certes, il y a ici abondance de confusions et contradictions, mais ce n’est pas moi qui les fais. C’est M. de Gasparin qui m’en gratifie, alors que j’en suis fort innocent. Il serait inutile de les discuter une à une. J’aime mieux développer positivement les points qui sont ici en question. Ce sera plus fructueux. Chacun pourra connaître alors mes principes et mes convictions. Tout le débat me semble se réduire à ces trois points : Quel est le rapport qui existe :
- Entre la règle extérieure et la règle intérieure ;
- Entre le dogme et l’amour ;
- Entre la personne et l’œuvre du Rédempteur.
Abordons-les tour à tour.