Il ne nous est pas raconté grand’chose d’Isaac. Il marche sur les traces de son père, et les promesses faites à Abraham lui sont renouvelées (Genèse 26.2-5). De ses fils jumeaux ce n’est pas l’aîné, comme il eût été naturel, mais le cadet qui est choisi pour être le porteur de la promesse, — afin, dit St-Paul (Romains 9.11), que le droit de libre élection ne soit jamais contesté à Dieu. La vie de Jacob est bien propre à montrer que les desseins de Dieu s’accomplissent en dépit de toutes les résistances humaines, et que le péché même est forcé de contribuer à l’exécution de la volonté céleste, sans cesser pour cela d’être péché et de mériter un châtiment. Remarquons, à la décharge de Jacob et de s amère, qu’Isaac en voulant bénir Esaü, oublie que Dieu avait positivement déclaré, avant même la naissance des jumeaux, que le plus grand servirait au moindre (Genèse 25.23). La ruse de Rébecca déjoue le projet d’Isaac.
Néanmoins, Jacob est coupable ; il doit fuir, lui qui aimait tant le foyer domestique, et plus tard, quand ses fils l’abreuveront d’amertume et qu’ils tromperont leur père comme il a trompé le sien, il devra reconnaître que Dieu est juste. Il y a des manuels où l’on s’efforce de justifier la ruse de Rébecca et de son fils. C’est bien à tort. D’abord la conscience de l’enfant risque bien d’être faussée par de semblables tours de force ; puis les nombreuses épreuves de Jacob perdent ainsi leur signification morale et disciplinaire.
Lors de son départ pour la Mésopotamie, l’Éternel lui apparaît à Béthel (Genèse 28.10) et lui fait des promesses solennelles. C’est son viatique pour les longues années de son pèlerinage sur la terre étrangère. A. son retour, également à Béthel, l’Éternel les lui confirme (Genèse 35.9), après qu’a eu lieu sur les bords du Jabbok la lutte nocturne qui est le point critique de la vie de Jacob et qui lui vaut, à lui et à tous ses descendants, le nom caractéristique d’Israël (Genèse 32.24 et sq.) Si l’ange de l’Éternel vient ainsi lutter avec Jacob, au moment même où l’approche d’Esaü le met déjà dans un si grand embarras et où il risque de se voir privé en un seul jour de tout le fruit de ses ruses, c’est qu’il a besoin d’apprendre que, dans les positions les plus désespérées, quand on est le plus accablé par le sentiment de ses fautes, il faut d’abord se mettre au clair avec Dieu, et que quand une fois on a arraché à Dieu sa bénédiction, on n’a plus rien à redouter des hommes. Mais il y a autre chose encore dans cette admirable histoire. Jacob lutte matériellement avec l’Éternel, il met en jeu les forces de son corps ; c’est ainsi que pendant toute sa carrière et jusqu’à cette heure décisive, il a constamment cherché à forcer la main à Dieu par des moyens charnels, tellement que ce n’est pour ainsi dire pas sans peine que Dieu est parvenu à le maîtriser. Jacob sort, boiteux du combat ; cela montre que Dieu ne se laisse cependant pas braver par l’homme naturel. Finalement Jacob l’emporte, mais ce n’est que grâce à la prière (Osée 12.4-5).
[Ordinairement on se contente de voir dans la lutte de Jacob le symbole de la prière ardente et persévérante : « Je ne te laisserai point aller que tu ne m’aies béni. » Mais il nous paraît que pour être complet il faut absolument distinguer, comme nous venons de le faire, deux sortes de luttes, la lutte charnelle et la lutte spirituelle.]
Le caractère de Jacob, du supplanteur, de l’homme fertile en expédients, est aussi le caractère naturel du peuple qui est issu de lui selon la chair. Mais le vrai peuple de Dieu descend d’Israël.