Mes frères, si quelqu’un d’entre vous s’écarte de la vérité, et que quelqu’un le redresse, qu’il sache que celui qui aura ramené un pécheur de son égarement, sauvera une âme de la mort, et couvrira une multitude de péchés.
Chers frères,
Il n’est pas difficile, croyons-nous, de peindre un tableau idéal des relations du chrétien avec ceux qui l’entourent : le Seigneur Jésus et les apôtres, nous indiquent en détail quelle doit être sa conduite. Avoir le cœur ouvert à toutes les plaintes humaines, à ce soupir immense qui chaque jour monte de la terre vers le ciel (Romains 8.22). Savoir être dans la joie avec ceux qui sont dans la joie et pleurer avec ceux qui pleurent (Romains 12.15). Pardonner, même sept fois par jour, et s’il était nécessaire, davantage encore, comme Dieu nous a pardonnés et nous pardonne encore chaque jour par Jésus-Christ. Sur ce tableau idéal proposé à notre admiration et à notre besoin de sanctification, n’omettons point de peindre un dernier trait : S’abstenir de juger et de mesurer les autres (Matthieu 7.1), sachant que Dieu nous jugera précisément d’après la nature des jugements que nous nous serons permis de porter sur notre prochain… Voilà, ou je ne comprends guère l’Évangile, ce que nous devrions nous efforcer de faire et d’être, regardant à notre modèle éternel, le Seigneur glorieux, et nous souvenant de cet ordre d’un de ses apôtres : Soyez mes imitateurs, comme je le suis de Christ (1 Corinthiens 11.1).
Cependant, il est deux devoirs du chrétien fidèle, que l’apôtre Saint-Jacques signale à ses lecteurs, et auxquels nous pensons peut-être trop rarement, mes chers auditeurs. Ces deux devoirs nous sont indiqués clairement dans les dernières lignes de sa lettre, — non pas, je pense, sous forme de post-scriptum, d’une importance secondaire, — c’est la conclusion solennelle, grave, sérieuse de toute son épître. Le premier de ces devoirs, auquel nous rendent attentifs les paroles qui précèdent immédiatement celles de mon texte, c’est de confesser à nos frères nos péchés (Jacques 5.16). Il va bien sans dire que c’est au Seigneur que nous devons en tout premier lieu les avouer, et avec larmes, et chaque jour, puisque nous péchons chaque jour. Mais au fond, le Seigneur les connaît mieux que nous, nos misères, nos faiblesses, nos vices même, puisqu’il sonde les cœurs et les reins. Avant que ma parole soit arrivée sur ma bouche, voici, ô Éternel, tu connais déjà tout (Psaumes 139.4). Avouer à notre Créateur nos péchés, ce n’est pas, Dieu me garde de proférer ce blasphème, le mettre au courant de notre situation morale. Hélas ! ne craignons point de le redire, il la connaît mieux que nous. Il voit aussi bien la lèpre du péché qui nous ronge que le manteau souillé et troué de nos prétendus mérites. Mais avouer à nos frères nos péchés, les faiblesses de notre système de défense contre le mal, et pourquoi pas ? Si nous prenons au sérieux le grand devoir de la sanctification, pourquoi ne répandrions-nous pas nos plaintes et nos espérances dans le sein et sur le cœur d’un fidèle ami ? (Jacques 5.16) Nous l’entretenons si souvent de choses indifférentes, d’affaires secondaires, d’intérêts passagers ! De l’abondance du cœur la bouche parle ; est-ce que le travail intérieur qui doit se faire en nous n’intéresse personne, et n’avons-nous jamais besoin d’encouragements humains ?
Mais j’arrive, mes chers auditeurs, à vous parler de ce second devoir que mentionne Saint-Jacques à la fin de son épître. Le fait que nous confessons nos fautes à nos frères sincèrement, franchement, spontanément, pour nous décharger le cœur et la conscience, pour qu’ils nous connaissent tels que nous sommes, ce fait nous donne aussi un droit. C’est celui de reprendre franchement, sincèrement, spontanément ceux de nos frères qui nous paraissent s’être écartés de la vérité. Il s’agit ici évidemment de la vérité religieuse, dont le trésor est contenu dans nos Saints-Livres. S’en écarter, c’est presque toujours risquer de faire naufrage au point de vue moral. Nous ne voulons certes pas dire que tous ceux qui répudient la vérité religieuse, telle que nous avons le bonheur de la comprendre et de l’apprécier, soient nécessairement des hommes immoraux. Encore sous l’influence secrète des impressions ineffaçables de l’enfance, — et qu’il me soit permis d’ajouter — par une heureuse inconséquence, il est des incrédules dont la conduite morale est en exemple à bien des chrétiens. Nous n’avons point voulu dire non plus que tous ceux qui possèdent et apprécient la vérité religieuse soient nécessairement des modèles. Hélas ! il en existe bien trop qui, par une fatale inconséquence, font honte à l’Évangile et crucifient de nouveau le Seigneur de gloire. Mais, règle générale, mes frères, étant tenu largement compte de toutes les exceptions, qui sont aussi nombreuses qu’honorables, une déviation dans les croyances est presque aussitôt suivie d’un affaiblissement, pour ne pas dire d’une catastrophe dans la vie morale. C’est profondément regrettable, mais c’est naturel, et c’est presque fatal. J’ai déjà instruit, vous le savez bien, mes chers frères, de nombreuses classes de catéchumènes. Pour me servir d’expressions populaires, ceux qui vont le mieux, ceux qui font le mieux leur chemin, ceux qui font honneur à la paroisse et plaisir à, leurs parents, sont-ce ceux qui ont dit dans un moment d’irréflexion et d’étourderie juvéniles : « Brisons ces chaînes, secouons ce joug, mangeons, buvons, réjouissons-nous, car demain nous mourrons » ? (Psaumes 2.3) Je ne juge personne, mes frères, et je ne désespère jamais du retour des enfants prodigues dans la maison paternelle ; mais poser la question, c’est la résoudre. Plus d’un d’entre eux a confirmé la vérité invariable de cette expérience que j’ai faite pendant plus de vingt années, et cela dans un moment solennel, quand il n’est pas trop tard, sans doute, pour se repentir, mais trop tard néanmoins pour revenir en arrière, au lit de mort.
Rendre notre prochain attentif à cette déviation, à cette corruption de sa foi religieuse, et, le cas échéant, à la démoralisation progressive qui en résulte presque fatalement, voilà le devoir bien clair et bien net que les paroles de notre texte nous imposent, mes frères.
C’est peut-être pour la première fois de ma vie que j’apporte en chaire ce sujet ; je regrette de ne point l’avoir fait plus souvent. Ne sommes-nous pas tous les membres d’un seul corps (1 Corinthiens 10.7), et si l’un des membres souffre, tous ne souffrent-ils pas avec lui ? Loin de moi la pensée de désirer l’organisation d’une sorte de discipline rigoureuse, d’une surveillance jalouse exercée par les uns sur les autres ; ce serait le retour à un ordre de choses que personne parmi nous, que je sache, n’a jamais regretté. Il y a bien loin de là à ces sages et bienveillants conseils qu’un vieillard a le droit de donner à un jeune homme, un instituteur à son élève, une mère à sa fille, un père à son enfant. Mais je vous entends me proposer, mes chers auditeurs, pour vous libérer de l’accomplissement de ce devoir sacré, un certain nombre d’objections. Si l’un de mes frères court, le risque de se perdre, corps et âme, cela le concerne, cela le regarde, c’est son affaire. Il sait aussi bien que moi à quoi il s’expose. Il connaît aussi bien que moi les lourdes et terribles responsabilités qui l’attendent. Je n’aime pas à m’immiscer dans les affaires matérielles d’autrui, encore moins dans ses affaires morales. Je ne veux pas compromettre l’intimité de mes relations avec qui que ce soit par des ouvertures qu’on recevrait probablement ; froidement et peut-être fort mal. Reprendre doucement les pécheurs, et, au besoin, les censurer sévèrement, ce n’est ni dans mes goûts, ni dans ma nature, c’est la tâche des pasteurs. Mes frères, sommes-nous, oui ou non, les disciples de Jésus ? Laissait-il la brebis perdue s’égarer de plus en plus dans les rochers solitaires de la montagne ? N’allait-il pas la chercher pour la ramener sur ses épaules, tremblante encore de peur, au bercail du bon Berger ? (Luc 15.5)
Je sais bien, mes frères, que reprendre les autres, c’est une tâche bien difficile. Si nous désirons y échouer, nous n’avons qu’une chose à faire, prendre pour modèles les Pharisiens du temps de Jésus-Christ : Lier sur les épaules des autres des fardeaux insupportables, et ne pas vouloir soi-même les remuer du doigt. Dire et ne pas faire. Affecter des dehors humbles et modestes, et cependant aimer les premiers sièges dans les repas et les premières places dans les synagogues. Dire à l’un de ses frères sur un ton doucereux : « Mon frère, permets que j’ôte cette paille qui est dans ton œil » (Matthieu 7.5). Hypocrite, qui vois bien la paille qui se trouve dans l’œil de ton prochain, et qui ne sens pas la poutre qui obscurcit le tien ! Pour avoir le droit de reprendre les autres, il n’est point sans doute indispensable d’être parfait. Mais il est cependant une certaine discrétion de l’âme, un certain tact, une certaine délicatesse dont nous ne devons jamais nous départir.
Un jour, mes frères, je le suppose, à force de tact, de discrétion, de délicatesse, et il faut ajouter, à force d’amour, en faisant retentir tour à tour les promesses de Dieu et la voix sévère de ses menaces, j’ai réussi. J’ai réussi à arracher du feu, je le suppose encore, un tison qui allait s’y consumer. Après Dieu, c’est à moi qu’une âme immortelle doit sa vie, sa délivrance, son salut. Dieu s’est servi de moi, pauvre et faible instrument, pour accomplir dans une âme en danger de périr, ses desseins de clémence et d’amour. Ne se sert-il pas bien souvent des choses les plus faibles de ce monde pour confondre les fortes ? Le géant Goliath n’a-t-il pas été abattu d’un coup de pierre par le petit berger David ? Grâce à Dieu, j’ai sauvé une âme de la mort. Tout d’abord, j’ai réussi peut-être à prolonger une vie utile, en coupant par la racine les vices qui l’empoisonnent et qui l’abrègent. C’est déjà quelque chose, mais grâce à Dieu encore, et avec son aide puissante, j’ai sauvé une âme de la mort éternelle, c’est-à-dire de la seconde mort. Par le fait, j’ai couvert une multitude de péchés. J’ai fait obtenir à mon frère, créé comme moi à l’image de Dieu, le pardon des siens. Je l’ai empêché de commettre un plus grand nombre de ces péchés qui font saigner de nouveau le cœur du Sauveur du monde. Qui sait si je n’ai pas couvert par là un grand nombre de mes propres péchés ? Sans doute, le sang de Christ seul nous purifie de tout péché. Mais, encore une fois, qui sait si la clémence du Seigneur ne comptera pas cet acte de sauvetage moral que j’aurai opéré comme un motif d’indulgence pour mes propres péchés ? Laissons le Seigneur libre d’agir envers nous, non pas selon les décrets de la théologie catholique ou protestante, mais selon son infinie miséricorde. D’ailleurs, frères, ne vous souvient-il pas de cette magnifique promesse : « Ceux qui en auront amené plusieurs à la justice, brilleront comme des étoiles, d’éternité en éternité ! » Amen.
Auguste Parel
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