Il allait de lieu en lieu faisant le bien. Il annonçait l’Évangile du Royaume de Dieu et guérissait les malades et les infirmes. C’est ainsi qu’avec l’Évangile nous pouvons résumer l’œuvre du Christ. Mais ce n’est pas seulement avec des paroles et des actes qu’il s’ouvrait le chemin des cœurs. Combien peu il a fait ce qu’il voulait faire, lorsqu’arrivé à la fin de sa carrière terrestre, il pleure sur Jérusalem et annonce la ruine prochaine de la cité rebelle ! Au regard de l’homme et à ne tenir compte que de la mesure dont il se sert pour apprécier les choses humaines, on peut dire qu’à cette heure, sa cause est définitivement perdue. Son amour et sa mission ne représentent que la plus noble mais la plus irréparable de toutes les défaites. Et c’est à cette heure cependant, qu’il tente auprès de son peuple un suprême appel. Il veut encore accomplir l’œuvre que n’ont pas pu faire ses miracles souverains et la toute puissance de sa parole. Il veut entraîner son peuple à la repentance, à la communion, faire l’humanité nouvelle, fonder le Royaume de Dieu sur la terre, rendre ses frères capables de sortir triomphants de toutes les épreuves et de conquérir par leurs défaites la puissance qui triomphera de tous les royaumes de la terre. Pour accomplir ce prodige, il n’a plus que ses larmes et son sang. Il les donne en mourant de la mort ignominieuse de la croix ; et à l’heure même où pour jamais il semble méconnu et anéanti, il accomplit la suprême délivrance et fait l’humanité nouvelle.
Mais à considérer attentivement ce lugubre dénouement, on ne tarde pas à s’assurer qu’il n’est que l’exécution du décret de Dieu que voile encore pour nous le plus profond des mystères. Et cependant, c’est cette croix qui nous apprend à reconnaître dans le fils de l’homme, notre véritable sauveur et notre véritable idéal. Car il est de toute évidence que c’est elle et elle seule qui, dans notre monde de péché, a le pouvoir d’évoquer le véritable idéal, celui dont nous nous sommes détournés, que nous avons repoussé et avec lequel nous sentons qu’il faut que nous soyons réconciliés. Dès qu’il apparaît dans sa vivante réalité, tous nous le sentons, s’il exerce sur nous l’impression qui subjugue et qui attire, il fait aussi celle qui repousse et qui révolte. Personne n’a été aimé comme l’a été le Christ, mais personne aussi n’a été haï comme lui ! Et ce n’est pas seulement cet amour, c’est aussi cette haine qui nous le font reconnaître comme celui qui est la vérité. Le monde en tant que monde n’aime que ce qui est à lui. Or, ce qui constitue l’essence du monde, c’est le mélange de la lumière et des ténèbres. Aussi la perfection, il ne peut l’aimer que de loin. Entre elle et lui, il est une distance infinie. Mais lorsqu’elle vient à lui et qu’elle est une personne qu’il peut voir et toucher, il ne peut que la haïr. Aussi est-il dit du Christ qu’il est le signe auquel on contredira (Luc 2.34). Le monde ne peut supporter ni la vérité dans toute sa sainteté, ni le mensonge dans toute son impureté, ni la sainteté dans toute sa grandeur, ni le péché dans toute sa laideur. Il lui faut un mélange de tous les deux. Il ne supporte et ne tolère en toutes choses que l’a peu près. Ce n’est que l’a peu près qui constitue ce qu’on pourrait appeler l’âme de ce monde, et le Christ, au contraire, ne vient que pour hâter la crise qui doit amener la séparation énergique et résolue entre le bien et le mal, alors donc qu’il se révèle comme la lumière du monde. Les natures qu’inspire le monde et qui sont à son image, qui n’aiment que le semblant de la lumière et ne supportent que les teintes adoucies du demi-jour, ces natures qui ont horreur de la lumière, (terror lucis) ne peut que les irriter. Les impressions d’antipathie qu’il provoque chez elle vont toujours s’accentuant ; elles deviennent l’opposition toujours plus consciente, l’inimitié, la haine. Et, entre elles et lui, c’est la lutte à la vie et à la mort. Ce ne sont pas seulement les paroles du Christ, si sévères contre le péché, ce ne sont pas non plus seulement ses œuvres, mais c’est surtout sa propre personne qui provoque la haine, car il n’avait qu’à paraître pour qu’aussitôt on vît sur ses pas se faire la lumière et la sainteté, et sur son front reluire le nimbe de l’idéale pureté. Et cette apparition à elle seule portait avec elle l’impression qui juge et qui condamne, elle se faisait donc odieuse à ces faux justes qui ne voulaient pas se laisser convaincre de péché. Pour le haïr, il leur suffisait de le voir et de lui entendre dire : « C’est moi » (Jean 8.16), c’est cette haine qui à elle seule a tressé la couronne d’épines et planté la croix.
Mais d’autre part, il est écrit : « Ne fallait-il pas que le Christ souffrît et entrât dans sa gloire » (Luc 24.26). Sa passion et sa mort ne relèvent donc pas seulement de la haine des hommes, elles ont, au contraire, pour cause première le divin décret de l’amour qui aime éternellement. Sans cette souffrance et cette mort, Jésus ne pouvait être ni notre sauveur ni notre idéal. Il ne pouvait être ni celui qui sauve ni celui qui réconcilie et moins encore ce serviteur de l’Eternel qui accomplit la prophétie :« II a été navré pour nos forfaits, froissé pour nos iniquités, c’est pour notre paix qu’il a été frappé » (Ésaïe 53.6). Il ne pouvait être le souverain sacrificateur qui offre le vrai sacrifice, celui qui éternellement subsiste devant l’Eternel, qui seul peut effacer les péchés du monde, qu’à la condition d’offrir sur la croix le sacrifice du moi, de la volonté propre, qui enfante tous les royaumes de ce monde avec leur orgueilleuse magnificence. Ce principe Jésus lui-même a pu le pressentir dans son propre cœur, mais il n’en a jamais subi l’influence et jamais il n’a pu le provoquer au péché. Ce sacrifice que l’humanité ne pouvait pas accomplir, pour elle et à sa place, Jésus l’a accompli. Mais si sans ce sacrifice il ne pouvait pas être notre sauveur, encore moins eût-il été notre modèle. Il a appris l’obéissance parce qu’il a souffert, nous dit l’Ecriture (Hébreux 5.8). Il est vrai que toute la vie du Seigneur a été une vie d’obéissance ; à chaque instant, sa volonté a dû se mettre en pleine harmonie avec la volonté de son père. De même qu’il avait appris à obéir au milieu des tentations que le prince de ce monde faisait si décevantes et si. pleines d’attraits, de même aussi il fallait qu’il fût tenté par la douleur, afin que son amour et son obéissance pussent se révéler dans toute leur intensité en s’affirmant dans le plus grand de tous les sacrifices et dans la plus grande de toutes les victoires que jamais le moi humain ait remportés sur lui-même. Et le récit de sa passion en Gethsémané est bien fait pour nous faire voir comment il a appris l’obéissance. Et lorsqu’il prie pour que cette coupe s’éloigne de ses lèvres, sa prière ne demande qu’une chose, que la volonté du père et non pas la sienne s’accomplisse. Cette volonté qu’il distingue de la volonté de son père, qu’il appelle sa volonté, qui est sa volonté à lui, naturelle et personnelle, n’est pas cependant naturellement pécheresse (Jean 5.30). Car en soi, ce n’est pas un péché que celui qui n’a jamais été qu’amour et obéissance en vienne à désirer que la coupe de la haine, de l’infidélité, de la révolte s’éloigne de ses lèvres. En soi, ce n’est pas non plus un péché que celui qui a été au monde le seul homme libre puisse retenir cette liberté pour lui tout entière ; ce n’est pas un péché non plus que celui que le père honore et qui est venu dans le monde afin que tous honorent le fils comme ils honorent le père (Jean 5.23) ; ce n’est pas un péché, s’il en vient à concevoir le désir de voir s’éloigner de ses lèvres la coupe de l’opprobre et du déshonneur. Et enfin, ce n’est pas non plus un péché que celui qui se sent dans la plénitude de la vie et de la force et qui, plus que pas un au monde, en connaît les énergies et l’attrait ; ce n’est pas un péché, si plus que tout autre il ressent l’horreur de la mort et recule d’effroi à la pensée de la souffrance matérielle qui doit déchirer son corps. L’obéissance qu’il doit apprendre consiste donc à sacrifier pour l’œuvre que son père lui a confiée tous les biens qui s’appellent l’amour, la reconnaissance, l’affection de ses amis et de ses disciples, la liberté, l’honneur, la vie, la réconciliation du monde avec Dieu, la fondation du Royaume de Dieu sont à ce prix. Cette volonté qu’il appelle sa volonté et qu’il distingue de celle de son père, et dont il peut discerner dans son cœur les légitimes influences, jamais il ne lui a permis de devenir un acte de volonté. Et par le sacrifice de sa volonté propre, l’attitude du Christ au milieu des douleurs du dernier supplice devient une manifestation toujours plus pure et toujours plus intense de son obéissance envers son père et de son amour pour les siens. Et cet amour méconnu, insulté, raillé, maltraité, crucifié, qui se sacrifie volontairement tout entier pour ceux qui l’injurient et le repoussent, cet amour s’élève si grand, se fait si intime qu’il n’est aucune parole pour en exprimer l’infinitude.
Dans le même idéal que nous présente le Christ, nous rencontrons encore la conciliation du contraste entre l’action et la souffrance, comme déjà nous y avons rencontré celle de la contemplation et de l’activité. Vue du dehors, la Passion du Christ nous représente la fin, l’anéantissement de son activité ; mais si nous la considérons attentivement, elle nous en montre, au contraire, la consommation et le triomphe. Le paganisme qui n’est après tout que la manière d’être de l’homme naturel, n’a pas la notion de la douleur. Pour lui, la vie véritable, il ne la comprend que dans le jouir, ou dans la poursuite toujours plus heureuse de la jouissance. Si tout à coup la souffrance vient contredire à ses désirs, elle est pour lui un destin aveugle et inexplicable. Echapper à la souffrance, se défendre contre ses atteintes, tel est le seul but de la vie ; et quand il faut la subir, il ne sait plus que le faire avec une impassible résignation, ou à se raidir contre elle dans la révolte et le dédain. Si l’homme considère la souffrance comme une contradiction, une puissance ennemie qui ne peut que flétrir l’existence et contredire à sa fin véritable, pour le Christ, au contraire, la souffrance est ce qui doit être. Elle est la conséquence du péché, de ce qui ne devrait pas être et qui est cependant par la seule faute de l’homme. Elle n’en est pas seulement la conséquence, mais la condamnation nécessaire. Ce qui ne devrait pas et ne doit pas être n’en est pas moins dans le monde. Il faut donc maintenant que la souffrance intervienne pour mettre hors de ce monde la condamnation et le péché. Si dans la vie du Christ nous voulons mettre en opposition sa passion et son ministère, ce ne doit être que dans un sens très relatif ; car toute sa vie peut être considérée comme une passion anticipée et en même temps comme un travail qui jamais ne se lasse. La seule différence à retenir, c’est que dans la période de sa vie que nous voudrions considérer comme étant exclusivement celle de l’action, la souffrance est à l’état latent, et l’activité toujours en évidence. Dans la période, au contraire, que dans un sens tout spécial on appelle l’histoire de la Passion, c’est la souffrance qui déborde, tandis que l’action se dérobe et se voile, quoiqu’elle n’en existe pas moins intense et profonde. En Christ, par conséquent, l’action et la douleur se confondent toujours. Dès la première heure de son ministère dans le monde, il n’est pas un seul de ses actes qui ne soit en même temps une douleur. Elle est bien grande pour lui, la douleur que lui inspire la vue du péché, mais elle n’est pas moins vive celle que dans son cœur provoquent l’ignorance et l’endurcissement de ses proches. Ses disciples eux-mêmes ne savent pas toujours reconnaître l’amour du Maître qui ne vient dans le monde que pour chercher et sauver ce qui est perdu. Et qui pourrait dire le regret profond et toujours vif qu’au plus intime de son être entretenait le souvenir du pays d’En-haut ? Plus la lutte contre le monde se fait ardente, plus apparaît imminente la grande catastrophe, et plus la compatissante tristesse du Sauveur s’assombrit et s’avive. Vient enfin le jour où, ne pouvant plus se contraindre, elle fait entendre aux disciples l’avertissement solennel : « Vous serez dispersés, vous irez chacun de votre côté et vous me laisserez seul » (Jean 16.32). C’est alors qu’il est véritablement seul. Ses disciples pour lui ne sont plus ; toutes les puissances du monde se conjurent contre lui ; on le livre à ses ennemis, on le charge d’entraves. Et à le voir passer dans le lugubre appareil du condamné qu’attend la suprême expiation, on pourrait croire sa liberté à jamais vaincue, son œuvre pour toujours anéantie dans l’opprobre et l’éternel silence d’une mort infamante. Et cependant, c’est alors que triomphe sa liberté et que son œuvre s’affirme dans tout l’éclat de son universelle et immortelle puissance. C’est alors que tout entier, il se donne ! Plus que jamais, il confond sa volonté avec celle de son Père, et dans l’intimité d’une communion toujours plus ardente, il se prépare et se sanctifie pour l’entier sacrifice de l’amour et de la justice. Son âme a travaillé, dit le prophète en parlant du serviteur de l’Eternel (Ésaïe 53.12), car il a voulu souffrir pour nos transgressions. Ce travail de l’âme, il l’a souffert et combattu sur la croix jusques à la dernière heure.
On se tromperait cependant et bien grandement si on se représentait cette lutte de la grande passion s’accomplissant exclusivement dans l’intimité et le secret de l’âme. Jésus, à la manière des mystiques, n’a jamais méconnu le monde extérieur : toujours il a été son ardente préoccupation et on dirait même que sur la croix il est pour lui plus présent et plus aimé que jamais il ne l’a été. La Passion du Seigneur n’en est pas moins l’accomplissement de la prophétie : « Il n’a pas ouvert la bouche, comme l’agneau que l’on immole, comme la brebis muette devant celui qui la tond » (Ésaïe 53.7). Mais si grandes que soient sa résignation et sa douceur contemplées à la lumière de la prophétie qui éclaire le Calvaire, il ne faudrait pas croire cependant qu’en consentant à souffrir pour le monde, il ait consenti à n’être plus qu’une chose passive pour subir son injure et son caprice.
A cette heure, au contraire, comme en bien d’autres, sa volonté et sa parole subissent des entraves plus apparentes que réelles et n’en retiennent pas moins toute leur souveraine indépendance. Et il ne laisse à personne le soin d’en faire la preuve. C’est ce qu’attestent les témoignages si décisifs et si solennels qu’il adresse au grand Prêtre et à Pilate et surtout cet immortel « c’est moi ! » L’écho de la montagne des Oliviers l’a fait retentir dans le monde entier. Quoique bien décidé à souffrir l’injustice, il veut cependant que tous sachent que volontairement il se laisse lier et traîner à la mort dans la plénitude et la conviction de son bon droit et de son innocence (Jean 18.23). On retrouve le même sentiment dans la parole qu’il adresse sur la voie douloureuse aux filles de Jérusalem : « Ne pleurez pas sur moi mais sur vous et vos enfants » (Luc 23.28). Ils ont encore la même signification, les actes de grâce qui, à l’heure suprême, viennent à son appel rendre témoignage à son œuvre de compatissante miséricorde. C’était lui qui avait dit : « Je dois travailler à l’œuvre de celui qui m’a envoyé aussi longtemps qu’il fait jour » (Jean 9.4). La nuit déjà se faisait et pour lui, les ombres se hâtaient, et cependant, il était toujours à l’œuvre ! Déjà expirant sur la croix, il exerce encore son droit divin de grâce souveraine en faveur du malfaiteur repentant. Et c’est encore du haut de la croix, qu’il nous rappelle ce que doit être la véritable piété filiale. Son dernier soupir fut pour recommander sa mère au seul de ses disciples que son regard retrouve aux pieds de la croix. C’est ainsi que dans l’idéal que le Christ nous a laissé, nous voyons se confondre dans une sainte harmonie la virilité dans l’action et la parfaite résignation dans la douleur.
Dans la personne du Christ, nous pouvons également contempler l’idéal du juste véritable. C’est lui qui nous apprend comment elles peuvent se concilier, la liberté morale dans toute sa souveraineté et l’obéissance dans tout son renoncement. Il a su faire la plus importante et la plus radieuse de toutes les harmonies, unissant ensemble toutes les forces, si diverses soient-elles, qui doivent concourir à la puissance et à la manifestation de l’être moral. Qu’il s’agisse de souffrir ou d’obéir, d’abdiquer ou de commander, il contient et domine toutes les puissances de son être et il ne permet à aucune d’elles de se produire au détriment de l’une ou de toutes les autres ensemble. Quand les douleurs de la passion se font le plus iniques, c’est alors que le Seigneur Jésus met en pleine évidence sa parfaite justice. Et nulle part ailleurs, elle n’aurait pu se démontrer avec un éclat plus irrésistible. Nous pouvons ici invoquer l’autorité de Platon. C’est lui qui, faisant de l’intuition du génie la vision prophétique, nous a annoncé que si jamais le juste apparaissait sur la terre, il ne pourrait se révéler que sous la sanglante auréole du plus odieux de tous les supplices. « Car, dit-il, si la suprême injustice consiste à paraître juste lorsqu’on ne l’est pas, il faut que le juste véritable le paraisse, alors même qu’on le dépouillerait de tous les honneurs, de tous les privilèges qui font cortège à la vertu et la recommandent. Et il faut que du sein de ce complet abaissement, sa justice paraisse plus juste que jamais elle ne l’a été. L’épreuve ne sera complète que lorsque la justice aux regards de tous sera traitée comme si elle n’était que l’injustice la plus révoltante. Il faut donc que l’on voie le juste toujours inflexible dans sa justice, malgré les calomnies et les outrages, alors même que comme un malfaiteur on le traînerait à la mort. Il faut encore que le véritable juste, nous puissions le contempler enchaîné, fouetté, torturé, les deux yeux brûlés ; et enfin, après avoir traversé toutes les tortures et tous les opprobres, nous le voyons cloué sur une croixa ».
a – Platon, de la République, vol. 5, édit. Tauchnitz, 2e liv., chap. IV, V, pages 41 et suivantes.
Il est vrai que la justice que Platon prête à ce juste est surtout celle qui fait le vrai citoyen, mais il n’en est pas moins certain que l’idéal qu’il décrit a trouvé sa parfaite réalisation dans l’histoire de notre Sauveur. Car dès la première heure de son ministère, Jésus est en butte à toutes les calomnies. Si perfidement injustes soient-elles aux regards de tous, elles apparaissent les accusations de la justice elle-même. On l’accuse d’être l’ennemi de la nation et du temple ! A la fin de son ministère, il est mis au rang des malfaiteurs par la justice elle-même de son pays. Et tandis qu’il est confondu avec les impies et les malfaiteurs, l’injustice de ses persécuteurs et de ses bourreaux s’impose comme le triomphe de la justice elle-même. Les juges qui le condamnent à mort ne représentent-ils pas les autorités les plus respectées et les plus redoutées, la religion et la justice ? N’est-ce pas au nom et avec toutes les formes de la justice que la condamnation est prononcée ? Si épais et si noir se fait le voile qui dérobe aux regards de la foule la justice de ce juste, que les hommes les plus sincères sont exposés à le méconnaître. Mais à l’heure même où ce juste expire sur la croix, la nuée sanglante du Calvaire se déchire et sur son front fait resplendir une si vive et si pure auréole, qu’il apparaît aux regards de la foi dans toute la majesté de la justice divine. Et à ses pieds, comparaissent alors comme des condamnés, ses juges, ses bourreaux, les complices de sa crucifixion ! Tout à l’heure, ils triomphaient et maintenant l’irrévocable sentence de la justice dont nul ne peut appeler, les condamne à rester aux pieds de la croix, rigides et désolés pour personnifier à tout jamais l’injustice dans toutes ses difformités, si triviales, si grotesques, si odieuses soient-elles ! Caïphe et Pilate, le peuple et les disciples, les filles de Jérusalem qui dans leur naïve ignorance pleurent sur lui au lieu de pleurer sur elles-mêmes, revivent dans tous les âges pour nous rappeler que si, dans tous les temps, il y a eu des Pilate et des Caïphe, des Hérode et des Judas, dans tous les temps aussi, il y a eu et il y aura le bon brigand, saint Jean et Marie.