Les apocryphes du Nouveau Testament sont naturellement l’œuvre d’auteurs chrétiens. Au point de vue de la forme, ils comprennent, comme la littérature canonique, des évangiles, des actes des apôtres, des épîtres et des apocalypses. Au point de vue de l’origine et des tendances, on y peut distinguer deux groupes très marqués. Un premier groupe, de provenance hérétique, surtout gnostique, veut inculquer une doctrine, une erreur précise : on y met dans la bouche de Jésus-Christ et des apôtres des enseignements contraires à ceux de l’Église. Un second groupe, de provenance orthodoxe, se propose principalement un but d’édification : on y donne sur Jésus-Christ, la Vierge, les apôtres, saint Joseph, etc., des détails qui manquent dans les écrits officiels.
Cependant, quelle que soit leur origine, ces apocryphes offrent deux caractères communs. D’abord l’étrangeté et l’invraisemblance de leurs récits : ce ne sont que prodiges, miracles semés à profusion et sans motif. Les personnages s’y meuvent dans un monde irréel où tout est merveilleux. Puis, le peu de fixité de leur texte. Comme ces livres n’étaient pas consacrés par l’autorité de l’Église et couraient dans toutes les mains, chacun les modifiait et y ajoutait à son gré : les recensions du même ouvrage sont souvent fort nombreuses, et on en découvre tous les jours de nouvellesc.
c – Cette remarque peut s’appliquer d’ailleurs dans une certaine mesure aux apocryphes de l’Ancien Testament.
C’est cette dernière circonstance qui rend si fréquemment difficile ou même impossible la détermination exacte de la provenance et de l’âge de ces écrits. Car nous n’arrivons pas toujours à distinguer la rédaction primitive de ses remaniements postérieurs, pour en fixer la date. Beaucoup de ces apocryphes, hérétiques dans le principe, furent plus tard corrigés dans un sens orthodoxe et ne nous sont parvenus que sous cette dernière forme.
Des évangiles apocryphes les uns portent un nom d’auteur, d’autres n’en portent pas. Entre ceux-ci il faut mentionner d’abord l’Évangile selon les Hébreux (τὸ καϑ᾽ Ἑβραίους εὐαγγέλιον) dont parlent Clément d’Alexandrie, Origène, Eusèbe, saint Jérôme et qu’auraient connu Hégésippe et saint Ignace d’Antioche. Malheureusement ces notices manquent de netteté : elles ne permettent pas notamment de saisir le rapport de cet évangile avec l’Évangile des Ébionites cité par saint Épiphane (Haer., xxx, 13-16, 22). Il paraît certain cependant que nous devons distinguer ces deux évangiles comme deux compositions distinctes. L’Évangile selon les Hébreux était en usage dans cette fraction orthodoxe des judéo-chrétiens qu’on appelle les Nazaréens. Il était écrit en araméen, avec des caractères carrés, et son récit suivait de près celui de saint Matthieu. La citation qu’en fait Clément d’Alexandrie doit en faire reporter la composition au milieu du iie siècle au plus tard. Mais il remonte beaucoup plus haut s’il est vrai — comme saint Jérôme l’assure — qu’il a été cité par saint Ignace dans l’épître aux Smyrniotes, iii, 2. Il daterait dans ce cas au moins de la fin du 1er siècle : c’est l’opinion de Harnack.
L’Évangile des Ébionites était en usage chez les judéo-chrétiens franchement hérétiques ; et les citations de saint Épiphane prouvent qu’en effet ils y avaient introduit leurs erreurs. Il était écrit en grec. Bardenhewer y voit une compilation tendancieuse faite d’après les synoptiques, et l’identifie avec l’Évangile des douze apôtres signalé par Origène comme hérétique (In Lucam, Homil. i). On peut le dater de la fin du iie ou du commencement du iiie siècle.
Un Évangile des Égyptiens (τὸ κατ᾽ Ἀἰγυπτίους εὐαγγέλιον) est cité par Clément d’Alexandrie (Strom., iii, 9 ; 13) et connu d’Origène, de saint Hippolyte, de saint Épiphane, qui le présentent tous comme un ouvrage hérétique. Le mariage y était condamné ; le sabellianisme et la métempsycose y étaient soutenus. Cet écrit, auquel certains critiques ont, à tort, donné beaucoup d’importance, a dû voir le jour en Egypte vers le milieu du iie siècle. Il faudrait remonter plus haut s’il était certain qu’il a été cité par la Secunda Clementis, 12.2.
L’Évangile de Pierre, qui n’était connu jusqu’en 1886 que par le fragment d’une lettre de Sérapion d’Antioche citée par Eusèbe (H.E., 6.12.2-6), a été depuis retrouvé en partie. Le morceau publié contient le récit de la passion et de la résurrection. Sérapion caractérisait cet évangile en disant qu’il était, dans l’ensemble, conforme à la doctrine du Sauveur, mais qu’il s’y trouvait certains traits favorables au docétisme. C’est bien l’impression que laisse la lecture de ce que nous en possédons. Son auteur a utilisé les trois synoptiques et probablement aussi saint Jean. Il a pu écrire à Antioche vers le milieu du iie siècle. M. Harnack, qui croit que cet ouvrage a été connu de saint Justin (I Apol., 35.6 ; Dial., 107.3), en fait remonter la composition en 110-130.
Les trois Évangiles de Mathias, de Philippe et de Thomas forment une trilogie d’origine gnostique, ces trois apôtres étant présentés, dans la Pistis Sophia, comme les trois témoins privilégiés choisis par Jésus-Christ ressuscité. Du premier nous ne connaissons que le titre : il faut le distinguer très probablement des Traditions de Mathias, prônées par les basilidiens et citées par Clément d’Alexandrie (Strom., 2.9 ; 3.4 ; 7.13), et mettre sa composition en Egypte au plus tard au début du iii siècle. Les Traditions remonteraient à 110-130. — De l’Évangile de Philippe, en usage dans la secte des « gnostiques » d’Egypte, saint Épiphane Haer., xxvi, 13) a donné une citation qui suffit à en établir le caractère hétérodoxe. Il a dû être écrit à la fin du iie ou au commencement du iiie siècle. — Quant à l’Évangile de Thomas, saint Hippolyte (Philosoph., v, 7) l’a trouvé cité dans un ouvrage naassénien et en a reproduit une phrase. Mais, avant lui, saint Irénée l’avait probablement connu (Adv. haer., 1.20.1), ce qui en reporte la composition au milieu du iie siècle environ.
Nous n’avons plus cet évangile gnostique de Thomas ; mais nous avons, dans des rédactions grecque, latine, syriaque et slave, un écrit qui en est vraisemblablement dérivé et qui en représente, si l’on veut, un remaniement orthodoxe plusieurs fois retouché. Ce sont les Récits de Thomas, philosophe israélite, sur les enfances du Seigneur (Θωμᾶ ἰσραηλίτου φιλοσόφου ῥητὰ εἰς τὰ παιδικὰ τοῦ Κυρίου). Leur objet est de rapporter les merveilles opérées par Jésus enfant depuis l’âge de cinq ans jusqu’à douze ans. Ces merveilles ne font pas toujours honneur au caractère de l’enfant, et l’esprit gnostique de l’écrit primitif n’a pas totalement disparu de l’ouvrage, malgré les multiples transformations qu’il a subies. Dans leur texte actuel et pris dans leur ensemble, ces récits paraissent être du ive ou du ve siècle.
Le plus connu et le plus populaire des évangiles apocryphes est le Protévangile de Jacques, dont il existe nombre de manuscrits grecs et de versions en diverses langues. Le titre varie suivant les manuscrits, mais dans aucun l’ouvrage ne porte celui d’évangile. Son objet est de raconter la naissance de Marie, son enfance, ses fiançailles avec saint Joseph, la naissance de Jésus, le massacre des Innocents et le meurtre de Zacharie dans le temple. L’auteur prétend être Jacques, évidemment Jacques le Mineur, frère du Seigneur. Telle qu’elle est, la rédaction grecque ne semble pas remonter au delà du ive siècle. Mais c’est d’ailleurs une œuvre composite qui a réuni, pense-t-on, trois écrits antérieurs : 1° Un récit de la naissance, de l’enfance et des fiançailles de Marie (chap. i-xvii, 1), œuvre d’un judéo-chrétien, qui date de l’an 130-140 ; 2° Un récit fait par Joseph de la naissance de Jésus-Christ et de l’adoration des Mages (chap. xvii, 2-xxi), récit auquel on a donné le nom d’Apocryphum Josephi, et qui peut être du iie siècle ; 3° Enfin un récit du massacre des Innocents et du meurtre de Zacharie que l’on a appelé Apocryphum Zachariae (chap. xxii-xxiv). Le fond en remonte aussi au iie siècle.
Le Protévangile de Jacques a comme pendant en latin l’évangile du pseudo-Matthieu, Liber de ortu beatae Mariae et infantia Salvatoris dont le contenu est sensiblement le même que celui du Protévangile, mais qui y ajoute la matière de l’Évangile de Thomas. C’est une compilation du ve siècle. L’Évangile arabe de l’Enfance et les rédactions analogues en syriaque et en arménien sont encore de plus basse époqued.
d – Édit. P. Peeters, dans Textes et documents : Évangiles apocryphes, ii, Paris, 1914.
Outre ces évangiles, nous savons qu’il a existé encore un Évangile de Barnabé, un Évangile de Barthélémy, un Évangile de Thaddée, signalés par le décret de Gélase et un Évangile de Judas l’Iscarioth dont se servaient les Caïnites et que saint Irénée a mentionné (1.31.1). On a retrouvé des fragments grecs, latins et coptes de l’Évangile de Barthélémy.
C’est à cette littérature des évangiles apocryphes que l’on peut rapporter les récits concernant Pilate et la descente de Jésus aux enfers, et ceux qui regardent la mort de la Sainte Vierge et de saint Joseph.
On possède, sous le titre tardif d’Évangile de Nicodème, un écrit dont la recension grecque — la plus ancienne — doit remonter à la première moitié du ve siècle. Cet ouvrage comprend trois parties, qui formaient probablement dans le principe deux ou même trois écrits distincts. Une première partie (chap. 1-11) raconte le procès de Jésus devant Pilate, sa mort et son ensevelissement. Son but est de montrer que Pilate était absolument convaincu de l’innocence du Sauveur. Une seconde partie (chap. 12-16) raconte les débats qui eurent lieu dans le sanhédrin à la suite de la résurrection de Jésus. Son but est de montrer que les chefs des juifs eux-mêmes ont dû reconnaître la vérité de cette résurrection. Enfin une troisième partie (chap. 17-27), qui était sûrement d’abord un écrit indépendant, raconte la descente de Jésus-Christ aux enfers et la délivrance des justes de l’Ancienne Loi : le mouvement et l’éclat du style en sont remarquables. A la première partie on donne spécialement le titre d’Acta Pilati. Saint Épiphane Haer., l, 1) a vu des Actes de ce genre dont ceux que nous avons doivent dériver. Il est fort possible même que Tertullien ait connu un prétendu rapport de Pilate à Tibère, de même tendance apologétique (Apologeticum, 21). Le noyau des Actes de Pilate remonterait ainsi au iie sièclee.
e – L’Anaphora Pilati, la Paradosis Pilati, la Mors Pilati, que nous trouvons dans les recueils d’évangiles apocryphes, sont des compositions de basse époque.
On donne le titre de Dormition de Marie (Transitus Mariæ, Κοίμησις τῆς Μαρίας) à un récit de la mort de la Très Sainte Vierge dont les plus anciennes recensions sont la recension grecque et les deux recensions syriaques B et C. Marie meurt à Jérusalem, entourée des apôtres, et son corps est transporté au ciel. Il y a certainement dans ce récit des éléments fort anciens, mais la forme actuelle suppose le culte de la Sainte Vierge déjà fort développé dans l’Église. On ne le croit pas antérieur à la fin du ive ou même au ve siècle.
Quant à l’Histoire de Joseph le charpentier, dont on a deux recensions coptes et une arabe, elle contient une relation faite par Jésus lui-même de la vie et surtout de la mort de saint Joseph. L’auteur paraît avoir puisé dans l’Évangile de Thomas et aussi dans des traditions locales. D’ailleurs, le but de l’ouvrage est clair d’après le chapitre 30 : c’est de fournir un sujet de lectures liturgiques pour la fête de saint Joseph, célébrée le 26 du mois d’épiphi, c’est-à-dire le 20 juillet. L’original grec d’où les recensions sont dérivées remonte tout au plus au ive siècle, et est même vraisemblablement plus récent.