Nous avons eu déjà l’occasion de dire qu’il est impossible d’identifier cette guérison avec celle du fils du seigneur rapportée par Jean 4.47-54. Nous possédons deux récits du miracle qui doit maintenant nous occuper ; ils sont indépendants l’un de l’autre : d’après saint Matthieu, le centenier vient solliciter lui-même la guérison ; d’après saint Luc, il envoie des messagers auprès de Jésus. Il n’est pas douteux que nous devions envisager le récit de Luc comme étant le plus exact ; Matthieu ne nous donne qu’un résumé. Ce centenier, faisant probablement partie de la garnison romaine de Capernaüm, était païen de naissance ; il avait sans doute reconnu le néant des religions polythéistes, et s’était rattaché à l’assemblée d’Israël et au culte de Jéhovah, trouvant dans le judaïsme la satisfaction des besoins de son âme. Il était un de ceux dont il est parlé comme craignant Dieu (Actes 13.43, 50 ; 16.14 ; 17.4,17 ; 18.7), prosélytes de la porte, qui servaient de lien entre les Juifs et les païens, et préparaient ainsi l’Église chrétienne. Le centenier, dans ses rapports avec le peuple de l’alliance, avait appris que tous les païens, tous les pécheurs d’entre les Gentils étaient en dehors de l’alliance, qu’il y avait une muraille de séparation entre eux et les enfants d’Abraham ; c’est pourquoi il n’osa pas s’approcher lui-même de Jésus, et lui fit dire, par d’autres, de « venir guérir son serviteur auquel il était très attaché, et qui se trouvait malade, sur le point de mourir. » Les anciens des Juifs furent ses messagers zélés ; « ils adressèrent à Jésus d’instantes supplications, disant : Il aime notre nation, et c’est lui qui a bâti notre synagogue ; » mais cette demande parut au centenier trop audacieuse. Dans son humilité, il considéra comme une grande présomption d’avoir réclamé la présence sous son toit d’un aussi grand personnage ; comme païen, il n’avait aucun droit de s’approcher du roi d’Israël, il se sentait personnellement indigne d’entrer en rapport avec un être saint ; c’est pourquoi il ne voulut pas que Jésus pénétrât dans sa maison, mais qu’il se contentât de dire une parole, sachant bien que cette parole aurait le pouvoir de guérir son serviteur. Augustin dit à ce sujet : « Parce qu’il se regardait comme indigne que Christ entrât dans sa maison, il fut jugé digne de recevoir Christ dans son cœur, » ce qui était beaucoup meilleur : tout nous montre chez le centenier un terrain bien préparé, un cœur honnête et bon, pour recevoir la semence de la Parole de Dieu. Sans parler de sa foi et de son humilité, si remarquables, l’affection qu’avaient pour lui les anciens des Juifs, son zèle pour la maison de Dieu, sa sollicitude pour son serviteur, tout cela nous fait voir en lui un de ces enfants de Dieu dispersés dans le monde, que le Fils est venu rassembler dans son Église (Jean 11.52).
Il faut remarquer le langage dont cet officier romain se sert pour exprimer sa foi, employant une comparaison tirée de son expérience militaire. Il sait que la parole de Christ suffira, car, dit-il : « Moi qui suis soumis à des supérieurs, j’ai des soldats sous mes ordres, et je dis à l’un : Va ! et il va ; à l’autre : Viens ! et il vient ; et à mon serviteur : Fais cela et il le fait. » C’est comme s’il disait : Je n’occupe que le rang d’un subordonné, cependant mes inférieurs m’obéissent, ma parole leur suffit ; à plus forte raison toi, qui es chef de l’armée céleste, as-tu des anges et des esprits qui obéissent à ta parole ; il n’est donc pas nécessaire que tu viennes dans ma maison, envoie seulement un messager de guérison, qui exécutera promptement l’ordre dont tu le chargeras. En tout cela, il y avait une union si merveilleuse de foi enfantine et d’humilité profonde, que le Seigneur fut rempli d’admiration : « Après l’avoir entendu, Jésus fut dans l’étonnement, et il dit à ceux qui le suivaient : Je vous le dis en vérité, même en Israël, je n’ai pas trouvé une aussi grande foi. » Il vaut la peine de remarquer que Matthieu seul rapporte ces derniers mots, que nous eussions cru trouver dans l’évangile de Luc, car c’est Luc qui fut le compagnon de l’apôtre des Gentils. Il y a, dans ces paroles et dans les suivantes, un avertissement solennel du Seigneur : les Juifs devaient prendre garde au danger qu’ils couraient de perdre des privilèges qui pouvaient leur être enlevés pour passer à d’autres ; à cause de leur incrédulité, eux, les branches naturelles de l’olivier, seraient retranchés, et l’olivier sauvage serait mis à leur place : « Plusieurs viendront de l’orient et de l’occident, et seront à table avec Abraham, Isaac et Jacob, dans le royaume des cieux ; » ils participeront au banquet céleste qui inaugurera le royaume, dont les premiers invités seront exclus.
Enfin, le Seigneur dit au centenier ou à ses messagers : « Va, qu’il te soit fait selon ta foi. Et à l’heure même le serviteur fut guéri. » On ne connaît pas exactement la nature de cette maladie ; saint Matthieu parle de « paralysie, » mais les mots : « Souffrant beaucoup, » ne supposent guère ce genre de mal. Toutefois, la paralysie accompagnée de la contraction des jointures cause de grandes douleurs ; quand il s’y joint le tétanos, ce qui arrive plus souvent en Orient que chez nous, la mort ne tarde pas à venir.