L’empressement de certains hommes à publier de mauvaises nouvelles, empressement qui procède d’une joie maligne, avait engagé quelques personnes à raconter au Seigneur le nouvel outrage dont Pilate s’était rendu coupable. Ils avaient bien compris que Jésus venait de parler des jugements terribles que les hommes s’attirent par leurs péchés, mais ils se gardaient bien d’en faire l’application à eux-mêmes. Il n’est pas fait mention ailleurs de cet outrage ; mais nous savons qu’on craignait toujours une révolte, ou du moins un tumulte, à l’approche des grandes fêtes ; une étincelle aurait suffi pour porter à son comble la résistance des Juifs à la domination romaine, et pour provoquer de sévères représailles de la part des gouverneurs romains. Une révolte des Galiléensi peut avoir été le prétexte du massacre, qui aurait eu lieu à Jérusalem, où l’on offrait les sacrifices (Lévitique 17.8-9 ; Deutéronome 12.16-17 ; Jean 4.20). Pilate mêla leur sang à celui des victimes.
i – Josèphe dit que les Galiléens sont industrieux et honnêtes ; ils étaient méprisés des autres Juifs, parce qu’il se trouvait des païens parmi eux, et parce qu’ils étaient moins strictement orthodoxes. (Jean 7.52 ; Actes 2.7) Ils parlaient un dialecte assez rude, que ceux de Jérusalem ne comprenaient pas toujours.
Mais le Seigneur réprima les jugements cruels de ceux qui lui rapportèrent le fait : « Pensez-vous que ces Galiléens fussent plus pécheurs que tous les Galiléens, parce qu’ils ont souffert de telles choses ? » Il reconnaît qu’ils étaient pécheurs, mais non plus que leurs compatriotes, malgré leur soif de sang ; puis Il détourne, selon sa coutume, les regards de ses auditeurs, pour les placer en face d’eux-mêmes : « Non, vous dis-je ; mais, à moins que vous ne vous convertissiez, vous périrez tous de même ». Les malheurs qui atteignent les autres sont pour nous de puissants appels à la repentance. Au lieu de nous élever au-dessus de ceux qui souffrent, comme si nous étions plus justes qu’eux, et par conséquent exempts des mêmes tribulations, nous devons reconnaître que tout ce qui leur arrive, aurait pu nous arriver aussi à bon droit. Celui qui a appris à se connaître soi-même, verra dans le châtiment subi par un autre l’image de celui qui aurait bien pu l’atteindre avec justice, et un sérieux avertissement. Il reconnaît le rapport intime qui existe entre la souffrance et le péché, rapport affirmé par l’Ecriture.
Pour illustrer plus complètement la vérité qu’il veut faire comprendre, le Seigneur cite un exemple de subite destruction : « Ou pensez-vous que ces dix-huit sur qui est tombée la tour de Siloé et qu’elle a tués, fussent débiteurs (de Dieu) plus que tous les habitants de Jérusalem ? » Tous devaient reconnaître dans ce fait un appel à la repentance ; il devait leur rappeler l’incertitude de la vie, éveiller en eux le sentiment du péché. Tous les désordres de la nature extérieure font partie de cette vanité à laquelle la création est soumise, et qui résulte du péché de l’homme (Romains 8.20-21) ; tous crient aux pécheurs : « A moins que vous ne vous convertissiez, vous périrez tous semblablement ». Cette menace s’accomplit pour la nation juive, lors du siège de Jérusalem. Si les Juifs avaient pris garde à l’avertissement, s’ils s’étaient repentis, ils auraient échappé à la ruine ; Dieu se montra patient envers eux, car il ne voulait pas qu’aucun pérît ; le discours sévère de Jésus se termine par une parabole, dans laquelle le miséricordieux Fils de l’homme proclame la grâce. Il apparaît comme Intercesseur devant la justice du Père céleste ; toute l’Écriture nous présente Dieu attendant que l’homme se repente.
Notre parabole nous prêche donc le long support et la sévérité de Dieu. « Il disait cette parabole : Quelqu’un avait un figuier planté dans sa vigne. » En Palestine, on voit souvent des figuiers et d’autres arbres dans les champs de blé ou dans les vignes. La vigne, ici, doit représenter le monde, et non pas le royaume de Dieu ; le peuple juif a été placé dans le monde pour porter beaucoup de fruit, pour glorifier Dieu. (Deutéronome 4.6). Mais cette parabole est susceptible également d’une application universelle ; Israël représente tous ceux qui seront appelés à la connaissance de Dieu ; il y a donc ici un avertissement adressé à l’Église et à chaque âme individuelle (Matthieu 3.2 ; Jean 15.2).
« Et il alla y chercher du fruit et il n’en trouva point. » L’image bien connue qui compare les hommes aux arbres, et leur œuvre au fruit, est très juste ; le fruit d’un arbre, comme les œuvres d’un homme, est l’expression de la vie intérieure (Psaumes 1.3 ; Jean 17.8 ; Jean 15.2,4-5 ; Romains 7.4). L’Écriture parle de trois sortes d’œuvres : les bonnes œuvres, lorsque l’arbre a été rendu bon ; les œuvres mortes, celles qui ont une bonne apparence, mais ne procèdent pas d’un cœur renouvelé ; les mauvaises œuvres, lorsque l’arbre mauvais produit son fruit. Il s’agit dans la parabole des bons fruits, qui étaient absents (Marc 11.13).
« Alors il dit au vigneron : Voici trois ans que je viens chercher du fruit dans ce figuier et que je n’en trouve point. » Augustin dit que ces « trois ans » représentent les temps de la loi naturelle, ceux de la loi écrite et enfin ceux de grâce. Théophylacte : « Christ est venu trois fois, par Moïse, par les prophètes, et enfin il est venu en personne ». Olshausen voit ici une allusion aux trois ans de ministère du Seigneur. « Coupe-le » (Ésaïe 5.5-6 ; Matthieu 7.19 ; Luc 19.41-44) ; « pourquoi aussi rend-il la terre inutile ? » Pourquoi l’arbre demeurerait-il, puisque non seulement il est stérile, mais encore qu’il nuit au sol dans lequel il est planté, qu’il en absorbe toute la graisse qui devrait servir aux arbres productifs. Tel était l’état de l’Église juive ; non seulement elle ne produisait aucun fruit de justice, mais, à cause d’elle, le nom de Dieu était blasphémé parmi les Gentils (Romains 2.24) ; les Juifs entravaient, en plusieurs manières, la diffusion de la connaissance de Dieu parmi les autres nations, par les influences pernicieuses de leur orgueil et de leur hypocrisie (Matthieu 23.13,15) ; ce qui était vrai d’une Église est également vrai de chaque pécheur en particulier : il n’est pas seulement stérile pour Dieu, mais encore, par son mauvais exemple, ses maximes corrompues, il empêche les autres d’entrer dans la bonne voie. Saint Basile fait remarquer que l’amour de Dieu se montre même dans ses menaces : « Il n’envoie pas les châtiments dans le silence ou secrètement, mais il les annonce, en invitant les pécheurs à la repentance ». Avant qu’il soit coupé, la cognée est mise à la racine de l’arbre (Matthieu 3.10) ; elle peut agir immédiatement, mais elle peut aussi être enlevée. (2 Chroniques 33.10) Le vigneron qui intercède en faveur de l’arbre : « Seigneur, laisse-le encore cette année, jusqu’à ce que je l’aie déchaussé et que j’y aie mis du fumier », est le Fils lui-même, l’Intercesseur des hommes (Job 33.23 ; Zacharie 1.12 ; Hébreux 7.25) ; ce n’est pas à dire que le Père et le Fils aient des pensées différentes au sujet des pécheurs ; on ne peut opposer l’amour à la justice quand il s’agit de Celui qui est à la fois Justice et Amour. Toutefois, il ne faut pas atténuer l’idée de la colère de Dieu contre le péché, ni celle du sacrifice de Christ, car ce sacrifice est bien une propitiation, et non pas simplement une assurance de l’amour de Dieu pour les pécheurs. La conciliation de ces deux vérités se trouve dans ces paroles : « l’Agneau égorgé dès la fondation du monde » (Apocalypse 13.8) ; « préconnu avant la fondation du monde » (1 Pierre 1.20). Le sacrifice, qui a été accompli dans le temps, a été résolu par Celui qui l’a offert et par Celui qui l’a accepté, antérieurement au temps ; Dieu a toujours considéré l’homme en Christ. Les vues de Dieu à l’égard du pécheur n’ont point changéj, parce que Celui qui connaît toutes choses a vu l’homme réconcilié en soit Fils dès la fondation du monde (Romains 16.25-26). A ce point de vue, nous pouvons considérer l’intercession de Christ comme ayant été efficace avant même qu’il montât au ciel pour s’y présenter devant Dieu en notre faveur ; le long support de Dieu envers les pécheurs se rattache à cette intercession.
j – Augustin : « Celui qui voulait se montrer miséricordieux, s’est opposé à soi-même comme intercesseur. »
Le grand Intercesseur plaide pour les hommes non pas afin qu’ils continuent à pécher impunément, mais afin que la sentence ne reçoive pas son exécution immédiate, pour voir s’ils se convertiront : « S’il produit du fruit, c’est bien ; sinon, tu le couperas ensuite. » Pendant cette année de grâce, le vigneron en prendra tout le soin nécessaire. Souvent les moyens de grâce sont multipliés aux pécheurs, avant d’être retirés pour toujours. Ainsi, avant le déluge ils eurent Noé, le « prédicateur de la justice » ; avant les grandes catastrophes du peuple juif il y eut de grands prophètes, tels que Jérémie, puis Jésus-Christ et ses apôtres. Il y a dans la vie de l’homme des époques décisives, d’où dépend tout son avenir. Telle fut l’époque du ministère de Jésus et des apôtres (Luc 19.42). Mais l’arbre demeura stérile, et il fut impitoyablement coupé. Dans la parabole, le Seigneur n’affirme pas que l’arbre demeurera stérile jusqu’à la fin ; il suppose qu’il puisse produire quelque fruit ; la porte est encore ouverte à la repentance, la liberté de l’homme est reconnue et respectée ; s’il est retranché, il devra n’en accuser que lui-même.