La nuée de témoins

Blaise Pascal

« Trois choses demeurent : la foi, l’espérance, la charité ; mais la plus grande est la charité. »
(1 Corinthiens 13.13)

Une glissade.

Blaise Pascal est une des pures gloires de l’Eglise et de l’humanité. Mon père, quand il passait devant la tour Saint-Jacques, à Paris, soulevait son chapeau pour saluer la statue de ce génie.

Les évènements de sa carrière sont nuls. Rien pour le pittoresque. Un jeune mathématicien, déjà valétudinaire à dix-huit ans, traina la plus grise existence, entre les dévots et les médecins, vivant d’un monotone régime, appliqué à de fades ou pénibles remèdes, empêché de lire et d’écrire durant ses quatre dernières années, pendant lesquelles son « principal divertissement était d’aller visiter les églises où  ils y avait des reliques exposées, ou quelque solennité ». Après avoir langui patiemment dans le silence et la solitude, – à la manière d’un pensionnaire d’Asile, – ce vieillard de trente-neuf ans s’éteignit au cours d’une crise de convulsions.

Cependant, à méditer sa brève destinée, il semble qu’on ait parcouru la terre et les cieux, sondé les abîmes de l’âme, plongé dans les profondeurs de l’Eternel. Sa pauvre et morne vie suffit à illustrer magnifiquement, l’axiome qu’il formula en ces termes : « La distance infinie des corps aux esprits figure la distance infiniment plus infinie des esprits à la charité. »

Fils d’un fonctionnaire des finances, il naquit à Clermont-Ferrand, en 1623, dans la région des volcans. A douze ans, âge où Jésus monta en pèlerinage au temple de Jérusalem, Blaise rédigea un traité sur le son : à table, on avait heurté un plat de faïence, et la vibration sonore ainsi produite s’était amortie sous la pression du doigt ; ce fait minime déclencha les réflexions de l’enfant. Un critique littéraire, Sainte-Beuve, écrit a ce sujet : « Cette faculté de connaissance des causes est une vocation aussi distincte, chez ceux qui l’ont à ce degré, que la faculté de poésie chez le poète, ou celle de la musique chez le musicien. C’est un des ministères spirituels que Dieu départit aux hommes. »

Mon but n’est point d’insister sur le génie scientifique de Pascal ; ses travaux, ses expériences et ses découvertes, marqués d’une précocité quasi-prodigieuse, appartiennent au trésor universel, ou au reliquaire, de l’intelligence ici-bas. Comment il inventa la géométrie pour lui-même, à douze ans, composa un Traité des coniques, et fabriqua une « machine à calculer », avant d’atteindre vingt ans, puis démontra la pesanteur de l’air en bouleversant l’un des axiomes de l’ancienne physique, – tous les écoliers le savent ; ces hauts faits sont inscrit, au palmarès de l’esprit humain.

Les bonds de cette pensée puissante s’accompagnaient d’une réflexion attentive sur ses propres mouvements ; si bien qu’il posa, de bonne heure, les règles de toute démonstration, recherchant comment on prouve, soit en mathématiques, soit en physique. D’après lui, la certitude ne s’acquiert pas en mettant nos idées d’accord avec notre esprit, mais en les adaptant à la réalité, patiemment et humblement interrogée. Dans le domaine de la nature, la seule méthode efficace est celle de l’observation des choses.

Enfin, ayant réfléchi sur les moyens de l’investigation féconde, il élabora des règles raisonnées sur l’art d’exprimer par le langage les résultats obtenus par la recherche ; il se forgea un style d’une précision et d’une transparence uniques. Sans avoir jamais rien concédé au verbalisme de la rhétorique, il excella dans la littérature, comme il s’était affirmé dans les sciences. Pour briller au premier rang des écrivains français, il lui suffit de quelques brochures anonymes contre le jésuitisme, et de quelques feuillets épars contre l’athéisme.

Tous ces faits surprenants sont bien connus, et n’appartiennent point, d’ailleurs, par eux-mêmes, à l’histoire de l’Eglise. Mon intention est, au contraire, de m’établir sur le terrain religieux, pour examiner, sous une forme volontairement simplifiée, l’apport spécial de Pascal au christianisme traditionnel.

En janvier 1646, Etienne Pascal, père de notre héros, fit un faux pas sur le verglas, dans une rue de Rouen, et se démit la cuisse. Accident banal dû, en apparence, à des causes météorologiques ; mais il se trouvait lié, en réalité, à l’effort tenté par Etienne Pascal pour empêcher un duel entre deux gentilshommes, dans un faubourg de la ville. Ses chevaux n’étant pas ferrés à glace, et son carrosse restant inutilisable, il décida, néanmoins, d’empêcher si possible un malheur, et partit à pied. Sa chute le plaça en relation avec « deux messieurs », qui « avaient un don naturel pour remettre les membres rompus ou désunis ». Ces médecins, adeptes de Jansénius, exposèrent la doctrine de leur maître à Blaise Pascal. Celui-ci fut tellement touché, qu’il entraîna sa sœur Jacqueline dans la même voie ; ensemble, ils gagnèrent leur père, puis leur sœur aînée, et son mari.

Voilà donc la conversion de toute une famille - et quelle famille ! - due à un refroidissement de la température, durant un hiver normand ? Impossible de raisonner ainsi, puisque la douloureuse glissade n’aurait jamais eu lieu, si Etienne Pascal avait préféré le coin du feu à « une affaire de charité ». S’il persévéra, malgré les intempéries, dans le dessein de remplir une mission fraternelle, un office chrétien, c’est qu’il refusa de résister à une intimation de sa conscience, organe elle-même du Saint-Esprit. Tellement qu’à l’origine de la conversion de toute la famille Pascal, il y a autre chose que la baisse du thermomètre ; il y a un appel d’En-Haut, la Grâce divine. Et celle-ci marque, précisément, le point central dans la doctrine janséniste.

L’évêque d’Ypres, Jansénius, avait consacré un gros ouvrage à l’enseignement de saint Augustin. Il y démontrait que, d’après ce grand théologien, le péché d’Adam avait corrompu la nature humaine, pour toujours, et dans tous les hommes. Ceux-ci ne peuvent ni démontrer Dieu par la raison (obscurcie), ni accomplir le Bien par la volonté (privée de libre arbitre), ni pacifier leur âme par des rites (stériles). Le pécheur étant radicalement mauvais, le salut ne consiste pas à pratiquer une religion, mais à devenir religieux, à « naître de nouveau ». La foi qui sauve ne consiste pas à croire certaines vérités, mais à être régénéré, à sortir du mensonge, à devenir vrai. La piété salutaire est autre chose que le recours aux sacrements extérieurs ; elle est l’expérience de la conversion intérieure, sans laquelle rien ne peut agir du dehors sur l’âme. Celle-ci doit accepter les faits révélés par le Saint-Esprit dans la Bible ; combattre la nature et le monde, en s’appuyant sur l’Eglise ; persévérer dans la prière, la charité, le sacrifice, avec les prédestinés ; vivre enfin pour Dieu seul, et savourer, dans sa communion, l’avant-goût de la béatitude éternelle des élus.

La logique du système, sa grandeur, sa beauté substantielle, s’imposèrent au véhément génie de Pascal, dont la raison avait soif d’infini, dont le cœur avait soif d’éternel, dont la volonté avait soif d’absolu. Alors que le catholicisme vulgaire, dominé par les Jésuites, n’était qu’une « vaste transaction avec l’homme naturel », il s’élança tout entier vers le Jansénisme ; celui-ci n’était, pour lui, que l’initiation au christianisme biblique, sous l’égide vénérée de saint Augustin.

On l’a dit avec raison, ce que le Jansénisme enseignait à ses adeptes, « c’est qu’on ne fait pas à la religion sa part ». Ou encore : « Se convertir, ce n’est point passer de l’incrédulité à la foi, c’est renoncer à la vie du monde pour vivre en Dieu. »

Frère et sœur.

Pascal disait que « depuis l’âge de dix-huit ans, il n’avait pas passé un jour sans douleur ». Son lent martyre physique est dû, en partie, au fait qu’il avait seulement trois ans quand sa mère mourut. A cet enfant précoce manqua la protection maternelle. Le père, malgré ses bonnes résolutions à cet égard, excita le développement intellectuel de son fils. « Pendant ou après le repas », il entretenait ce malheureux adolescent « tantôt de la logique, tantôt de la physique » ; mais, « il ne s’aperçut pas que les continuelles applications d’esprit dans un âge si tendre pouvaient beaucoup intéresser sa santé ».

A l’époque de sa conversion, cet homme de vingt-trois ans, usé par le surmenage cérébral, se servait de béquilles ; les membres inférieurs étaient glacés, et comme paralysés. Il ne pouvait rien avaler de liquide qui ne fût chaud, et encore, goutte à goutte, avec de continuels maux de tête et d’entrailles. En 1647, il se rendit à Paris, pour consulter les médecins ; il reçut alors deux visites de René Descartes ; le philosophe « lui conseilla de se tenir tous les jours au lit jusques à ce qu’il fût las d’y être, et de prendre force bouillons ». On place, parfois, à cette époque la « Prière pour demander à Dieu le bon usage des maladies ».

Pendant le séjour à Paris, Pascal saisit l’occasion pour entrer en relation avec les jansénistes, c’est-à-dire avec les directeurs de l’abbaye de Port-Royal ; et Jacqueline forma le projet d’entrer comme religieuse dans cc couvent ; Blaise l’y encourageait ; mais son père la pria d’attendre sa mort pour réaliser ce dessein. Quand il mourut (septembre 1651), Pascal écrivit à sa sœur aînée : « Une des plus solides et plus utiles charités envers les morts est de faire les choses qu’ils nous ordonneraient s’ils étaient encore au monde, et de pratiquer les saints avis qu’ils nous ont donnés. Par cette pratique, nous les faisons revivre en nous. » Or, Etienne Pascal avait marqué fort peu de satisfaction à l’idée que sa fille deviendrait nonne ; il se trouve que Blaise fit « revivre » son père, en manifestant lui-même des sentiments analogues.

Il cessa d’approuver sa sœur. Pour essayer, peut-être, de la décourager, il fit décider, par acte notarié, qu’il ne lui servirait plus de rente viagère du jour où elle entrerait en religion, car un partage, intervenu après la mort d’Etienne Pascal, transférait la totalité du capital à Blaise, et convertissait la part de Jacqueline en une redevance annuelle versée par son frère. Combien celui-ci réclamait la présence d’une sœur chérie, qui lui servait de secrétaire, de lectrice et d’infirmière ! Il se flatta qu’elle resterait, au moins, un an avec lui ; mais elle entra, le 4 janvier 1652, à Port-Royal ; et, dès le mois de mars, écrivit à Blaise pour l’inviter à la cérémonie de la vêture. Lettre toute de grandeur, de pathétique, de passion contenue, et presque de violence cornélienne : « Ne m’obligez pas à vous regarder comme l’obstacle de mon bonheur si vous êtes capable de différer l’exécution de mon dessein, ou comme l’auteur de mon mal si vous êtes cause que je l’accomplisse avec tiédeur... J’attends que vous ferez un effort sur vous-même pour ne pas vous mettre en état de me faire perdre les grâces que j’ai reçues, et de m’en répondre devant Dieu, à qui je proteste que ce sera. à vous seul que je m’en prendrai, et que je les redemanderai : Dieu nous garde, l’un et l’autre, de tomber dans ce malheur… Fais par vertu ce qu’il faut que tu fasses par nécessité. Donne à Dieu ce qu’il te demande en le prenant, car il veut que nous lui donnions ce qu’il nous ôte … La seule peur que j’ai eue de fâcher ceux que j’aime, a différé jusques ici mon bonheur. Il n’est pas raisonnable que je préfère plus longtemps les autres à moi, et il est juste qu’ils se fassent un peu de violence pour me payer de celle que je me suis faite depuis quatre ans. J’attends ce témoignage d’amitié de toi principalement, et te prie pour mes fiançailles qui se feront, Dieu aidant, le jour de la Sainte-Trinité … Je n’ai que trop patienté … Ce n’est que par forme que je t’ai prié de te trouver à la cérémonie ; car je ne crois pas que tu aies la pensée d’y manquer. Vous êtes assuré que je vous renonce, si vous le faites … Adieu, je suis de tout mon cœur, mon très cher frère, votre très humble et très obéissante sœur et servante, sœur Jacqueline de Sainte-Euphémie. »

Pour parler ainsi à un Pascal, il fallait une Pascal.

Celui-ci ne manqua pas au rendez-vous fixé en termes pareils ; mais on peut se demander si les années qui suivirent ne marquèrent pas quelque refroidissement de son jansénisme. En. tous les cas, elles furent accompagnées d’un nouveau zèle scientifique. Il perfectionna. sa machine arithmétique, et, en l’adressant à la reine Christine de Suède, il écrivit à celle-ci de fières paroles : « J’ai une vénération particulière pour ceux qui sont élevés au suprême degré, ou de puissance, ou de connaissance. Les derniers peuvent … , aussi bien que les premiers, passer pour des souverains. Le pouvoir des rois sur les sujets n’est … qu’une image du pouvoir des esprits sur les esprits qui leur sont inférieurs… Ce second empire me paraît même d’un ordre d’autant plus élevé, que les esprits sont d’un ordre plus élevé que les corps. »

A la même époque, Pascal envoyait la liste de dix nouveaux écrits à « la très célèbre Académie parisienne de mathématique » ; il inventait, dit-on, le haquet, ce chariot spécial qui sert, aujourd’hui encore, au transport des tonneaux. D’autre part, les médecins lui ayant conseillé de se distraire, il étendit ses relations, prit goût aux amusements de société, observa les joueurs qui gagnent et perdent beaucoup d’argent dans les salons, et médita sur les combinaisons mathématiques du hasard. Il fréquentait des libres penseurs et des gens du monde, lisait les stoïciens de l’antiquité païenne, tels qu’Epictète, ou des sceptiques, tels que Montaigne, ou des rationalistes, tels que Descartes. Par là, il étendait beaucoup sa connaissance de la nature humaine si complexe, avec ses contradictions, sa grandeur et sa déchéance. L’obsédante préoccupation d’analyser et de dépeindre l’humanité est la caractéristique de la littérature française, qui a donné une place prépondérante aux moralistes. Pascal acquit une estime nouvelle pour les facultés de l’homme ; il échappa ainsi au danger de s’enfermer lui-même dans une spécialité. Il écrira plus tard : « L’homme est plein de besoins ; il n’aime que ceux qui peuvent les remplir tous. – C’est un bon mathématicien, dira-t-on. – Mais je n’ai que faire de mathématiques ; il me prendrait pour une proposition ! »

Il écrivit une Dissertation sur les passions de l’amour, où l’on trouve une pensée de cet éclat : « Qu’une vie est heureuse, quand elle commence par l’amour ct qu’elle finit par l’ambition ! » Il songeait à prendre une charge publique et à se marier.

Dans la suite, il déplora l’orientation de sa vie à cette époque : on ne peut nier qu’il s’éloignait de l’idéal auquel s’était vouée sa sœur Jacqueline. Celle-ci, après une année de noviciat, désira offrir à Port-Royal sa part d’héritage dans la succession paternelle ; mais les membres de sa famille s’offensèrent au vif de tels desseins. Jacqueline dit à leur sujet : « Ils prirent les choses dans un esprit tout séculier comme auraient pu faire des personnes tout du monde, qui n’auraient pas même connu le nom de la charité. » Et la prieure du couvent, la Mère Angélique, corroborant ce jugement, s’exprimait en ces termes, au sujet de Blaise, dans un entretien avec sa sœur : « Celui qui a le plus d’intérêt à cette affaire est encore trop du monde, et même dans la vanité et les amusements, pour préférer les aumônes que vous vouliez faire à sa commodité particulière ; et de croire qu’il aurait assez d’amitié pour le faire à votre considération, c’était espérer une chose inouïe et impossible. »

L’affaire s’arrangea ; au cours d’un entretien avec Jacqueline, Blaise fut touché par sa résignation, et lui accorda ce qu’elle souhaitait. Il se comporta en « galant homme », déclara un de ceux qu’il fréquentait alors. Car il cultivait ses relations mondaines ; il sortait du cercle spécial, soit de la dévotion, soit de la science ; il se découvrait des amis qui, tout en l’admirant, riaient de ses naïvetés incroyables dans le domaine de la vie, et lui laissaient entrevoir qu’il était un génial « paysan du Danube ». L’un d’entre eux était un esprit éclectique et optimiste ; l’autre, un désabusé, correct ct pessimiste ; avec eux on discutait sur l’idéal moral de l’antiquité païenne ou sur les modernes raisons de douter du christianisme. Jusque-là, Pascal n’avait guère entrevu le monde qu’à travers les prédicateurs ; en y pénétrant lui-même, il fut ébloui de ce qu’il y découvrit : ce don de la conversation, cet échange subtil des idées, cette délicatesse des sentiments, cette sociabilité enfin, qui affine l’intelligence, obligée à prendre conscience de ses principes, par le contact ou par l’opposition avec autrui. Le janséniste mathématicien subit le charme d’une initiation aussi capiteuse.

Toutefois, durant cette année d’explorations incessantes, le cœur humain lui apparut séduisant, mais « creux et plein d’ordures », – l’expression est de lui. Pascal resta mécontent de soi. Il ne pouvait oublier la sœur qu’il avait lui-même orientée vers le couvent ; elle excitait en lui quelque chose des sentiments ineffables qu’il exprima, plus tard, en ces termes : « J’entre en une vénération qui me transit de respect envers ceux que Dieu semble avoir choisis pour ses élus. » Il se rapprocha de la « Sœur Sainte-Euphémie » ; et retrouvant en elle, simplement, la confidente naturelle de sa jeunesse, il lui confessa le vide affreux de son âme. « Il s’ouvrit à moi », écrivit Jacqueline à sa sœur aînée, « d’une manière qui fit pitié. » Il parla de son « aversion extrême » pour les « folies » et les « amusements du monde », et du « reproche continuel que lui faisait sa conscience ». Il confessait, d’ailleurs, qu’il « était dans un si grand abandonnement du côté de Dieu, qu’il ne sentait aucun attrait de ce côté-là ». En même temps, « il s’y portait de tout son pouvoir », mais plus par « sa raison » que par le Saint-Esprit, soupirant après « les sentiments de Dieu » qu’il possédait autrefois, et qu’il avait laissé perdre. Voilà où l’ont mené les « horribles attaches » du monde : à « résister aux grâces que Dieu Lui faisait ».

On devine l’émotion de Jacqueline auprès d’un tel pénitent. D’accord, sans doute, avec la supérieure du couvent, elle accordait à son frère, le génial infirme, toutes les heures qu’il réclamait pour son âme. « Si je racontais toutes les autres visites, il faudrait en faire un volume ; elles furent si fréquentes et si longues, que je pensais n’avoir plus d’autre ouvrage à faire. Je le voyais peu à peu croître de telle sorte, que je ne le connaissais plus, – en l’humilité, en la soumission, en la défiance, au mépris de soi-même, et au désir d’être anéanti dans l’estime et la mémoire des hommes. »

Vous savez que Blaise Pascal ne réussit guère à réaliser le vœu d’être oublié ! Sa destinée met en relief l’axiome du Christ : « Celui qui perd sa vit la retrouvera... » Réfléchissez, aussi, à l’exemple qui vous est offert par la confiance mutuelle du frère et de la sœur. Au foyer familial, il est souvent difficile de faire vivre en bonne intelligence de fortes personnalités ; or, Blaise et Jacqueline étaient des individualités exceptionnelles, dont les noms sont à jamais gravés, l’un et l’autre, dans l’histoire. Blaise le premier, entendit l’appel divin à la consécration totale ; mais nous avons vu qu’après avoir, en quelque sorte, poussé Jacqueline à Port-Royal, il fut comme inquiet de son propre succès, et sembla en manifester quelque regret. Celle qui était pour lui la plus fidèle amie, souffrit beaucoup d’un pareil désaccord, non seulement dans son cœur de sœur, mais dans son âme de chrétienne ; on pourrait ajouter : dans sa dignité de femme, car elle connut de dures humiliations. Néanmoins, elle sut gagner son frère par une douceur persévérante, alliée à la sévère franchise d’une âme incapable de biaiser.

Au coin du faubourg Saint-Jacques et du boulevard de Port-Royal, par-dessus les murailles d’une « Maternité » laïque installée dans le vénérable couvent, regardez avec respect le modeste clocher de la chapelle où Blaise et Jacqueline, plus d’une fois, prièrent ensemble. Vous apercevrez aussi des fenêtres sculptées, sous une vieille toiture ; l’une d’entre elles éclairait, qui sait ? la pièce où le frère et la sœur prolongeaient leurs entretiens sacrés ; telle de ces embrasures encadra, peut-être, un front pensif levé, la nuit, vers les étoiles : « Le silence éternel de ces espaces infinis m’effraie. »

Les membres d’une même famille semblent, parfois, appliqués à se voiler, mutuellement, leurs sentiments les plus profonds. Une fausse pudeur, dans le domaine religieux, empêche de précieux échanges entre des âmes prédestinées, pourtant, à se comprendre ; elles cheminent côte à côte, sans communion réelle. Quels regrets se préparent ainsi, une fois dispersés par la vie, ou séparés par la mort, des êtres qui s’aimaient, et qui, cependant, ont gaspillé des possibilités magnifiques !

Blaise et Jacqueline Pascal ne foulèrent pas aux pieds les trésors divins de leur intimité. Patiemment, ardemment, la Sœur Sainte-Euphémie ranima le feu sous la cendre, dans le cœur fraternel. Enfin, la flamme jaillit.

Un soir d’hiver, dans la solitude, – les astres scintillaient, muets, au firmament, – Pascal méditait, lisait l’Evangile, priait. Soudain, il eut comme un éblouissement intérieur, une révélation du monde surnaturel. Il connut une sorte d’extase, qui se prolongea deux heures durant. Quand il revint à lui les yeux mouillés de larmes, il voulut conserver le souvenir · de cette inspiration d’En-Haut ; à grands traits d’une écriture: ferme. rapide comme la pensée, fulgurante, il jeta sur le papier quelques lignes où frémit l’Esprit de Dieu.

Après sa mort, près de huit ans plus tard, son domestique, manipulant un pourpoint de Pascal, observa la présence d’un corps dur dans l’épaisseur de l’étoffe ; il coupa la doublure et découvrit deux exemplaires, dont l’un sur parchemin, du texte mystérieux. En voici la première partie :

L’an de grâce 1654. Lundi 23 novembre… Depuis environ dix heures et demie du soir jusques environ minuit et demi,

Feu

« Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, non des philosophes et des savants.
Certitude, Certitude. Sentiment. Joie. Paix.
Dieu de Jésus-Christ.
… Oubli du monde et de tout, hormis Dieu.
Il ne se trouve que par les voies enseignées dans l’Evangile.
Grandeur de l’âme humaine.
Père juste, le monde ne t’a point connu, mais je t’ai connu. »
Joie, joie, joie, pleurs de joie. »

Si l’on se reporte à la lettre où Jacqueline exposa la détresse morale de son frère, on aperçoit immédiatement que cet hymne-prière marque la jubilation d’une âme délivrée, illuminée, enfin rendue au « sentiment » de Dieu, à l’expérience des réalités spirituelles, aux intuitions révélatrices, au « témoignage intérieur du Saint-Esprit ».

Mais Pascal n’avait-il point connu, déjà, une première conversion ? Et cependant, il avait reculé vers les ténèbres, après s’être avancé vers la lumière. Souvenir poignant, humiliation tragique ! Il faut que la seconde conversion devienne la vraie, la définitive. Si l’âme « trouve » Dieu par l’Evangile, c’est par l’Evangile, aussi, que l’âme le « conserve ». Alors flamboient ces éclairs :

« Je m’en suis séparé …
Mon Dieu, me quitterez-vous ?
Que je n’en sois pas séparé éternellement.
« Telle est la vie éternelle, qu’ils te connaissent seul vrai Dieu, et celui que tu as envoyé, Jésus-Christ. »
Jésus-Christ.
Jésus-Christ.
Je m’en suis séparé ; je l’ai fui, renoncé, crucifié.
Que je n’en sois jamais séparé.
Il ne se conserve que par les voies enseignées dans l’Evangile.
Renonciation totale et douce
(1)»

(1) Le seul texte autographe du document ne contient pas la phrase :« Soumission à Jésus-Christ et à mon directeur ». Le père Guerrier écrivait, en 1732 : « L’addition n’a été faite que trente ans après la mort de M. Pascal », d’après des paroles « plutôt devinées que lues ».

Le lent martyre.

Après une telle révélation, Pascal « renonça ». Jésus, à son âge, quittait la solitude pour aller vers les hommes ; lui, cherchant à suivre Jésus, il s’échappa du milieu de ses semblables. Mais il emportait dans sa retraite une double connaissance qui lui manquait, au moment de sa première conversion, celle du cœur humain, celle du Dieu esprit.

1° L’homme lui apparait dans le mystère de sa chaotique et sublime nature, balancé entre deux infinis, à la fois grand et misérable, roi dépossédé, roseau pensant. Cette créature énigmatique essaye de s’étourdir ; elle veut nier le péché, oublier la mort. Tous ses malheurs viennent du fait qu’elle ne sait pas rester en repos dans une chambre. Pareille indifférence au salut est monstrueuse. Le non chrétien n’est sage, que s’il cherche en gémissant.

2° Comment chercher de manière à trouver ? Il faut lutter contre ses passions. Il faut, de plus, utiliser les rites et les sacrements offerts par l’Eglise. Mais, surtout, il faut prier, au nom de Jésus-Christ, demander l’inspiration promise dans l’Evangile. Alors, on parvient à la certitude spirituelle par l’illumination de la Grâce.

Notez que cette expérience intérieure est celle même que Luther et Calvin appelaient, avec saint Paul, le « témoignage de l’Esprit ». Mais cela ne signifie point que Pascal fût protestant. Quelques mois après la nuit fameuse, il écrivait dans une lettre particulière : « Toutes les vertus, le martyre, les austérités, et toutes les bonnes œuvres, sont inutiles hors de l’Eglise et de la communion du chef de l’Eglise, qui est le pape. Je ne me séparerai jamais de sa communion … , sans quoi je serais perdu pour jamais. »

Cependant, si Pascal ne fut pas un huguenot, il ne fut pas davantage un Jésuite. Sur la milice papale fondée par  Loyola, il fit claquer le fouet d’une indignation brûlante.  C’est contre les loyalistes, qu’il jeta, dans ses Lettres à un Provincial, ce verdict irrévocable : « Vous croyez avoir la force et l’impunité ; mais je crois avoir la vérité et l’innocence. C’est une étrange et longue guerre que celle où la violence essaye d’opprimer la vérité ... Mes Pères, je vous prie de considérer que, comme les vérités chrétiennes sont dignes d’amour et de respect, les erreurs qui leur sont contraires sont dignes de mépris et de haine ... Il y a deux choses dans les erreurs : l’impiété qui les rend horribles, et l’impertinence qui les rend ridicules ... » Voilà, concluait-il, les sentiments des « Saints » contre le jésuitisme. Vers la fin de sa vie, il déclara que, s’il avait à refaire les Provinciales, il ménagerait encore moins ses adversaires.

Ni huguenot, ni jésuite, mais catholique romain, Pascal se proposait donc, avant tout, d’être un « Saint », c’est-à-dire (au sens étymologique) un « consacré », un « mis à part », - bref, un chrétien. Voici comment il exprima son idéal : « Faire les petites choses comme grandes, à cause de la majesté de Jésus-Christ qui les fait en nous, et qui vit notre vie, et les grandes comme petites et aisées, à cause de sa toute-puissance. »

Et encore : « J’aime la pauvreté, parce qu’il l’a aimée. J’aime les biens, parce qu’ils donnent le moyen d’en assister les misérables. Je garde fidélité à tout le monde je ne rends pas le mal à ceux qui m’en font ; mais je leur souhaite une condition pareille à la mienne, où l’on ne reçoit pas de mal ni de bien de la part des hommes. J’essaye d’être juste, véritable, sincère et fidèle à tous les hommes ; et j’ai une tendresse de cœur pour ceux que Dieu m’a unis plus étroitement ; et soit que je sois seul, ou à la vue des hommes, j’ai en toutes mes actions la vue de Dieu qui les doit juger, et à qui je les ai toutes consacrées.

» Voilà quels sont mes sentiments, et je bénis tous les jours de ma vie mon Rédempteur qui les a mis en moi, et qui, d’un homme plein de faiblesse, de misères, de concupiscence, d’orgueil et d’ambition, a fait un homme exempt de tous ces maux par la force de sa grâce, à laquelle toute la gloire en est due, n’ayant de moi que la misère et l’erreur. »

Pour lui, être chrétien, c’est avoir « les sentiments qui animaient Jésus-Christ » – selon l’exhortation apostolique. Etre chrétien, c’est posséder l’esprit des Béatitudes, accepter la véritable hiérarchie des grandeurs, telle qu’on peut la dégager de l’Evangile. « Tous les corps, le firmament, les étoiles, la terre et ses royaume, ne valent pas le moindre des esprits ; car il connait tout cela, et soi ; et les corps, rien (2). Tous les corps ensemble, et tous les esprits ensemble et toutes leurs productions, ne valent pas le moindre mouvement de charité. Cela est d’un ordre infiniment plus élevé. – De tous les corps ensemble, on ne saurait en faire réussir une petite pensée ; cela est impossible, et d’un autre ordre. De tous les corps et esprits, on n’en saurait tirer un mouvement de vraie charité ; cela est impossible, et d’un autre ordre, surnaturel. »

(2) Les corps ne connaissent rien.

Hélas ! le christianisme de Pascal, si radieusement évangélique, si majestueusement universel, fut en même temps marqué d’un signe particulariste, soit romain, soit, surtout, janséniste.

Après l’inoubliable soirée du 23 novembre, il se remit entre les mains du directeur spirituel des religieuses de Port-Royal. Celui-ci lui conseilla un voyage à la campagne, pour le séparer de son ami intime, le duc de Roannez. Pascal se soumit, non sans « larmes », écrit Jacqueline. Il lui fallut également quitter celle-ci. Mais, expliqua-t-elle, « il n’a rien perdu à sa directrice ». Elle continuait, cependant, à veiller sur lui. Environ deux mois après la vision intérieure de son frère, elle lui laissa entendre, par lettre, qu’il semblait mettre une hâte presque exagérée à couper ses derniers liens avec le monde : « Je loue l’impatience que vous avez d’abandonner tout ce qui a encore quelque apparence de grandeur, mais je m’étonne que Dieu vous ait fait cette grâce ; car il me paraît que vous avez mérité ... d’être encore quelque temps importuné de la senteur du bourbier que vous aviez embrassé. » Il se retira, d’abord, à l’abbaye de Port-Royal des champs, où il obtint une cellule parmi ceux qu’on nomme les « Solitaires ». Jacqueline écrivait à sa sœur aînée que Blaise, malgré son pitoyable état de santé, se levait à cinq heures du matin pour suivre les offices. Bravant les médecins, il ajoutait même aux veilles le jeûne. Il employait, pour manger, de la vaisselle de terre et une cuiller de bois. Pendant que les petits marquis, à la luxueuse cour de Louis XIV, vivaient dans les délices, un Blaise Pascal, impotent et torturé de maux, faisait son lit lui-même, cherchait son dîner à la cuisine et y rapportait la vaisselle. Sa sœur aînée, Gilberte, ajoute : « Tout son temps était employé à la prière et à la lecture de l’Ecriture sainte, et il y prenait un plaisir incroyable. »

Malheureusement, une année après sa retraite, Jacqueline dut lui écrire : « Il est nécessaire que vous soyez, au moins durant quelques mois, aussi propre que vous êtes sale … Et après cela, il vous sera glorieux, et édifiant aux autres, de vous voir dans l’ordure, s’il est vrai que ce soit le plus parfait, dont je doute beaucoup. » Mais la logique de Blaise l’entraînait à suivre la morale janséniste jusqu’au bout. Il finit par se priver de tout ce qui pouvait relever la fadeur de son menu, même du jus d’orange, s’exerçant à ne pas goûter ce qu’il mangeait, de peur d’y éprouver un plaisir. Il affirmait que la maladie est l’état naturel des chrétiens. Il blâmait les caresses que sa sœur Gilberte recevait, de ses propres enfants. En certaines occasions, il alla jusqu’à fixer, sur sa chair, une ceinture de fer, garnie de pointes, qu’il serrait contre son corps avec ses coudes

Admirons pareil courage, mais déplorons pareille aberration. Déjà, dans son idéal de la vie chrétienne, vous avez remarqué une phrase inquiétante où il affirmait ne recevoir ni « mal » ni « bien » de la part des hommes ; il attribuait à Dieu ce qui lui venait d’eux. Mais, en même temps, il ne voulait rien leur donner à eux de ce qui appartient à Dieu. C’est pourquoi, Gilberte écrivait : « J’étais toute surprise des rebuts qu’il me faisait quelquefois. » Pascal en a donné l’explication en ces termes : « Il est injuste qu’on s’attache à moi. Je suis coupable de me faire aimer. » Par là, pensait-il, on détournait de Dieu les âmes. Il était d’accord, sur ce point, avec Jacqueline dont la sœur ainée écrit : « Elle était assurément la personne du monde qu’il aimait le plus. »

L’Evangile est infiniment plus simple, plus humain, plus beau, à la fois plus sain et plus saint.

Cependant, une ardente lave restait sous pression dans le volcan éteint. Elle éclata. Laissons de côté l’invention d’une méthode pour apprendre à lire, sans épeler, en prononçant les syllabes, ou un Essai d’éléments de géométrie ; Pascal ne donnait pas toute sa mesure en travaillant ainsi pour les écoles de Port-Royal, bien qu’il faille du génie pour s’adapter d’une manière utile et féconde au cerveau de l’enfant. Mais que penser des dix-huit lettres anonymes écrites « à un Provincial, par un de ses amis, sur le sujet des disputes présentes de la Sorbonne ». Le mystérieux auteur se tint, caché, pour les composer, tantôt dans le château d’un de ses amis, en province, tantôt à Paris même, en face du collège des Jésuites, dans une auberge à l’enseigne du « Roi David » ; Pascal y logeait sous le nom de M. de Mons.

De quoi s’agissait-il ? Le pape avait condamné cinq propositions extraites des ouvrages de Jansénius. Les disciples de celui-ci niaient que ces propositions existassent. Pascal se chargea d’ébaucher un projet de brochure, où l’on démontrerait, en style populaire, que les docteurs de Sorbonne, si âpres à poursuivre les jansénistes, s’enlisaient dans d’obscures chicanes au profit du Jésuitisme. Tel fut le point de départ. Bientôt « Montalte » (pseudonyme de Pascal), quittant l’attitude purement défensive, attaqua. Et le système moral des jésuites s’écroula, comme les murailles de Jéricho, sous la fanfare des trompettes.

Pascal vouait, souvent, vingt jours entiers à la composition d’une seule Lettre ; il refit treize fois la dernière. Et dire que des écoliers de votre âge croient pouvoir bâcler une rédaction !

Le célèbre Perrault, celui des contes de fées, exprima le jugement suivant sur les Provinciale : « D’un million d’hommes qui l’es ont lues, on peut assurer qu’il n’en est pas un qu’elles aient ennuyé un seul moment. Je les ai lues plus de dix fois. »

A l’époque où Pascal terminait cette campagne contre le Jésuitisme, son zèle fut singulièrement exalté par un événement inopiné, survenu dans la chapelle de Port-Royal, et que Gilberte Périer raconte en ces termes : « Ce fut dans ce temps-là qu’il plut à Dieu de guérir ma fille d’une fistule lacrymale. Le pus sortait non seulement par l’œil, mais par dedans le nez et par la bouche. Et cette fistule était d’une si mauvaise qualité, que les plus habiles chirurgiens de Paris la jugeaient incurable. » Le vendredi 24 mars 1656, la communauté s’étant réunie pour baiser, à genoux, « un éclat d’une épine de la sainte couronne », Marguerite porta la relique à son œil malade. Le soir même, elle déclara que la souffrance avait disparu, ainsi que l’enflure. Le 14 avril, plusieurs médecins certifièrent « que la guérison surpassait les forces ordinaires de la nature ». Le 22 octobre, les vicaires généraux de l’archevêché de Paris affirmèrent le « miracle ».

Pascal n’en douta point ; la guérison surnaturelle de sa nièce, et filleule, lui apparut comme le sceau divin apposé sur la doctrine janséniste. De là ces accents triomphants dans la Seizième Lettre : « On l’entend aujourd’hui, cette voix sainte et terrible qui étonne (3) la nature, et qui console l’Eglise. » De là, aussi, le projet de rédiger, contre les incrédules, une Défense de la foi chrétienne ; apologie à deux tranchants, puisqu’elle frapperait tout ensemble et les athées et les jésuites. Il y fut encouragé par un autre fait imprévu, où s’affirma impérieusement son génie mathématique. Au cours d’une insomnie causée par une rage dentaire, il chercha une diversion en réfléchissant au problème de la cycloïde (4), et en trouva la solution. L’un de ses amis, qui l’avait quitté « dans des douleurs très violentes », et qui le trouva guéri au matin, lui demanda s’il publierait sa découverte ; Pascal répondit qu’il n’avait cherché dans ce travail qu’un remède. L’autre le supplia de divulguer ses résultats, car il montrerait par là aux athées « qu’il en savait plus qu’eux tous en ce qui regarde la géométrie » ; et que, s’il était croyant, c’était, précisément, parce qu’il « savait jusques où devaient porter les démonstrations (5) ».

(3) Le terme « étonner » – où l’on retrouve le mot tonnerre – avait alors un sens presque aussi fort que le verbe « foudroyer ».

(4) Courbe engendrée par un point situé sur une circonférence qui roule sans glisser sur une droite.

(5) Le célèbre Bayle écrivait en décembre 1684 : « Cent volumes de sermons ne valent pas cette vie-là, et sont beaucoup moins capables de désarmer les impies. Les libertins ne peuvent plus nous dire qu’il n’y a que de petits esprits qui aient de la piété… »

Pascal entreprit donc un exposé de la doctrine chrétienne, fondé sur l’analyse de la nature humaine, serrure secrète à laquelle s’adapte seule, parfaitement, la clé de l’Evangile. A ce projet il apportait son triple génie de savant, de psychologue moraliste, et de chrétien. Jamais encore, semble-t-il, on n’avait vu pareil maçon à pied d’œuvre. Ce maître ouvrier disait qu’il lui faudrait dix ans de santé pour mener à bonne fin l’édifice.

Pendant une année, environ, il rumina cet ouvrage. en arrêta le plan, et même en rédigea certaines parties. D’ordinaire, il composait mentalement, sans notes écrites ; il disait « n’avoir jamais rien oublié de ce qu’il avait voulu retenir ». Mais ses infirmités lui rendirent trop pénible un tel effort de mémoire ; pour la soulager, il jeta donc, pêle-mêle, sur des fragments de papier, les idées à développer, ou déjà esquissées. Ces brouillons informes, presque illisibles, devaient exercer, un jour, la curiosité pieuse et la fervente ingéniosité des disciples respectueux qui déchiffrèrent ces hiéroglyphes. La vénération universelle qui n’a jamais cessé d’entourer ce grimoire, est à l’honneur de la nature humaine.

Brusquement, les continuelles souffrances du martyr augmentèrent à tel point que, durant les dernières années de son existence, il ne put « du tout travailler un instant à ce grand ouvrage qu’il avait entrepris pour la religion ». Ainsi s’exprime sa sœur aînée. Ecrivant lui-même, deux ans avant sa fin, à un célèbre mathématicien, il disait : « Je suis si faible que je ne puis marcher sans bâton, ni me tenir à cheval. Je ne puis même faire que trois ou quatre lieues, au plus, en carrosse. »

L’année suivante, un mandement ecclésiastique imposait à la signature de toute personne agrégée à l’Eglise un texte antijanséniste ; il était rédigé de telle façon que les disciples de Jansénius pouvaient le signer, car il condamnait les « cinq Propositions » repoussées par le pape, sans condamner expressément Jansénius lui-même. Ce mandement si habile avait été composé en haut lieu, avec la collaboration de Port-Royal, et on l’attribuait même à Pascal.

Jacqueline s’opposa fortement à une procédure qui lui paraissait déloyale. Elle exposa ses scrupules dans une lettre qui reste un monument de la conscience chrétienne. Elle y écrivait : « Ce n’est pas à des filles à défendre la vérité, quoique l’on peut dire, par une triste rencontre, que, puisque les évêques ont des courages de filles, les filles doivent avoir des courages d’évêques. » Elle demanda que cette lettre fût montrée à Blaise, « s’il se porte bien... ». Devant l’insistance des chefs spirituels de Port-Royal, elle signa néanmoins, non sans avoir complété le formulaire par un suprême éclaircissement. Mais elle en demeura inconsolable, et comme épouvantée. Le 22 juin 1661, elle écrivait : « Je parle dans 1’excès d’une douleur à quoi je sens bien qu’il faudra que je succombe, si je n’ai la consolation de voir au moins quelques personnes se rendre volontairement victimes de la vérité. » Moins de quatre mois plus tard, elle mourut.

Cette mort était presque un sacrifice, une immolation réfléchie ; elle fut, pour Pascal, un trait de lumière fulgurante. Sainte-Beuve, l’historien de Port-Royal, écrit que cette femme inspirée, qui « explique, complète et peut-être, à quelques égards, surpasse » Blaise, « convertit une dernière fois son frère (6) ». Il comprit qu’il devait, à son tour, selon l’expression de Jacqueline, « conserver la vérité en sa personne ». Quand le Conseil d’Etat lança un nouveau mandement, exigeant la signature formelle des jansénistes, par oui ou par non, il conseilla la résistance. Il avoua que la thèse, jusque-là soutenue par lui, « pour se défendre contre les décisions du pape », était mauvaise. Il la jugea « tellement subtile, si peu nette et si timide, qu’elle ne paraît pas digne des vrais défenseurs de l’Eglise. » Il fallait donc se refuser à une « profession de foi au moins équivoque et ambiguë, et, par conséquent, méchante … voie moyenne qui est abominable devant Dieu, méprisable devant les hommes, et entièrement inutile à ceux qu’on veut perdre personnellement ». Les chefs de Port-Royal n’acceptèrent pas ce point de vue. On se réunit chez Pascal pour discuter. Le malade chercha en vain à faire prévaloir sa thèse. Alors, « M. Pascal, qui aimait la vérité par-dessus toute chose, qui d’ailleurs était accablé d’un mal de tête qui ne le quittait point … , fut si pénétré de douleur, qu’il se trouva mal, perdit la parole et la connaissance ». Quand il revint de cette syncope, sa sœur aînée lui demanda la raison de cet évanouissement. Il répondit : « Quand j’ai vu toutes ces personnes-là, que je regardais comme étant ceux à qui Dieu avait fait connaître la vérité, et qui devaient en être les défenseurs, s’ébranler et succomber, je vous avoue que j’ai été si saisi de douleur que je n’ai pas pu la soutenir, et il a fallu y succomber. » Jacqueline, disparue, parlait à travers lui !

(6) Alexandre Vinet va jusqu’à écrire dans le même sens, au sujet de Jacqueline : « Nous éprouvons une admiration plus entière et plus respectueuse pour elle que pour lui » (Etudes sur B. Pascal. XI).

Il allait, bientôt, la rejoindre … Suivons le récit de Gilberte. « Ses infirmités, continuant toujours, sans lui donner un seul moment de relâche, le réduisirent à ne plus pouvoir travailler, et à ne voir quasi personne. » Huit mois après la mort de Jacqueline, l’entreprise des transports parisiens en commun, imaginée par Blaise, commença de fonctionner. « Dès que l’affaire des carrosses fut établie, il me dit qu’il voulait demander 1.000 francs par avance, sur sa part – (de revenus) – pour envoyer aux pauvres de Blois », où l’hiver avait multiplié d’inénarrables détresses. Mais les directeurs de l’entreprise ne se prêtèrent pas à ce dessein. « Cet amour qu’il avait pour la pauvreté le portait à aimer les pauvres avec tant de tendresse, qu’il n’avait jamais refusé l’aumône, quoiqu’il n’en fît que de son nécessaire, ayant peu de bien, et étant obligé de faire une dépense qui excédait son revenu, à cause de ses infirmités. Mais lorsqu’on lui voulait représenter cela, quand il faisait quelque aumône considérable, il se fâchait et disait : « J’ai remarqué une chose que, quelque pauvre qu’on soit, on laissait toujours quelque chose en mourant. »

Trois mois avant sa mort, « comme il revenait de la messe de Saint-Sulpice, une jeune fille, d’environ quinze ans, fort belle, lui demanda l’aumône. Il fut touché de voir cette personne exposée à un danger si évident », et « il crut que Dieu la lui avait envoyée ». En ces conjonctures, il appliqua le précepte qu’un janséniste, le Père Quesnel, devait formuler, au XVIIIe siècle, en ces termes : « Ne renvoyons pas à la Providence les pauvres que la Providence nous envoie. » Sur l’heure, il conduisit l’abandonnée « à un bon prêtre, à qui il donna de l’argent », et auquel il promit de lui adresser, dès le lendemain, une femme qui achèterait à la jeune fille le nécessaire, pour qu’elle pût chercher une place de domestique.

Un mois plus tard, la dernière crise de sa maladie « commença par un dégoût étrange ». Son médecin lui conseilla de s’abstenir de toute nourriture solide ; bien petit renoncement, auprès de ceux qu’il accepta, coup sur coup, jusqu’à la fin.

D’abord, il dut quitter sa maison, et l’entourage familier si cher à un valétudinaire. Voici dans quelles circonstances. Il hébergeait, par charité, un couple auquel il avait donné une chambre, et qu’il fournissait de bois ; le fils de ces pauvres gens prit la petite vérole ; alors, écrit Gilberte : « Mon frère, qui avait besoin de mes assistances, eut peur que je n’eusse de l’appréhension d’aller chez lui, à cause de mes enfants. » Sans doute, on aurait pu transporter le jeune malade ailleurs ; mais Pascal pensa qu’un tel déplacement serait dangereux. « Il aima mieux sortir lui-même de sa maison, quoiqu’il fût déjà fort mal, et il n’y rentra jamais. »

C’est le 29 juin qu’il vint s’établir chez sa sœur aînée. Trois jours après ce transfert, il fut saisi de douleurs d’entrailles, très violentes, qui lui ôtaient absolument le sommeil. « Mais, comme il avait une grande force d’esprit et un grand courage, il endurait ses douleurs avec une patience admirable. Il ne laissait pas de se lever tous les jours et de prendre lui-même ses remèdes, sans vouloir souffrir qu’on lui rendît le moindre service. » Sentant qu’il s’affaiblissait, il envoya quérir le curé, dans les premiers jours de juillet, et se confessa. « Cela fit bruit parmi ses amis, et en obligea quelques-uns de le venir voir, tout épouvantés d’appréhension. » Pascal craignait d’ajouter à cette émotion. « Mon frère me dit : J’eusse bien voulu me communier ... Il vaut mieux différer. » Mais chaque fois que le curé venait le visiter, « il ne perdait pas une de ces occasions pour se confesser, et n’en disait rien, de peur d’effrayer le monde, parce que les médecins assuraient toujours qu’il n’y avait nul danger à sa maladie. Il fit même son testament, où les pauvres ne furent pas oubliés, et il se fit violence pour ne pas donner davantage, car il me dit que si M. Périer - (son beau-frère) - eût été à Paris, et qu’il y eût consenti, il aurait disposé de tout son bien en faveur des pauvres ; et enfin il n’avait rien dans l’esprit et dans le cœur que les pauvres, et il me disait quelquefois : D’où vient que je n’ai jamais rien fait pour les pauvres ? ... Puisque je n’avais pas de bien pour leur donner, je devais leur avoir donné mon temps et ma peine ; c’est à quoi j’ai failli… Si Dieu permet que je me relève de cette maladie, je suis résolu de n’avoir point d’autre emploi... que le service des pauvres. »

Le 14 août, « il sentit un grand étourdissement, avec une grande douleur de tête ... Il demanda, avec des instances incroyables, qu’on le fît communier ; et il pressa tant pour cela, qu’une personne qui se trouvait présente lui reprocha qu’il avait de l’inquiétude, et qu’il devait se rendre au sentiment de ses amis, qu’il se portait mieux ; et que, ne lui restant plus qu’une vapeur d’eau, il n’était pas juste qu’il se fît porter le saint sacrement ; qu’il valait mieux différer, pour faire cette action à l’église ». Il répondit : « On ne sent pas mon mal, et on y sera trompé ; ma douleur de tête a quelque chose de fort extraordinaire. »

Néanmoins, « voyant une si grande opposition à son désir, il n’osa plus en parler ; mais il dit : « Puisqu’on ne me veut pas accorder cette grâce, j’y’ voudrais bien suppléer par quelque bonne œuvre, et ne pouvant pas communier dans le Chef, je voudrais bien communier dans ses membres. » Il demanda qu’on transportât sous le même toit « un pauvre malade, à qui on rende les mêmes services, qu’on prenne une garde exprès, et enfin qu’il n’y ait aucune différence de lui à moi. Il y a une infinité de pauvres, qui manquent des choses les plus nécessaires ; cela me fait une peine que je ne puis supporter. »

On transmit ce désir au curé de Saint-Etienne-du-Mont ; il répondit qu’il ne connaissait pas de malade transportable ; mais qu’après la guérison de Pascal, il lui confierait la charge entière d’un vieillard. « Comme il vit qu’il ne pouvait avoir un pauvre avec lui, il me pria de lui faire cette grâce de le faire porter aux Incurables, parce qu’il avait un grand désir de mourir en la compagnie des pauvres ». On lui refusa la chose, à cause de ses douleurs. « Il me fit promettre que, s’il avait un peu de relâche, je lui donnerais cette satisfaction. »

Le 17 août, les souffrances de tête augmentant toujours, sans lui arracher une plainte, il souhaita une consultation. Mais saisi aussitôt de scrupule, il ajouta : « Je crains qu’il n’y ait trop de recherche dans cette demande. » On appela quand même les médecins. Ils lui « ordonnèrent de boire du petit-lait, lui assurant toujours qu’il n’y avait nul danger, et que ce n’était que la migraine mêlée à des vapeurs d’eau ». Cependant, « il ne les crut jamais, et me pria d’avoir un ecclésiastique pour passer la nuit auprès de lui ; et moi-même je le trouvai si mal, et dans un si grand abattement, que je donnai ordre, sans en rien dire, d’apprêter des cierges, et tout ce qu’il fallait pour le faire communier le lendemain au matin ».

Il n’était que temps. « Environ minuit, il lui prit une convulsion si violente que, quand elle fut passée, nous crûmes qu’il était mort. .. Mais Dieu lui rendit le jugement ... M. le curé, entrant avec le saint sacrement, lui cria : « Voilà Celui que vous avez tant désiré ! » Ces paroles achevèrent de le réveiller. » Au moment de communier, il se souleva, au prix d’un effort, afin de recevoir l’hostie avec plus de respect. « M. le curé l’ayant interrogé sur les principaux mystères de la foi, il répondit distinctement : « Oui, monsieur, je crois tout cela, et de tout mon cœur. » Ensuite, il reçut le saint viatique et l’extrême-onction avec des sentiments si tendres, qu’il en versait des larmes. Il répondit à tout, remercia M. le curé ; et lorsqu’il le bénit avec le saint ciboire, il dit : « Que Dieu ne m’abandonne jamais ! » qui furent comme ses dernières paroles ; car, après avoir fait son action de grâces, les convulsions le reprirent qui ne le quittèrent plus, et qui ne lui laissèrent plus un instant de liberté d’esprit : elles durèrent jusqu’à sa mort, qui fut vingt-quatre heures après, le dix-neuvième d’août 1662, à une heure du matin, âgé de trente-neuf ans deux mois. »

Il connut alors, dans sa plénitude, l’extase qu’il avait déjà pressentie, sous l’éclair d’une révélation décisive, vers la même heure de la nuit :

« Jusques environ minuit et demi… Certitude. Certitude. Sentiment. Joie. Paix … Oubli du monde et de tout, hormis Dieu. »
Alléluia !

* * *

Une cinquantaine d’années plus tard, Louis XIV lâcha ses archers contre Port-Royal-des-Champs, pour encercler cette forteresse, dont la garnison comptait vingt-deux femmes ; la plus jeune était vieille d’un demi-siècle, les plus âgées étaient octogénaires. Après avoir dispersé les religieuses, on entreprit la démolition du cloître ; les pierres en furent numérotées, et transportées à Pontchartrain, dans les environs ; on bâtit ainsi, pour le château,  des communs et des écuries où se retrouva la forme de l’abbaye.

L’église ne fut pas épargnée ; on y mit le marteau ; mais il fallut, d’abord, procéder à des exhumations. Quelques familles, prévenues, enlevèrent « les morts de qualité ». Quant aux autres ! De longue date, les fidèles avaient envoyé des corps entiers ou des viscères à Port-Royal-des-Champs, pour que les dépouilles mortelles reposassent en terre sainte ; on évalue à plus de trois mille les cadavres à exhumer. La tâche fut confiée à des manants, qui s’enivraient pour s’exciter à leur macabre besogne. On arrachait du sol des corps de religieuses encore vêtues de leur costume. Bien des visages étaient reconnaissables ; la découverte funèbre d’un domestique, parfaitement conservé, appelé Laisné, déchaîna de joyeuses plaisanteries ; sa chemise était encore bonne ; on l’en dépouilla. « Ainsi, écrit un historien, ce qui avait été la vallée sainte par excellence, et la cité des tombeaux, n’offrit plus que la vue d’un immense charnier, livré à la pioche et aux quolibets des fossoyeurs.

Mais je n’ai plus trouvé qu’un horrible mélange
D’os et de chairs meurtris et traînés dans la fange,
Des lambeaux pleins de sang, et des membres affreux
Que des chiens dévorants se disputaient entre eux.

Cette fin du songe d’Athalie se vérifia à la lettre. Des chasseurs, qui traversèrent alors le vallon, ont raconté qu’ils furent obligés d’écarter avec le bout de leurs fusils des chiens acharnés à des lambeaux (7). » Cela, dans l’église même. Sainte-Beuve ajoute : « Grâce à une incurie sans nom, succédant à de longues suggestions iniques, il y eut, sous Louis XIV, à deux pas de Versailles, des actes qui rappellent ceux de 1793. On le lui rendit trop bien à ce superbe monarque, et à toute sa race, le jour de la violation des tombes royales à Saint-Denis ! » Plusieurs losanges de marbre noir, enlevés aux sépultures des religieuses, furent employés dans les cabarets pour servir de tables à boire et à s’enivrer.

(7) Sainte-Beuve : Port-Royal, tome V, page. 590.

Un contemporain écrivit : « Ainsi a fini la destruction d’une maison, célèbre dans l’Eglise de France, et qui a subsisté pendant cinq cents ans ; dans laquelle Dieu était servi et honoré avec piété ; qui répandait partout la bonne odeur de Jésus-Christ, et où il était adoré nuit et jour en esprit et en vérité. »

Ce terrain sacré fut piétiné, retourné, souillé, comme un champ de pommes de terre envahi, la nuit, par une troupe de sangliers.

… Dans une Relation de la catastrophe, on lit : « Le vendredi matin, fête de tous les Saint, M. d’Argenson partit pour aller rendre compte au roi des ordres de sa Majesté, et lui dit qu’il avait été surpris de la constance de ces religieuses, et surtout de leur parfaite obéissance. Le roi répondit qu’il était content de leur obéissance, mais fâché qu’elles ne fussent pas de sa religion. »

La religion de Louis le Grand.

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