Il nous semble que l’on se met, de part et d’autre, au sujet de l’ancienneté du polythéisme, en trop grands frais d’érudition. On se dispute avec ardeur aujourd’hui, les uns, pour constater, les autres, pour nier les traces possibles, probables ou réelles de ce qu’on appelle le monothéisme primitif. Encore ce qualificatif primitif manque-t-il de précision, car il nous laisse dans le doute sur le point de savoir si c’est à la première origine de l’humanité, ou seulement à l’origine des grandes races humaines, aryenne, sémitique, nègre, qu’on prétend nous transporter. Il est certain que dans un cas comme dans l’autre, faute de documents, ou du moins de documents dont l’autorité soit universellement reconnue, ce sont les partisans de l’agnosticisme qui ont la position la plus assurée. Eût-on même réussi à établir d’une façon convaincante pour l’adversaire la primordialité dans l’humanité ou chez les principales des races humaines soit du monothéisme soit du polythéisme, aura-t-on par là établi le droit de l’un, l’illégitimité de l’autre, et faudra-t-il consentir, au risque de mettre les plus chers intérêts de notre foi à la merci de la découverte d’un nouveau document, à ce que la vérité d’une religion ou de la religion se mesure à sa date ou à ses succès ?
Nous jugeons donc inutile et même dangereux, bien que nos sympathies naturelles nous portent d’un côté plutôt que de l’autre, de nous prononcer pour le moment entre les partisans d’une révélation divine monothéiste à l’origine de l’humanité : MM. Frédéric de Rougemontj, de Pressensék et Gladstonel, et ceux qui, comme M. Réville, rattachent ces origines à un état d’animalité inférieur même au fétichisme, et caractérisé par « le culte naïf d’objets naturels qu’on se représentait comme animés, conscients, puissants et influant sur la destinée humaine. La seule question qui se pose à nous ici est celle de savoir si le polythéisme est une phase fatale, et précédant nécessairement le monothéisme, du développement religieux de l’homme ; et sur ce point les faits constatés autorisent une réponse négative ; car il suffit d’une seule race, d’un seul peuple, d’un seul cas où cette loi de transformisme soit en défaut, pour établir notre thèse.
j – Le Peuple primitif.
k – Voir Origines, page 492.
l – Voir le compte-rendu de l’opinion de M. Gladstone par M. Ré ville, Prolégomènes, papes 57 et sq.
M. Réville, et c’est ici que nous l’arrêtons, ne se contente pas de mettre en doute la réalité d’une révélation monothéiste faite à l’homme primitif, il en nie la possibilité au nom de la science. « Comment, demande-t-il, dans l’hypothèse, la Puissance divine aurait-elle communiqué des idées à l’homme encore incapable de parler et de penser ? » Quelques lignes plus loin, l’auteur va nous fournir sa propre réfutation : « De même que l’hiéroglyphie primitive se change en idéographie, de même les onomatopées premières se changent en mots correspondant à des idées générales, et c’est dans ce vase que l’homme verse sans s’en rendre compte la merveilleuse logique instinctive de son esprit. » Et nous demandons par quelle raison ce vase qui a reçu la merveilleuse logique de l’esprit de l’homme n’a pas pu recevoir aussi bien la révélation la plus élémentaire de Dieu et sur Dieu ?
Que l’on fixe la date de l’avènement du monothéisme en Israël au VIIIe siècle avant J.-C, ou qu’on la recule jusqu’à l’époque de Moïse ou à celle des Patriarches ; que Jahveh ait ou non commencé par être un dieu national pour s’élever au rang du Dieu unique, créateur des cieux et de la terre, la présence de la croyance monothéiste chez un des peuples de l’antiquité étant restée jusqu’ici irréductible aux efforts de la critique naturaliste, suffit à réfuter la thèse évolutionniste dans le domaine de l’histoire des religions.
« Aux tentatives, de quelque nature qu’elles puissent être, d’expliquer la religion de l’Ancien Testament comme le produit d’un développement naturel, nous aurions à opposer les considérations suivantes :
Tout d’abord les témoignages authentiques et historiques de l’Ancien Testament lui-même contredisent cette thèse. Dès les temps mosaïques, le témoignage concordant de tous les livres de l’A. T. passe complètement sous silence une transformation aussi essentielle de la religion du peuple que celle qui serait supposée par la substitution d’une conscience religieuse plus pure à un paganisme antérieur. Les quelques passages que l’on a allégués en faveur de cette opinion (Amos 5.26 ; Ézéchiel 20.26) ne peuvent la favoriser que grâce à une fausse interprétation. Mais pour l’époque mosaïque également, qui fut celle de fondation, les documents ignorent absolument le fait que Moïse aurait extrait la foi nouvelle du paganisme, et établissent au contraire qu’il l’a rattachée à une plus pure, qui lui avait été transmise. Ces souvenirs populaires concernant le développement d’une religion ont assurément leur poids. Là où un changement essentiel s’est produit dans la religion d’un peuple, la trace s’en est toujours conservée dans la conscience historique, et n’eût pu en être effacée, non pas même par artifice.
Nous opposons, en second lieu, à cette opinion l’impossibilité d’un pareil événement. Nous pouvons maintenant porter sur les religions une appréciation plus générale que cela n’avait eu lieu précédemment ; nous pouvons affirmer avec pleine certitude que toutes les religions des peuples en dehors d’Israël étaient et sont restées païennes, et qu’aucune d’elles n’eût pu procréer de son sein le principe supérieur qui fait le fonds de la religion de l’A. T. Dans toute religion, c’est la notion de Dieu qui est le trait essentiel. Mais l’essence de la notion païenne ne réside pas principalement dans l’idée de la pluralité des dieux, mais dans la détermination naturaliste de la Divinité, dont le polythéisme n’était qu’une conséquence. Les religions païennes sont toutes des religions naturalistes ; leur principe est la divinisation de la nature.
Or il n’y a pas de transition directe des religions de la nature à celle de l’esprit. C’est ce que nous enseigne l’histoire du développement religieux des peuples ;… et la religion de l’A. T. ne saurait être considérée, à ce point de vue, comme le prolongement d’une des formes du paganisme.
Mais, dira-t-on, encore que la religion populaire comme telle n’eût pu s’élever à ce niveau, n’y a-t-il pas toujours eu dans l’enceinte de ces religions, du moins des plus avancées d’entre elles, des esprits éminents qui ont aperçu par la force de leur intelligence le néant du paganisme, et Moïse n’aurait-il pas été un de ceux-là ?. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Mais une pareille supposition ne nous aiderait point à résoudre le problème. Les grands esprits, les penseurs des nations qui ont dissipé devant les lumières de leur intelligence les brouillards des religions populaires, sont apparus seulement chez les plus civilisés des peuples, non pas même aux débuts, mais aux points culminants de leur civilisation, et encore en s’aidant des résultats de leurs prédécesseurs. Comment tout cela pourrait-il se rapporter à Moïse ?
Mais, ajoutera-t-on, Moïse a été élevé à la cour du roi d’Egypte et instruit des connaissances supérieures des prêtres égyptiens. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Mais cette supposition d’une sagesse plus profonde des prêtres égyptiens est une illusion née des malentendus commis par les Anciens. Supposé qu’elle eût existé en effet, cette doctrine secrète, il resterait à savoir si Moïse a appris à la connaître, et dans le cas de l’affirmative, il n’aurait pas beaucoup appris ; l’idée de l’unité de Dieu était ancienne déjà dans sa nation ; celle de l’immortalité de l’âme n’occupe aucune place (?) dans la phase mosaïque de la religion de l’A. T.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Mais même si Moïse eût été un puissant et profond penseur, ce que l’histoire ignore ; même s’il eût rempli à l’origine de l’histoire d’Israël le rôle d’un des sages de la Grèce, fût-il devenu pour cela fondateur de religion ? L’histoire nous enseigne à répondre : Non ! Tous ceux qui ont été fondateurs ou restaurateurs de religions sont partis non pas de notions théoriques, mais d’une conviction religieuse dérivée d’ailleurs, d’une transformation de leur propre vie religieuse, de faits intérieurs ou extérieurs, capables de produire chez d’autres cette certitude immédiate ».
(Extrait d’un discours académique de Dillmann, professeur à Berlin, publié en brochure sous le titre : Uber den Ursprung der alttestamentlichen Religion).
Un des caractères les plus frappants de la critique actuelle, jalouse d’éloigner cette pierre d’achoppement, le monothéisme Israélite, du champ de ses investigations, est la facilité avec laquelle elle confond la religion populaire en Israël, qui fut en effet pendant des siècles l’idolâtrie, avec le jéhovisme authentique et normal qui l’a constamment combattue.
Ainsi a fait M. Philippe Berger dans un discours prononcé à l’ouverture des cours de la Faculté de Paris en 1878. Après avoir déclaré dès l’entrée que « parler du judaïsme sans connaître l’hébreu, c’est s’exposer à déraisonner, quelque science qu’on ait du reste », sentence qui renferme, semble-t-il, le corollaire que déraisonner en connaissant l’hébreu sera doublement coupable, l’orateur poursuit :
« On est convenu de dire que ce qui distingue le peuple d’Israël des autres peuples, c’est sa religion, et on a raison. C’est le fait capital qui a creusé un abîme toujours plus profond entre les Juifs et les païens. Mais eu quoi consiste cette religion ? Voilà ce qu’il est difficile de dire. Il en est du judaïsme comme de tout ce qui est grand. On ne le voit plus, considéré de trop près, et quand on veut l’analyser, il vous échappe. Les difficultés commencent, lorsqu’on cherche à déterminer où la religion d’Israël se sépare des autres. L’idée qu’on s’en faisait vous fuit entre les mains, et on se trouve en présence d’une religion assez semblable à toutes les religions du monde.«
Dans l’instant, le doute élégant fait place à l’affirmation : « Il faut reconnaître qu’il y a une mythologie hébraïque. Par là, nous n’entendons pas seulement que les Israélites ont adoré des dieux étrangers à côté de Jéhovah, mais que la religion hébraïque elle-même n’est pas sans attaches avec celles des peuples voisins. En général on admet que les Hébreux adoptaient avec une grande facilité les dieux des nations voisines, et l’on s’explique par là tous les genres d’idolâtrie que l’on rencontre dans l’A. T. »
Mais on n’explique pas la cessation complète et définitive de l’idolâtrie chez le peuple juif dès le retour de l’exil de Babylone, en 536.
Ecoutons encore M. d’Eichtal, un des collaborateurs de la Revue de l’histoire des religions :
« L’étude critique des textes bibliques a mis en lumière ce fait longtemps méconnu que le Dieu d’Israël, Jahveh, n’a été à l’origine qu’un Dieu national, analogue aux dieux des nations voisines, dieu solaire, dieu du feu, ayant le taureau pour symbole. Sans doute, au cours des siècles, sous l’influence des doctrines prophétiques, la notion et le culte de Jahveh se sont complètement transformés, et aux derniers temps de l’existence nationale, pour les esprits d’élite, Jahveh était devenu le Dieu universel ; mais il n’en est pas moins vrai que primitivement la religion de Jahveh ne différait pas sensiblement du commun des religions cananéennes. »
Une des preuves données de cette prétendue identification de Jahveh avec le feu est tirée du passage : Deutéronome 4.32-36. Or nous lisons au v. 15 du même chapitre : « Vous prendrez garde à vos âmes, car vous ne vites aucune ressemblance au jour que l’Eternel votre Dieu vous parla à Horeb du milieu du feu. »
Quant à la représentation de Jahveh sous l’image d’un taureau, notre auteur continue : « Les livres bibliques ne mentionnent, il est vrai, le culte de Jahveh sous la forme d’un taureau que pour le réprouver. Mais — car il y a un mais — leurs récits mêmes attestent l’existence de ce culte comme ancien culte populairem. »
m – Revue, tome I, 1880, no 3.
A défaut d’autres documents, l’ancienneté du monothéisme, tout au moins dans la lignée marquée par les révélations bibliques, nous serait attestée par une série de documents dont l’antiquité et le désintéressement ne sauraient être contestés, les généalogies, qui traversent dans toute leur longueur l’histoire dite sainte. Or comme dans l’antiquité, les noms propres n’étaient point ce qu’ils sont devenus, des signes purement conventionnels, mais les symboles des choses mêmes, nous avons le droit d’affirmer que les noms formés de Jéhovah — Joktan, 1 Chroniques 1.20, Jokbed, Exode 6.20 — ont la valeur de documents attestant la présence de la foi jéhoviste et monothéiste à l’époque et dans l’entourage des personnages qui les ont portés. Et de même que l’histoire naturelle est parvenue à reconstruire la faune de chaque époque géologique par l’inspection des vestiges laissés dans la vase par les témoins de ces époques anté-historiques, les anciennes généalogies conservées dans les traditions israélites sont les pétrifications des opinions et des croyances de familles et de races échappant aux investigations directes de l’histoire.
M. Frédéric de Rougemont, l’auteur du Peuple primitif, est un des rares savants qui se soit avisé d’exploiter au profit de l’histoire la mine des généalogies, de liquéfier, pour ainsi dire, les traditions figées dans les noms propres. L’abus qu’il a pu faire du procédé ne doit pas en faire condamner l’usage. Un exemple de l’intérêt que peut offrir l’analyse de ce genre de documents nous est fourni par la différence des noms donnés par Saul à ses fils (Jonathan, Ischbahal), qui reflétèrent les oscillations de la croyance du premier roi d’Israël du jéhovisme au baalisme. On a ingénieusement remarqué que la variante Ischboscheth que nous présente le livre des Rois, atteste au moment de la composition de ce document l’ardeur d’une lutte que nous voyons éteinte chez les contemporains de l’auteur des Chroniques.
Que le monothéisme ait occupé la première origine des croyances de l’humanité ou de ses principales races, ou qu’il n’ait été lui-même au moment où il apparut qu’une forme dérivée, il n’en est pas moins établi qu’en dehors même des races sémitiques, le polythéisme a succédé dans plus d’un cas à la croyance en un Dieu unique, dont les vestiges se sont conservés au sein de sa dégradation mêmen.
n – Voir la collection complète de ces vestiges des anciennes croyances religieuses chez les différentes nations de l’antiquité dans l’Ancien-Monde et le Christianisme, de M. de Pressensé.
« Qui est le Dieu, est-il écrit dans les Védas (1000-1500 ans avant J.-C), à qui nous offrons nos sacrifices ?
Celui qui donne la vie ; celui dont tous les dieux brillants révèrent le commandement, dont l’ombre est l’immortalité, dont l’ombre est la mort. Qui est le Dieu à qui nous offrons notre sacrifice ?
Celui qui par sa puissance est le seul roi du monde qui respire et s’éveille, celui qui gouverne tous les hommes et les bêtes. Qui est le Dieu à qui nous offrons nos sacrificeso ? … »
o – Max Müller. Essais sur l’Histoire des religions, page 39.
Le souvenir d’un monothéisme, sinon primitif, du moins antérieur au polythéisme des temps historiques, s’est conservé dans le passage suivant de la Genèse chaldéenne :
« Lorsque le ciel en haut n’était pas établi… ; lorsque les dieux n’étaient pas encore nés … ; les grands dieux non plus n’avaient pas été créés … le Dieu Anu… »
Si des mythologies des peuples civilisés nous passons à celles des peuples sauvages, ici encore le monothéisme revendique dans plus d’un cas la priorité sur le polythéisme.
« Il nous faut écarter une ancienne intuition qui reparaît encore fréquemment, même dans des ouvrages comme celui de Pfleiderer : Essai sur l’histoire de la religion, et celui de Schulze : Fétichisme, bien que Wilson : Afrique occidentale, et Waitz : Anthropologie des peuples de la nature, en aient fait complètement justice. C’est l’opinion que les fétiches soient adorés comme des dieux par les nègres. Cela n’est pas, car tous les peuples nègres ont pour désigner Dieu un tout autre nom que pour les fétiches, et ils considèrent ceux ci comme des êtres subalternes. Il est prouvé que cette intuition a précédé chez eux le contact avec le christianisme ou le mahométisme. Ce ne sont pas des dieux, mais Dieu, un Dieu qu’ils considèrent comme le Souverain, Celui qui habite dans le ciel et qui procure aux hommes la pluie et les rayons du soleil. Dans la langue Tschi, sur la Côte-d’Or, le mot qui signifie Dieu n’a pas de pluriel. Par contre, ils admettent dans une certaine contrée un Dieu particulier pour les blancs et un pour les noirs, cela ensuite du commerce des esclaves.
« D’après les recherches de Waitz sur les religions des nègres, c’est précisément chez les peuples les moins cultivés que nous pouvons rapporter les restes de monothéisme qui s’y trouvent à une croyance primitive, chez ceux qui n’ont pu transformer leur religion par leurs propres inventions, et nous dirons avec Lucken (Les traditions de la race humaine) : « Le paganisme tout entier a conservé l’idée d’un Dieu suprême, les sauvages souvent avec plus de précision que les païens civilisés, ce qui nous permet d’autant moins de la considérer comme le produit de leurs propres réflexionsp. »
p – Missionszeitschrift, de Grundemann, 1878, page 539. Sur l’antériorité de la forme religieuse appelée énothéisme par rapport au polythéisme, chez toutes les races, voir l’article de Pfleiderer, Jahrbücher für prot. Theologie, 1876, 1tes Heft.
Ceux qui admettent avec nous d’une manière générale l’antériorité du monothéisme par rapport au polythéisme tel qu’il apparaît dans l’histoire, se demanderont quels stages l’homme a dû traverser pour passer de cette forme au polythéisme subséquent, ou si ce polythéisme s’est directement détaché du monothéisme.
Nous sommes porté à admettre comme station intermédiaire de l’évolution religieuse le panthéisme naturaliste. L’homme ayant cessé d’adorer l’Auteur de la nature, n’a plus trouvé devant lui pendant un temps que des forces aveugles et des cours immuables. La Vie universelle qui palpite dans les phénomènes de la nature fut déifiée à la place du Dieu vivant. Nous croyons retrouver la trace ou la réminiscence de cette phase panthéiste intermédiaire dans cette fatalité aveugle qui se montre à l’arrière-fond du théâtre de l’Olympe, comme présidant aux actions des dieux et de Jupiter même, et antérieurement même, sous le nom de Brahm, à l’arrière-fond des mythologies de l’Indeq.
q – Comp. P. Wurm. Geschichte der indischen Religion, page 46. Asmus. Die indogermanische Religion : « La signification primitive du mot brahman est : force, volonté, désir, force créatrice. » Mais tant est flottante dans le génie de l’Inde la limite du subjectif et de l’objectif, que ce même mot neutre est aussi employé dans le Rigvéda dans le sens de prière. « Ceux qui connaissent Brahman dans l’homme, dit un vers védique, connaissent le Souverain. » 2ter Band, page 18. C’est de ce principe suprême que sont émanées les trois personnalités divines : Brahma, Vischnou et Civa.
Cependant cette conception purement fataliste et impersonnelle de l’Univers, pareille à cette légère pellicule qui se forme sur une surface congelée dans l’intervalle de deux agitations de l’onde et des airs, ne pouvait se soutenir longtemps, moins encore à ces époques reculées où la force imaginative était encore si vivace.
L’homme devait regagner bientôt la divinité vivante et personnelle, mais au prix de l’unité de l’essence divine ; et c’est alors que commença pour ne plus s’arrêter la personnification des êtres et des phénomènes de la nature.