De l’aveu des catholiques, la supériorité de leur principe qui confère l’autorité suprême à l’Eglise représentative, sur celui de l’autorité de l’Ecriture, ne consiste pas en ce que le premier empêcherait l’éclosion des sectes.
Il est trop évident que les condamnations prononcées par Rome ou par les conciles œcuméniques ont eu pour suite, très souvent, la naissance de schismes et d’hérésies.
Aussi n’est-ce pas exactement ce qu’avancent les avocats de la cause romaine.
Ils font valoir, plus modestement, que leur principe prévient les divisions ecclésiastiques dans le corps constitué par ceux qui l’acceptent.
Le principe protestant, au contraire, quand on l’applique, produirait infailliblement les divisions entre l’Eglise qui condamne au nom de l’Ecriture et celui ou ceux qu’elle a frappés, et qui s’appuient aussi sur l’Ecriture.
En réalité, nous sommes placés, tous tant que nous sommes, catholiques, néo-protestants, et protestants historiques, devant un problème bien plus compliqué que ne paraissent le penser ceux de nos frères qui ne partagent pas la foi des réformateurs.
Le problème qu’il s’agit de résoudre est de sauvegarder, d’un côté, l’ordre dans l’Eglise, sous l’autorité de Dieu ; de l’autre, la liberté de la conscience chrétienne individuelle, dont Dieu seul est le maître.
Le catholicisme, et cela est vrai même des formes moins conséquentes que Rome de ce type chrétien, le catholicisme ne pense qu’aux droits de la société religieuse. Il veut, avant tout, maintenir l’ordre dans l’Eglise. C’est un côté de la vérité dont il a une conscience très claire et il faut l’en louer. Il ne veut pas que l’arbitraire individuel impose sa tyrannie aux fidèles, livrés sans défense à ses caprices.
Mais il perd totalement de vue l’autre élément de la vérité : le droit de la conscience individuelle.
Il tombe ainsi dans l’excès opposé à celui qui attire le néo-protestantisme. Celui-ci, dans son principe, pas toujours, nous le verrons, dans sa pratique, n’a guère d’égard qu’aux droits de l’individu et, dans son effort pour les sauvegarder, il perd de vue les conditions essentielles de la vie sociale religieuse.
Quand le catholicisme fait dépendre la relation spirituelle du fidèle avec le Christ de sa soumission aux prélats de l’Eglise représentative, il applique, pour maintenir l’élément de vérité qu’il veut conserver, une méthode fatale et à la vie de l’Eglise et à la paix des consciences.
A la vérité, comme la rupture avec l’autorité ecclésiastique met en péril le salut de l’âme du réfractaire, même s’il est intérieurement convaincu d’être fidèle à la Parole de Dieu en résistant, il semble bien, de ce point de vue catholique, que les cas de refus d’obéissance seront psychologiquement plus difficiles, parce que plus périlleux, et partant plus rares. En fait, les schismes sont assez peu fréquents et les sectes relativement peu nombreuses dans le catholicisme.
Il y en a pourtant et la qualité compense en gravité ce que la quantité peut avoir de relativement satisfaisant.
Dans le catholicisme, les schismes ont, le plus souvent, comme suite pour ceux qui restent fidèles à son principe formel, la revendication exclusive du titre d’Eglise, l’excommunication des individus réfractaires et l’anathème jeté sur ceux qui professent les opinions contraires à la doctrine reçue.
Les décisions en matière de foi de l’Eglise représentative étant irréformables, le schisme, quand il se produit, ne peut être guéri que par la soumission totale et inconditionnelle de ceux qui ont été retranchés de la société qui se croit, à elle seule, l’Eglise universelle. Cela rend l’apaisement fort improbable.
Mais le principe lui-même est tel qu’il ne permet jamais de savoir, avec une certitude de foi divine excluant le libre examen de l’individu, que c’est bien l’Eglise qui a parlé.
La preuve en est, c’est que les catholiques romains ne sont pas les seuls à se réclamer de ce principe. Il y a des orthodoxes orientaux, sans compter d’autres communions également orientales et africaines. Il y a les anglo-catholiques, les vieux-catholiques, les jansénistes… Qui dira, au nom d’un critère accepté par tous les catholiques, si le concile du Vatican était bien un véritable concile œcuménique ?
Il résulte de là que ceux d’entre les catholiques qui reconnaissent l’infaillibilité du pape parlant ex cathedra ne peuvent le faire que par préjugé de naissance ou de parti ecclésiastique, à moins qu’ils ne fassent appel à leur libre-examen personnel, dont on nous dit qu’il est toujours faillible.
Et quand ils auront conclu affirmativement sur la légitimité du concile, au prix d’une entorse au principe, ils ne sont pas au bout de leurs peines. Il leur manque encore une interprétation infaillible du sens des expressions ex cathedra et « en matière de foi et de mœurs ».
De plus, le système catholique qui a été conçu pour maintenir l’unité doctrinale absolue, ne peut même la réaliser que d’une manière extérieure et administrative, et encore à force de tolérance ruineuse en faveur de « l’Eglise enseignée ».
Le système de garantie de la foi a fini par prendre le pas sur le contenu de celle-ci, qu’il s’agissait de garantir.
Il n’y a guère que des théologiens professionnels à se passionner pour les dogmes.
Pour un grand nombre de fidèles et pour beaucoup de clercs aussi, les dogmes ne sont guère que des formules abstraites qu’on accepte les yeux fermés, sans se soucier de leur portée spirituelle. Il n’y a pas beaucoup de danger, aujourd’hui, que des catholiques moyens se divisent sur la Trinité, la circumincession et la procession des personnes divines, l’union hypostatique et la transubtantiation.
Mais donnez-leur à étudier des questions véritablement vivantes pour eux, comme les droits et les limites de l’autorité pontificale en matière politique, et aussi, pour les plus cultivés d’entre eux, en matière de sciences ou de critique biblique, et vous verrez se multiplier les réserves mentales, les distingo, et même les révoltes ouvertes allant jusqu’au schisme, les résistances prétendues légales, et aussi tel cas tératologique, comme celui de ce théologien qui professait, sous son nom véritable, les doctrines orthodoxes qu’il attaquait, dans d’autres ouvrages, sous un pseudonyme.
Voilà pour ce qui regarde les particuliers.
Du côté de l’Eglise enseignante, c’est autre chose.
Depuis que son infaillibilité a été proclamée, le pape ne se hasarde guère à sortir d’un silence majestueux, énigmatique et prudent. Ce sont les commissions qui parlent. On pourra toujours, au besoin, les désavouer. Mais les condamnations, les excommunications, des attitudes de sévérité peu intelligibles, du point de vue théologique, à l’égard des réfractaires et de tolérance étrange à l’égard de mécréants haut placés se multiplient. Bref, on constate un comportement général qui crée une impression tendant à se généraliser que l’Eglise de Rome est plutôt un gouvernement qu’une religion.
Certes, pour ne parler que de l’Eglise romaine qui nous intéresse en première ligne, du fait que le protestantisme français est en contact immédiat avec elle, l’intransigeance, l’immuabilité apparente et l’unité extérieure qu’il présente en imposent à beaucoup d’âmes fatiguées, à juste raison, de l’instabilité, du laxisme et des divisions d’un certain protestantisme.
Mais beaucoup de ceux qui ont été attirés et qui ont vu les choses de près, et non plus à travers le mirage de l’imagination ou de l’ignorance, éprouvent des désillusions et des doutes. Ces doutes gagnent de nombreux catholiques de naissance et les conduisent tantôt à l’abstention de tout travail théologique, tantôt à la désertion.
Nous ne condamnons pas les hommes, mais le principe. Nous n’ignorons pas, que, dans l’ensemble, les hommes sont d’une autre valeur spirituelle que la masse de ceux auxquels les premiers réformateurs eurent à faire.
Il y a, de la part de nombreux penseurs catholiques romains très fermement fidèles à leur foi, des efforts de compréhension à l’égard dès protestants qu’il faut savoir reconnaître.
Mais les dirigeants, même quand ils sont non des politiques mais des croyants inquiets, sont desservis par le fait que leur principe les conduit à voir le plus souvent de l’orgueil dans les non possumus de la conscience individuelle.
L’Eglise, c’est-à-dire, en fait, la « tradition des anciens » interprétée par les prélats autorisés, l’Eglise doit toujours avoir raison. La fonction, indépendamment de la soumission intérieure à la parole de Dieu et de la vie spirituelle, et pourvu qu’elle soit légalement exercée, garantit l’infaillibilité des décisions doctrinales.
Voilà, du point de vue évangélique, l’hérésie par excellence, l’hérésie dont le Christ fut victime et qui conduisit les juifs au déicide.
Le néo-protestantisme obéit, comme le catholicisme, mais dans un sens tout opposé, à une injonction intérieure de l’Esprit de Dieu, quand, en face de la tyrannie intolérable de Rome, il revendique les devoirs et les droits de la conscience individuelle.
Cette revendication constitue aussi un élément important, capital même, de la vérité évangélique.
Mais, dans l’ivresse de la restauration d’une vérité retrouvée, il méconnaît, trop souvent, le droit et le devoir de l’Eglise. Au début, il alla si loin qu’il voulut que celle-ci reconnût en principe à chaque individu et sentire quæ velit, et quæ sentire dicere, et d’avoir le sentiment qui lui plairait et de dire tout ce qu’il lui plairait de pensera.
a – Richard Watson, évêque anglican du xviiie siècle, au début de son. Apology for Chritianity, lettre 1.
Aujourd’hui, troublé de ses premiers excès et de leurs conséquences néfastes pour la vie religieuse collective, tout gonflé, dans ses éléments vivants d’une réelle sève de foi positive et chrétienne, profondément modifié, le plus souvent à son insu, par l’influence de la réaction réaliste dans la théorie de la connaissance, il reconnaît à la théologie la tâche de formuler en doctrine les résultats de l’expérience religieuse et à l’Eglise le droit et le devoir de déclarer collectivement ce qui constitue, hic et nunc, sa doctrine, d’ailleurs toujours perfectible.
Mais il lui refuse encore trop souvent celui de contrôler l’enseignement de ses ministres dont il veut sauvegarder les convictions individuelles.
Faisant la même critique que le catholicisme de la notion de confession de foi, règle d’enseignement, et de synode « autoritaire », il pense éviter l’éclosion des sectes par la liberté totale et sans contrôle. Il lui échappe qu’il risque de livrer ainsi l’Eglise à une anarchie doctrinale complète et qu’il abandonne les fidèles à la tyrannie de l’arbitraire pastoral, plus mesquine que celle du pape, mais aussi intolérable.
Mais les exigences de la réalité ont rendu l’application conséquente du principe impossible.
Les écarts du sens particulier ont pris parfois une telle ampleur, soit en matière de doctrine, soit en matière de morale, que le néo-protestantisme modéré n’a pu les supporter. Il a bien fallu procéder à des mesures de répression (intervention de Ad. Harnack dans le procès ecclésiastique du pasteur Jatho, en Allemagne). Le schisme, la secte deviennent alors inévitables. Ce qu’il y a de grave, c’est que ces divisions trouvent une certaine justification dans l’arbitraire des décisions qui condamnent ceux contre qui on est obligé de sévir. Il n’y a plus, en effet, de norme objective à laquelle on puisse se référer. On a bien pensé à faire de la personne du Christ cette norme. Mais cela ne pouvait suffire, car la personne du Christ, telle que l’entendent les néo-protestants, n’est pas une autorité doctrinale, puisque ses paroles ne sont pas infaillibles. D’ailleurs, certains néo-protestants n’ont-ils pas été jusqu’à nier l’existence historique de cette personne, au nom de leur hypercritique ?
Le néo-protestantisme modéré et réellement évangélique peut se montrer tolérant à l’égard de minorités revenues à la foi des réformateurs.
Mais cela était très difficile à ce néo-protestantisme, quand il était à la période de l’intolérance juvénile des mouvements en marche ascendante. On sentait alors qu’il fallait préserver l’Eglise de la contagion de l’obscurantisme ; défendre la science théologique, et l’autre aussi, contre ceux qui osaient en contester les « résultats acquis ». On trouva tout naturel alors d’écarter des chaires académiques les partisans attardés du surnaturel et des doctrines « périmées » de la grâce et du sola fide. Au besoin, on eut recours, pour ce faire, au bras séculier (destitution d’Adolphe Monod).
Mais comme ces partisans rétrogrades avaient, eux aussi, une conscience individuelle, il était inévitable que la chapelle se dressât contre le temple et le conventicule contre l’Eglise. Ce fut encore la secte. Et cela se comprend. Tout le monde ne pouvait pourtant pas considérer le système de Hegel comme le dernier mot de la science ni identifier la foi en le progrès indéfini avec l’espérance eschatologique chrétienne, qui en est la négation.
Il nous semble que l’histoire démontre que le néo-protestantisme ne peut appliquer à l’égard des « rétrogrades » son principe de liberté absolue de l’enseignement dans l’Eglise que quand il cesse d’être lui-même et qu’il commence à être en sympathie religieuse avec les convictions du protestantisme historique et confessionnel.
Il s’avère donc que la recherche d’un principe dont l’acceptation assurerait dans tous les cas l’unité administrative de l’Eglise est une chimère. Le principe libéral, sous ce rapport, n’est pas plus efficace que les autres. Les convictions fortes, du moment qu’elles croient s’appuyer sur les résultats positifs d’une science objective, sont peut-être moins capables de tolérance que celles qui considèrent la foi et la profession de la vérité religieuse comme un libre don d’une grâce divine transcendante à la raison et à l’induction proprement scientifique.
Il faut qu’il y ait des sectes, disait l’apôtre.
C’est que les sectes sont les fruits amers du péché ; du péché de l’individu trop souvent opiniâtrement attaché à son sens propre ; des cours et des tribunaux ecclésiastiques, au moins aussi fréquemment jaloux de leurs prérogatives.
Si prévenu qu’on soit contre le calvinisme, il y a, croyons-nous, un reproche qu’on ne lui fera pas : le reproche d’être chimérique.
Parce qu’il n’est pas chimérique et qu’il a conscience de la misère humaine, le calvinisme se borne à poser un principe qui rendra l’unité de l’Eglise possible, toutes les fois que l’Eglise, d’une part, et que les individus, d’autre part, confesseront de cœur, et la détresse de l’Eglise, et la misère de l’homme chrétien.
La détresse de l’Eglise d’abord.
L’Eglise, messagère de l’au-delà, vit dans le siècle présent qui est mauvais, et, dans la mesure où la régénération de ses membres est imparfaite, porte le mal en elle-même.
Sa sainteté est actuelle, dans ce sens que l’œuvre de sanctification est actuellement commencée dans l’âme des régénérés et qu’elle porte déjà des fruits admirables ici et là.
Mais la sanctification de l’Eglise n’est que virtuelle, eschatologique, « en espérance », dans ce sens que ce n’est qu’à la moisson, lors de la consommation du siècle, que la croissance dans la vie nouvelle sera achevée et que l’ivraie sera séparée du bon grain.
L’Eglise est sauvée ; mais, selon la parole de l’Ecriture, c’est seulement en espérance ; en une espérance qui ne confond point, sans doute, puisqu’elle est fondée sur la promesse de Celui qui est fidèle. Mais c’est une espérance et une promesse qui renvoient toujours au siècle à venir. En attendant de connaître comme elle a été connue, elle ne connaît et ne prophétise que d’une manière fragmentaire et partielle.
Parce qu’elle a reçu une mission surnaturelle, la mission de proclamer l’Evangile, elle se sait indéfectible, infaillible même, comme le dit expressément Calvinb, quand elle proclame la substance de cet Evangile, à condition d’être inconditionnellement soumise à la Parole de Dieu. Elle prend alors conscience de son devoir de protéger l’intégrité de l’Evangile contre les falsifications humaines, d’où qu’elles viennent.
b – Inst., 4.8.13
Mais elle devra être prudente dans les condamnations qu’elle prononcera, parce que, consciente de sa misère et de son péché, elle confesse que l’Eglise particulière la plus pure n’est jamais incapable d’erreur dans la formule disciplinaire de sa théologiec.
c – Conf. Westmonast. XXV, art. 5.
Si elle est véritablement ce qu’elle doit être, la mère des fidèles, elle saura distinguer, dans l’exercice de la discipline, entre ceux qui sont encore loin, mais qui marchent vers le Christ, et ceux qui s’en éloignent délibérément.
Le pouvoir des clés, dans l’Eglise réformée, suppose plus de tact pédagogique et d’amour chrétien que de virtuosité juridique.
Il y a, avons-nous dit, la misère de l’homme chrétien. Certes, il sait que l’Eglise représentative représente parfois autre chose, un autre esprit, que l’esprit de l’Eglise et qu’elle est faillible. Il a donc le droit et le devoir d’examiner, avec les lumières qui lui sont départies, si ce qu’on lui dit n’est pas contraire à la Parole de Dieu. Il ne doit pas lui suffire qu’on lui dise qu’on respecte la Parole de Dieu ; il doit voir si l’affirmation correspond à la réalité.
Il peut donc se produire des cas où il ait à choisir entre deux alternatives : le Christ ou l’Eglise représentative.
Mais si le fidèle se sait infaillible, lui aussi, quant à la substance de l’Evangile, tant qu’il est absolument soumis à la Parole de Dieu, il doit savoir qu’il est faillible, lui aussi, dans sa théologie. Tant que son Eglise restera fermement établie sur le fondement qui a été divinement posé, il devra se dire qu’il y a plus de chance d’erreur, sur des points secondaires, de son côté, que du côté d’hommes à la foi desquels il sait qu’il doit rendre hommage et qui accomplissent l’office de leur vocation en confessant ce qu’il leur est donné de comprendre de la Parole de Dieu. Aussi longtemps qu’on ne l’obligera pas à dire ou à faire quelque chose que sa conscience, appuyée sur la Parole de Dieu, lui interdit, il devra rester dans l’Eglise et obéir à sa discipline.
La pratique par l’individu de la communion des saints suppose, dans le principe réformé, l’humilité et l’amour filial, plutôt que le sentiment servile d’obligation juridique.
Il résulte de là que l’unité dans les choses nécessaires sera moins le résultat du fonctionnement d’une discipline aveugle que le fruit d’une vie chrétienne rénovée par la foi, dans l’Eglise et dans l’individu.
Pour le calvinisme, la solution du problème de la conciliation entre les droits de l’Eglise et les devoirs de l’individu est dans l’humilité de l’une et de l’autre.
Comme l’ardeur des convictions est loin de s’allier toujours, en fait, avec un degré suffisant d’humilité et d’amour fraternel, l’Eglise empirique apparaît, même si elle est fidèle au principe réformé, sous l’aspect de la pluriformité.
Il y a là un résultat du péché et aussi du caractère limité de notre connaissance religieuse, surtout quand il faut passer de la théorie à la pratique.
Ceux qui croient, par exemple, que l’Eglise ne peut accepter les subsides de l’Etat sans commettre un péché peuvent difficilement rester dans le même organisme administratif que ceux qui sont d’avis contraire.
De même, ceux qui croient qu’on ne saurait tolérer dans les chaires ecclésiastiques que des ministres parfaitement orthodoxes ne peuvent rester dans le même synode que ceux qui estiment que le rôle des orthodoxes est celui que le Christ assigne au levain par rapport à la pâte. Il y aura sans doute longtemps encore des chrétiens inquiets qui verront le salut, pour la foi, dans un isolement farouche et d’autres, animés du sentiment de la force spirituelle et scientifique de leur cause, qui viseront à la conquête pacifique et fraternelle, par persuasion, des positions occupées par des frères qui ne partagent pas encore entièrement toutes leurs croyances, mais dont ces chrétiens sentent qu’ils sont en marche vers des lumières et une compréhension plus complètes.
Il y aura donc des séparations. Mais pour regrettables et humiliantes qu’elles puissent être, elles n’auront pas la gravité ni le caractère définitif des schismes causés par l’application du principe’catholique.
Les méthodes et les applications pratiques diffèrent dans la réalité empirique. Mais le but poursuivi restant le même, l’unité spirituelle de l’Eglise n’est pas définitivement compromise.
Des Eglises particulières, attachées aux mêmes articles fondamentaux de la foi, prêchant le même Evangile, ayant les mêmes ministres, les mêmes sacrements et communiant dans le souvenir des mêmes pères, laissent toujours la porte ouverte à des possibilités de réconciliation de fédération et de collaboration fécondes.
On demande comment, selon le principe réformé, ce que des tribunaux faillibles lient et délient sur la terre peut être lié et délié dans le ciel, comme le veut le Maître, s’il arrive qu’ils se trompent et que ce soit la partie condamnée qui ait raison.
Nous avons déjà répondu en principe à cette question. Les décisions des tribunaux ecclésiastiques sont sanctionnées par l’autorité divine, dans ce sens que, tant que l’honneur de Dieu n’est pas menacé, la discipline de l’Eglise doit être respectée et que les tentatives de révision doivent se poursuivre suivant les voies régulières et en respectant la paix des Eglises.
D’ailleurs, l’Eglise romaine elle-même ne prétend pas à l’infaillibilité dans les questions purement disciplinaires soumises à sa juridiction.
La partie condamnée, même si elle est persuadée, en son for intérieur qu’elle a le droit pour elle, doit pourtant se soumettre à toutes les censures prononcées contre elle, s’en remettant à Dieu de la justice de sa cause.
On voit qu’il y a un sens où une sentence ecclésiastique mal fondée en fait peut être considérée comme provisoirement exécutoire, même du point de vue invisible et céleste. Ici les fils de Rome et les « issus de Calvin » peuvent communier dans le respect de l’ordre et l’espoir en l’appel au Juge infaillible : Domine Jesu ad tuum tribunal appelo, Seigneur Jésus, j’en appelle à ta justice.
Mais les réformés vont plus loin. Ils pensent qu’une Eglise même fidèle et, dans ce sens, foncièrement indéfectible, peut se tromper en des matières théologiques éloignées des principes fondamentaux et des articles de la foi commune à l’Eglise universelle. Mais comme le particulier sait qu’il est exposé lui-même à cette regrettable éventualité, il pensera que l’ordre et l’unité de l’Eglise valent que l’on n’envenime pas le débat, même si l’on estime avoir raison en ces matières secondaires. Par là, il montrera qu’il reste fidèle à l’esprit des réformateurs et qu’il se distingue ainsi des sectaires.
Bossuet demandait comment il peut se faire que l’on puisse en appeler d’un tribunal ecclésiastique du premier ou du second degré à une cour supérieure et finalement au synode national, alors qu’à tous ces degrés, la question est toujours jugée par la Parole de Dieu.
Il faut s’étonner qu’un théologien aussi habile ne se soit pas dit qu’on peut normalement attendre, toutes choses égales d’ailleurs, plus de lumières et moins de préventions personnelles de la part d’un synode général que d’une assemblée locale, comme un consistoire ou un colloque.
Dans les tribunaux temporels, jugeant des affaires terrestres, c’est toujours la loi de l’Etat qui est la norme suprême, comme l’Ecriture doit l’être dans les causes ecclésiastiques. Cela n’empêche pas qu’il y ait des tribunaux à plusieurs degrés et une cour suprême, jugeant en dernier ressort. On ne voit pas pourquoi il n’en serait pas de même dans une Eglise normalement constituée.
La synthèse calviniste de l’autorité de l’Eglise en matières de controverse et de la liberté de conscience de l’individu en ces mêmes matières suppose une tolérance mutuelle dans les articles secondaires de la religion et même dans la formule disciplinaire des articles fondamentaux.
C’est dire que cette synthèse a pour base théorique la célèbre distinction, proposée par Calvind, entre les articles de foi qui constituent la somme de la « chrétienté » et ceux qui n’ont pas une importance suffisante pour justifier une rupture de la communion extérieure.
d – Inst., 4.1.12
Cette distinction, exigée d’ailleurs par le sens commun, est déjà faite dans l’Ecriture. C’est ainsi que Saint Paul compare les systèmes théologiques à des constructions d’or, d’argent, de pierres précieuses, de bois, de chaume, de paille, édifiées sur le fondement hors duquel on ne peut rien construire et qui est le Christ (1 Corinthiens 3.10-15).
Il déclare que même ceux qui ont élevé des constructions en matériaux fragiles et périssables seront pourtant sauvés, « comme à travers le feu », pourvu qu’ils aient bâti sur le fondement solide.
L’auteur de l’Epître aux Hébreux fait la même distinction (Hébreux 6.1).
On peut parler, semble-t-il, d’après ces textes, d’articles fondamentaux en ayant égard à ceux qu’il est nécessaire de croire pour être sauvé.
On le peut encore en envisageant ceux qu’il est nécessaire de professer explicitement pour conférer à une société religieuse la marque essentielle qui permettra de la considérer comme une branche vivante de la véritable église.
En ce sens, nous dirons que les articles fondamentaux sont ceux qui explicitent légitimement l’Evangile : Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné Jésus-Christ, son Fils unique pour que quiconque croirait en lui ait la vie éternelle. Nous considérons le symbole des apôtres, celui de Nicée-Constantinople et le symbole d’Athanase comme l’expression fidèle de cet Evangile. Toute Eglise particulière qui prêche l’Evangile fait partie de la chrétienté et bâtit sur le fondement qui ne peut être écarté.
Si enfin on entend par articles fondamentaux les articles de foi nécessaires non seulement à la continuation de la vie de l’Eglise, mais à son état de santé spirituelle, à son état normal, nous dirons que ces articles fondamentaux sont constitués par l’enseignement contenu dans le catéchisme de Genève et dans les confessions réformées.
Nous ne refusons de reconnaître le titre de chrétiennes qu’aux sociétés séparées qui s’excluent elles-mêmes de la una sancta, en refusant de reconnaître dans les symboles que nous avons mentionnés l’expression de l’Evangile et qui font schisme, en méconnaissant la continuité de la foi de l’Eglise à travers les siècles.
Ces sociétés, presque entièrement sécularisées, sont plutôt des cercles de culture religieuse et morale, ou même raciale, que des Eglises.
Leur synchrétisme théologique les a amenées à méconnaître le caractère absolu de la Religion chrétienne et le sens unique dans lequel le Christ est Fils de Dieu.
Elles ne sont plus des Eglises chrétiennes au sens historique et naïf du terme. Nous reconnaissons pourtant volontiers, avec Pierre Jurieue, qu’on ne suspectera point de largeur exagérée, que ces sociétés peuvent contenir de véritables chrétiens, protégés par leur ignorance des doctrines délétères qui y sont professées. Cette ignorance n’est pas nécessairement, reconnaissons-le aussi, réservée aux simples fidèles. Le préjugé invincible peut en faire bénéficier même des pasteurs et des docteurs. Les fautes de leur vocabulaire théologique peuvent, par un véritable miracle de la grâce, recouvrir la substance d’une foi vivante et enfantine, dans le sens élevé du mot.
e – Pierre Jurieu le dit positivement des ariens et hypothétiquement des sociniens, au cas où leur secte serait aussi étendue que le fut celle des ariens. Voir Le vrai système de l’Eglise et la véritable analyse de la foi, Dordrecht. 1786, pp. 102 et 153.
La détermination que nous avons essayé de faire des points fondamentaux peut permettre de dire, avec une rigueur scientifique suffisante, où est l’Eglise visible. Elle ne permet pas d’arrêter les frontières de l’Eglise invisible, de la société mystique composée des vrais chrétiens.
De celle-ci, on ne peut dire, en la montrant du doigt : l’Eglise n’est plus ici, ou : l’Eglise n’est plus là.
On ne peut pas le dire, parce que le Saint-Esprit n’arrête pas toujours son action intérieure et que le Christ ne retire pas toujours sa présence réelle au point précis où telle formule théologique scientifiquement et logiquement fondamentale fait défaut. On objecte qu’on peut constater des divergences entre les Eglises de la Réforme sur les articles qu’elles considèrent comme fondamentaux pour la vie normale de l’Eglise. Le fait est exact.
Le principe formel de l’autorité de l’Ecriture et le principe matériel du salut gratuit ne rendent pas impossible la pluriformité du mouvement religieux dont le point de départ est authentiquement réformateur.
Ces divergences qui existent entre les Eglises filles de la Réforme, tiennent à la manière plus ou moins logique selon laquelle elles appliquent ces principes et à l’esprit dans lequel elles les saisissent.
Le luthéranisme croit conforme au principe formel le droit qu’aurait l’Eglise d’enjoindre à ses membres tout ce qui, dans la tradition, n’est pas absolument contraire à la Parole divine.
Il croit conforme au principe matériel la coordination de la gloire de Dieu et du salut de l’homme.
Les dissidents et les sectes du type réformé, pour le principe formel, s’en tiennent judaïquement à ce qui est écrit, sans tolérer aucune déduction rationnelle.
Entre ces deux extrêmes se place la Réforme calviniste. Elle déduit du principe formel que toute tradition conforme à l’Ecriture par déduction légitime doit être conservée ; que toute tradition ou règle d’ordre conforme à l’esprit de l’Ecriture peut être sanctionnée pour des raisons pratiques, mais ne peut être enjointe au for intérieur du fidèle.
Pour ce qui regarde le principe matériel, la Réforme calviniste subordonne résolument le salut de l’homme au soli Deo gloria.
Or, il est historiquement faux de prétendre que les Eglises de la Réforme n’ont pas osé dire quels étaient les points fondamentaux nécessaires à une vie normale de l’Eglise.
Leur existence autonome, leurs confessions de foi et leurs catéchismes officiels protestent contre une telle accusation. L’éclosion de sectes nombreuses et certains procès d’hérésie prouvent que les protestants ont plutôt, en certaines occasions, péché par excès d’audace que par une prudente timidité.
Nous examinerons, dans un chapitre suivant, la question de savoir si la supériorité de la méthode réformée par rapport à la méthode luthérienne peut être scientifiquement établie. Dans ce cas, la valeur du principe protestant rigoureusement formulé, par comparaison à certaines atténuations ou à certaines exagérations, serait comparable à celle du principe catholique, qu’il faut bien que ces partisans déterminent scientifiquement, pour départager les orientaux des latins, ceux-ci des vieux-catholiques, etc.
Ce que nous pouvons dire et reconnaître immédiatement, c’est que le biblicisme sectaire conduit irrémédiablement à des divisions sans fin.
Parce qu’il s’appelle de son vrai nom Légion, comme l’esprit du démoniaque de Gadara, il va en opposition directe avec la prière du Christ pour ses disciples : « qu’ils soient un, comme nous sommes un ».
De ce fait, il est condamné sur le terrain même de combat qu’il a choisi : l’Ecriture. Les sectes, dit l’apôtre, sont filles de l’esprit charnel.
Or, il est évident que les nécessités pratiques imposent à toutes sociétés religieuses, suivant les temps, les milieux, les circonstances générales, des mesures et des règles nécessairement variables. D’autre part, l’Ecriture envisagée comme un code rigoureux, comme une loi fixe, ne peut s’adapter à ces besoins changeants. Elle n’est vivante qu’à condition d’être reçue par l’Eglise comme un principe de fécondité illimitée, comme une norme spirituelle dont les applications, sans cesse modifiables, sous l’empire des circonstances, sont confiées à la fidélité intelligente des gardiens de l’ordre dans l’Eglise.
C’est la condamnation du biblicisme étriqué et légaliste de la plupart des sectes anglo-saxonnes du XVIIIe et du XIXe siècle.
Le jugement sévère que nous avons porté sur les sectes ne doit pas être interprété comme impliquant leur exclusion de l’Eglise universelle, ni même du protestantisme historique.
Ce qu’il y a en elles de charnel et même de démoniaque ne doit pas nous faire oublier que, sous d’autres rapports, elles travaillent, en ordre dispersé il est vrai, à la conquête des esprits par le Christ. Le plus grand nombre de ces sectes retiennent résolument non seulement les articles fondamentaux de la foi chrétienne, dont elles ne répudient la formulation et la terminologie ecclésiastiques que pour s’y attacher avec plus de vigueur, mais aussi les doctrines essentielles de la Réforme.
Aussi, même quand elles anathématisent l’Eglise, celle-ci ne doit-elle pas cesser de mettre l’unité idéale du corps mystique du Cririst au-dessus des étroitesses et des inconséquences de certains des membres vivants de ce corps.
Et maintenant, comment la qualité de fondamental peut-elle être reconnue à un article de la doctrine et de la pratique chrétienne ?
C’est la vie même de la foi qui nous permettra de répondre à cette question.
Puisque nous sommes sur le terrain protestant confessionnel, il doit être bien entendu que nous prenons ce terme de foi dans le sens que lui ont reconnu les réformateurs et en particulier Calvinf.
f – Calvin, Inst. chr. 3.2.2, 7-8, 30, 41-42.
Nous n’entendons pas par là la fides informis des théologiens catholiques romains, la simple adhésion intellectuelle à l’enseignement de l’Eglise, pour motif de révélation divineg.
g – Voir la note annexe.
Par le terme de foi, nous entendons désigner le résultat d’une opération hyperphysique du Saint-Esprit qui non seulement pousse efficacement le pécheur à recevoir, sans doute, les vérités révélées dans l’Ecriture, mais qui consiste principalement en une connaissance ferme et certaine de l’amour de Dieu, tel qu’il se révèle à nous en Jésus-Christ, dans les promesses de l’Evangile, connaissance qui n’est jamais séparée de la charité ni de l’espérance.
C’est l foi justifiante embrassant la promesse que Dieu nous fait de vouloir être, pour chacun de nous, un Père et un Sauveur.
Cette distinction est essentielle, si l’on ne veut pas éviter des disputes de mots et de fatals malentendus, quand on parle de foi et de justification par la foi seule.
Or, est fondamental, dans le sens le plus étendu du terme, tout ce qui contribue immédiatement à favoriser cette « confiance du cœurh » et à en être le fondement effectifi.
h – Calvin, Inst. Chr., 3.2.7-8, 30, 41-42.
i – Calvin, Catch. Genev., sect. XVIII, q. 1.
Sans la parole de Dieu, sans les faits affirmés dans le symbole apostolique, tels qu’ils sont expliqués dans les catéchismes de la Réforme, la foi manquerait du fondement divin qui lui est intellectuellement nécessaire.
D’un autre côté, si elle n’était agissante par la charité, résumé sublime de la loi divine ; si elle n’avait recours à la prière dans l’esprit du Seigneur, elle ne serait même pas fondée à se reconnaître comme vivante.
Nous pouvons conclure de ce qui précède que les doctrines fondamentales sont contenues dans les explications du symbole, du décalogue et de l’oraison dominicale données par le Petit catéchisme de Luther, le catéchisme de Genève, de Heidelberg et celui de Westminster.
Les sacrements ont été institués pour confirmer la foi et la sceller. A la rigueur, la foi peut être vivante, même si elle ne jouit pas de ce réconfort. Ils sont nécessaires non pour l’être, mais pour le bien-être de la foi. La doctrine des sacrements n’est donc fondamentale qu’au sens restreint de ce qui est nécessaire pour la vie normale de l’Eglise.
C’est ce qui explique que nous ne considérons pas que la secte des Amis doive être retranchée de la catholicité visible.
Plus une Eglise a conscience que son enseignement donne à la foi, à la foi au sens des réformateurs, un fondement divinement certain pour l’intelligence et pour le cœur, et plus elle aura conscience d’être édifiée sur le fondement véritable.
Mieux le fidèle éprouvera dans son âme que l’enseignement que lui dispense son Eglise fournit à sa foi un fondement inébranlable et en favorise l’exercice, mieux il vénérera cette Eglise comme une mère spirituelle et sera résolu à demeurer dans sa communion, nonobstant telle imperfection plus ou moins évidente de son enseignement sur des points de théologie, sans rapport direct avec ce qui fonde sa confiance en l’amour de Dieu et ce qui insufle la vie à cette confiance.
Par ce qui précède, on peut voir que nous avions raison de dire que les sectes protestantes et que les divisions ecclésiastiques de la Réforme ne procèdent pas nécessairement d’une application fidèle et intelligente du principe formel de l’autorité de l’Ecriture.
Elles proviennent, le plus souvent, d’un manque du sens de proportion qui conduit à élever à la hauteur d’un articulus stantis vel cadentis ecclesiæ, d’un dogme nécessaire à l’existence de l’Eglise quelque interprétation exégétique dépourvue de toute qualité vitale.
Par là, le séparatisme protestant rejoint le séparatisme catholique.
L’un et l’autre s’unissent dans la négation, généralement pratique là, théorique ici, de la légitimité de la distinction posée par Calvin, entre les articles fondamentaux de la foi et les articles secondaires.
Mais les cas d’application imparfaite du principe formel de l’autorité de l’Ecriture n’empêchent pas que ce principe, dans l’expression que le calvinisme lui donne, présente une supériorité indéniable sur le principe catholique et sur le principe néo-protestant.
Le catholicisme et le néo-protestantisme se dressent l’un contre l’autre dans une opposition stérile et irréductible. L’un ne veut voir que l’autorité de l’Eglise représentative ; l’autre ne tient compte que de la liberté de la conscience individuelle.
Cette supériorité résulte donc dans le fait qu’il intègre les éléments de vérité que contiennent les deux autres. Comme il est la synthèse et l’expression la plus générale de ces vérités, il nous place sur un plan spirituel supérieur.