La controverse monophysite eut encore un dernier écho, au viie siècle, dans la controverse monothélite. Une question était demeurée indécise. On avait dit : « Jésus-Christ est vrai Dieu et vrai homme, de même essence que le Père et de même essence que nous ; il y a en lui une seule personne et deux natures, inséparablement unies sans être confondues, conservant chacune ses attributs respectifs, au lieu de se les communiquer l’une à l’autre. » Mais on n’avait pas dit s’il y avait en Jésus-Christ une ou deux volontés. Cette question se posa à son tour.
Elle pouvait être tranchée en deux sens opposés : en partant de la dualité des natures, on arrivait à deux volontés ; en partant de l’unité de la personne, on arrivait à une seule. Et de fait, ces deux solutions furent soutenues, la première par les orthodoxes, la seconde par les monophysites. Parmi les orthodoxes eux-mêmes, quelques-uns pensaient que la doctrine d’une volonté unique pouvait se justifier comme conséquence de l’unité de la personne.
Une controverse nouvelle s’engagea sur ce point. Elle amena une détermination plus précise encore du dogme par un nouveau concile général, le troisième concile de Constantinople (680), qui formula la dualité des volontés comme celui de Chalcédoine avait formulé la dualité des natures, et elle fit naître un troisième schisme, qui, comme les précédents, dure encore.
Voici à quelle occasion s’ouvrit cette controverse.
L’empereur Héraclius (611-641) venait de reconquérir sur les Perses la Syrie et l’Arménie, où, grâce à la domination persane, le monophysitisme s’était maintenu et développé librement. Pour ramener dans l’Église ses nouveaux sujets, ainsi que les Monophysites d’Egypte, il eut la pensée de leur faire une concession : il accorda qu’il n’y avait en Jésus-Christ qu’une seule volonté. Cette concession, il la justifiait en alléguant qu’elle ne contredisait pas le texte des anciens canons, que la doctrine d’une seule personne conduit à celle d’une seule volonté, et que statuer deux volontés, ce serait statuer deux personnes. Le patriarche de Constantinople, Sergius, consulté par l’empereur, répondit que les anciens docteurs paraissaient favorables à la doctrine d’une seule volonté. Héraclius alors n’hésita plus, et publia un édit théologique, rédigé par Sergius, où il était dit qu’il n’y a en Christ qu’une seule volonté divino-humaine — μία θεανδρικὴ ἐνέργεια.
Cette mesure obtint d’abord un plein succès. L’évêque Cyrus, promu au siège d’Alexandrie parce qu’il était favorable à la doctrine monothélite, rallia les Sévériens d’Egypte (ou phthartolâtres, parti modéré des Monophysites). Et le pape Honorius adhéra aussi à l’édit impérial. Mais Sophronius, patriarche de Jérusalem, protesta en déclarant que la doctrine nouvelle conduisait à l’apollinarisme et compromettait l’humanité de Jésus-Christ. En 637, les Arabes prirent Jérusalem, la Palestine et, trois ans après, l’Egypte ; mais l’élan était donné, et la controverse engagée suivit son cours.
Honorius et Sergius demandèrent en vain qu’on abandonnât l’expression contestée. L’empereur publia un édit — ἔκθεσις — en 638, qui condamnait la théorie des deux volontés, et affirmait la théorie contraire —ἔν θέλημα τοῦ κυρίου ἡμῶν Ιησοῦ Χριστοῦ ὁμολογοῦμεν. — Honorius y adhéra ; mais le moine Maxime souleva l’Afrique contre cette formule. Après la mort de l’empereur et du pape, la lutte continua à diviser et à passionner les esprits. Constant II, successeur d’Héraclius, publia un nouvel édit — τύπος τῆς πίστεως — (648), qui ordonnait de ne plus s’occuper de la question ; mais, pendant ce temps, l’Occident et le pape Martin ler avaient pris ouvertement parti pour la doctrine des deux volontés. Les édits d’Héraclius et de Constant furent condamnés dans un concile de Latran, en 649. Enfin l’empereur Constantin IV Pogonat (668-685), pour mettre fin à la querelle, convoqua le concile général de Constantinople (VIe œcuménique, appelé aussi premier concile in Trullo, 680).
Une lettre du pape Agathon à l’empereur servit de base à la rédaction du nouveau symbole. On y affirma les « deux volontés de Christ, distinctes et inséparables, unies et non confondues, jamais opposées ou contraires, mais toujours en accord, la volonté humaine était subordonnée à la volonté divine » —δύο φυσικὰς θελήσεις, ἤτοι θελήματα ἐν Χριστῷν καὶ δὐο φυσικὰς ἐνεργείας ἀδιαιρέτως, ἀτρέπτως, ἁμερίστως, ἀσυγχύτως... κηρύττομεν καὶ δύο φυσιχὰ θελήματα οὐχ ὑπεναντία, μὴ γένοιτο, καθὼς οἱ ἀσεβεὶς ἔφησαν αἱρετικοί ἆλλ ἐπόμενον τὸ ἀνθρωπινον αὐτοῦ θέλημα, καὶ μὴ ἀντιπίπτον, ᾖ ἀντιπαλαῖον, μᾶλλον μὲν οὖν και ὑποτασσόμενον τῷ θείῳ αὐτοῦ καὶ πανσθενεῖ θελήματι. — L’anathème lancé contre les principaux monothélites, entre autres contre le pape Honorius, fut renouvelé par le concile œcuménique de 692.
Il y a peu de chose à dire sur la destinée ultérieure du monothélisme. La Syrie était depuis longtemps le refuge de toutes les opinions dissidentes et proscrites. Les Monothélites à leur tour y cherchèrent un asile, et y fondèrent, dans les montagnes du Liban, une petite secte, groupée autour du couvent de Saint-Maron, dont l’abbé était leur patriarche. Les Maronites se maintinrent indépendants contre les Arabes et contre Byzance ; ils se sont conservés jusqu’à nos jours, mais après être entrés en relations, depuis le douzième siècle, avec l’Église romaine.