1.[1] Alexandre, jugeant impossible de changer les sentiments de son père, résolut d'aller au-devant du péril. Il composa alors contre ses ennemis quatre mémoires où il avouait le complot, mais désignait pour ses complices la plupart d'entre eux, surtout Phéroras et Salomé ; celle-ci, disait-il, avait même pénétré une nuit chez lui et l'avait, contre son gré, forcé de partager sa couche. Hérode avait déjà entre les mains ces mémoires, terrible réquisitoire contre les plus grands personnages, quand Archélaüs arriva en toute hâte en Judée[2], craignant pour son gendre et sa fille. Il vint très habilement à leur aide et sut, par son artifice, détourner d'eux les menaces du roi. Dès qu'il fut en présence d'Hérode : « Où est, s'écria-t-il, mon scélérat de gendre ? Où pourrai-je voir cette tête parricide, afin de la trancher de mes propres mains ? Avec ce bel époux, j'immolerai[3] aussi ma fille : si même elle n'a pas pris part au complot, il lui suffit d'avoir épousé un pareil homme pour être souillée. Je m'étonne de ta longanimité. On a comploté ta mort, et Alexandre vit encore ! Pour moi, je suis venu en hâte de Cappadoce, croyant trouver le coupable depuis longtemps châtié et seulement pour faire, de concert avec toi, une enquête au sujet de ma fille, que je lui ai fiancée en considération de ta grandeur. Maintenant, je le vois, c'est sur tous deux que nous devons délibérer ; si ton cœur de père le rend trop faible pour punir un fils perfide, mets ta main dans ma main et prenons la place l'un de l'autre pour assouvir notre colère sur nos enfants ».
[1] Sections 1-6 Ant., XVI, 8, 5-6 (récit moins circonstancié).
[2] Probablement en 9 av. J.-C.
[3] προσθύσω Naber (προσθήσω mss.)
2. Par ces protestations bruyantes, il gagna Hérode, bien que celui-ci fût sur ses gardes[4]. Hérode lui donna donc à lire les mémoires composés par Alexandre et, s'arrêtant après chaque chapitre, l'examinait avec lui. Archélaüs y trouva l'occasion de développer son stratagème et peu à peu retourna l'accusation contre ceux que le prince y avait dénoncés et particulièrement contre Phéroras. Quand il vît qu'il avait la confiance du roi : « Prenons garde, dit-il, que tous ces méchants n'aient tramé un complot contre ce jeune homme et non ce jeune homme contre toi. Et en effet je ne vois pas pour quel motif il serait tombé dans un tel abîme de noirceur, — lui qui jouissait déjà des honneurs royaux, qui avait l'espoir de succéder au trône — si certains personnages ne l'avaient séduit et n'avaient tourné vers le mal la facilité de son âge : de telles gens n'égarent pas seulement les jeunes hommes, mais encore des vieillards : ils renversent ainsi des maisons très illustres, des royaumes entiers ».
[4] παρατεταγμένον mss. Le ms. M a τεταραγμένον « troublé ».
3. Hérode approuvait ces discours ; peu a peu, il se relâchait de son ressentiment contre Alexandre et s'animait contre Phéroras : car c'était lui le vrai sujet des quatre mémoires. Quand celui-ci eut observé la versatilité du roi et la place prépondérante qu'Archélaüs avait su prendre dans son affection, désespérant de se sauver par des moyens honnêtes, il chercha le salut dans l'impudence : il abandonna Alexandre et se plaça sous la protection d'Archélaüs. Le Cappadocien lui déclara qu'il ne voyait pas moyen de tirer d'affaire un homme chargé de si lourdes accusations, qui avait manifestement comploté contre le roi et causé tous les malheurs actuels du jeune prince, à moins qu'il ne voulût renoncer à sa scélératesse, à ses dénégations, confesser tous les méfaits qu'on lui reprochait et implorer le pardon d'un frère qui l'aimait ; dans ce cas, Archélaüs se disait prêt à l'assister de tout son pouvoir.
4. Phéroras se rend à cet avis ; il se compose l'attitude la plus pitoyable, et vêtu de noir, tout en pleurs, se jette aux pieds d'Hérode, comme il l'avait fait bien des fois, en demandant son pardon. Il confesse qu'il n'est qu'un misérable, avoue tout ce qu'on lui reproche ; mais il déplore cet égarement d'esprit, ce délire qui a pour cause son amour pour sa femme. Ayant ainsi déterminé Phéroras à devenir son propre accusateur et à témoigner contre lui-même, Archélaüs, à son tour, demanda grâce pour lui et chercha à calmer la fureur d'Hérode ; il recourait à des exemples personnels : lui aussi avait souffert encore bien pis de la part de son frère[5], mais il avait fait passer avant la vengeance les droits de la nature, car dans un royaume, comme dans un corps massif, il y a toujours quelque membre qui s'enflamme à cause de sa pesanteur ; et ce membre, il ne faut pas le retrancher, mais lui appliquer des remèdes plus bénins pour le guérir.
[5] Personnage inconnu de l'histoire.
5. A force de pareils discours, il réussit à apaiser Hérode envers Phéroras ; lui-même affecta de rester indigné contre Alexandre, fit divorcer sa fille et déclara qu'il allait l'emmener ; par là, il sut amener Hérode a l'implorer lui même en faveur du jeune homme et à lui demander de nouveau la main de sa fille pour lui. Archélaüs, avec un grand accent de sincérité, répond qu'il lui remet sa fille pour l'unir à qui bon lui semble, sauf le seul Alexandre : car son plus cher désir est de maintenir les liens de parenté qui les unissent. Le roi répartit que ce serait vraiment lui rendre son fils que de consentir à ne pas rompre le mariage, d'autant qu'ils avaient déjà des enfants et que le prince aimait beaucoup sa femme ; si elle reste auprès de lui, elle lui inspirera le regret de ses fautes ; si on la lui arrache, on le plongera dans un désespoir prêt à tous les excès, car un caractère bouillant trouve un dérivatif dans les affections domestiques. Archélaüs se laissa fléchir à grand'peine, consentit à se réconcilier lui-même et réconcilia le père et le fils : il ajouta cependant qu'il fallait de toute nécessité envoyer Alexandre à Rome[6] pour causer avec César, car lui-même avait rendu compte de toute l'affaire à l'empereur.
[6] D'après Ant., XVI. § 270, c'est Hérode qui s'engage à faire le voyage de Rome pour informer Auguste.
6. Tel fut le dénouement du stratagème par lequel Archélaüs assura le salut de son gendre ; après le raccommodement, le temps se passa en festins et mutuels témoignages d'affection. A son départ, Hérode lui offrit pour présents 70 talents, un trône d'or enrichi de pierreries, des eunuques et une concubine, du nom de Pannychis ; il gratifia aussi ses amis, chacun selon son rang. De même, sur l'ordre du roi, tous les courtisans haut placés firent à Archélaüs des présents magnifiques. Hérode et les plus puissants personnages l'escortèrent jusqu'à Antioche.