Par la croix à la gloire ! (Per crucem ad lucem !) C’est ainsi que Dieu l’a souverainement élevé et lui a donné une puissance au-dessus de toutes les puissances, afin que tout genou sur la terre fléchisse au nom de Jésus et que toute langue au ciel et sur la terre confesse, qu’il est le Christ, le Seigneur, à la gloire de Dieu son père. Dans cette obéissance qui s’exalte jusques à l’abnégation la plus abaissée, dans cet amour qui s’immole, méconnu, raillé par ceux-là surtout que les premiers il voulait sauver, dans cette sublime folie de la croix, l’apôtre inspiré contemple le triomphe d’une puissance qui dépasse de si haut toutes les réalités d’ici-bas, que jamais l’imagination humaine n’aurait pu ni osé la concevoir.
Après la mort dans l’opprobre, la résurrection dans la gloire, l’ascension au ciel, à la droite de Dieu, sur son trône ! L’apparition dans l’éclat de la majesté souveraine au dernier jour pour juger le monde ! Alors, aux yeux de tous, se fera incontestée la puissance souveraine que le père a conférée à son fils, au ciel et sur la terre. Dès les temps les plus anciens, le genre humain a cru qu’au souverain bien devait un jour appartenir la souveraine puissance. Les païens eux-mêmes attendaient un roi dominateur et victorieux qui sur la terre devait à toujours faire régner la paix et le bonheur. Dans les saintes visions des prophètes d’Israël, on voit également apparaître un roi victorieux, le prince de la paix dont le règne ne doit pas avoir de fin. Il dominera jusqu’à ce que Dieu ait abaissé tous ses ennemis devant lui pour qu’ils servent de marchepied à son trône. Mais, chose grande et qu’aucune pensée humaine n’aurait pu pressentir, cette prophétie ne veut et ne doit s’accomplir que dans l’abaissement et l’immolation ! Il sera grand et il sera la brebis muette sous le couteau du sacrificateur ! C’est au sein de l’opprobre et de l’abaissement le plus profond, que Jésus en revendique l’accomplissement en sa propre personne : « Tu l’as dit, je suis Roi » répond-il à Pilate (Jean 18.37). Alors qu’il se proclame roi devant le tribunal du préfet de Tibère, il n’est encore que le roi au sceptre de roseau, à la pourpre dérisoire. Mais il sait qu’à lui appartiennent le royaume et la puissance. Il sait qu’à lui regardent l’avenir et les influences souveraines qui domineront sur tous les siècles et toutes les générations, sans que jamais aucune force humaine puisse les contredire, car seul, il a la puissance qui rachète les peuples et doit tous un jour les juger. Et depuis l’heure première qui inaugure son ministère au milieu des hommes, il n’en est pas une seule dans sa vie qui ne garde l’empreinte de son immortelle royauté. Et alors qu’humilié et abaissé, souffrant et lié il comparaît devant les hommes qui ont la prétention de le juger, c’est alors surtout qu’il s’impose comme le Rédempteur et le juge des vivants et des morts ! Il fallait, en effet, que, pour qu’il pût manifester sa royauté dans tout son éclat, il prouvât d’abord qu’il était bien réellement le serviteur de l’Eternel et que son œuvre d’obéissance tout entière restait accomplie. N’est-il pas écrit qu’il fallait qu’il souffrît avant d’entrer dans sa gloire ? (Luc 24.26) Son ascension, sa séance sur le trône de Dieu, dans la toute puissance de son père, d’où il viendra pour juger les vivants et les morts, mettent en évidence non seulement le triomphe de sa royauté, mais de sa gloire elle-même dans toute sa surhumaine magnificence. Pour quiconque a des yeux pour voir, cette croix, et sa croix toute seule, dans son ignominie et son opprobre, devient tout à la fois le trône du haut duquel il juge le monde et le sceptre de fer qui brise les nations. A celui qui veut nier cette souveraineté, son ascension dans la gloire, sa séance sur le trône de Dieu, son retour pour prendre possession de toute la terre, il faut d’abord nier la croix et le Calvaire. Le miracle de sa glorieuse exaltation est donc contenu tout entier dans la crèche qui fut son berceau et dans la croix qui fut le chevet sur lequel il rendit son âme à Dieu ! Autant dire, le Christ n’est le Christ que parce qu’il est celui qui peut nous dire : « Qui de vous me convaincra de péché ? » Et cependant il faut, et c’est là un postulat qui s’impose à la raison, qu’elle finisse par disparaître, la contradiction éternelle qui dans l’histoire oppose la justice et le bonheur. Il faut que l’ordre moral, ou pour parler avec plus de précision, le règne de la véritable félicité finisse par vaincre toutes les oppositions et s’établisse victorieux sur la terre. Il faut, avec le philosophe Kant, affirmer que la vertu et le bonheur ne peuvent pas éternellement se contredire sur la terre. Nous n’en reconnaissons pas moins cependant que le bonheur est d’ordre terrestre et temporel, ainsi que précédemment nous l’avons démontré ; qu’il est même d’essence égoïste et à jamais condamné par la croix de Christ. Mais néanmoins, la pensée qui réclame la conciliation du bonheur et de la vertu reste une vérité profonde et que nul ne doit méconnaître. Toujours sur la terre, il sera vrai de croire et d’espérer un ordre de choses qui permette à l’homme de posséder l’existence humaine dans toute sa plénitude. Alors seront véritablement satisfaits tous les besoins et tous les désirs de notre nature véritable. Alors la force obéira à la justice. L’esprit et la matière seront pleinement idéalisés, la bonté dans la vérité deviendra pour tous la puissance incontestée et toujours obéie. La résurrection du Christ d’entre les morts est la prophétie qui permet et qui commande aux chrétiens d’attendre ce jour où, après toutes les luttes et les souffrances du temps, on verra se faire une existence douce et pure pour tous dans la sainteté et dans la gloire. Pour tous, la nature transformée et glorifiée répandra et multipliera ses bienfaits. Le Christ ressuscité, par le fait de sa résurrection, nous annonce et nous prépare cet avenir glorieux. Dieu alors essuiera toutes larmes de nos yeux, la mort ne sera plus, l’on n’entendra plus le cri du deuil ni la plainte de la douleur. Toutes choses seront faites nouvelles et tout ce qui est passé ne sera plus. Alors s’accomplira cette parole de l’Ecriture : Voici le sanctuaire de Dieu est descendu au milieu des hommes, ils seront son peuple, il sera avec eux et il sera leur Dieu ! (Apocalypse 21.3-5) Mais en contemplant dans le Christ ressuscité, l’idéal de la gloire et de la félicité à venir, nous ne devons pas oublier qu’au milieu des douleurs de son abaissement, il possédait déjà la véritable félicité et la paix, car les posséder c’est vivre avec Dieu dans une communion inaltérable et toujours plus entière, et dans la certitude que toujours l’amour avec lequel il garde sa création est la puissance qui doit dominer à jamais sur toutes les puissances.
Pour résumer dans un regard d’ensemble les traits généraux à l’aide desquels nous aimons à nous représenter le Christ comme notre véritable idéal, il est trois faits que nous devons accuser et plus particulièrement retenir : sa naissance miraculeuse, sa sainteté et sa puissance. Par cette puissance, nous entendons tout ce qu’il a fait pour répondre à l’attente de l’humanité, les miracles que comme maître et souverain il répandait autour de lui pour prophétiser la gloire et la transfiguration de cette terre qu’a souillée le péché. Cette puissance, nous la retrouvons, non moins vraie et non moins grande, dans son abaissement surhumain, qui ne serait plus le sacrifice, l’oblation volontaire qui efface le péché, s’il n’était l’acte d’une volonté libre et toute puissante. Mais nous ne devons pas non plus oublier qu’en confondant sa gloire avec sa toute puissance, il veut nous apprendre que ceux-là seuls qui auront participé à sa peine participeront à son honneur. Quant à la sainteté, elle n’est concevable que dans la parfaite et surhumaine pureté de sa naissance qui jamais, au cours de son existence dans le temps, ne se dément et toujours se fait plus grande dans tous les rapports et dans toutes les circonstances qui l’unissent à Dieu et aux hommes.