Plus encore peut-être que dans les évangiles apocryphes, la fantaisie s’est donné carrière dans les Actes apocryphes des apôtres. C’est que, en fait, elle était moins contrainte par le texte officiel, les Actes canoniques des Apôtres se taisant sur le sort des Douze en dehors de saint Pierre, de saint Paul et de saint Jacques, et ne racontant même pas les dernières années du ministère des deux premiers.
A saint Pierre il faut rapporter d’abord une Prédication de Pierre (Πέτρου κήρυγμα) connue de Clément d’Alexandrie, d’Héracléon le gnostique, d’Origène et d’Eusèbe, et qu’il faut identifier probablement avec la Didascalie de Pierre citée par saint Jean Damascène. C’était une suite de discours missionnaires de l’apôtre, reliés par un récit. Rien ne prouve que l’esprit en fût hérétique. On en met la composition dans la première moitié du iie siècle, en Egypte ou en Grèce.
Franchement gnostiques étaient les Actes de Pierre (Πράξεις Πέτρου). Il s’en est conservé deux parties : d’abord la fin dans le Μαρτύριον τοῦ ἁγίου ἀποστόλου Πέτρου, dont le Martyrium beati Petri apostoli a Lino episcopo conscriptum n’est qu’une traduction latine amplifiée ; puis l’épisode de la lutte de saint Pierre contre Simon le magicien dans les Actus Petri cum Simone du manuscrit de Verceil. C’est là que l’on trouve les détails connus de la chute de Simon, du Quo radis et du crucifiement de l’apôtre la tête en bas. Bien que nos textes actuels aient été corrigés, ils portent encore des traces de docétisme et d’encratisme. La composition primitive devait remonter à la seconde moitié du iie siècle. Le pape Innocent I (Epist. ad Exsuperium, 13) dit que l’auteur en était le même que celui des Acta Joannis gnostiques, à savoir le Pseudo-Lucius (le Leucius Charinus de Photius).
De même qu’il y a eu une Prédication de Pierre, il y a eu une Prédication de Paul, signalée par le Liber de rebaptismate (17) contemporain de saint Cyprien. L’ouvrage semble avoir été peu orthodoxe ; mais on manque sur lui de renseignements.
Tout autre a été la célébrité des Actes de Paul (Πράξεις Παύλου) auxquels les stichométries anciennes attribuent 3560 ou 3600 lignes. Ces Actes ont été récemment retrouvés, bien qu’en assez mauvais état, dans une traduction copte ; et cette trouvaille a permis de constater que leur texte primitif comprenait et le Martyre du saint apôtre Paul, et la Correspondance (apocryphe) de Paul et des Corinthiens, et les Actes de Paul et de Thècle qui en ont été plus tard détachés pour former des écrits indépendants. Comme d’ailleurs Tertullien (De baptismo, 17) affirme que l’histoire de Paul et de Thècle a été composée en Asie par un prêtre enthousiaste de saint Paul, qui fut déposé pour ce fait, il s’ensuit que les Actes de Paul tout entiers sont de ce même auteur et ont vu le jour en Asie. Ils ont été orthodoxes dès l’origine ; divers détails permettent d’en fixer la rédaction autour de l’an 170
Outre les Actes de Pierre et les Actes de Paul séparés, nous avons encore — dans des textes remaniés — un écrit qui s’occupe à la fois des deux apôtres, Actes des saints apôtres Pierre et Paul (Πράξεις τῶν ἁγίων ἀποστόλων Πέτρου καὶ Παύλου). Ces Actes comprenaient primitivement — et toute une série de manuscrits a conservé cette disposition — un récit de la venue de saint Paul à Rome où saint Pierre se trouve déjà, puis une relation des travaux en commun des deux apôtres et de leur martyre. C’est, comme les Actes de Paul, une composition orthodoxe que l’auteur voulait peut-être substituer aux Actes gnostiques de Pierre. Bardenhewer la fait remonter à la première moitié du iiie siècle.
Des Actes de l’apôtre André, datant probablement de la seconde moitié du iie siècle, ont été signalés par Eusèbe (H. E., 3.25.6) et d’autres auteurs anciens, qui s’accordent à les présenter comme un ouvrage hérétique. Quelques critiques les croient de la main du Pseudo-Lucius. Quoiqu’il en soit, on ne possède plus de ces Actes que de courtes citations. Mais il s’en est conservé en grec et en d’autres langues, dans des textes expurgés et remaniés, trois épisodes principaux faisant la matière de trois écrits détachés : les Actes d’André et de Mathias dans la cité des anthropophages, les Actes des saints apôtres Pierre et André ; et enfin le Martyre du saint apôtre Andréa. Ce dernier écrit, qui se donne pour l’œuvre des prêtres et des diacres des Églises d’Achaïe, témoins oculaires, ne remonte pas au delà du ve siècle.
a – Voir J. Flamion, Les Actes apocryphes de l’apôtre André, les Actes d’André et de Mathias, de Pierre et d’André, et les textes apparentés, Louvain, 1911.
Les mêmes auteurs qui parlent des Actes d’André parlent aussi d’Actes de Jean, d’origine hérétique. Innocent I les attribue au Pseudo-Lucius. Ces Actes, composés probablement, comme ceux d’André, dans la seconde moitié du iie siècle, sont perdus pour la plus grande partie. Cependant il s’en est conservé par des citations ou retrouvé dans les manuscrits des fragments assez considérables qui ont permis de reconstituer à peu près l’ordre de la narration. On a pu s’aider d’ailleurs, pour ce travail, de recensions orthodoxes d’âge plus récent qui ont plus ou moins remanié et corrigé l’écrit primitif. Tels, en grec, les Actes du saint apôtre et évangéliste Jean le Théologien, écrits par son disciple Prochoros (première moitié du ve siècle) et, en latin, les Virtutes Joannis du Pseudo-Abdias (fin du vie siècle) et la Passio Joannis du Pseudo-Méliton encore plus récente.
De tous les Actes gnostiques des apôtres, les mieux conservés sont ceux de l’apôtre Thomas. Non pas que nous ayons leur texte primitif ; mais les deux recensions grecque et syriaque qui subsistent en ont assez bien gardé l’esprit et la forme. On y trouve la note encratite nettement accusée. De la présence dans ces Actes de pièces de poésie dont la langue originale est le syriaque, et qui font d’ailleurs partie intégrante de l’ouvrage, la plupart des critiques ont conclu que l’ouvrage tout entier a été écrit d’abord en cette langue. Il pourrait être originaire d’Édesse et une production de l’école de Bardesane. Tout concourt à en fixer la composition au commencement du iiie siècle.
Le décret de Gélase est le plus ancien document qui fasse mention d’Actes de Philippe apocryphes. Nous avons ces Actes en deux formes, l’une et l’autre d’origine orthodoxe, mais de peu de valeur. On y a confondu l’apôtre avec le diacre Philippe. Les Actes grecs sont incomplets, et paraissent avoir réuni deux écrits d’abord indépendants : ils ne remontent pas plus haut que la fin du ive siècle. Les Actes syriaques semblent encore plus récents.
Aucun auteur n’a parlé d’Actes de Matthieu. Il en a cependant sûrement existé en grec dont il subsiste la fin, le récit du ministère de l’apôtre et de son martyre à Myrne. Leur auteur a connu les Actes de Mathias dont il a été question ci-dessus, si même il n’a pas confondu Mathias avec Matthieu. Sa composition est du ive ou du ve siècle.
Enfin Eusèbe (H.E., 1.13 ; 2.1,6-8) a lu des Actes de Thaddée, l’un des soixante-douze disciples, qu’il a analysés en partie et dont il a donné des extraits, relatifs notamment à la fameuse correspondance de Jésus et d’Abgar, roi d’Édesse. Ces Actes, appelés Acta Édessena, écrits d’abord en syriaque, pouvaient remonter à la première moitié du iiie siècle. On en possède, sous le titre de Doctrine d’Addaï, une recension syriaque plus développée que l’on peut dater de 390-430b. La recension grecque éditée par Tischendorf est plus courte, et a substitué au disciple Addaï ou Thaddée l’apôtre Thaddée ou Lebbée. Elle ne remonte pas au delà du ve siècle.
b – Voir J. Tixeront, Les origines de l’Église d’Édesse et la légende d’Abgar, Paris, 1888.