Le Jour du Seigneur, étude sur le Sabbat

2.2 — Le sabbat en Israël après Moïse et jusqu’à Néhémie.

Introduction

Selon Wellhausen, le sabbat mosaïque, d’abord une fête lunaire, n’était point alors essentiellement un jour de repos, et son idée n’acquit que peu à peu le degré de rigueur avec lequel elle se présente à nous dans le Code sacerdotal, le document Elohiste, qui ne date que de la captivité. En définitive, ce ne fut plus le même sabbat, mais un sabbat d’une autre nature. Il y a différence, non seulement de degré, mais même de qualité. « Il est vrai, dit-il que le sabbat est déjà dans Amos 8.5 étendu au commerce, mais chez le Jéhoviste et le Deutéronomiste il est une institution spécialement agricole : c’est le jour de délassement pour gens et bétail, et il est ainsi appliqué, comme les sacrifices, à des buts sociaux. (Exode 20.10 ; 23.12 ; 34.21 ; Deutéronome 5.13-14) Quoique cette application morale soit authentique, sans être primitive, ici encore le sabbat est une fête, un plaisir pour les classes laborieuses ; car, selon le devoir prescrit au maître israélite, auquel s’adresse la législation, il s’agit moins de se reposer que de laisser se reposer. Au contraire, dans le Code sacerdotal, le repos sabbatique n’est point analogue à un joyeux délassement des fatigues de la vie ; c’est une chose à part, qui distingue le sabbat, non seulement des autres jours de la semaine, mais aussi des fêtes, et qui ressemble bien plus à un exercice ascétique qu’à une récréation. Il est entendu dans un sens tout à fait abstrait, non comme repos du travail ordinaire, mais comme repos pur et simple. On ne peut en ce saint jour ni sortir du camp pour recueillir de la manne ou rassembler du bois (Exode 16 ; Nombres 15), ni allumer du feu et cuire quelque aliment (Exode 35.3). Ce repos est en vérité un sacrifice d’abstinence de toute occupation, pour lequel on doit se préparer dès la veille (Exode 16). En fait, on ne pourrait pas dire du sabbat du Code sacerdotal qu’il a été fait pour l’homme (Marc 2.27) ; c’est plutôt une règle aussi roide qu’une loi de nature et ayant son fondement en elle-même… Des tendances à une pareille exagération, poussant jusqu’à l’absolu le repos du sabbat, se manifestent depuis l’époque chaldéenne. Tandis qu’Esaïe (Ésaïe 1.13) ne considérait le sabbat que comme jour de sacrifice, Jérémie est le premier prophète qui prescrive au contraire une stricte sanctification du 7e jour et le considère simplement comme un jour de repos (Jérémie 17.19). Les prophètes de l’exil, successeurs de Jérémie, suivent la même voie : non seulement Ezéchiel (Ezéchiel 20.16 ; 22.26), mais aussi le grand inconnu (Ésaïe 56.2 ; 58.13), qui d’ailleurs n’exprime aucune prédilection pour le culte. »

Nous ne nous sommes point proposé de réfuter directement cette étrange et fantastique manière de comprendre l’histoire du sabbat mosaïque, bien que nous l’ayons prise en sérieuse considération et jamais perdue de vue. Mais nous croyons avoir montré qu’elle est en complète contradiction avec la loi mosaïque renfermée dans l’Ancien Testament et telle qu’elle nous paraît avoir été réellement donnée d’en Haut au temps du grand prophète, du moins pour l’essentiel. Nous allons voir maintenant que la théorie de Wellhausen ne contredit pas moins ce que nous laissent entrevoir nos saints Livres sur l’histoire postérieure du sabbat mosaïque, jusqu’à Néhémie.

[Cette réfutation a été faite et bien faite par Lotz, Quæstiones de hist. sabbati, p. 71-109. Voici les 3 thèses qu’il établit successivement : 1° déjà au temps de Moïse, les Israélites comptaient leurs sabbats indépendamment des mois et non selon l’usage chaldéen ; 2° ils ont toujours compris le sabbat comme jour de repos, de suspension de tout travail proprement dit, pour tous : maîtres, serviteurs et bêtes de somme ; 3° quant au motif de l’institution, pour eux, ce n’est pas parce que le 7e jour aurait été déjà considéré comme saint que Dieu est dit s’être reposé en ce jour, mais il l’a sanctifié parce qu’il s’y est reposé. L’Elohiste n’apprend rien qui lui soit propre sur la cause et la raison du sabbat.]

D’après tout ce que nous savons sur les infidélités d’Israël sans cesse renouvelées, nous ne pourrions pas attendre qu’après Moïse, il eût toujours observé le sabbat comme il aurait dû le faire, aussi Jérémie, Ezéchiel et Néhémie ne manquent-ils pas de lui adresser sur ce point de sévères reproches.

Jérémie (ch. 17), pressant ses compatriotes de ne pas profaner le sabbat, parle aussi des générations précédentes et dit (v. 22, 23) : « Sanctifiez le jour du sabbat, comme je l’ai ordonné à vos pères. Ils n’ont pas écouté, ils n’ont pas prêté l’oreille ; ils ont roidi leur cou pour ne point écouter. »

Ezéchiel, récapitulant au ch. 20 de son livre toute l’histoire d’Israël pour faire ressortir l’infatigable fidélité de Jéhovah, dit au sujet de l’observation du sabbat pendant le séjour au désert (v. 13) : « La maison d’Israël se révolta contre moi dans le désert. Ils ne suivirent point mes lois… et ils profanèrent à l’excès mes sabbats. J’eus la pensée de répandre sur eux ma fureur… pour les anéantir. Néanmoins j’ai agi par égard pour mon nom, afin qu’il ne fût pas profané aux yeux des nations… Je dis à leurs fils dans le désert : ne suivez pas les préceptes de vos pères, n’observez pas leurs coutumes… Sanctifiez mes sabbats, et qu’ils soient entre moi et vous un signe auquel on connaisse que je suis l’Éternel votre Dieu. Et les fils se révoltèrent contre moi… et ils profanèrent mes sabbats. J’eus la pensée de répandre sur eux ma fureur… Néanmoins j’ai retiré ma main et j’ai agi par égard pour mon nom… »

Néhémie, de même, dans un jeûne solennel, s’humiliant pour tout le peuple, au nom du présent et du passé, dit à l’égard des pères (Néhémie 9.13) : « Tu leur donnas des ordonnances justes… Tu leur fis connaître ton saint sabbat… Mais nos pères se livrèrent à l’orgueil et… ils n’écoutèrent point tes commandements… ils jetèrent ta loi derrière le dos, ils tuèrent tes prophètes… Alors tu les abandonnas entre les mains de leurs ennemis. Mais dans ta grande miséricorde, tu ne les anéantis pas… »

Il ne faudrait pas cependant conclure de ces déclarations qu’avant Néhémie, le sabbat n’eût jamais été observé par le peuple d’Israël, mais seulement qu’il ne l’avait point toujours été comme il aurait dû l’être, ni extérieurement, ni, surtout, spirituellement. L’examen d’autres passages va nous en convaincre.

Nous avons déjà parlé dans le chapitre précédent du séjour des Israélites au désert, mais nous devons y revenir un instant pour faire deux observations : 1° dans le Pentateuque nous n’avons de renseignements détaillés que sur les deux premières et sur la dernière des années de ce séjour ; 2° les deux infractions à la loi du sabbat qui sont mentionnées (Exode 16.27-29 ; Nombres 15.32-36), supposent elles-mêmes qu’il y avait bien alors, c’est-à-dire dans les deux premières années du séjour, une certaine observation générale de cette loi. Il est dit Exode 16.30 qu’après les objurgations transmises par Moïse sur la violation du sabbat par quelques-uns du peuple : Et le peuple se reposa le septième jour. D’autre part, il est rapporté Nombres 15.36 que selon l’ordre donné par l’Éternel au sujet d’un violateur du sabbat, toute l’assemblée le fit sortir du camp et le lapida.

Après Moïse, les données sur l’histoire du sabbat en Israël nous manquent pour plusieurs siècles, mais elles recommencent après le Schisme, dans le royaume d’Israël aussi bien que dans celui de Juda, et de manière à nous faire remonter pour leur origine jusqu’au grand législateur, bien que les anneaux de la chaîne qui les relie à lui soient pour nous invisibles.

[Les rabbins et récemment le commentaire du Bibelwerk de Lange sur Josué ont supposé que le 7e jour dans lequel les Israélites firent 7 fois le tour de Jéricho avant la chute de ses murailles (Josué 6.1-20), était un sabbat, et cette opinion nous paraît vraisemblable. On a justement répondu à l’objection tirée de ce que le sabbat aurait été le plus chargé parmi les 7 jours de processions, que celles-ci n’étaient pas proprement un travail, mais une sorte de service liturgique, exécuté par ordre spécial, Dieu devant être glorifié par la destruction des murailles le jour du sabbat ou plutôt immédiatement après. Fay observe en effet qu’en tenant compte de toutes les marches du 7e jour et des intervalles de repos qui devaient les séparer, on arrive naturellement à l’idée que cette destruction ne se fit qu’après le sabbat. Nous ne voudrions cependant pas insister sur cette opinion qui n’est point appuyée par une indication positive du texte sacré. Mais, comme, en tout cas, un des 7 jours dut être un sabbat et que pendant chacun d’eux le tour de la ville dut être fait une fois ou 6, on peut bien voir ici, avec Ewald et Œhler, un exemple de la largeur avec laquelle le respect du sabbat était compris dans les anciens temps. Malgré les Septante, la Vulgate, la version chaldéenne, récemment Lotz, nous ne reconnaissons pas dans 1 Samuel 20.19 une allusion aux jours ouvriers de la semaine, bien que l’expression hébraïque (יום המעשׂה) s’y rapporte, employée au pluriel, dans Ezé.46.1. D’après le contexte, il faut la traduire dans le premier de ces versets par le jour de l’affaire, comme le font Thénius (Bücher Samuels), le Bibelwerk de Bunsen, la version Segond, celle de Lausanne, etc.]

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