Extrait de ses Antiquités Juives, livre 18, chap. 3, section 3.
« Vers ce temps vivait Jésus, homme sage, si on veut l’appeler un homme ; car il fit des œuvres miraculeuses. Docteur de ceux qui acceptent la vérité avec joie, il entraîna beaucoup de Juifs et beaucoup de Grecs. C’était le Christ (Ὁ Χριστὸς οὗτος ἦν). Et lorsque Pilate, à l’instigation des hommes les plus distingués parmi nous, l’eut condamné à la croix, il ne fut pas abandonné de ceux qui l’avaient aimé d’abord. De nouveau, il leur apparut vivant, le troisième jour, ce que les divins prophètes avaient prédit, ainsi que beaucoup d’autres choses merveilleuses, à son sujet. La secte des chrétiens, qui a tiré de lui son nom, ne s’est pas éteinte jusqu’à ce jour. »
Ce remarquable témoignage du célèbre prêtre et historien juif, qui florissait dans la deuxième moitié du premier siècle, se trouve dans tous les exemplaires connus de son ouvrage, soit imprimés, soit manuscrits. Eusèbe le cite deux fois en entier sans soupçonner la moindre interpolation. Aussi beaucoup de savants théologiens l’acceptent-ils comme authentique. On peut dire encore en sa faveur que dans une histoire juive complète, qui va jusqu’à l’an 66 de Jésus-Christ, et qui fut écrite à peu près vers l’an 93, Josèphe ne pouvait pas facilement passer le Christ sous silence, surtout en mentionnant avec honneur, dans d’autres parties de ce même ouvrage, Jean le Baptiste et Jacques le Juste. Quand il parle du martyre de ce dernier, Archéologie, XX, 9, 1, il en réfère à notre passage ; et il n’y a point de motif raisonnable de rejeter les lignes qui se rapportent à Jacques en même temps que celles où il est question du Christ.
Cependant, la plupart des critiques modernes, depuis Lardner, repoussent ce témoignage sous sa forme actuelle, soit en entier, soit en partie, comme étant une précoce interprétation issue d’une main chrétienne. Voici leurs raisons :
- Ce paragraphe n’est mentionné par aucun écrivain chrétien antérieur à Eusèbe, qui mourut vers l’an 340. Justin Martyr, Clément d’Alexandrie, Origène, Tertullien, et d’autres Pères, antérieurs au concile de Nicée, auraient pu, s’ils l’avaient connu, en faire le meilleur usage, — et ils n’y auraient certainement pas manqué, — dans leurs écrits apologétiques et polémiques contre les Juifs et les païens.
- Ce paragraphe n’appartient pas nécessairement au contexte ; il interrompt bien plutôt la marche du récit précédent, savoir : celui d’une révolte des Juifs sous Pilate et d’une misère générale qui la suivit, — et du récit postérieur d’un autre événement, triste aussi, savoir : l’expulsion des Juifs de Rome sous Tibère. Remarquons, cependant, que Josèphe pouvait toujours mettre la crucifixion du Christ au nombre des calamités juives.
- Le passage discuté ne s’accorde point avec le caractère et la position de Josèphe. Il n’aurait pu parler ainsi du Christ sans être lui-même un chrétien, soit en théorie soit par conviction, et sans frapper de mensonge sa profession de prêtre juif et de pharisien. Mais on peut dire que Josèphe a été inconséquent en ce passage comme en beaucoup d’autres. Quoique instruit et distingué, il avait un caractère d’une faiblesse méprisable. Dans toutes ses positions, comme prêtre juif et comme magistrat, aussi bien que comme général romain et comme courtisan, il fit preuve d’un esprit mondain et d’une grande légèreté qui lui firent sacrifier jusqu’à ses principes, pour s’accommoder aux situations et aux exigences diverses du moment.
Quand on réfléchit à l’invraisemblance d’un silence complet de Josèphe sur l’histoire de Jésus, ainsi qu’à l’invraisemblance plus grande encore d’un tel témoignage chrétien issu d’une plume comme la sienne, on trouve très plausible l’hypothèse d’après laquelle Josèphe, semblable aux pharisiens et aux scribes du Nouveau Testament ainsi qu’aux auteurs du Talmud, aurait représenté Jésus comme un faux prophète, comme un magicien faisant des miracles par Béelzébul ; et puis, un chrétien, de bonne heure déjà, avant Eusèbe, aurait modifié cet endroit choquant en lui donnant sa tournure actuelle. C’est là, au fond, l’opinion qu’a dernièrement exposée le grand orientaliste Ewald.
M. Renan, dans sa Vie de Jésus, pousse plus loin la concession. Il tient le passage pour authentique, sauf deux changements. « Je crois, dit-il, le passage sur Jésus authentique. Il est parfaitement dans le goût de Josèphe ; et si cet historien a fait mention de Jésus, c’est bien comme cela qu’il a dû en parler. On sent seulement qu’une main chrétienne a retouché le morceau, y a ajouté quelques mots sans lesquels il eût été presque, blasphématoire, et peut-être retranché ou modifié quelques expressions : » — c’était le Messie, au lieu de la leçon primitive supposée : Il fut appelé le Messie.
Les écrits de Josèphe contiennent, sous beaucoup de rapports et indirectement, de très précieux témoignages sur la vérité de l’histoire évangélique. Son ouvrage de la Guerre juive est, sans qu’il y ait songé, un frappant commentaire des prédictions de notre Sauveur sur la ruine de Jérusalem et du temple ; sur la grande affliction et la détresse du peuple juif à cette époque ; sur la famine, la peste et le tremblement de terre ; sur l’apparition de faux prophètes et de trompeurs, et sur la fuite de la partie jeune de la nation à l’approche de tous ces événements. L’accord de ces points divers a été longuement démontré par le savant Dr Lardner, dans sa Collection d’anciens témoignages juifs et païens en faveur de la religion chrétienne.