Entre ces mots il existe la même différence qu’entre nos termes « cupidité » et « avarice », qu’entre l’allemand « Habsucht » et « Geiz » : πλεονεξία est le péché plus actif, φιλαργυρία, plus passif : le premier est le « amor sceleratus habendi », cherchant à saisir ce qu’il n’a pas, et, selon son étymologie, à avoir davantage ; le second veut retenir, et, en accumulant, grossir ce qu’il a déjà. Le premier, dans les moyens qu’il emploie pour acquérir, est souvent hardi et agressif ; et il se peut même, comme cela se voit souvent, qu’il soit aussi prodigue à dissiper et à perdre son bien qu’il a été avide et peu scrupuleux à l’acquérir ; le πλεονέκτης sera souvent « rapti largitor », comme l’était Catilina, à propos duquel Cicéron demande, en le caractérisant (Pro. Cæl. 6) ; « Quis in rapacitate avarior ? Quis in largitione effusior ? » D’après ce qui précède nous trouvons πλεονέκτης s’associant à ἅρπαξ (1 Corinthiens 5.10) ; πλεονεξία à βαρύτης (Plutarch. Arist. 3) ; πλεονεξίαι à κλοπαί (Marc 7.22) ; à ἀδικίαι (Strabo, vii, 4,6) ; à φιλονεικίαι (Plato, Leg. 3.677 b) ; et le péché est dépeint par Théodoret (in Ep. ad Rom. 1.30) : ἡ τοῦ πλείονος, ἒφεσις, καὶ τῶν οὐ προσηκόντων ἡ ἁρπαγή ; comparez la définition d’« avaritia », que donne Cicéron, (ou celui à qui elle revient) comme étant une « injuriosa appetitio alienorum » (ad Herenn. 4.25). Mais, tandis qu’il en est ainsi de πλεονεξία, φιλαργυρία, d’un autre côté, le péché de l’avare (on trouve ce terme joint à μικρολογία, Plutarch. Quom. Am. ab Adul. 36), dénote une certaine prudence, une certaine timidité, qui ne se laisse point nécessairement dépouiller des apparences de la justice. Les Pharisiens, par exemple, étaient φιλάργυροι (Luc 16.14) ; ce qui n’était pas incompatible avec le maintien de leurs dehors de sainteté, tandis qu’avec πλεονεξία cela l’aurait été évidemment.
Cowley, dans la belle prose qu’il a mêlée à ses vers, tire avec raison une profonde ligne de démarcation entre nos deux notions (Essay 7, Of Avarice). Chaucer, il est vrai, l’avait tirée avant lui dans son Persones Tale, et d’une manière plus étendue dans la description qu’il fait séparément de la Convoitise et de l’Avarice dans le Roman de la Rose (183-246). « Il y a, dit Cowley, deux sortes d’avarice ; l’une n’est qu’une espèce bâtarde, c’est l’appétit vorace du gain, non pour le gain lui-même, mais pour le plaisir de le faire couler aussitôt dans tous les canaux de l’orgueil et du luxe ; l’autre est la véritable espèce et justifie bien son nom qui indique la passion insatiable des richesses, non en vue de quelque autre chose, mais simplement pour amasser les richesses, les conserver et les accroître sans cesse. Le convoiteux de la première espèce est comme une autruche goulue qui dévore n’importe quel métal, mais avec l’intention de s’en nourrir, et, en effet, il fait de son mieux pour digérer et évacuer ce qu’il a avalé ; le convoiteux de la seconde espèce est comme le choucas stupide qui aime à dérober l’argent uniquement pour le cacher. »
A un autre point de vue, et qui est plus important, on peut considérer πλεονεξία comme exprimant un sens plus large, plus étendu que φιλαργυρία ; c’est le genre dont φιλαργυρία est l’espèce ; ce dernier mot désignant l’amour de l’argent, tandis que πλεονεξία indique l’action de tirer la créature à soi, et de s’en emparer, sous toutes les formes et de toutes les manières possibles, en tant qu’elle est en dehors de soi et au delà ; c’est l’« indigentia » de Cicéron : « indigentia est libido inexplebilis » (Tusc. iv, 9, 21). Voyez sur ce point Augustin, Enarr. in Ps. cxviii, 35, 36 ; et la profonde explication que Bengel donne du fait que, dans l’énumération de divers péchés, St. Paul unit si souvent πλεονεξία aux péchés de la chair ; comme dans 1 Corinthiens 5.11 ; Éphésiens 5.3, 5 ; Colossiens 3.5 : « Solet autem jungere, cum impuritate πλεονεξίαν, nam homo extra Deum quærit pabulum in creatura materiali, vel per voluptatem vel peravaritiam ; bonum alienum ad se redigit ». Mais cette remarque de Bengel, tout en exprimant beaucoup, n’exprime point tout. Le rapport entre ces deux péchés est encore plus profond et plus intime qu’il ne le dit ; cela se prouve par le fait que πλεονεξία, signifiant convoitise, n’est pas simplement jointe aux péchés d’impureté, mais est quelquefois employée, comme dans Ephés.5.3 (voir Jérôme, in loco), et souvent par les Pères grecs (voir Suicer, Thes. 8. v. et une note savante de Hammond sur Romains 1.29), pour désigner ces péchés eux-mêmes, vu que la racine qui les produit, à savoir l’aspiration toujours plus ardente de la créature qui s’est détournée de Dieu, à se repaître des vils objets des sens, est une et la même. Les monstres de volupté d’entre les empereurs romains étaient aussi des monstres de convoitise (Sueton. Calig. 38-41). Contemplée sous cet aspect, πλεονεξία a un sens bien plus étendu et bien plus profond que φιλαργυρία. Platon (Gorg. 493), comparant les aspirations de l’homme au crible ou tonneau percé des Danaïdes, qu’elles essayaient sans cesse, mais en vaine, de remplir, a fourni indirectement un sublime commentaire à notre vocable, et ce n’est pas trop de dire que dans ce commentaire on entend monter le cri de la créature qui a rejeté le pain des enfants et qui aspire à satisfaire sa faim avec les gousses des pourceaux.
e – Il est évident que Shakespeare a employé la même comparaison dans Cymbeline, acte Ier, sc. 7 :« The cloyed will,
That satiate, yet unsatisfied desire,
That tub both filled and running. »