« Je suis le vrai cep et mon Père est le vigneron. Demeurez en moi et je demeurerai en vous. » (Jean 15.1-4). Ces paroles, le Seigneur Jésus les a prononcées pour nous faire entendre le rapport qui doit l’unir à ses disciples et ses disciples à lui. Il n’est aucun maître pour vouloir entre ses disciples et lui un rapport de dépendance absolue. Plus, au contraire, un maître sera digne de ce nom, et plus il fera que son enseignement affranchisse au plus tôt ses disciples de son autorité personnelle et les rende capables de se suffire à eux-mêmes. Jamais il ne lui viendra à la pensée qu’ils ne peuvent être ses disciples, qu’à la condition de contracter envers lui une dette de reconnaissance qui toujours les oblige à chercher le secret de la vie, de l’inspiration, de l’honneur, en recourant toujours à sa parole. Tout au contraire, le maître digne de ce nom s’efforce de faire, oublier le plus possible sa personne pour lui substituer la vérité et la faire aimer comme infiniment plus que tout ce qu’il peut être et sera jamais. Jésus seul fait exception à la règle. Il se présente comme le cep et les disciples comme les sarments. Il veut que les disciples lui restent unis dans un rapport de dépendance permanente. Il est, nous dit-il, le maître divin qui a les paroles de la vie éternelle. S’il veut cette permanence, c’est qu’il est leur sauveur, c’est-à-dire celui qui, pour eux, possède dans sa plénitude à lui seul, les mystères et les trésors de la vie véritable. En représentant son Père comme le vigneron qui purifie les sarments afin qu’ils portent plus de fruits, il fait de la providence l’auxiliaire qui travaille avec lui et pour lui, afin de lui amener des disciples, de les lui consacrer, de les rendre capables d’entendre sa parole et de vivre avec lui, leur sauveur, dans une communion indissoluble. Pour comprendre toute la différence de la pédagogie du Sauveur à celle des hommes, nous n’avons qu’à comparer à la méthode du Christ celle de Socrate, le pédagogue par excellence. Socrate, le grand instituteur, part du principe : que le bon et le vrai sont dans toute âme humaine à l’état inconscient et latent. D’après ce principe, l’homme n’a qu’à se recueillir et à rentrer en lui-même pour se retrouver et se ressaisir dans le vrai et le bien. L’acquisition d’une connaissance nouvelle n’est donc pour lui qu’une réminiscence, un talent qu’il retrouve dans la vraie substance de son être ; en d’autres termes, il croit que pour découvrir la vérité, il suffit à l’homme d’apprendre à se connaître, à se voir tel qu’il est. La pédagogie, pour Socrate, se réduisait donc à l’art de faire accoucher ses auditeurs des vérités cachées qu’ils portent en eux ; et sa seule ambition était pour leur apprendre à se suffire à eux-mêmes. Pour le païen qui ignore les vérités révélées et ne sait rien de la rédemption, il n’y a plus que des vérités générales et rationnelles ; à ce point de vue, la pédagogie de Socrate reste la seule possible. Le Seigneur Jésus apporte, au contraire, à ses auditeurs une vérité qu’ils sont incapables de trouver en eux-mêmes, la révélation des choses que l’œil n’a point vues, que l’oreille n’a point entendues et qui ne sont pas montées au cœur de l’homme (1 Corinthiens 2.9). Ce n’est donc pas seulement une vérité nouvelle, mais une vie nouvelle qu’il veut leur communiquer ; mais cette vie ils ne peuvent la comprendre et se l’approprier qu’en se donnant à lui et en vivant dans sa communion à lui. Pour ses disciples, il n’est donc qu’une seule place possible : rester à ses pieds, pour toujours lui emprunter et toujours s’assimiler ce qu’il lui plaît de leur donner.
Si les disciples du Christ peuvent rester en communion avec leur maître, alors qu’il les a quittés, et si nous à notre tour, nous pouvons avoir accès à cette communion, quoiqu’il y ait des siècles entre lui et nous, si pour eux, comme pour nous, cette communion reste toujours accessible et permanente, c’est qu’entre lui et nous, il y a sa résurrection et son ascension qui suppriment les siècles qui voudraient nous en séparer. En vertu de cette résurrection, il est donc le Christ toujours vivant, le chef et la tête de l’Eglise et par les moyens de grâce qu’il a institués et dont il dispose, il est toujours avec les siens dans une communion toujours plus intime et plus complète. Il importe donc que nous retenions les paroles qu’à l’heure du départ il adressait à ses disciples : « Il vous est avantageux que je m’en aille, car si je ne m’en vais, le consolateur ne viendra pas vers vous (Jean 16.7). Quand le Seigneur restait présent pour ses disciples sous une forme corporelle, ce n’était qu’extérieurement et au sens matériel qu’ils pouvaient être ses disciples et le suivre. Mais à partir du jour de la Pentecôte, véritablement ils devinrent ses disciples, ses sectateurs et ses imitateurs ; alors vraiment entre eux et lui, la communion put se faire un acte, un état d’âme intime et permanent. Ce n’est qu’alors que pour eux, l’histoire évangélique s’anime et devient une chose vivante, une réalité vécue (Jean 16.14 ; 17.23 ; Galates 4.19). Grâce aux directions de l’esprit, ils peuvent enfin suivre la voie que le Seigneur leur a tracée. Cette voie devient la leur et pour eux elle fait resplendir l’image idéale que le Christ leur a laissée. Et malgré les circonstances extraordinaires qui caractérisent la situation des premiers disciples auprès de leur maître, la nôtre et celle de tous ceux qui viendront après nous restent essentiellement les mêmes. Car ce qui fait le Christianisme c’est qu’il est, non pas seulement l’œuvre toujours actuelle et toujours vivante du Christ, mais le Christ lui-même toujours présent, disposant des grâces et des dons du Saint-Esprit pour conquérir de nouveaux disciples et toujours revivre la vie qu’il a vécue au passé autrefois sur la terre.
Ce n’est que dans l’Eglise et par elle que peut s’accomplir l’œuvre du Christ glorifié. Et la perpétuité du baptême que représente et qu’administre l’Eglise, est en même temps le signe et la condition de son œuvre qui toujours subsiste et se poursuit pour de nouvelles conquêtes et dans des épreuves toujours renaissantes. La vie nouvelle en Dieu et par son saint Fils à laquelle nous initie le baptême, tout en nous communiquant cette grâce intime et cachée, nous met en possession des mystères qui préparent pour la vie éternelle. A pratiquer ces saints mystères, on apprend à connaître toute la distance qui sépare le Christianisme du paganisme. Le paganisme, lui aussi, n’était pas sans avoir ses mystères. Ils exerçaient même une influence tout autrement considérable qu’on le croit, en promettant à leurs adhérents une connaissance et une vie plus élevées.
A ce titre, les mystères d’Eleusis dont nous avons déjà eu l’occasion de nous entretenir, méritent une mention toute spéciale. Ils étaient comme une religion rivale et dissidente, au regard de la religion officielle ; et cependant, ils n’avaient nullement l’intention de la contredire ou de la détruire. Ils voulaient seulement en faire connaître à leurs initiés le sens profond et caché. Leur prétention première était uniquement pour leur dispenser les choses divines au sens le plus élevé et le plus vrai. Ils entendaient les rapprocher toujours plus de la divinité, en les introduisant dans un milieu inaccessible aux préoccupations et aux prises de la vie ordinaire. Tous ceux qui aspiraient à l’initiation devaient donc s’y préparer par des épreuves et des purifications difficiles et multipliées, car on ne pouvait s’approcher du mystère qu’avec des mains nettes et un cœur pur. Ces purifications étaient tout autant de précurseurs inconscients pour annoncer et préparer la grande initiation aux mystères sacrés que le Seigneur Jésus devait nous révéler. Nous voulons dire le mystère de la grâce et du péché, de la vie et de la régénération, de la mort et de la résurrection que représente le grain de blé. Semé corruptible, il ressuscite incorruptible, il est le mystère de l’humiliation dans la douleur et de la gloire dans la félicité suprême. Nous pouvons ici constater que, contrairement à la religion des mystères, le Christianisme, la grâce salutaire de Dieu, n’est pas pour un peuple seul ou, dans ce peuple, pour une classe particulière, mais pour tous les hommes. Ce besoin et cette tendance à l’universalisme est le caractère qui le plus le distingue de toutes les autres religions. Aussi les mystères du Christianisme ne sont en contradiction ni avec la religion d’un peuple chrétien ni à l’usage exclusif d’une caste à part. Bien loin, au contraire, de contredire à cet universalisme, le Christianisme veut le réaliser, et le faire toujours plus universel. Tel est le sens de ce commandement du Seigneur : « Allez et enseignez toutes les nations ! Faites les nations mes disciples et baptisez-les au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit » (Matthieu 28.19). Par le fait même que l’Eglise de Christ veut être pour tous les peuples l’Eglise universelle, elle est l’Eglise du peuple de la multitude. Et dans cette Eglise, le baptême doit appartenir aux petits enfants, car il faut que l’enfant grandisse sous l’influence et au profit de la discipline chrétienne et soit incorporé dès l’entrée de sa vie dans l’assemblée des disciples. Par le fait même de son culte et de son enseignement, le Christianisme veut la plus complète publicité. Son Évangile est la bonne nouvelle, il doit être prêché du haut des toits. Elle est donc naturellement amenée à baptiser les grandes masses et à livrer à tous, même aux enfants, ses vérités les plus sublimes. Dans de pareilles conditions, on pourrait donc croire que les mystères chrétiens vont être livrés sans défense aux profanations de la foule. Mais il faut se rappeler que cette Eglise qui veut être universelle et qui ne peut vivre qu’au grand jour, n’est qu’une image de la grâce, un symbole et qu’un symbole protège la vérité, tout en la dévoilant aux regards de tous. Si elle est admirable, la charité chrétienne qui prodigue à tous la vérité, et sous la forme du bon grain la jette, à pleines mains, sur toutes les grandes avenues, au risque de la voir fouler aux pieds des passants ou ravie par les oiseaux du ciel, elle est encore plus redoutable, la loi qui protège la vérité contre toutes les atteintes indiscrètes. Nul, sans cette même charité qui semble la prodiguer ne pourra jamais la comprendre. Ce n’est pas la charité seule, c’est aussi la liberté qui protège le mystère contre le contact profane. Nul ne peut, en effet, s’élever à la connaissance et à la possession de la vérité, que par le fait d’un acte de volonté qui est à la fois un acte de liberté et d’abnégation. En d’autres termes, la grâce salutaire du baptême ne se fait effective, et l’on n’est définitivement reçu au nombre des disciples, que par un acte de foi vivante et personnelle. C’est encore aujourd’hui que Jésus peut dire à ses disciples : « Il vous est donné à vous de connaître la vérité, mais quant aux autres, je ne puis leur parler qu’en paraboles » (Luc 8.10). Pour tous ceux, en effet, qui ne sont pas parvenus à une foi vivante et personnelle, le Christianisme, la doctrine chrétienne et son culte, ne sont, après tout, qu’une immense parabole. Et de cette parabole, ils n’ont que la lettre, l’enveloppe grossière et morte, et ils ne peuvent pas en saisir la pensée intime et profonde. On peut bien dire que la lumière de l’Évangile éclaire ces masses grandes et profondes que l’Eglise baptise et consacre, mais qu’en même temps cette lumière n’est que pour le véritable croyant. Le mystère de la vie est exposé à tous, mais il n’en est pas moins le trésor caché dans un champ qu’il faut découvrir, la perle de grand prix que nul ne peut posséder si, au préalable et pour elle, il ne sacrifie tous les trésors qu’il possède. Ces grandes masses populaires nous rappellent les foules dont nous parle l’Évangile ; elles s’assemblaient un jour aux pieds du Sauveur et le lendemain l’abandonnaient, elles allaient et venaient n’emportant qu’une impression superficielle qui jamais ne devint une foi personnelle et un lien permanent entre elles et le Seigneur. Mais du milieu de ces foules on voit sortir le petit troupeau, quelques hommes et quelques femmes qui ne quittent jamais le Sauveur et se donnent à lui pour vivre et pour mourir. Ces rares élus qui alors suivaient le Seigneur représentent les disciples de tous les temps qui, prenant au sérieux l’œuvre de la sanctification, se sont faits ses véritables et persévérants sectateurs.
Ce n’est qu’en ce sens qu’il peut être question d’un Christianisme ésotérique et exotérique, d’un Christianisme pour les profanes et d’un Christianisme pour les initiés véritables. Mais cette distinction ne peut se faire qu’au nom de la foi et pour son édification. Les différences de l’intelligence et de l’instruction n’ont rien ici à voir, et les vérités nécessaires au salut restent les mêmes pour les savants et pour les ignorants. Les croyants ne doivent se distinguer de la multitude que par la supériorité de leur foi ; et il faut que cette supériorité les amène à reconnaître toujours plus que la seule différence qui les sépare de leurs frères, c’est qu’au lieu de recevoir comme eux la religion des mains de la tradition, ils ne la possèdent que par l’influence du Saint-Esprit et sur le témoignage de leur expérience personnelle. Ils n’ont donc aucun motif de se séparer de la religion multiduniste et ils seraient coupables de le faire. La séparation n’aurait pour eux d’autre raison d’être que la prétention à se croire d’une religiosité meilleure que celle de l’Eglise visible. Et de plus, en infligeant à l’Évangile les allures louches du mystère et le secret des loges maçonniques, elle porterait une grave atteinte à la largeur toujours lumineuse et droite de la vérité chrétienne. Les disciples, ceux qui suivent véritablement le Sauveur n’auront donc d’autres mystères, d’autres moyens de grâce que ceux qui sont pour tous et à la portée de tous. Et ils ne veulent se distinguer de la foule que par une foi plus humble et plus personnelle. Et tous ceux qui croient par la grâce de la foi personnelle, plus que tous comprennent le respect que toujours appelle le mystère de la foi, car quoique hautement et publiquement proclamé, il reste toujours lettre close pour le profane (1 Timothée 3.16 ; 1 Corinthiens 2.14).
La foi est un acte de la libre volonté de l’homme, mais il ne faut pas oublier qu’en dernier ressort elle est l’œuvre de la grâce divine. Cette œuvre de la grâce qui nous fait entrer dans un rapport personnel avec le Seigneur Jésus peut s’appeler le réveil. Elle fait sortir l’homme d’un état de rêve et de sommeil. Celui qui, dès son enfance, a vécu sur la foi d’un Christianisme traditionnel, a besoin que tout-à-coup intervienne l’heure du réveil qui l’oblige à se reconnaître, à se voir tel qu’il est et à se demander ce que lui donne son Christianisme et ce qu’en retour, il faut qu’il lui donne. Dans une époque comme la nôtre, époque de fermentation et de crise, de transformation et de dissolution, et l’on peut dire d’indifférence et d’apostasie, où si volontiers chacun se prend à suivre sa propre voie, on a plus que jamais besoin qu’un acte de la grâce intervienne pour nous ramener à celui que, si facilement et à notre insu, nous pourrions abandonner. Ce réveil, aujourd’hui comme toujours, ne peut s’accomplir que par la parole du Christ. Mais au service de cette parole, la grâce divine fait également concourir les circonstances de notre vie intérieure, tout aussi bien que celles qui semblent ne concerner que notre milieu social. Si nous nous reportons aux premiers disciples, nous voyons qu’ils furent réveillés par les prédications de Jean-Baptiste, mais qu’aux influences de cette parole, vinrent se joindre celles de l’époque qu’ils traversaient. Alors que le prophète leur parlait, leur patrie asservie sous le joug étranger, incapable de se relever et de s’affranchir elle-même, leur faisait entendre plus ardent que jamais l’appel qui conjurait tous ses enfants à tenter l’héroïque effort de la délivrance suprême. Tous ceux qui étaient jeunes ressentaient comme eux les mêmes tristesses et les mêmes impatientes aspirations. Bien souvent, l’histoire nous le fait voir, les détresses morales d’un siècle ont exercé sur les âmes, et les meilleures, l’influence décisive qui précède l’appel d’En-Haut. Et si à l’époque de la Réformation et de nos jours encore, il y a eu tant d’âmes chez lesquelles se sont éveillés le désir et le besoin du Royaume qui ne peut être ébranlé, après la Parole de Dieu, on ne peut imputer cette miséricordieuse impression qu’aux secousses et aux convulsions qui ont ébranlé sous leurs pas le sol de la patrie, les condamnant, témoins impuissants et impatients, à subir la ruine de tout ce qu’ils aimaient et de tout ce qui humainement devaient les garder et les protéger. Mais si bien souvent elles ont été de puissants prédicateurs de réveil, les grandes secousses sociales, les anges de la peste et de la guerre, leurs représentants ordinaires, nos circonstances particulières ne sont pas non plus sans exercer une influence décisive sur nos destinées immortelles. Et celles que les premières nous avons à signaler sont surtout les épreuves, les déceptions les deuils qui éveillent en nous le sentiment du néant et de l’instabilité des choses d’ici-bas. Car toujours ce sont ceux qui se sentent fatigués et chargés sous le joug de l’épreuve qui soupirent après le sauveur. A parler ainsi, nous ne pensons pas seulement aux longues et douloureuses épreuves, mais surtout à ces catastrophes inattendues qui, soudaines et rapides comme la foudre, traversent et bouleversent une existence. Ce fut, à la lettre, un coup de foudre qui, retentissant sur la tête de Luther, vint éveiller en son âme le sentiment de la mort et du jugement. En même temps que les accidents et les événements du dehors, le péché lui-même peut se faire un sérieux avertisseur. Souvent une lourde faute qui surprend et entraîne celui qui ne sait pas prendre garde, suffit pour lui ouvrir les yeux et lui faire sentir toute l’étendue de sa misère. Les fautes qui se commettent autour de nous peuvent aussi avoir le même résultat et exercer sur nous une salutaire frayeur en nous dévoilant la profondeur du mal que si volontiers nous oublions. L’enfant prodigue, Marie-Magdeleine, sont des exemples dont l’influence jamais ne saurait être oubliée. Les souffrances et les amertumes de la vie qu’ont provoquées nos fautes personnelles ne sont pas les seuls agents de la grâce ; les rencontres bénies, les influences de l’exemple chrétien, peuvent aussi faire entendre la voix du réveil. Mais Dieu réserve ses meilleures grâces au ministère de sa parole. L’exemple de Philippe qui rencontre l’eunuque de la reine de Candace et lui explique la Parole sainte, suffira pour faire entendre notre pensée (Act. ch. 8). Combien d’autres ont été convertis, grâces à des relations personnelles qui leur ont fait connaître l’intimité d’un disciple que le Seigneur venait d’amener à sa connaissance et dont la seule attitude lui rendait témoignage. (Jean 1.40). Et pour ne citer qu’un seul exemple de ce genre, combien de femmes qui, selon la recommandation de l’apôtre, par leur seule attitude et sans la parole ont converti leur mari ? (1 Pierre 3.1).
Les événements de la vie intérieure, les impressions de l’âme répondent bien souvent à nos circonstances extérieures. Combien de chrétiens qui n’ont été convertis que par des impressions exclusivement personnelles ? C’est une image, un souvenir qui souvent revient toujours le même et laisse un trouble profond, une tristesse que rien n’explique et qui, cependant, ne nous laisse plus trouver le moindre plaisir aux distractions et aux fêtes du dehors. On ne peut, non plus, se le dissimuler, dans le cœur de tout homme, il y a une arrière-pensée qui veille, toujours attristée et que nos efforts ne parviennent jamais à dérober aux regards du monde. De ce trouble intérieur, de cette mélancolie toujours vivante procède le besoin d’un sauveur. On cherche, on demande quel il peut être, et cette sainte inquiétude devient la cause du réveil. En chacun de nous, ce drame intérieur se retrouve toujours le même quoique toujours revêtant les formes les plus diverses. Pour les uns, c’est le besoin d’une révélation capable de répondre avec certitude à cette éternelle question : Qu’est-ce que la vérité ? Les illusions, les déceptions de ce monde, pas plus que les séductions de notre pauvre cœur, ne peuvent réduire au silence, ni étouffer cet irrépressible désir. Pour d’autres, au contraire, c’est le besoin de la réconciliation avec Dieu, la rédemption de notre âme, le pardon des péchés. Il est le plus vif de tous. Il suppose toujours le besoin de la révélation, mais en se le subordonnant. Car à quoi pourrait bien me servir de connaître la vérité si, en définitive, Dieu venait à me rejeter ? Que de nobles âmes qui, sous l’effroi de la condamnation et du péché, malgré tous leurs efforts ne parviennent à se faire qu’un idéal moral qui ne vaut que pour irriter la conscience de leur défaite et de leur impuissance ? Plus elles s’inclinent sous la loi et plus elles sentent son aiguillon pénétrer dans leur chair. Et leurs larmes les meilleures ne valent que pour leur apprendre que la loi est impuissante pour donner un nouveau cœur, l’amour du bien, la joie et le pouvoir de l’accomplir. Aussi la vie, pour elles, a toujours été le fardeau qui meurtrit et provoque l’amertume et l’effroi. Telle fut l’histoire de Luther dans son couvent. Un vieux moine sut faire rentrer la paix dans son cœur désolé en lui rappelant la parole du symbole « Je crois à la rémission des péchés ». Il en est d’autres pour lesquels le besoin d’un rédempteur se confond avec celui d’une affection grande et sûre, capable de protéger et de bénir. Ils se sentent perdus, isolés dans le vaste monde, ils veulent une affection à laquelle ils puissent tout entiers s’abandonner et qui ne les abandonne pas. Et ce désir, pour eux, aussi ardent que celui de la soif qui appelle la coupe qui désaltère, qu’ils le sachent ou non, ce désir revient à demander une place à l’ombre du tout puissant, une retraite dans son sanctuaire que jamais plus ne puissent nous ravir les agitations et les troubles de la terre. Les hommes que n’a encore fait tressaillir aucun de ses nobles désirs n’ont pas besoin d’un sauveur, leur heure n’a pas encore sonné.
Les biographies et les confessions chrétiennes qui racontent comment, au milieu du trouble de sa pensée, au travers des voies qui incessamment se contredisent, des déceptions qui l’égarent, un chrétien parvient à trouver son Sauveur, ou plutôt comment son Sauveur l’a trouvé, si elles sont écrites avec simplicité et vérité, sont de véritables documents humains, toujours d’un particulier et vivant intérêt. En nous montrant combien sont diverses les voies de Dieu et les voies de l’homme, elles s’entendent toutes à nous dire qu’il n’est en définitive qu’un seul chemin, le même pour tous, qui ramène à Christ. Parmi les confessions les plus remarquables, les plus à lire, il faudra toujours citer celles de saint Augustin. Elles forment le plus curieux contraste avec celles du célèbre Rousseau. Les confessions du philosophe sont écrites au point de vue du faux libéralisme et d’un style enchanteur qui toujours vous éblouit et vous entraîne. Mais elles ne savent qu’étaler un égoïsme menteur et vulgaire, une incurable et désespérante vanité. Elle a beau revêtir toutes les formes et toutes les séductions, elle n’en est pas moins attristante, car il reste désespérément vulgaire, l’idéal qu’elle évoque ! Cet idéal et cet égoïsme toujours aux prises, toujours se cherchent et nous égarent dans un labyrinthe sans issue. On sort de cette lecture, l’âme froissée et lassée par les confidences qui l’ont obligée à descendre dans les bas fonds les plus souillés d’un monde interlope. Elles nous laissent en présence de demi-vérités, se heurtant à de colossales erreurs, de rayons lumineux qui ne jaillissent que pour faire les ténèbres plus épaisses et plus noires. Et on dirait que l’auteur se complaît aux rencontres les plus malsaines, car il s’arrête et les décrit complaisamment et des couleurs les plus chatoyantes. Mais on a beau le suivre, sur ses traces, on ne peut que s’égarer sur une voie sans issue et qui n’a d’autre aboutissant que la plus sombre des impasses. Dans les confessions de saint Augustin c’est encore un labyrinthe que nous rencontrons, des idées et des aspirations qui se contredisent et qui troublent. Mais au travers de ces contradictions, nous voyons bientôt se faire la voie qui ramène l’âme à son Dieu, car c’est l’homme racheté qui nous fait revoir ses égarements passés, les sentiers qu’il a suivis avant de trouver celui qui conduit à la paix. Dans l’histoire de sa conversion, les étreintes du péché et celles de la pensée exercent les unes et les autres la même et décisive influence. L’on peut dire que pour lui le besoin de l’intelligence qui appelle la vérité et celui de la conscience qui invoque le pardon, furent également et douloureusement ressentis. Sa soif inextinguible et toujours ardente pour la vérité lui fit parcourir les uns après les autres tous les systèmes qu’a conçus la sagesse humaine pour tromper ou pour apaiser le besoin et le tourment de la vérité. Mais aucun d’eux ne put lui donner la paix qu’il cherchait. En même temps les âpres convoitises d’un tempérament toujours inassouvi et toujours tourmenté, lui infligeaient dans toute son humiliante amertume, la conviction de son impuissance. Une fois convaincu de son indignité, de sa misère morale, de son irrémédiable perdition, les exhortations, les prières et les larmes de sa mère, l’éloquence de saint Ambroise, la lecture de l’Ecriture sainte et le bruit d’un monde qui s’écroulait dans la luxure et sous les coups de l’invasion barbare, l’eurent bientôt amené aux pieds du Sauveur. Au sortir de cette tourmente, lui, le tison arraché du feu, devint la grande lumière de l’église d’Occident, l’éloquent interprète de la doctrine du péché et de la grâce. Si diverses que puissent être toutes les conversions, si divers également les moyens qui les ont accomplies, il est une chose cependant que toutes mettent en évidence et que toutes attestent avec la même autorité, c’est l’impuissance radicale de l’homme pour accomplir sa destinée. A cette impuissance, le monde n’a rien à opposer. Tel est le témoignage que font entendre tous ceux qui, au temps ancien et de nos jours, nous ont décrit l’histoire morale de l’homme.
Tous ils s’entendent pour nous attester que Jésus n’est pas seulement le modèle, mais qu’il est le Sauveur et que c’est lui qui est l’idéal suprême de l’âme humaine et lui seul qu’elle cherche.
Le réveil n’est possible que dans la conversion que produit la repentance. Pour être efficace, cette repentance doit pouvoir dire et faire : « Je me lèverai et m’en irai vers mon père » (Luc 15.18). Elle est non seulement l’amertume et la conscience du péché, mais la rupture avec tout un passé mauvais et pécheur, un acte par lequel nous renions et répudions tout le passé vécu sans Dieu et contre lui, la déchirure entre tout ce que nous avons été au passé et tout ce que nous voulons être à l’avenir. Le réveil ainsi compris a toujours pour conséquence la nouvelle naissance. Elle seule nous fait être une personnalité nouvelle. Mais cette nouvelle naissance ne peut jamais s’accomplir, sans qu’en même temps, la grâce intervenant s’unisse à notre liberté et devienne le principe et l’expression d’un caractère nouveau se substituant à notre caractère ancien. Le réveil qui ne serait que le réveil, une crise inconsciente, est incapable de procréer une vie morale. C’est ce que prouve avec une trop douloureuse évidence la vie de beaucoup de convertis. Ils se sont crus des hommes nouveaux alors qu’ils n’avaient fait que traverser des émotions et des circonstances infiniment plus pathologiques que morales. Pour entendre cette vérité, il nous suffira de nous rappeler que la véritable régénération ne commence que quand la foi justifiante devient le principe, ou pour mieux dire, la force qui se fait pour nous la grâce de Dieu et substitue à notre caractère ancien un caractère nouveau, point de départ d’un développement continu et progressif. En d’autres termes, la nouvelle naissance est pour le chrétien ce que l’incarnation a été pour le Christ. A la sainteté parfaite du Christ, en nous et pour notre part, correspond le pardon de nos péchés. A l’affiliation divine qui appartient au Christ par droit de naissance, pour nous répond l’adoption filiale que nous recevons par grâce et par le moyen de la foi justifiante. Cette nouvelle naissance marque la date de notre entrée au service de Christ et de notre affiliation à l’élite qui le suit.