Les deux anges entrent dans Sodome sous la figure de voyageurs. Les dispositions de Lot et des Sodomites allaient paraître par l’accueil qu’ils y recevraient. Lot était assis à la porte de la ville, sur la place qui se trouvait à l’intérieur, et où se tenaient les assemblées du peuple et se rendait la justice. Seul, il souhaite la bienvenue aux étrangers et leur offre l’hospitalité, comme avait fait Abraham. Il ne les connaissait pas ; c’est sans le savoir qu’il reçoit les envoyés de Dieu. Mais il pressent en eux je ne sais quoi de vénérable et de saint. C’est pourquoi il se prosterne si profondément et leur parle avec tant de respect ; il les reçoit au nom du Seigneur dont il reconnaît en eux des serviteurs. Lorsqu’ils parlent de passer la nuit dans la rue, il craint que les méchants ne leur fassent quelque mal ; il les héberge de son mieux, et pendant le repas, il leur exprime sans doute sa tristesse au sujet de la conduite des Sodomites. « Ce juste demeurant parmi eux affligeait chaque jour son âme juste, à cause de ce qu’il devait voir et entendre de leurs méchantes actions » (2 Pierre 2.8).
Il semble qu’il y eût eu ce jour-là quelque fête ou réjouissance populaire qui avait mis, lorsque vint la nuit, les habitants dans un état d’excitation et presque de folie. Une pensée diabolique s’empare d’eux avant qu’ils se séparent. Grands et petits, jeunes et vieux, se rassemblent pour forcer la maison de l’étranger délesté, et pour l’outrager en faisant périr ses hôtes de la façon la plus odieuse. Lui logeait des anges sans le savoir ; eux ne se doutent pas que c’est contre des anges de Dieu qu’ils entreprennent un crime abominable. C’est la conséquence et la juste punition de leur vie criminelle. La situation de Lot, en face de cette multitude furieuse, était désespérée. Son offre de livrer ses propres filles à ces misérables n’était sans doute pas sérieuse ; elle avait pour but de gagner du temps. Mais si les anges de Dieu, qui sont plus forts que les hommes, ne l’eussent protégé, c’en était fait de lui et de sa famille. Les anges le sauvent dans la maison, en ferment l’entrée, et les impies, frappés d’éblouissement, cherchent en vain la porte dans la nuit obscure, épuisent leur fureur et finissent par se disperser.
Par ce grand crime, les Sodomites comblent la mesure de leurs iniquités. Mais en quoi consistaient ces iniquités antérieures, qui les avaient menés si loin ? Le prophète Ezéchiel nous donne la réponse : « Voici, dit-il au peuple rebelle de Juda et de Jérusalem, quel a été le crime de Sodome, ta sœur : elle avait de l’orgueil, elle vivait dans l’abondance et dans la sécurité, elle et ses filles (les villes voisines) ; mais elles n’aidaient pas au malheureux et à l’indigent ; elles étaient fières et elles commettaient des abominations devant moi. Je les ai détruites, quand j’ai vu cela » (Ézéchiel 16.49-50). La fertilité de leur pays et l’abondance des biens matériels leur avaient été en piège. Le bien-être avait engendré d’un côté l’orgueil, la sécurité charnelle, le mépris de la Parole divine (qu’ils pouvaient entendre de la bouche d’Abraham et de Lot) ; de l’autre, la dureté envers les pauvres et des péchés abominables. Le temps de la grâce était maintenant passé pour ces méchants. Aucun appel, aucun avertissement ne leur est plus adressé. Les anges révèlent à Lot seul ce qui va arriver, et Dieu offre aussi la délivrance aux membres de sa famille. Mais lorsqu’il en parle à ses gendres, qui, sans doute, étaient parmi les meilleurs habitants de Sodome, cela leur paraît ridicule. Image trop fidèle de l’état spirituel de tant de chrétiens qui ont oublié leur Dieu ! Les Sodomites n’avaient ni l’Evangile, ni même la loi mosaïque, mais seulement la tradition morale et religieuse qui s’était transmise depuis. Noé. Ils avaient dissipé cet héritage, et ils en étaient au point qu’il ne restait plus pour eux que le jugement. Que faut-il attendre pour des peuples chrétiens qui ont reçu l’Evangile et qui foulent aux pieds ses bienfaits célestes ? Qu’on se rappelle les reproches de Jésus aux villes où il avait fait la plupart de ses miracles, et qui ne s’étaient pas converties : « Si de tels miracles eussent été faits à Sodome, elle subsisterait encore aujourd’hui ; c’est pourquoi je vous dis que les gens de Sodome seront traités moins rigoureusement que vous, au jour du jugement » (Matthieu 11.20-24). Le sort de cette ville est pour nous un redoutable avertissement. Abraham devra le raconter à ses enfants. Ceux qui l’entendront, craindront. Il est du devoir des serviteurs de Dieu d’annoncer hardiment aux impénitents les châtiments temporels et éternels.
« Mes paroles sont bonnes pour celui qui marche avec droiture » (Michée 2.7). Au milieu même du jugement, l’Eternel se souvient de sa miséricorde. Il n’oublie pas le seul juste qui fût encore dans les villes de la plaine ; il ne tient pas pour rien l’hospitalité offerte à ses envoyés ; il a résolu d’épargner Lot, et les anges ont reçu dans ce sens des ordres formels. Parce qu’il se réfugie dans la petite ville de Tsoar, elle ne périra pas. « Hâte-toi, et sauve-toi là, lui dit l’ange, car je ne puis rien faire jusqu’à ce que tu y sois entré. » Cette bonté de Dieu envers lui et les siens paraît d’autant plus grande qu’ils montrent moins d’empressement à sauver leur vie. Il n’était que temps, et Lot tardait encore à fuir ; alors les anges le prennent par la main, ainsi que sa femme et ses filles, et le font sortir de la ville. « Ne regarde pas derrière toi, disent-ils, et ne t’arrête en aucun endroit de la plaine ; sauve-toi sur la montagne, de peur que tu ne périsses [note 22].
Appliquons tout cela à nous et à notre temps. Ne trouvons-nous pas trois sortes de personnes dans la chrétienté actuelle ? D’abord une foule d’hommes qui ne s’inquiètent pas de Dieu et ne veulent pas entendre parler de son jugement. Ils ressemblent aux gens de Sodome. Puis d’autres, qui tiennent encore à la foi chrétienne et qui craindraient d’imiter les péchés grossiers du monde, mais qui ne sont, pour ainsi dire, que des chrétiens à demi formés. Ils ne marchent pas dans la pleine lumière de la connaissance de Dieu ; ils ne recherchent pas de toutes leurs forces les trésors célestes ; ils croient encore pouvoir concilier l’amour de Dieu et l’amour du monde. Le type de ces gens-là, c’est Lot avec sa femme et ses filles. Des troisièmes, enfin, qui ont les sentiments de Jésus-Christ, qui marchent avec Dieu et recherchent l’héritage incorruptible et la cité céleste, qui persévèrent dans la prière et dans l’intercession, et qui parviennent, par la grâce de Dieu, à la pleine stature de l’homme fait, en Christ. — Quelle est donc notre tâche spéciale ? Par sa grâce prévenante, Dieu nous a tirés du milieu de la foule qui ne le connaît pas. Il s’agit maintenant de savoir si nous en resterons au même point que Lot et sa famille, ou si, quand le Seigneur viendra, nous serons reconnus de lui pour être de vrais enfants d’Abraham. Nous devons vivre dans le Seigneur de telle sorte que l’entrée de son royaume puisse nous être largement ouverte. Lot représente les tièdes, ceux qui, pareils à l’Eglise de Laodicée, seront encore, bien qu’avec peine, sauvés dans la grande tribulation, comme le tison arraché du feu. Mais, pendant qu’il fuit de Sodome en flammes, Abraham, debout sur la hauteur sacrée où il a parlé avec le Seigneur, voit à ses pieds les villes de la plaine, d’où monte la fumée de l’incendie. Il est à l’abri du jugement ; il est le type des fidèles qui se tiendront avec l’Agneau sur la céleste montagne de Sion, et qui y entonneront le cantique nouveau, pendant que sur la terre s’accomplira la chute de Babylone et le jugement des adorateurs de l’Antéchrist (Apocalypse 14.1-11).
Ne méprisons pas, affermissons plutôt notre haute vocation ; que nul ne se dise : Pourvu que je trouve grâce comme Lot et que j’obtienne une toute petite place au ciel, cela me suffit ! Non ; en renonçant à nous rendre dignes du prix de la vocation céleste, nous courons grand risque de tout perdre, et notre sort pourrait bien ressembler à celui de la femme de Lot, plutôt qu’à celui de Lot lui-même. C’est à ses disciples que le Seigneur a dit : « Souvenez-vous de la femme de Lot » (Luc 17.32). La Sapience de Salomon (Sagesse 10.7) parle de cette statue de sel qui est là « en mémoire de cette âme impénitente. » Aujourd’hui encore s’élève sur les bords de la mer Morte un rocher de sel qui rappelle la mort de cette malheureuse femme que les messagers célestes avaient entraînée hors de la ville maudite, et qui dut néanmoins périr misérablement avec les impies [note 23]. Grâce à la foi et aux exhortations de son mari, grâce à l’aide et aux instances des anges, on pouvait la croire sauvée ; mais elle reste à mi-chemin, et tout ce qui a été fait pour elle devient inutile. Elle regarde en arrière vers Sodome ; son désir d’être sauvée n’est donc pas bien sérieux ; son cœur tient encore aux biens et aux jouissances de Sodome. S’il en est parmi nous qui manquent de vrai sérieux et dont le cœur soit ainsi partagé, qu’ils sachent qu’il risque de leur arriver comme à la femme de Lot ! Ce péril existe pour nous, si c’est moins par l’action de la grâce que par l’exemple de nos parents ou par les exhortations des serviteurs de Dieu, que nous avons été conduits à rechercher la société de ceux qui attendent du ciel le Rédempteur. Qu’il y ait dans chacun de nos cœurs un réel sérieux ; ne soyez ni paresseux ni hésitants ; n’attendez pas que les serviteurs de Christ vous pressent et vous contraignent, car cela pourrait ne pas réussir, comme pour la femme de Lot. Ne laissez pénétrer en vous ni une froideur secrète envers le Seigneur, ni un amour caché pour les délices passagères du péché ; laissons un amour ardent et pur pour Celui qui nous a aimés le premier et qui nous aime à cette heure, qui nous épargne et nous prépare pour la gloire, s’emparer de notre âme tout entière !
C’est l’amour pour le monde plongé dans le mal, qui a fait de la femme de Lot une statue de sel ; ses membres se roidirent, elle ne put plus avancer, elle demeura pétrifiée. C’est ainsi que la vie spirituelle s’engourdit, que l’on perd la force de marcher dans la voie du Seigneur, que l’âme devient froide et morte, quand on reporte aux choses que le Seigneur condamne et abhorre, l’attachement et l’amour qui n’appartiennent qu’à lui. « Souvenez-vous de la femme de Lot ! » Ne regardez pas en arrière, mais en-haut, à la sainte montagne où le Seigneur nous attend ; soyez intérieurement détachés de tout ce que vous ne pourrez pas emporter avec vous quand il viendra !
Cette histoire à jamais mémorable nous apprend encore une chose à laquelle le monde ne prend pas garde et qu’il ne veut même pas savoir. Sodome et Gomorrhe, Adma et Tséboïm, ont été épargnées tant qu’elles comptaient encore dix justes ; tant qu’il y en eut seulement un, l’Eternel retint ses châtiments. Les enfants de Dieu sont donc bien le sel de la terre. Nos cités et nos nations chrétiennes doivent leur conservation à une chose dont la plupart ne tiennent pas le moindre compte. Ce qui soutenait à Sodome le seul juste, ce qui par conséquent aussi préserva longtemps Sodome, c’est l’intercession d’Abraham, l’ami de Dieu ; car il est dit : « L’Eternel se souvint d’Abraham et fit sortir Lot des villes qu’il détruisait. » Quoi de moins bruyant que cette intercession des pasteurs et des Eglises qui monte comme un parfum jusqu’à l’autel d’or et qui est reçue par le souverain sacrificateur céleste (Apocalypse 8.1-4) ! Et y a-t-il cependant rien sur la terre qui ait plus d’efficace et de puissance ? C’est à elle que les fidèles qui s’y trouvent encore doivent d’être bénis, et le monde aveuglé d’avoir été conservé jusqu’à cette heure.