βόσκειν et ποιμαίνειν sont tous deux souvent employés dans un sens figuré et spirituel dans l’A. T. (1 Chroniques 11.2 ; Ézéchiel 24.3 ; Psaumes 77.72 ; Jérémie 23.2) ; ποιμαίνειν l’est de la même manière dans le Nouveau ; mais βόσκειν ne se rencontre dans le N. T., ainsi appliqué, que dans Jean 21.15, 17. A cet endroit, notre Seigneur donnant à St. Pierre le triple ordre de paître « ses agneaux » (v. 15), ses « brebis » (v. 16) et encore « ses brebis » (v. 17), se sert d’abord de βόσκε, en second lieu de ποίμαινε, enfin il revient à βόσκε. Ce retour, dans le troisième ordre, au terme employé dans le premier, est, pour quelques interprètes, une forte preuve que le sens des deux verbes est absolument identique. Ils mettent en avant, avec quelque apparence de raison, le fait que le Christ ne pouvait pas avoir en vue de marquer un progrès, un développement dans l’œuvre pastorale, autrement il ne serait pas revenu à la fin à βόσκε, d’où il était parti. Je ne puis cependant considérer comme accidentel le changement de ces mots, pas plus que la transition, dans les versets en question, de ἀγαπᾶν à φιλεῖν, de ἀρνία à πρόβατα. Il est vrai que nos versions, qui traduisant βόσκε et ποίμαινε tous deux par « Pais », comme la Vulgate le fait par « Pasco », n’ont pas essayé de reproduire les variations du texte original, et je n’aperçois dans la langue aucun vocable auquel nos versions ou la Vulgate auraient pu recourir dans cet endroit. L’allemand aurait pu se servir de « weiden » (βόσκειν) et de « hüten » (ποιμαίνειν). De Wette met cependant « weiden » dans les trois casa.
a – La version de Lausanne porte : « Fais paître » — « pais » et « fais paître ». Celle d’A. Rilliet : « Pais » — « fais paître » et « pais ». — L’abbé Crampon traduit « pais » dans les trois cas. Trad.
La distinction est pourtant bien loin d’être de pure fantaisie. Βόσκω, en latin « pasco », signifie simplement « paître », mais ποιμαίνω implique bien plus ; il renferme toute la charge du berger. C’est guider, protéger, parquer le troupeau, aussi bien que lui trouver de la nourriture. Ainsi Lampe : « Hoc symbolum totum regimen ecclesiasticum comprehendit » ; et Bengel : « βόσκειν est pars τοῦ ποιμαίνειν ». Le sens plus étendu et plus large de ποιμαίνειν se fait sentir dans Apocalypse 2.27 ; 19.15, où d’emblée on est convaincu de l’impossibilité de substituer βόσκειν à ποιμαίνειν. Comp. Philo, Quod Det. Pot. Insid. 8.
Les fonctions d’un berger sont si propres à représenter les services éminents que les hommes peuvent rendre à leurs semblables, que l’expression « bergers de leurs peuples » a toujours servi à désigner les hommes qui avaient été les conducteurs et les gardiens fidèles de ceux qu’on avait confiés à leurs soins. Ainsi Homère appelle les rois : ποιμένες λαῶν ; cf. 2 Samuel 5.2 ; 7.7 ; Psaumes 78.71-72. Il y a plus ; dans l’Écriture, Dieu lui-même est un berger (Ésaïe 40.11 ; Ézéchiel 34.11-31 ; Psaumes 23.1), et la Parole manifestée en chair déclare qu’Elle est : ὁ ποιμὴν ὁ καλός ; (Jean 10.11) ; Jésus-Christ est l’ἀρχιποιμήν (1 Pierre 5.4) ; ὁ μέγας ποιμὴν τῶν προβάτων (Hébreux 12.20) ; et comme tel Il accomplit la prophétie de Michée 5.4. Comparez un passage sublime dans Philon, De Agricul. 12, qui commence ainsi : οὕτω μέντοι τὸ ποιμαίνειν ἐστὶν ἀγαθόν ὥστε οὐ βασιλεῦσι μόνον καὶ σοφοῖς ἀνδράσι καὶ ψυχαῖς τέλεια κεκαθαρμέναις ἀλλὰ καὶ Θεῷ τῷ πανηγεμόνι δικαίως ἀνατίθεται ; lisez encore les trois sections précédentes.
Mais, pourra-t-on demander très naturellement : « Si ποιμαίνειν est le mot dont la signification embrasse le plus, et si, pour cette raison, ποίμαινε a été ajouté à βόσκε, dans la dernière recommandation du Seigneur à son apôtre, alors comment expliquer que le Seigneur revienne à βόσκε, et qu’il conclue non, comme nous nous y attendrions, par l’injonction la plus forte, mais par la plus faible ? » Dans ses Sermons and Essays on the Apostotical Age, p. 138, le doyen Stanley répond à cette question. De fait, la leçon que nous donnent les paroles du Seigneur est une des plus importantes, et que l’Église et tous ceux qui y ont une charge doivent s’empresser de prendre à cœur ; à savoir que, quel que soit le nombre des règles de discipline, dans une Église, nourrir le troupeau, lui trouver de la pâture spirituelle, n’en est pas moins le premier et le dernier devoir de l’Église ; rien ne peut en tenir lieu, rien ne doit le faire descendre de cette place d’honneur que de droit il occupe. Que de fois, par une fausse conception de l’Église, la prédication de la Parole tombe de son rang élevé ! Le βόσκειν est refoulé à l’arrière-plan ; il est englouti dans le ποιμαίνειν, qui bientôt dégénère en un faux ποιμαίνειν, parce qu’il n’est pas en même temps un βόσκειν, mais plutôt ce pastorat que Dieu dénonce par le prophète Ézéchiel (Ézéchiel 2, 3, 8, 10 ; cf. Zacharie 11.15-17 ; Matthieu 23.1-29).