« Que votre oui ! soit oui. »
(Matthieu 5.37)
La personnalité de George Fox vous révélera l’idéal du spiritualisme religieux dans son intransigeance, dans sa lumière crue, dans sa nudité. Osons le contempler.
Rien n’est plus éloigné du paganisme ; celui-ci concentre l’essence de la religion dans des pratiques rituelles. Je vous ai montré que les géants de la Révélation biblique prirent position contre cette idée superstitieuse ; pensez à Moïse avec son Décalogue, à Esaïe avec sa prédication de la justice, à saint Paul avec le salut par la foi ; surtout, pensez au Sauveur, incarnation de l’Esprit, et couronné du diadème des Béatitudes.
Cependant, la piété des psalmistes eux-mêmes, si intense, et si détachée des formes, où des formules, resta une piété cultuelle ; elle ne prétendit pas isoler l’adorateur. Celui-ci se prosternait devant un autel ; il cherchait l’Eternel dans son Temple ; nombre de psaumes furent des oraisons liturgiques, exigeant la présence active d’un officiant.
Bien que Luther et Calvin fussent, nettement, disciples des prophètes et des apôtres, ils ne diminuèrent pas la valeur de la prière en commun, du ministère pastoral, de la prédication publique, des sacrements.
George Fox, lui, tira toutes les conséquences logiques de l’idéalisme chrétien. Il n’apercevait aucune conciliation possible entre là religion rituelle, célébrée par un prêtre, et la religion morale, inspiratrice des sentiments. La piété traditionnelle, qu’elle fût romaine ou grecque, anglicane ou réformée, lui apparaissait comme un amalgame de notions disparates, ou même contradictoires.
Essayons de contempler, avec lui, un paysage sublime ; gravissons les hauts plateaux du spiritualisme, balayés par des souffles purs et froids, en plein soleil, sous un ciel de cristal.
Le père de George Fox était un modeste tisserand ; sa mère appartenait à une famille dont plusieurs membres avaient supporté le martyre pour la cause de la Réforme ; plutôt le supplice que le mensonge ! Dans cette atmosphère tonique de sincérité, l’enfant respira l’horreur de l’hypocrisie ; ses camarades le surnommèrent : « George Vérité ». Glorieux sobriquet. Il raconte : « Quand j’arrivai à l’âge de onze ans, je connaissais la pureté et la droiture, car on m’avait enseigné comment il faut marcher pour se garder pur. » Quelle transparence d’âme ! Au foyer, ou à l’école, ce petit n’a rien à cacher. Certains critiques prétendent que Jésus était trop jeune, à douze ans, pour déclarer, dans le temple : « Il faut que je m’occupe des affaires de mon Père. » Mais ils ignorent le cœur humain ; George Fox prouva que celui-ci, malgré le péché, est plein de possibilités magnifiques, infinies.
Son père comprit qu’un pareil fils était capable de remplir une mission spirituelle ; il rêva pour lui la carrière du ministère pastoral. Mais où trouver l’argent nécessaire à de longues études ? Ce n’est pas toujours le mieux doué qui jouit du privilège de s’instruire ; c’est le plus fortuné. George en fit l’expérience ; on le plaça chez un cordonnier.
Le métier qui consiste à fabriquer des souliers, ou à rapiécer des semelles, n’est pas contraire à la spiritualité. Un des plus célèbres mystiques du moyen âge, Jacques Boehme, maniait le tranchet ; et William Carey, qui lança l’œuvre des missions évangéliques, au XVIIIe siècle, était savetier. George Fox n’était pas fatalement malheureux, en qualité d’apprenti cordonnier ; toutefois son maître, au lieu de lui enseigner les secrets de la chaussure, l’employait surtout à garder les bêtes.
D’ailleurs, là encore, l’Esprit sait parler aux esprits qui savent écouter Dieu ; Moïse, David, Mahomet, Jeanne D’Arc, entendirent l’appel divin en surveillant les troupeaux. Il faut donc penser que George Fox resta fidèlement à l’école de l’Eternel, et que, sans diplômes universitaires, il devint savant Docteur dans le domaine mystérieux où « une seule chose est nécessaire ».
Preuve en soit l’anecdote suivante. Vers sa vingtième année, dans une foire, trois jeunes gens, qui faisaient profession de piété rigide, l’invitèrent à vider avec eux un pot de bière. Il accepta. Aussitôt, ses compagnons déclarèrent qu’on allait boire à la santé les uns des autres, et que celui qui s’arrêterait le premier, paierait pour la compagnie. Infaillible moyen de s’enivrer ! Le candide Fox, consterné, posa immédiatement l’argent sur la table, et sortit, navré par l’hypocrisie de ces faux dévots.
Cet incident, minime en apparence, marqua pour lui une date décisive. « Je ne me couchai pas, cette nuit-là, écrit-il. Je marchais de long en large, et je priais. Le Seigneur me dit : « Tu vois comment les jeunes vont à la vanité, et comment les vieux vont au cimetière ; abandonne-les tous !... Alors, le neuvième jour du septième mois 1643, je rompis toutes mes relations et vécus en étranger. »
Vous avez remarqué une étrange périphrase : « le neuvième jour au septième mois ». Cette singulière tournure nous initie à l’un des aspects du tempérament de Fox, à la fois sublime et bizarre. Etant chrétien, expliquait-il, et non païen, je ne veux pas désigner le mois de juillet, qui porte le nom de « Jules César ». Je ne veux pas, non plus, répéter mardi, car cela signifie « jour de Mars », dieu de la guerre ; ni jeudi, « jour de Jupiter » ; ni vendredi, « jour de Venus ».
Notez, également, la tournure qu’il emploie, comparable à la formule usitée par les anciens voyants : « L’Eternel me dit... » On ne peut nier que nous sommes, ici, en présence d’une nature très particulière ; mais c’est là, précisément, ce qui en constitue la valeur. D’un gramme de radium on tire plus que d’un gramme de liège ; de même, un homme qui déclare entendre l’Eternel, sera plus sensible qu’un autre aux invisibles réalités de l’univers spirituel.
D’ailleurs, après l’incident de la foire, George s’arrêta, dans le domaine concret, à une résolution toute pratique : « Je vivrai en étranger ». C’est la parole : « Vous êtes étrangers et voyageurs sur la terre. » (1 Pierre 2.11.) Alors, commencèrent de perpétuelles allées et venues ; le jeune solitaire, troublé dans son âme, cherchait le secret de la paix intérieure, la communion avec Dieu. Vint le moment où il crut bien faire de s’adresser aux spécialistes, à ceux qui enseignent la religion ; il interrogea des représentants de l’Eglise anglicane. L’un de ces personnages lui adressa de vifs reproches, parce qu’il avait marché sur un massif de fleurs, en se dirigeant vers le presbytère. Un autre, après avoir écouté son visiteur, diagnostiqua des troubles maladifs ; il lui conseilla gravement des saignées et des purges. Un troisième, sans doute plus mystique, l’exhorta fort à priser du tabac et à chanter des psaumes. D’autres guides préconisèrent l’enrôlement dans l’armée, ou le mariage.
Vous souriez ? Mais quel aveuglement tragique ! L’apôtre conjurait : « N’éteignez pas l’Esprit ! » Malheur au clergé frappé de cécité religieuse ! Malheur aux parents ou aux maîtres, malheur aux chefs d’Eclaireurs ou aux monitrices d’Ecole du dimanche, qui prétendent guider autrui, en titubant eux-mêmes dans les ténèbres ! Et malheur aux victimes des mauvais bergers !
Voilà donc Fox livré à lui-même, dans son angoisse ; il restait, néanmoins, fidèle à son engagement de solitude. Quand on fêtait Noël, il se tenait éloigné des traditionnels amusements, et visitait des veuves indigentes pour leur offrir un secours. Ou bien, quand on l’invitait à une noce, il refusait ; mais si les mariés étaient pauvres, il se rendait chez eux plus tard, et leur donnait de l’argent.
Cette vie errante se prolongea durant trois années. Il s’offrait « par les humiliations aux inspirations », selon la formule de Pascal, son contemporain, à peine son aîné de quelques mois. Cette crise de méditation fervente, de courageuse recherche, et d’obéissance, aboutit à une série de révélations intérieures. Elles se condensèrent dans les trois affirmations suivantes : 1° ceux-là seuls sont de vrais croyants qui sont « nés de nouveau », qui ont passé de la mort à la vie », pour employer le langage de saint Jean. 2° Un diplôme de théologie, et une cérémonie d’ordination, ne suffisent pas à qualifier un homme pour l’exercice du ministère évangélique ; il y faut le baptême de l’Esprit, la vocation intime, la consécration d’En-Haut. 3° Prophètes et psalmistes déclarent que le Créateur de l’univers n’exige pas, de ses adorateurs, qu’ils lui bâtissent des maisons où il résiderait. « Dieu est Esprit » ; on ne doit donc pas le matérialiser.
Ces remarques élémentaires, qui s’imposent au bon sens, à la conscience morale, à l’intuition spirituelle, menacent les religions ; non point la Religion, mais les religions. Tel catéchisme, par exemple, enseigne que Jésus a voulu apporter au monde un certain dogme, un certain clergé, un certain rite, en dehors desquels il n’existe point d’Eglise réelle. Or, les trois axiomes de Fox ruinent semblable prétention. Le premier signifie que Dieu regarde au cœur ; que le christianisme est une vie, plutôt qu’une doctrine ; et que l’essentiel n’est pas d’avoir une religion, mais d’être religieux. Le second axiome signifie que la paix intérieure et l’inspiration individuelle sont promises, directement, à la foi sincère, sans aucun intermédiaire obligatoire, sans hiérarchie sacerdotale, sans cléricalisme. Le troisième axiome signifie que la grâce divine se communique au croyant par la prière, toujours et partout ; elle n’est liée à aucun endroit spécial, à aucun geste particulier, à aucun sacrement nécessaire. Dieu n’est pas enfermé dans l’’Arche « israélite », au Lieu très saint des Juifs ; ni dans le Tabernacle « chrétien », sur l’autel d’une église catholique ; ni dans le Livre des Ecritures sacrées, déposé sur la chaire d’une chapelle « protestante ».
Cela ne signifie point que Fox ait cessé de méditer la Bible ; au contraire, il la scrutait toujours davantage, et c’est elle qui le fortifiait dans la triple conviction qui l’avait illuminé. Le Livre des livres entretenait en lui l’héroïsme d’une parfaite sincérité. Quel courage, en effet, réclame cette simple décision : se séparer, ne pas suivre le sentier battu, accepter l’épreuve de la solitude ! A l’heure où la cloche conviait ses coreligionnaires au culte public, Fox restait à l’écart ; il se réfugiait dans un verger ; il cherchait Dieu ; ou plutôt, il se laissait trouver par le Saint-Esprit. « Je jeûnais beaucoup, dit-il ; j’emportais ma Bible dans des endroits déserts ; je m’asseyais dans un arbre creux jusqu’au soir, et surtout, je marchais tristement durant la nuit. »
Mais la nuit physique n’est jamais qu’un tunnel entre deux resplendissements de clarté. Il en fut de même pour l’obscurité morale de Fox ; après la lumière de l’intelligence, il reçut brusquement l’illumination de l’âme. Totale et définitive délivrance ! « J’avais perdu espoir dans les hommes ; tout secours extérieur me manquait. Alors, oh ! je perçus une voix qui disait : « Il en est un, le Christ Jésus, qui peut répondre à ta situation », – et mon cœur bondit de joie. Car le Christ lui-même a été tenté, il a triomphé du Malin ; et, à travers lui, par sa puissance, et sa lumière, et sa grâce, et son esprit, je puis remporter la même victoire. »
Ce n’étaient point là des paroles vaines. Le jeune explorateur émergeait enfin, et pour jamais, du brouillard : « Je voyais qu’il existait un océan de nuit et de mort ; mais cet abîme était recouvert par un océan infini de lumière et d’amour. »
Un parfum se répand ; un foyer de chaleur élève la température ambiante ; une âme rayonne : bientôt, le peuple désigna Fox ainsi : « Le jeune homme qui a des visions. »
Celui-ci, dominé par sa naïve et glorieuse logique, ressentait toujours davantage le scandale suivant : « Les médecins, les magistrats, les gens d’église, les chefs – « disent et ne font pas », à l’instar des pharisiens dénoncés par le Christ. Leur conduite dément leur idéal, or, les principes évangéliques doivent s’appliquer à toutes les relations de la vie humaine. Dans le domaine social, par exemple, Fox essayait de manifester l’esprit de son Maître. Au moment où les domestiques louaient, annuellement, leurs services, il écrivait aux juges de paix, surveillants des opérations, pour les exhorter à ne pas favoriser les bas salaires. Dans une autre occasion, il prévint les magistrats qu’ils transgressaient la loi divine, en condamnant des gens à mort pour de simples larcins. Il prit la défense d’une folle. Il discutait avec les aubergistes, qui laissaient boire leurs clients jusqu’à l’ivresse. Il déclara : « Si l’on prenait au sérieux la parole de saint Jacques : La religion pure consiste à visiter orphelins et veuves dans leurs afflictions, on ne verrait pas tant de mendiants ! »
Mais sa vocation fut, avant tout, celle de l’évangéliste, sans peur et sans reproche. Le blâmera-t-on d’avoir affirmé que ses initiatives audacieuses lui étaient dictées par une inspiration d’En-Haut ? Que de fois saint Paul se réclama d’une intervention du Seigneur ! Même en dehors de l’Eglise, un Jérémie, un Socrate, entendirent des voix intérieures ! « Une fois, raconte Fox, je me sentis pressé d’entrer dans une église pour protester contre l’idolâtrie. Le pasteur déclarait à l’auditoire que la Bible était la pierre de touche pour éprouver toutes les doctrines. Je m’écriai : « Mais non ! Les Juifs possédaient les Ecritures ; et cependant, ils ont repoussé le Messie. La vraie pierre de touche ; c’est l’Esprit saint qui parle en nous. » Alors, on me jeta dans une prison puante, pour avoir troublé le culte. »
De fait, l’interrupteur avait prononcé une parole très hardie, dangereuse en apparence pour l’autorité des Ecritures. Sans doute, la Bible est menacée par le romanisme, qui place les « Commandements de l’Eglise » à côté des « Commandements de Dieu » ; mais la Bible est menacée, aussi, par une doctrine qui mettrait au-dessus du Livre l’inspiration individuelle.
Que penser de l’attitude générale adoptée par Fox ? Pour la comprendre, il faut quitter le domaine des conventions banales. Nous sommes en face d’une personnalité puissante, hors cadre, porteuse d’un message divin, comme Esaïe ou Ezéchiel. Par exemple, devant le tribunal, il déclara ne trembler que devant Dieu.
Je crains Dieu, cher Abner, et n’ai point d’autre crainte.
Trembler se dit en anglais : « to quake ». Par dérision, Fox et ses adhérents furent, traités de quakers ou trembleurs (1). En fait, c’est la courageuse « crainte » de Dieu qui affranchit d’une lâche « peur » des hommes.
(1) Les historiens ne sont pas d’accord sur l’origine du sobriquet.
Cette indomptable indépendance de Fox, lié par sa conscience, mais délié des modes et des conventions, explique sa conduite. Il écrivait, dans son Journal intime, des passages de ce genre : « Quand le Seigneur m’envoya en mission à travers le monde, il m’interdit de soulever mon chapeau devant qui que ce soit ; et il m’imposa la règle de tutoyer indifféremment riches et pauvres, hommes et femmes, grands et petits. » Pourquoi ? Fox a observé que les marques extérieures de respect sont, d’ordinaire, machinales, et ne correspondent pas à un sentiment profond ; elles sont une forme du mensonge universel. D’ailleurs, les chrétiens se découvrent pour prier Dieu ; alors, pourquoi exigeraient-ils de leurs semblables un hommage divin ?
Même observation au sujet des titres qu’on décerne au prochain, sans leur donner un sens plein. Dire à quelqu’un : « Mon-sieur », c’est l’appeler : mon sire, mon seigneur. Dire « ma-dame » – (domina en latin) – à une femme inconnue, c’est prétendre qu’elle a le droit de « dominer » sur vous. Il faut donc réserver des titres de ce genre pour les personnes auxquelles on est effectivement subordonné. – De plus, on nuit au prochain, en excitant sa vanité. Pourquoi lui laisser croire qu’il vaut, à lui seul, une troupe ? En lui parlant, employons le tu, et non le vous ; ce dernier terme, pour désigner un simple individu, n’est qu’une fiction ; et, comme on l’a dit, un « mensonge grammatical qui attribue à un seul l’importance chimérique d’un être collectif ». Vous pensez bien que ce tutoiement systématique provoquait des colères. Voici le langage d’un monsieur fort piqué, rétorquant à un quaker : « Qui tutoies-tu ? Tutoie mon chien ! Si tu t’avises de me tutoyer, je te tutoierai de mon poing par le nez. »
Le même souci de sincérité empêchait un quaker de dire : « Bon-jour, Bon-soir », car le jour est bon, et la nuit aussi, indépendamment d’un pareil vœu ; et l’on ne formulera pas le souhait : « Dieu vous conduise ! », car c’est employer avec légèreté le nom de Dieu (2). De même, les époux quakers se refusaient à échanger des anneaux de mariage : « coutume vaine, et qui tient du paganisme ». Les parents d’un défunt ne portaient point le deuil : « pure cérémonie et pompe mondaine » ; le deuil est dans le cœur.
(2) Aujourd’hui, quand nous disons : « Adieu ! » nous oublions le sens religieux de l’expression : « A-Dieu »… Elle signifie : « Je vous recommande à Dieu ».
Pont de luxe dans les vêtements ; les riches toilettes font croire, aux femmes qui en sont parées, qu’elles appartiennent à une autre race que leurs sœurs plus modestes ; et celles-ci, pour échapper à l’humiliation, se privent parfois du nécessaire, afin d’acheter une coiffure. Donc, afin d’effacer les différences de classes, les quakers se vêtaient d’étoffes uniformément sombres. Par scrupule de vérité, tel d’entre eux refusait de laisser teindre le feutre de son chapeau... Dès lors, il n’est pas surprenant que ces intrépides champions du vrai rejetassent le serment devant les tribunaux. Jésus a dit : « Que votre oui ! soit oui. » Agir autrement, c’est propager l’idée fausse que le mensonge est moins grave que le parjure ; c’est établir des degrés dans le mal, des compartiments dans le péché ; on glisse vers la casuistique et une morale de relativité, « relativisme » accommodant.
Ainsi donc, sous les bizarreries de Fox et de ses disciples, sachons respecter un rappel au caractère absolu de l’obligation morale. Sachons aussi discerner la valeur sacrée donnée à la personnalité humaine, digne des mêmes égards en chaque individu ; ce credo est la base philosophique et spirituelle d’une Fraternité qui résiste à toutes les critiques, à toutes les désillusions, à tous les chocs. Cette égalité religieuse des enfants du même Père est affirmée dans les hymnes et dans les oraisons liturgiques de l’Eglise ; mais que de fois un masque de christianisme recouvre le visage du paganisme antique !
Tâchons de pénétrer le principe fondamental, qui explique l’indomptable obstination de notre héros. D’après lui, la force divine qui sauve les hommes n’est pas extérieure aux âmes ; elle n’adhère pas à quelque soutien visible ; on ne la trouve pas au dehors, comme, un morceau de pain dans la boulangerie, ou comme un flacon de médecine dans la pharmacie. Bref, l’énergie qui nous sauve n’est pas contenue avant tout dans l’Eglise, comme l’enseignent les catholiques ; ni dans la Bible, comme le prêchent les protestants ; elle est en nous-mêmes.
Chaque être humain, qu’il soit païen, juif, musulman, chrétien, porte en soi ce que Fox nomme « la Semence », ou « le Germe », ou encore « la Lumière de Christ ». Et, en obéissant à ce Guide intérieur, nous sommes sur le chemin du salut. Il répétait sans cesse : « Je m’adresse à ce qui vient de Dieu dans ta conscience. » En réalité, si Dieu ne parlait pas directement à notre, cœur, comment pourrions-nous reconnaître sa voix dans l’Ecriture sainte ? Notre âme et la Bible sont deux instruments de musique accordés sur le même ton, et qui vibrent ensemble par de secrètes résonances. La Parole écrite n’est que le vêtement de la Parole vivante ; et nous ne pouvons comprendre les Ecritures, qu’en nous laissant inspirer, nous-mêmes, par l’Esprit qui rayonne dans les Ecritures, l’Esprit qui animait les grands inspirés de la Bible, l’Esprit qui s’incarna dans celui qui est la Raison, le Verbe, le Fils du Père, l’éternel Contemporain, présent dans l’Eglise, parce qu’il est présent dans les chrétiens.
D’après ces principes, la Révélation n’a point pris fin avec la disparition de Jésus ; il continue à illuminer les siens. Ils peuvent se tromper dans leurs formules, mais cela ne tire pas toujours à conséquence. En effet, on l’a observé justement, ce qui empêche les chrétiens de contempler la lumière, ce ne sont pas tant les erreurs « vivantes » que les « vérités » mortes. Affirmer, en se chauffant les pieds dans un salon, que le Fils de l’homme est la seconde personne de la Trinité, c’est énoncer une « vérité morte » ; mais proclamer, en communiant avec la douleur des exploités, que Jésus de Nazareth est venu construire, ici-bas, la Cité socialiste, c’est exprimer une « erreur vivante ».
La foi de George Fox débordait d’espérance. Il croyait, d’abord, à la destinée divine de chaque individu ; toute personnalité humaine a le droit, et le devoir, d’aspirer à la régénération, à cette métamorphose intérieure qui reste inséparable du salut. Jésus ne s’abandonnait pas à l’ironie, quand il présenta cet idéal : « Soyez parfaits, comme votre Père céleste est parfait. » – Et puis, la foi de George Fox palpitait d’espérance pour l’humanité entière. Il n’était point de ces fatalistes qui, doctement, décrètent : « On ne change pas la nature humaine. » Ceux qui s’expriment ainsi éprouveraient quelque étonnement, si on les transportait dans les cavernes de l’âge quaternaire, parmi les troglodytes ; si même on les ramenait, seulement, à deux mille années en arrière, dans un cénacle patricien de la Rome des Césars. Fox croyait à la puissance plastique et rédemptrice de la Vérité, pour transformer la face du monde ; il entra en relation avec le dey d’Alger, et avec l’empereur de Chine, pour leur exposer son message ; il eut des disciples qui écrivirent, dans le même sens, au Souverain pontife.
La société de l’époque, bien loin de sourire, comprit d’instinct la profonde portée de l’attitude préconisée par Fox. Ses excentricités, au lieu de paraître seulement comiques, soulevèrent une opposition furieuse ; elles excitèrent la moquerie, mais aussi la cruauté. Que de fois la foule se rua contre lui ! Il risqua d’être assommé à coups de Bible, car le saint volume était alors d’un poids fort lourd. On le frappa jusqu’au sang, avec des bâtons ; il fut lapidé, traîné à travers les rues ; à plus d’une reprise, il perdit connaissance. Nouveau François d’Assise, il souffrit de la faim, quand on refusait de lui vendre de la nourriture ; et il coucha souvent dans les champs, faute d’abri.
Quand des juges compatissants offraient de poursuivre ses persécuteurs, il refusait de porter plainte. Il lui arriva d’être enfermé avec des criminels, dans un donjon qui n’avait pas été nettoyé depuis plusieurs années. Une fois qu’il était emprisonné, le geôlier, converti à l’Evangile par sa douceur, alla plaider en sa faveur auprès des magistrats ; ceux-ci accordèrent à Fox la permission de se promener, espérant que ce personnage encombrant saisirait l’occasion de s’enfuir. Mais ils apprirent à le connaître ! Non seulement il revint au cachot, mais il dissuada ses amis de payer une forte somme pour obtenir sa rançon ; car, disait-il, ce serait souscrire à ma condamnation. Alors, les autorités formèrent le projet d’utiliser son influence, en lui donnant une charge dans l’armée ; il répondit que, d’après saint Jacques, les querelles humaines provenaient de la convoitise, et qu’il vivait sous la bénédiction d’un esprit qui supprime toutes les causes de guerre. En punition de sa résistance, on l’enferma dans un local infect, sans lit, infesté de vermine.
Fox fut arrêté trente-six fois durant quarante-cinq ans de ministère ; il passa des années en prison. Sous le règne de Charles II, plus de douze mille Quakers furent emprisonnés, ruinés, bannis. Quand ils refusaient de payer les taxes ecclésiastiques, on vendait leurs meubles à l’encan ; lorsqu’ils renonçaient à faire bénir leurs mariages par les ministres anglicans, ils perdaient leur état civil ; leur union était considérée comme illégitime, l’incertitude planait sur le règlement des héritages. Malgré tout, ils persévérèrent ; trois cent vingt périrent sous les mauvais traitements. Et, plus tard, les calvinistes d’Amérique devaient se montrer féroces hélas ! contre les humbles novateurs ; ils les expulsèrent du territoire, et les frappèrent de peines légales : flagellation, percement de la langue, ablation de l’oreille, pendaison ; une femme fut exécutée.
Nous avons admiré la sincérité de la secte, et son courage ; elle fut plus étonnante encore, par sa charité. L’absence de tout dogmatisme tranchant, de toute superstition peureuse, et de tout fanatisme persécuteur, maintint les disciples de Fox dans un esprit de sérénité aimante et de paisible suavité. Ils se groupèrent en associations libres de personnes, dont l’ensemble forma « la Société des Amis ». Dans leurs assemblées religieuses, ils étaient moins préoccupés d’ « offrir un culte à Dieu » que d’écouter l’Esprit, pour lui obéir.
Dans de telles réunions, une part prépondérante est réservée au recueillement. Le vieux dicton « la parole est d’argent, mais le silence est d’or », prend un singulier relief dans un « office divin » qui se déroule sans le discours d’un prédicateur en titre. Pourquoi, demandent les Quakers, un chrétien unique serait-il préposé à pareille charge ? L’inspiration peut lui manquer, au moment d’ouvrir la bouche à la minute fixée d’avance. Par contre, un frère ou une sœur ont, peut-être, un message pour la communauté ; qu’ils s’expriment donc, en toute candeur. Ainsi, la doctrine du sacerdoce universel rendait aux laïques les droits spirituels qui furent, trop souvent, monopolisés par le clergé.
Parfois, le culte des Amis s’achevait sans que personne eût rompu le silence. Nul n’en éprouvait aucune gêne ; car le silence, dans une telle assemblée, ne représente pas le vide, mais une réalité positive, une plénitude ; l’heure est réservée à l’adoration. L’oraison ? Oui. L’orateur ? Non. Nul déclamateur n’était admis à troubler le recueillement par un discours, inscrit au programme.
D’autres fois, les Amis se communiquaient leurs expériences d’âme : une délivrance intérieure, une victoire sur la tentation, le doute, la tristesse, un exaucement de prière, une bénédiction reçue en méditant l’Evangile, une révélation de l’Esprit. Alors, l’Eglise chrétienne devenait une vraie Coopérative spirituelle, une sainte Mutuelle.
Sans doute, ici encore, l’intrépide logique de Fox lui imposa des conclusions extraordinaires : plus de ministère pastoral, plus de liturgie, plus de Baptême ni de Communion. Il supprima les fêtes chrétiennes. Au sujet du dimanche, il disait que tous les jours sont sacrés, comme tous les fidèles sont prêtres. Vous apercevez les conséquences possibles du système : à force d’affirmer que Dieu est partout, on finirait par conclure qu’il n’est nulle part. Les images, les symboles et les rites rendent le même service qu’une lentille convergente ; celle-ci concentre, sur un point donné, des rayons lumineux, et la flamme jaillit. Nul ne prétend que la lumière cesserait de briller, sans la loupe ; mais celle-ci allume le feu. Si, par obsession de spiritualisme, on arrachait du monde l’effigie de la Croix, servirait-on la cause de l’Esprit sur la terre ? La masse des hommes est incapable de renoncer à vivre, ici-bas, dans les conditions de la vie humaine. L’apôtre de la spiritualité, saint Jean écrivait : « Ce que nous avons entendu, ce que nous avons vu de nos yeux, ce que nos mains ont touché, quant à la Parole de la vie (car la Vie s’est manifestée, et nous l’avons contemplée), nous vous l’annonçons. » La religion de l’Esprit, selon l’Evangile, est une religion de l’Incarnation.
Ces remarques n’enlèvent rien à la force et à la grandeur des principes de George Fox. Heureux ceux qui les comprennent ! Plus heureux ceux qui les pratiquent ! Il était si foncièrement chrétien, qu’il ne laissa jamais son glorieux spiritualisme dégénérer en simple mysticisme, en égoïsme dévot, en solitaire contemplation ; sa fervente foi se manifesta, toujours, en ardente charité. Si bien que, dans le culte des Amis, on se demande souvent si la distinction entre la Religion et la Morale subsiste encore ; il est évident qu’elles ne doivent jamais être séparées ; mais doivent-elles être confondues ? Dans une assemblée de Quakers, il arrivera que les Amis réunis pour adorer, parlent beaucoup de misères à soulager, ou d’oppression à combattre ; et pourtant, peut-on honorer, d’une manière plus évangélique, le Père que le Fils révéla aux Frères ?
George Fox eut, parfois, des disciples maladroits, qui compromirent son message par des exagérations inutiles, ou des excentricités regrettables ; car il est toujours dangereux de négliger la Parole écrite, pour mettre ses propres inspirations au-dessus de la Bible ; on risque d’identifier ses divagations personnelles avec la voix de Dieu. Mais il ne faut pas oublier que l’attitude adoptée par Fox représentait une réaction urgente, une protestation nécessaire. Est-ce que la conception traditionnelle du christianisme n’aboutissait pas, elle aussi, à placer l’inspiration humaine au-dessus de la Bible ? Le romanisme complétait les commandements du Christ par les commandements du pape ; et l’anglicanisme noyait l’évangile révolutionnaire des prophètes et des apôtres, dans un évangile ecclésiastique de tout repos.
Donc, hommage à George Fox ! S’il eût des disciples indignes de sa grande âme, il en eut d’innombrables qui reflétèrent sa personnalité sublime. Quel magnifique idéal de tolérance, de justice et de charité s’incarne dans le riche anglais William Penn, ami personnel de Fox ! « Je ne connais aucune religion, écrivait-il, à laquelle on ne doive la politesse, la prévenance et la bonté. » Dans la colonie qu’il fonda, en 1683 (la Penn-sylvanie). Son premier acte fut l’établissement d’une absolue liberté de conscience ; aventure qu’il nomma « la sainte expérience ». Dans son livre : Gardez-vous de la papauté ! il distingue entre le Catholicisme romain, qu’il rejette, et les catholiques eux-mêmes dont il faut respecter les convictions. Déjà, en Angleterre, quand on parlait d’appliquer aux « quakers » les lois dirigées contre les « catholiques », Penn avait protesté contre l’assimilation des Amis aux sujets du pape ; mais il avait déclaré, devant une Commission du Parlement : « Je suis loin de vouloir que les papistes soient maltraités pour leur religion ; la liberté que nous réclamons pour nous-mêmes, nous la devons à tous. »
D’autre part, il donna l’exemple d’une politique coloniale vraiment évangélique. Par exemple, le roi Charles II lui devait une somme énorme pour l’époque, environ un million de francs ; il remit cette dette au gouvernement, en échange d’une concession de terrain en Amérique ; puis, il acheta aux Indiens le sol dont le monarque l’avait déclaré « propriétaire », ...mais sans consulter les premiers occupants.
Il alla plus loin encore, dans sa fidélité au Sermon sur la Montagne. Les blancs avaient coutume de guerroyer contre les indigènes ; catholiques espagnols, et protestants anglais, les pourchassaient comme des bêtes. Penn assura que ses propres colons resteraient sans armes. Il déclara aux Peaux Rouges : « Vous êtes mes frères. Soyons unis ! Quand un Indien trouvera un Anglais endormi, qu’il dise : Il dort, paix lui soit ! » Il traita ainsi alliance avec les indigènes, et ce fut un Européen qui rompit le pacte, quarante ans plus tard : un colon assassina un Indien. Mais, en souvenir de Penn, les Peaux Rouges obtinrent la grâce du meurtrier. Aussi Voltaire a-t-il pu écrire, dans son Dictionnaire philosophique : « J’aime les Quakers. Oui, si la mer ne me faisait un mal insupportable, ce serait dans ton sein, ô Pennsylvanie ! que j’irais finir le reste de ma carrière... Une paix éternelle règne parmi tes citoyens ; les crimes y sont presque inconnus. »
Fox avait institué, dans la Société des Amis, le « Comité de la souffrance », chargé de porter secours à ses disciples en détresse. (Mais il voyait plus loin. Les Quakers se distinguèrent, souvent, dans la lutte contre l’esclavage. L’un d’entre eux, John Woodman, faisant une enquête sur les esclaves, en Amérique, fondit en larmes, durant un dîner, parce qu’on lui offrait à boire dans un gobelet d’argent ; il ne pouvait supporter le contraste entre cette opulence et l’abjecte misère des nègres. Ce même philanthrope cessa d’employer les diligences pour lui-même, ou pour sa correspondance, quand il découvrit quel surmenage cynique subissaient les postillons et les chevaux, périssant parfois d’épuisement ou de froid.
Un autre quaker, William Allen, se voua tout jeune à l’abolition de la traite des noirs. A dix-huit ans, il rédigea la résolution suivante : « Je suis devenu l’adversaire décidé de l’abominable trafic des Africains. Mais je dois accomplir quelque chose de plus, pour sanctionner mon témoignage, – un pas qui, s’il était fait par tous, mettrait fin à ce mal immense : m’abstenir de ce qui est produit par le labeur des esclaves. Et comme le sucre est l’un des principaux de ces articles, je prends la résolution, en implorant l’assistance de Dieu, de ne plus en user jusqu’à ce que la traite soit abolie. » Il resta, fidèle à sa décision, durant quarante-trois ans ; même dans le palais du tzar, il refusa de boire du thé sucré. Mais quand la traite et l’esclavage eurent été abolis par le Parlement britannique, il dit : « Maintenant, donnez-moi du sucre ; ma conscience me le permet. »
Cette abstention prolongée frappa un homme d’Etat hollandais, et le conduisit à réfléchir sur le régime colonial ; telle fut l’une des causes qui amenèrent l’émancipation des Noirs dans les possessions néerlandaises.
J’ai connu, personnellement, un Quaker qui faisait campagne, avec une persévérance tranquille, contre l’empoisonnement systématique de la Chine par l’opium, cultivé dans l’Inde anglaise ; vrai disciple de Fox, il ne cessait de dénoncer devant l’opinion pareil scandale, – un trafic sans doute favorable au budget de l’Etat, mais intolérable pour la conscience.
Que d’autres exemples à citer ! Tel Etienne de Grellet, catholique ruiné par la Révolution française, puis converti à l’évangile de Fox par une biographie de Penn, et qui entreprit, auprès des princes de l’Europe, en voyageant de cour en cour, une véritable mission de Bon Samaritain.
On l’a dit avec raison : « La morale des Quakers n’est pas un simple bêlement de fraternité. Les Amis veulent la justice. Ils l’exigent des collectivités, aussi bien que des individus. » De là, leur attitude intransigeante à Regard de la guerre. En définitive, disent-ils, elle consacre le droit du plus fort ; les conflits internationaux devraient être réglés juridiquement. Ils furent les premiers à organiser des « Sociétés de la Paix ».
En ce domaine, ils poussèrent jusqu’au bout leur intraitable logique. Au début du siècle, pendant les hostilités contre le Transvaal, un « Cadbury » refusa la fourniture du cacao à l’armée anglaise ; il renonçait ainsi à un gain considérable. Durant la guerre mondiale, dans une importante cité de Grande-Bretagne, un autre Ami n’accepta point l’honneur d’être maire, ne voulant pas s’occuper des opérations de recrutement. Quand le service obligatoire fut institué, quelques mois plus tard, beaucoup de Quakers se prévalurent de la clause qui dispensait de porter les armes ceux que des scrupules religieux empêchaient de prendre le fusil ; à leurs risques et périls, ces réfractaires demeurèrent fidèles au principe de la non résistance au mal par la violence. Mais d’autres Quakers interprétèrent, différemment, leur devoir civique ; ils s’enrôlèrent, ou acceptèrent un emploi dans les formations sanitaires : on n’a pas oublié le zèle déployé par les Amis pour la reconstitution des régions dévastées par les combats.
La résistance au mal est souvent une forme nécessaire de la protection des faibles. Je puis renoncer au droit de me défendre, mais dois-je renoncer au devoir de protéger ? En tous les cas, écrit un philosophe américain : « Les saints, avec les extravagances de leur charité, sont des précurseurs… Si le monde était toujours gouverné par la dureté, s’il n’y avait aucun homme prêt à secourir son frère avant de savoir s’il en est digne, personne qui voulût, par pitié pour l’offenseur, oublier l’offense, personne qui aimât mieux se laisser duper que de vivre toujours dans les soupçons, – alors le monde serait encore plus inhabitable... Bien souvent, les saints ont créé chez les autres un peu de cet avenir qu’ils prophétisaient… Sans leur ardente foi dans la bonté de l’homme, nous resterions à jamais engourdis. »
Telle sera notre conclusion sur George Fox. Son disciple, William Penn, déclarait : « J’ai, à diverses époques, passé des semaines et des mois avec lui, dans des temps d’épreuve et des circonstances très pénibles ; et cela, de jour et de nuit, par terre et par mer, en Angleterre et à l’étranger ; je ne l’ai jamais vu manquer à son devoir, ni se décourager devant les difficultés. En toutes choses, il se montrait homme : j’entends, un homme fort, un nouvel homme, et plein de l’esprit divin. »
Cette affirmation est corroborée par un mot du fameux Cromwell, au sujet de l’humble George Fox, qu’il avait inutilement essayé d’attacher à sa fortune : « Je vois s’élever une race de gens que je ne gagnerai ni par des honneurs, ni par des présents, ni par des emplois. » William Penn raconte, en ces termes, la fin de son père spirituel : « Il était si plein d’assurance, qu’il triompha de la mort même, conservant toujours la même égalité d’esprit, comme si la mort ne méritait point qu’il y fît attention, ou qu’il en parlât.
» Le premier jour de la semaine, il assistait à une grande assemblée ; et ce fut le troisième jour, vers dix heures du soir, que nous le perdîmes. Il répondit à quelques-uns, qui entrèrent pour demander comment il se trouvait : « Ne Soyez pas inquiets ; la puissance du Seigneur surpasse toute faiblesse, et la mort même. La Semence règne. Béni soit le Seigneur ! »
» Sa mémoire est, et sera bénie. De nos jours, plusieurs enfants de Dieu ont cultivé la vertu ; mais mon cher George, tu les as surpassés tous. »
Gautama le Bouddha, François d’Assise, George Fox... Tous trois ont creusé un sillon profond, saisi l’imagination des hommes et touché le cœur des multitudes ; l’un dans le Paganisme, l’autre dans le Romanisme, le dernier dans le Protestantisme : le premier, par la pitié poussée jusqu’à la désespérance ; le second, par la pitié poussée jusqu’au dépouillement joyeux ; le troisième, par la pitié poussée jusqu’à l’affranchissement total des conventions sociales et des traditions ecclésiastiques.
Ni le Bouddhisme, ni le Quakerisme, ne se présentèrent, ici-bas, comme une religion, mais comme une attitude mentale, une orientation morale, un état spirituel ; et le Franciscanisme, lui-même, ne fut qu’un souffle nouveau, à l’intérieur d’une religion donnée.
Est-ce que le christianisme du Christ, en son essence, fut autre chose qu’un esprit, l’Esprit à l’œuvre pour transformer l’âme humaine, pour la transfigurer du dedans, pour l’arracher à la « vaine manière de vivre » (et d’adorer) « héritée des pères » (3) », – pour la sauver, enfin, de toute crédulité, de tout abandonnement superstitieux aux formes et aux formules, de toute abdication entre les mains d’un clergé quelconque ?
(3) 1 Pierre 4.18.
Jésus-Christ ne détruit pas les religions extérieures ; mais il fait l’âme indépendante à leur égard, en la rendant, intérieurement, religieuse.