Pourquoi occupe-t-il la terre inutilement ?
Je suis en train de rédiger un article ou une lettre importante lorsque retentit la sonnerie du téléphone.
Je décroche.
Au bout du fil, une voix féminine me demande sans préambule si je n’accepterais pas de m’engager dans la lutte contre le cancer en versant une cotisation substantielle. Je tente de l’interrompre mais, volubile, elle reste sourde à mes demandes timides : « Je regrette… Excusez-moi… Je suis occupé. » Elle développe son thème sans perdre haleine, insiste sur la grandeur de cette œuvre humanitaire, comme si elle tenait déjà son chèque. Impossible d’introduire un argument qui mette un terme à ce monologue. Je dois subir la demoiselle jusqu’au bout. Et lorsque enfin je pose l’écouteur – pfft ! – mes idées se sont envolées et je ne sais trop comment terminer la phrase laissée en suspens.
N’avez-vous jamais été appelé de la sorte alors que vous vous réjouissiez de déguster un plat amoureusement préparé par votre épouse ? Cuit à point et fleurant bon. Hélas ! L’écouteur à l’oreille vous avez dû subir les propos d’un inconnu nullement pressé qui, avec un luxe de détails, prétendait vous avoir rencontré dix ans plus tôt sur l’une des marches de l’abbaye du Mont Saint-Michel. Et lorsque enfin libéré vous avez pu retourner à votre assiette, votre mets était tout juste tiède, sans saveur et sans attrait. Vous l’avez avalé en trois coups de fourchette, tout seul naturellement, votre épouse ayant quitté la table avec humeur quelques instants plus tôt. Que de moments bénis de communion avec Dieu ou de méditation de l’Écriture ont été ainsi interrompus !
J’ai souvent pesté contre le téléphone, en particulier lorsque je rendais visite à de chers amis, hélas ! dérangés à tous moments.
— Monsieur, on vous appelle au bout du fil.
Impossible d’avoir un entretien suivi avec eux, même en dehors de leurs occupations. Que pouvais-je faire, une fois abandonné dans le salon ? Ronger mon frein en attendant qu’ils raccrochent l’écouteur.
— Ah ! Où en étions-nous ?
Nous nous efforcions de renouer tant bien que mal le fil de notre conversation.
Je vous le demande : Qui, de nos jours, peut se passer de cet instrument, au demeurant fort utile ? Il fait partie de la panoplie des appareils jugés indispensables à l’homme moderne. Ceci admis, pourquoi n’y aurait-il pas des heures où l’on imposerait silence à ce trouble-fête ? Après tout, les gens savent rappeler lorsqu’ils ont quelque chose d’important à demander.
Il est quelques règles élémentaires à observer si l’on ne veut pas voir ses journées découpées en tranches. Citons-en deux :
L’automobile est également une dévoreuse de temps de première grandeur. Dans notre monde occidental, quel homme songerait à s’en passer ? « Sans voiture je me sens orphelin », m’avouait un ami privé de véhicule durant quelques semaines.
Faites sérieusement le compte des heures passées derrière le pare-brise au cours de la semaine écoulée. Vous serez étonné du résultat. Et parce qu’il est agréable de se déplacer sur quatre roues, la plupart des gens ne veulent plus aller à pied. Ils se croient obligés de prendre le volant pour aller poster une lettre à l’autre bout de la rue. Qu’importe le prix du carburant pourvu que « ça roule ».
Il est frappant de constater que l’on se montre parfois assez peu soucieux de choisir son habitation en fonction de son lieu de travail. La distance, l’itinéraire encombré emprunté au moins deux fois par jour, les frais et surtout la fatigue occasionnés par de tels déplacements semblent, pour certains, peser d’un faible poids lorsqu’on achète un appartement ou édifie un pavillon. Les routes engorgées de voitures aux heures de pointes qui convergent vers Paris en sont la démonstration évidente.
Et puis, faut-il redire aux parents passionnés de randonnées que les enfants installés sur le siège arrière ne goûtent vraiment pas ces après-midi interminables. Ballottés d’une porte à l’autre, ils n’ont pour tout horizon que le dos arrondi d’un père agrippé au volant, et souvent pour musique, que les clameurs d’une mère exaspérée : « Voyons, tiens-toi donc tranquille ! Tu ne peux donc pas rester une minute sans bouger ? »
Je n’ai pas la naïveté de conseiller à qui que ce soit de vendre la voiture pour utiliser la bicyclette. Qui me prendrait au sérieux ? Je plaide seulement pour qu’on laisse le véhicule au garage lorsque son utilisation ne s’impose pas. En vacances surtout, parcourez les sentiers et les bois au lieu de dévorer des kilomètres empoussiérés. Prenez le temps d’admirer l’œuvre du Créateur, Ainsi toute la famille bénéficiera du grand air, dans une vraie détente. Chacun vous en sera reconnaissant.
La télévision vole un temps fou à ses utilisateurs. Là encore, qui songe à s’en priver ? Dame importante, elle trône en bonne place dans la salle de séjour et peut rester allumée des heures durant. Les Français, disent les sondages, y consacrent en moyenne trois à quatre heures par jour. Pour y voir quoi ? Si vous n’êtes pas de taille à éliminer sans pitié le médiocre ou le mauvais, débarrassez-vous courageusement et sans regret de cet appareil. C’est un voleur de temps des plus experts. Or, ce temps est à Dieu. Donc pas de faiblesse, surtout si vous avez des enfants.
Des voleurs de temps, il y en a d’autres. Sachons les reconnaître et leur faire face. N’êtes-vous pas surpris de constater qu’on trouve abondance de temps pour le futile, l’inutile et le médiocre (pour ne pas dire plus), alors qu’on en manque pour l’essentiel ? Pas de temps pour Dieu et la méditation de l’Écriture ! Pas davantage de temps pour la famille ou les anis ! Pour lire de bons livres, se cultiver et se nourrir spirituellement. Ne nous contentons pas de dire sempiternellement : « C’est vrai. Il faudrait… » Que Dieu nous rende capable de maîtriser ces « voleurs de temps ». Pour racheter le temps.
QUESTIONS