Nous avons défini la mort en général, physique ou morale : toute dissolution partielle ou totale des substances constitutives d’un organisme par des forces contraires à sa fin normale.
La mort physique nous a paru être la force de dissolution qui s’est introduite dans le corps humain et par lui dans la nature à la suite de la chute de l’homme.
Elle n’est l’annihilation d’aucune molécule ; elle est une interruption subite et générale des mouvements échangés entre ces molécules.
D’après l’Ecriture cependant, cette dissolution des parties de l’organisme déserté par l’âme n’est pas totale. Dans 1 Corinthiens 6.13, Paul distingue des parties du corps actuel qui seront détruites pour ne plus reparaître, κοιλία et βρώματα, le corps lui-même, σῶμα, qui est destiné au Seigneur ; et la comparaison faite dans 1 Corinthiens 15.36 et sq., du corps avec un grain de semence, suppose qu’il y a dans la dépouille mortelle de la personne humaine comme dans le grain de semence lui-même, un germe latent, invisible et indécomposable, capable de survivre à toutes les permutations de la substance elle-même ; et de même que la force vitale répandue dans la nature conserve à chaque germe son identité au sein de la destruction des organismes, en sorte que les diverses semences jetées dans la terre ne se confondent pas les unes avec les autres dans leurs produits, de même le mouvement de décomposition qui dissout et emporte au loin toutes les molécules ayant constitué le corps humain, laisse ce germe intact, préservé jusqu’au jour de la résurrection par l’action continue du Saint-Esprit, Romains 8.11.
Il pourrait paraître que selon la raison morale des choses, le croyant, racheté par Jésus-Christ de la condamnation du péché, dût être exempté par là même de recevoir le stigmate de la malédiction du péché.
Cette obligation de mourir se justifie pour le racheté comme pour le rebelle, soit que nous considérions sa situation individuelle ou sa relation au reste de l’espèce.
Quant au premier point, il est certain que tant qu’il habite cette chair empruntée à l’espèce, le racheté affranchi de la condamnation du péché ne l’est pas encore pour cela de sa présence ; et comme l’âme une fois justifiée doit passer par une mort lente pour atteindre le degré futur de la perfection absolue, il faut que les éléments physiques de la personnalité terrestre traversent à leur tour une destruction totale pour être appropriés à cette phase d’existence supérieure appelée par saint Paul : τὴν ἀπολύτρωσιν τοῦ σώματος ἡμῶν (Romains 8.23). Mais tandis que chez le rebelle, la condamnation personnelle s’ajoute à la malédiction spécifique, la mort du racheté, tout en conservant ses caractères externes qui sont le signe de la malédiction spécifique, a perdu l’élément qui la rendait funeste à l’âme, l’aiguillon de condamnation qui la rendait redoutable ; la mort, comme toute épreuve précédente, peut encore faire mal au racheté, mais non lui faire du mal (2 Corinthiens 5.1). Le jugement exécuté en lui sur la nature se convertit en une grâce suprême faite à l’individu : Jean 11.24-25 ; 1 Corinthiens 15.55-56 ; 2 Corinthiens 5.1-2 ; Hébreux 2.14-15.
Considérant en second lieu la relation du racheté au reste de l’espèce, nous jugeons rationnel et équitable que tant qu’il vit dans ce corps qui s’entretient des principes empruntés à la vie cosmique générale, participant des bienfaits de la solidarité spécifique, il en assume aussi les charges ; et comme Christ a participé avec l’humanité à la chair et au sang, Hébreux 2.14-15 ; cf. Hébreux 9.27-28, il est juste que le chrétien, souffrant et mourant non pour le monde, mais avec le monde, glorifie Christ devant le monde dans la passion comme dans la jouissance, et dans la mort comme dans la vie.
L’ordre annoncé : 1 Corinthiens 15.26 ; Apocalypse 20.14, qui place la victoire sur la mort au terme de toutes les autres, est conforme à la loi générale du gouvernement du monde qui procède du dedans au dehors, et postpose dans l’histoire l’action physique et externe à l’action morale et interne. Or comme le péché a précédé l’avènement de la mort physique, puisqu’il l’a causée (Genèse 3), la rédemption des corps et de la nature doit manifester et couronner la rédemption des âmes, Romains 8.21.