Voici comment l’Exode retrace la succession des événements qui constituent ce qu’on appelle la sortie d’Egypte. Les Egyptiens, inquiets de l’accroissement extraordinaire des Israélites, cherchent à l’arrêter en l’accablant de corvées. Puis le roi en vient à ordonner que tous les enfants mâles soient tués à leur naissance. Le peuple d’Israël, dans cette terrible position, ressemblait à un enfant abandonné dans son sang (Ézéchiel 16.5-6). Mais c’est lorsqu’il semble qu’il n’y a plus de remède, que vont s’accomplir les promesses faites autrefois aux patriarches, et pour cela le Dieu tout-puissant (El-Schaddaï) va montrer qu’il est aussi le Dieu de l’alliance (Jéhovah). Moïse sera l’instrument dont Dieu se servira pour accomplir ses vues miséricordieuses. Sauvé des eaux par une dispensation de la Providence (Exode 2.1 et sq.) puis élevé à la cour de Pharaon et instruit dans toutes les sciences des Egyptiens (Actes 7.22), il apparaît à l’âge de quarante ans au milieu de son peuple opprimé, il tue un Egyptien qui maltraitait un Israélite, et, apprenant que la chose est connue, il s’enfuit dans le désert d’Arabie. D’après Etienne (Actes 7.25), il avait cru que ses frères comprendraient que Dieu les voulait délivrer par son moyen ; mais ils ne le comprirent point, et quarante ans doivent s’écouler encore avant qu’il puisse exécuter par la force de Dieu ce qu’il n’a pu faire par lui-même.
Ewald présente la chose tout autrement. Un souffle puissant passe sur le peuple d’Israël ; il aspire à la liberté. Moïse, l’un des plus grands héros qui aient jamais existé, se lève et agit puissamment. Il sort vainqueur de la lutte religieuse qui s’engage entre lui et les Egyptiens…, etc. Ainsi donc tout est à la gloire du peuple, tandis que l’Exode, se plaçant à un tout autre point de vue, donne gloire à Dieu seul, en montrant ce que Dieu peut faire du peuple le plus profondément abaissé en le prenant à son école et en le soumettant à sa discipline.
Après que Moïse s’est fait reconnaître par le peuple pour un homme envoyé de Dieu, il va prier Pharaon de permettre aux Israélites d’aller dans le désert sacrifier à leur Dieu. Pharaon repousse cette prière ; il ajoute à son refus la moquerie, et à la moquerie une recrudescence de dureté. Le peuple est plus malheureux que jamais. Alors Moïse déclare au roi que, puisqu’il en est ainsi, de grands châtiments lui prouveront que l’Éternel est Dieu en Egypte comme ailleurs (Exode 6.6 ; 7.18 ; 9.16). Les dix plaies (Exode ch. 7 à 12 ; Psaumes 78.43 ; 105.26 et sq.) qui viennent fondre l’une après l’autre sur le royaume de Pharaon, sont pour la plupart en relation avec les phénomènes naturels que chaque année voit se produire en Egypte. Eichhorn, le premier, a signalé un rapport remarquable entre les plaies et le cours de l’année égyptienne, et Hengstenberg a développé cette pensée d’une manière très intéressante, dans son ouvrage sur les livres de Moïse et l’Egypte. Depuis la première crue du fleuve, qui a lieu ordinairement en juin, jusqu’au printemps de l’année suivante, on voit dans la vallée du Nil se succéder, dans le même ordre que les plaies, des phénomènes qui les rappellent de plus ou moins loin. Mais il est clair que deux choses font de ces plaies des faits éminemment miraculeux : leur intensité et leur coïncidence avec la parole de Moïse. Ce sont dix grandes manifestations de la toute-puissance de l’Éternel, dix victoires du vrai Dieu sur les dieux du pays : « J’exercerai mes jugements sur tous les dieux de l’Egypte », dit l’Éternel à propos de la dernière plaie (Exode 12.12. Lisez aussi Nombres 33.4). On a le droit d’y voir autant de gages du triomphe final de Dieu sur le paganisme (Exode 15.11 ; 18.11). Les auteurs païens eux-mêmes, qui parlent de la sortie des Israélites hors d’Egypte, comme Manéthon, cité par Josèphe dans son livre contre Appion (1.26), et Diodore (Bibliot. 40) ont vu dans cet événement une lutte religieuse.
[Si nous écrivions l’histoire des Israélites, ce serait ici le lieu de s’occuper des Hyksos ; mais dans une Théologie de l’A. T., — nous l’avons vu dans notre introduction, — il ne faut s’occuper que des faits qui sont en relation avec la révélation et qui lui servent de base historique. Nous nous permettons toutefois de donner en note les quelques renseignements suivants sur cette importante question. Manéthon parle d’un peuple de bergers qui pendant cinq cents ans fut le maître en Egypte, Hengstenberg, s’appuyant sur le fait qu’on ne retrouve dans les inscriptions égyptiennes aucune allusion à rien de pareil, relègue cette tradition dans le domaine de la fable. On a fait remarquer que les Egyptiens ont dû détruire avec soin tout ce qui pouvait rappeler cette période humiliante de leur histoire, et d’ailleurs tout récemment on croit avoir retrouvé sur divers monuments des traces des Hyksos, en sorte qu’Hengstenberg serait surpris ici en flagrant délit de scepticisme. Quant à Josèphe, par qui seul nous connaissons le fameux passage de Manéthon, il identifie les Hyksos avec les Israélites (contra Appionem 1.14). Mais, chose curieuse, il rapporte une autre tradition encore, dans laquelle il voit une tentative de tourner en ridicule les Israélites dans leur lutte avec les Egyptiens et dont voici les principaux traits (contra App. 1.26). Cinq cent dix-huit ans après que le roi Tethmosis eut chassé les Hyksos, le roi Aménophis conçut le désir de contempler les dieux. Un mage lui annonce que pour cet effet il lui faut d’abord commencer par nettoyer le pays des étrangers qui y séjournent. Là-dessus le roi transporte les impurs étrangers et les quelques prêtres qui se trouvaient parmi eux dans les carrières à l’est du Nil. Ils étaient au nombre de 80 000. Mais à peine le mage a-t-il vu son conseil suivi qu’il commence à trembler : la colère divine ne manquera pas de s’enflammer contre l’Egypte, si l’on soumet les prêtres aux mêmes travaux que le reste des étrangers. Le roi rappelle donc les étrangers et leur concède un meilleur séjour, la ville d’Avaris, habitée jadis par les Hyksos. Là ils se donnent un chef dans la personne d’un prêtre d’Héliopolis, du nom de Osarsiph, lequel leur donne des lois contraires à celles des Egyptiens, ils entrent en relation avec les Hyksos qui vivaient à Jérusalem depuis qu’ils avaient été expulsés d’Egypte. Les Egyptiens et les étrangers sont sur le point d’en venir aux mains. Aménophis s’avance contre eux à la tête de 300 000 combattants, mais tout-à-coup il s’arrête, il ne livre point bataille, il craindrait de se trouver peut-être faire la guerre à la divinité, il préfère se retirer en Ethiopie. Mais l’Egypte est par là même abandonnée aux étrangers, qui, de concert avec les Hyksos, s’y conduisent pendant treize ans en impitoyables vainqueurs. Après ces treize années, Aménophis quitte l’Ethiopie avec son fils Ramsès ; il met en déroute les Hyksos et les étrangers, et les force à se retirer en Syrie. — Remarquez-vous qu’à côté de ce qu’elle renferme d’erroné, cette tradition a du moins su conserver son caractère religieux à la lutte entre Moïse et Pharaon, dont elle est bien probablement un lointain souvenir ?]
Les plaies deviennent toujours plus redoutables. La dixième, la mort de tous les premiers nés des Egyptiens dans la nuit même où les Israélites célèbrent pour la première fois la Pâque, — est si terrible, que les Egyptiens épouvantés pressent leurs hôtes de partir.
Dès Exode 3.21, l’Éternel avait annoncé à Moïse que le peuple ne sortirait pas d’Egypte à vide, mais qu’au moment du départ, chaque femme devrait demander à sa voisine des vases d’or et d’argent, et des vêtements, — sans doute comme un juste salaire des travaux de la servitude. Au chapitre 11e, l’Éternel avait rappelé cet ordre. Maintenant (Exode 12.35 et sq.), le moment est venu de l’exécuter. Il n’y eut ni vol, ni emprunt. Les Israélites demandent aux Egyptiens des vases d’or et d’argent, ainsi que des vêtements, et ceux-ci sont si heureux de voir, même à ce prix, s’éloigner ce peuple redoutable, qu’ils leur donnentf tout ce qu’ils leur demandent.
f – Moïse emploie ici un mot qui ne se retrouve plus à la même forme qu’une seule fois dans l’A. T., et cela dans un passage que l’on défigure également en parlant de prêt au lieu de don. C’est 1 Samuel 1.28 : Anne ne prête pas, elle donne son fils à l’Éternel.
Moïse, comprenant que son peuple n’est pas encore capable de soutenir une guerre, ne le dirige pas en droite ligne sur Canaan ; il lui fait faire un grand détour par la presqu’île de Sinaï. Mais à peine les Israélites ont-ils pris cette direction, que Pharaon se met à leur poursuite. Ils étaient probablement campés au bord de la mer Rouge, dans la plaine actuelle de Suez. Les voilà entourés de toutes parts ! Des montagnes à droite et à gauche, l’ennemi derrière, la mer devant. L’Éternel leur donne l’ordre d’avancer. Une tempête refoule les eaux. Comme un troupeau de brebis sous la garde d’un puissant berger, ils passent heureusement, protégés par l’Éternel (Psaumes 77.17-20 ; Ésaïe 63.11 et sq.) L’armée égyptienne qui les suit est engloutie. « Et le peuple craignit l’Éternel, et ils crurent à l’Éternel et à Moïse son serviteur. » (Exode 14.31).
Nous avons placé le passage de la mer Rouge non loin de Suez. Il y a là un endroit où la mer n’a que 3450 pieds de largeur, et où elle est assez peu profonde pour que le vent du Nord (Exode 14.21) en mette parfois le fond à découvert. Seulement il est fort probable qu’anciennement la mer Rouge s’étendait davantage vers le Nord, en sorte qu’elle devait être sensiblement plus large qu’elle ne l’est aujourd’hui. — Nous n’avons jamais pu nous ranger à l’avis de Raumer qui, dans un ouvrage spécial sur le « Voyage des Israélites d’Egypte en Canaan », pense que le passage de la mer Rouge a eu lieu beaucoup plus loin vers le Sud, dans un endroit où elle a six lieues de largeur. Nous ne mentionnons que pour la curiosité du fait « Le détroit de Suez », de Schleiden (1858), travail plein de finesse, qui transporte le passage de la mer Rouge sur les bords de la mer Méditerranée.
Ainsi s’accomplit cette glorieuse délivrance, sur laquelle reviennent souvent les écrivains sacrés postérieurs (voyez encore Psaumes 78.12 ; 106.8 ; 114.1-8), dont le souvenir était sans cesse ravivé par la fête de Pâques, et qui est envisagé par les prophètes comme un gage des délivrances futures (Ésaïe 11.15-16).
Quant à la durée du séjour des Israélites en Egypte, elle est de quatre cents ans d’après Genèse 15.13, de quatre cent trente d’après Exode 12.40. Les Septante font rentrer dans ces quatre siècles le temps que les patriarches ont passé dans le pays de Canaan, ce qui réduirait à deux cents ans le séjour en Egypte. Cela s’accorderait assez bien avec le fait que l’Exode n’indique que quatre générations de Lévi jusqu’à Moïse et Aaron. Mais il est évident que Exode 6.16-20 n’est point une généalogie complète. Cela ressort d’autres passages qui indiquent six, sept et même dix générations pour le même espace de temps. Lisez Nombres 26.29 ; 1 Chron.2.3 ; 7.22. Le grand accroissement de la population parle aussi en faveur de la durée la plus considérable.