1° « Apôtres ». — Sens restreint et sens large du mot. — Leurs titres se montrent dans les attestations de saint Paul relatives à lui-même. — 2° « Prophètes ». — Terme compréhensif comme celui d’apôtre, mais qui a aussi son acception propre et élevée.– L’ordre des apôtres placé au premier rang, celui des prophètes au second. — Ce qui les caractérise, c’est qu’ils sont révélateurs et fondateurs. — 3° « Evangélistes ».
1° Apôtres. — Le mot « apôtre », (ἀποστόλος, envoyé), désigne un messager quelconque (Jean 13.16 ; 2Cor.8.23), un messager de Dieu : « Je leur enverrai des prophètes et des apôtres » (Luc 11.49) ; il s’applique par extension à tous les prédicateurs de l’Évangile (Romains 16.7), mais il désigne spécialement les Douze (Matthieu 10.1-4 ; 26.14). C’est le sens ordinaire et, en quelque sorte, le sens propre du mot.
Les Douze sont d’abord tout à fait à part (Actes 2.14, 42-43 ; 4.35-37 ; 5.2, 12-13, 18 ; 6.2-6 ; 8.14 ; 9.27) : appelés par Jésus-Christ lui-même. — (Peut-être cela explique-t-il la forme de l’élection de Matthias (Actes 1.23-26) ? Il n’est parlé nulle autre part du sort). — Fondateurs de l’Église (Apocalypse 21.14), ils reçurent pour mission l’évangélisation du monde (Matthieu 28.19 ; Actes 1.8). — Mais le nom « d’apôtre », avec ses hautes attributions, s’étendit ensuite au delà du cercle des Douze. C’est évidemment en ce sens que saint Paul se l’applique et qu’il le donne dans des passages auxquels on n’accorde pas l’attention qu’ils méritent. — Des textes tels que 1 Corinthiens 12.28-29 : « Dieu a établi dans l’Église premièrement les apôtres, deuxièmement les prophètes, etc. » ; Éphésiens 2.20 ; 3.5 ; 4.11 ; signalent, comme constituant les deux ordres les plus élevés de ministres extraordinaires, les apôtres et les prophètes, en mettant toujours les apôtres au premier rang, quoique sans détermination précise de ce qui les distinguait. Que l’ordre des apôtres renfermât d’autres hommes que les Douze, la généralité de l’expression l’indique, et le fait que saint Paul s’y place lui-même ne permet pas d’en douter. D’autres traits incidentels le font entendre encore. Ainsi Actes 14.14 : « Les apôtres Barnabas et Paul, etc. » ; Galates 1.19 ; 2.9 où Jacques, frère du Seigneur, est nommé parmi les apôtres et ceux qui étaient regardés comme les colonnes.
Les caractères de cet apostolat collatéral à celui des Douze se révèlent dans ce que saint Paul dit de lui-même, et dans ce qu’il dit de l’ordre des apôtres. Saint Paul est apôtre parce qu’il tient immédiatement du Seigneur son ministère et son Évangile (Galates 1.1-12) ; et la marque ou la preuve qu’il en donne, ce sont ses pouvoirs miraculeux (2 Corinthiens 12.12). Il représente les apôtres, et à côté d’eux les prophètes, comme révélateurs (Éphésiens 3.5) et comme fondateurs (Éphésiens 2.20). Donnée d’une haute importance, car elle peut suffire à décider le grand débat de nos jours où tout dépend, en dernière analyse, de l’autorité ou de la théopneustie apostolique. Il est manifeste, en effet, que ce qui faisait l’apôtre, au sens qu’entendait saint Paul et l’Église avec lui, c’étaient les charismes exceptionnels et surnaturels.
2° Prophètes. — Dans les auteurs grecs, le mot προφὴτης désigne généralement l’interprète des dieux ou des oracles, l’homme qui met en lumière ce qui était obscur. Il désigne quelquefois le μάντις lui-même, qui, hors de sens, prononçait des paroles inintelligibles pour lui comme pour les autres ; mais plus communément il s’applique a celui qui expliquait ces paroles énigmatiques, à l’interprète du μάντις. Dans le Nouveau Testament le mot προφὴτης répond au mot nabi dans l’Ancien. Les prophètes de l’Ancien Testament étaient en général des hommes éclairés d’En Haut, qui annonçaient les révélations divines et les événements futurs. Nul doute sur ce point. Mais les termes nabi et nibba (prophétiser) sont employés en certains passages dans une acception plus étendue, et s’appliquent à des personnes qui parlent en quelque manière sous l’action de l’esprit de Dieu, lors même qu’elles ne déclarent pas l’avenir et ne donnent aucune révélation. C’est en ce sens qu’Aaron était le prophète de Moïse, c’est-à-dire son interprète, tandis que Moïse, interprète de Dieu ou prophète proprement dit, était Dieu pour Aaron (Exode 4.16 ; 7.1). C’est en ce sens large qu’il est dit des Anciens d’Israël (Nombres 11.25-27), de Marie, sœur d’Aaron (Exode 15.20), de Saül (1 Samuel 10.5-6, 10-13 ; 19.20-24), qu’ils prophétisaient. Il en est de même dans le Nouveau Testament. Quelquefois le substantif prophète et le verbe prophétiser s’appliquent à la prédiction de l’avenir (Actes 2.28 ; 21.10) ou à la révélation des mystères (Éphésiens 3.5), et d’autres fois à tout acte d’enseignement ou d’adoration fait sous la direction du Saint-Esprit (1 Corinthiens 11.4-5 ; 14.1-5, 24-31).
On a soutenu que dans le Nouveau Testament la prophétie n’était autre chose que l’explication des Ecritures, ou la louange de Dieu et la ferveur de la prière, sans inspiration proprement dite ; mais elle est représentée comme un don surnaturel accordé pour l’instruction et l’édification commune. Ainsi que nous l’avons fait remarquer, elle a, en bien des cas, pour attribut ou pour caractère constitutif les prédictions, les révélations, les directions célestes (Actes 13.2 : « Le Saint-Esprit leur dit : Séparez-moi Barnabas et Paul, etc… » et Actes 11.28 (Agabus). Elle est placée parmi les dons miraculeux (Actes 19.6 ; 1 Corinthiens 12.10) ; elle est distinguée du talent d’enseigner et d’exhorter, de la simple διδασκαλία, et unie à la révélation (1 Corinthiens 12.28-29). Les prophètes sont classés immédiatement après les apôtres et avant les évangélistes (Éphésiens 4.11) ; non seulement ils sont ainsi séparés des ministres ordinaires, mais ils s’offrent, avec les apôtres, comme les fondateurs de l’Église et les organes de la révélation (Éphésiens 2.20 ; 3.5). L’opinion sus-mentionnée n’est donc pas admissible, du moins sous sa forme générale et absolue, elle ne l’est que dans un sens restreint ; car l’Esprit de Dieu animant l’Église primitive, tous les actes de la piété chrétienne tenaient à quelque degré de la prophétie et ont pu en recevoir quelquefois le nom. Nous trouvons même le mot « prophète » employé dans le sens large des classiques et désignant un poète crétois, Epiménides (Tite 1.12). Mais à côté de cette acception indéfinie, il y a bien dans le Nouveau Testament comme dans l’Ancien, la signification spéciale et supérieure qu’y attache la langue religieuse.
Il importe de bien noter ce qui concerne les deux catégories de ministres extraordinaires que nous voyons à la tête de l’Église apostolique. La classification de saint Paul est formelle et constante, en même temps qu’en parfaite harmonie avec le fond historique et l’esprit général des Livres saints. Elle revient trois fois dans l’Épître aux Ephésiens, celui des écrits sacrés où il est le plus question de l’Église. Citons ces textes, auxquels, je le répète, on ne me paraît pas accorder l’attention qu’ils méritent. — Éphésiens 2.20 : « Etant un édifice bâti sur le fondement des apôtres et des prophètes, Jésus-Christ lui-même, etc… » — Éphésiens 3.5 : « Mystère qui n’a point été découvert aux enfants des hommes dans les temps passés, comme il a été révélé dans ce temps-ci par l’Esprit à ses saints apôtres et aux prophètes. » — Éphésiens 4.11 : « Lui-même donc a donné les uns pour être apôtres, les autres prophètes, etc. » La même classification se retrouve, deux fois répétée 1 Corinthiens 12.28-29 : « Dieu a établi dans l’Église, premièrement les apôtres, deuxièmement les prophètes… Tous sont-ils apôtres ? tous sont-ils prophètes ?… »
C’est une attestation tout occasionnelle, mais importante, de cet état primitif, objet actuel de tant de discussions. Elle nous découvre une sorte de hiérarchie spirituelle, formée par les charismes exceptionnels, et dont les apôtres et les prophètes occupent le sommet. Les textes ne disent pas tout ce qu’on désirerait savoir sur ces deux catégories de ministres de la Parole ; ils disent cependant beaucoup, surtout quand on les considère en rapport avec d’autres grandes indications, comme, par exemple, les dons miraculeux et prophétiques. Deux traits principaux caractérisent ces deux ordres de ministres ; ils sont fondateurs et révélateurs. Double donnée, qui dans la langue du temps et dans celle de saint Paul ne peut s’entendre qu’en un sens supranaturaliste, ce qui la rend capitale. Et, suivant une remarque qu’il convient de rappeler, ces apôtres, fondateurs et révélateurs, ne sont pas uniquement les Douze, puisque saint Paul se place si haut parmi eux, et que d’ailleurs les prophètes s’associent à leur œuvre et à leur prérogative. Si nous nous demandons quels étaient les titres de cet apostolat général, nous pouvons l’apprendre par ce que saint Paul nous dit du sien, en particulier Galates 1.1-12 ; 2Cor.12.12. Il sort de là une lumière incomplète sans doute, mais positive et certaine, à laquelle on ne regarde pas assez. J’ignore ce qu’en font les théories constructives de nos jours. Avant tout les faits, et les faits-principes ; nous souvenant que le plus petit fait vaut mieux qu’un grand système.
3° Evangélistes. — Le Nouveau Testament nous donne peu de lumières sur la nature de cette charge. Actes 21.8 ; 2 Timothée 4.5, où on l’a généralement vue, pourraient, à la rigueur, ne désigner que de simples prédicateurs de l’Évangile, quoique l’interprétation commune soit certainement la plus probable, en regard d’Éphésiens 4.11. Mais les anciens nous apprennent que le nom d’évangéliste se donnait dans une acception spéciale à des hommes qui aidaient les apôtres dans leurs travaux, et qui, comme eux, n’étaient attachés à aucune Église particulière. Tels furent Silas, Silvain, Tite, Timothée, etc., que nous voyons suivre saint Paul et remplir sous sa direction des missions spéciales (Timothée à Ephèse ; Tite en Crète, à Corinthe, etc…) ; de même Marc, qui paraît tantôt avec saint Paul, tantôt avec saint Pierre (1 Pierre 5.13). Cet ordre de ministres survécut à l’apostolat. Au rapport d’Eusèbeb, « se bornant à jeter les fondements de la foi dans les lieux où l’Évangile n’avait pas été prêché, et établissant d’autres pasteurs auxquels ils laissaient le soin de cultiver les nouvelles églises, ils passaient eux-mêmes dans d’autres contrées et chez d’autres nations ». C’étaient des missionnaires.
b – Hist. Eccl., V, 9).