L’observation de la nature, de l’humanité et avant tout du moi lui-même, me révèle la coexistence et la concurrence incessantes de deux principes qui s’opposent l’un à l’autre tour à tour sous les formes du bien et du mal, de l’esprit et de la matière, de la jouissance et de la souffrance, de la vie et de la mort. Quelle est l’origine du second de ces principes ? Sont-ils coéternels, consubstantiels, équipollents ou seulement irréductibles l’un à l’autre ? ou bien le principe du bien, de la vie, a-t-il sur l’autre la triple priorité du temps, de l’essence et du droit ? telle est la question qui se pose ici ; car il ne suffirait pas que vous m’accordiez l’infériorité ou la subordination d’un des principes à l’égard de l’autre, pour que je vous reconnaisse comme ayant surmonté le dualisme ; il faut que vous me garantissiez que le second principe, quoique existant réellement, et pourvu même d’une vitalité qui lui est propre, bien que prêtée, n’existe que dans une dépendance physique absolue du premier. Or comme le dualisme essentiel a la prétention de donner de l’existence universelle une explication plus plausible que le monisme, et que même cette prétention a pu paraître souvent justifiée, il convient d’examiner si c’est à ce prix seulement que le monde devient intelligible.
Les systèmes dualistes se distinguent les uns des autres selon que l’opposition au Bien est rapportée à une personnalité ou à une substance impersonnelle.
A la première forme du dualisme appartiennent le parsisme ou mazdéisme et le manichéisme ; à la seconde, les conceptions philosophiques et gnostiques qui, soit dans l’antiquité soit dans les temps modernes, ont rattaché à la matière l’origine du mal.
Dans le mazdéisme, les deux principes rivaux sont personnifiés sous les noms de Ahurô Mazdâo (Ormuz) et Agro Mainyus (Ahriman). Le premier de ces noms désigne le seul vrai Dieu, seul digne de l’adoration des hommes, dont les attributs sont la grandeur, la bonté, la beauté, la force, l’intelligence suprême. C’est un esprit revêtu d’une corporalité d’essence supérieure. Il a créé de toute éternité le monde des purs esprits qui habitent le royaume du bien et de la lumière.
Cinq siècles avant Jésus-Christ turent écrites les lignes suivantes sur un granit rouge retrouvé près des ruines d’Ecbatane :
C’est un Dieu puissant qu’Auramazda !
C’est lui qui a fait cette terre ici !
C’est lui qui a fait le ciel, là-bas !
C’est lui qui a fait le mortelu !
u – Revue de l’histoire des religions, tome I, page 311.
Coéternel à Ormuz est Ahriman, l’esprit qui frappe et qui tue, le créateur et le chef du royaume du mal et des ténèbres. Toutefois l’infériorité d’essence d’Ahriman par rapport à Ormuz se révèle dans les traits suivants : l’un a la prescience ; l’autre ne connaît les conséquences de ses actes qu’après les avoir exécutés ; les créations de l’un sont spontanées ; celles de l’autre sont dérivées d’une intention d’opposition et de ruine. Surtout l’un sera sans fin comme il fut sans commencement ; l’autre est destiné à une ruine certaine. Ahriman a l’aséité, mais non l’absoluité.
« Les Iraniens adoraient un seul Dieu, Aouramazda, l’esprit sage, le lumineux, le resplendissant, le très grand et très bon, le très parfait et très actif, le très intelligent et très beau. Il est incréé mais a créé toutes choses par le verbe… Par l’acte de sa parole, il a tout tiré du néant, esprit et matière. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Aouramazda avait fait le monde et avait voulu le faire bon. Mais la création ne peut subsister que par l’équilibre des forces qu’elle met en jeu. L’opposition de ces forces inspira aux Iraniens l’idée qu’elles étaient mues par deux principes ennemis, l’un bon et utile, l’autre mauvais et nuisible à l’homme. Ce mauvais principe n’est pas coéternel au bon principe ; tant qu’Aouramazda ne créa point le monde, le mal ne fut point ; mais le jour où, dans l’œuvre de la création, il tira la matière du néant et suscita les forces qui la régissent, leurs actions et leurs réactions firent apparaître, sans qu’il y eut de sa volonté, un génie destructeur que les hommes appelèrent Angromaïnyous (Ahriman) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Son pouvoir ne sera complètement détruit qu’à la fin des temps. Alors trois prophètes, issus de Zoroastre apporteront au monde trois nouveaux livres de la loi qui en compléteront le salut. Les ténèbres disparaîtront devant la lumière, la mort devant la vie, le bien devant le mal ».
(Extrait de l’Histoire ancienne de Maspéro, page 466).
Entre les deux royaumes rivaux des esprits du bien et des esprits du mal, gît le monde des corps, créé dans le temps pour devenir l’arène des deux combattants. Une trêve de neuf mille ans reconnue par Ormuz, en vertu de sa prescience, aussi nécessaire et profitable à sa cause que nuisible à son adversaire, lui a permis de produire le monde matériel qui devait servir de barrière entre les deux domaines. Ahriman reconnaissant trop tard son erreur, s’efforça d’envahir à son tour et de corrompre cette production d’Ormuz et y réussit en partie. Mais l’apparition de Zarathustrav mit un premier terme à ses succès, et cette première défaite ne fut que le prélude de la ruine définitive qui sera accomplie au terme d’un cycle de douze mille ans, c’est-à-dire trois mille ans après l’expiration de la trêve, par un nouvel envoyé d’Ormuz, le Caoshyâc (Soziosch), ou sauveur victorieux.
v – On discute encore sur l’époque de la naissance de Zoroastre, et les évaluations varient de plusieurs siècles et même de milliers d’années. La réalité historique du personnage n’échappe pas même à toute contestation. Elle est admise par Spiegel, I, 708. C’est lui qui doit avoir tiré le dualisme d’un polythéisme antérieur (Asmus, ibid., page 37).
Au-dessus des deux adversaires, à l’arrière-fond du vaste drame de l’existence, apparaît cependant un principe unique, personnel ou impersonnel, le Zervanakerene, le temps infini, qui paraît avoir rempli dans le mazdéisme le rôle du destin dans les religions gréco-romaines, et qui était élevé au-dessus des contrastes du monde, au-dessus aussi des supplications des hommes.
Toutefois la date de l’introduction de ce nouveau principe dans les croyances mazdéennes et la relation qui a pu exister entre le Zervanakerene et Ormuz sont encore controversées, et plusieurs critiques avancent cette date jusqu’à l’époque des Sassanides, dans le troisième siècle de notre ère. Peut-être ces derniers tranchent-ils avec trop d’assurance, et oublient-ils qu’une donnée ancienne a pu traverser des phases diverses.
En tout état de cause, la supériorité du mazdéisme réside dans l’opposition tranchée qui y est établie entre les deux principes du bien et du mal, sans que toutefois l’origine du mal soit rattachée à la matière, laquelle est, comme les bons esprits, la création du bon principe. Le mazdéisme a donc partagé seul avec le jéhovisme la gloire d’avoir enseigné une production absolue de la matière par la puissance divine.
Mais l’absoluité d’Ormuz est limitée, d’une part, par la présence d’éléments coéternels à lui et qui sont causes d’eux-mêmes, le temps, le firmament, l’air, à supposer même que nous n’admettions pas la filiation d’Ormuz du premier d’entre eux ; d’autre part, les conditions de la lutte, avec un adversaire coéternel à lui, lui sont imposées, et s’il doit finir par en avoir raison et par le contraindre même finalement au suicide, ce sera grâce à la trêve conclue avec lui par surprise.
Le manichéisme, qui fit son apparition en Perse dans le troisième siècle de notre ère, fut une combinaison du mazdéisme, auquel il emprunta la personnification plus ou moins accentuée des deux principes, et des systèmes gnostiques de l’Orient qui, à la différence du mazdéisme lui-même, attachaient à la matière l’origine du mal.
Le dualisme platonicien opposait la matière (ὔλη) à l’esprit, non pas comme le néant sans doute, qui serait le οὐκ ὄν, mais comme le μὴ ὄν, ce qui, tout en étant, et même tout en étant nécessairement, ne devrait pas être, et il rattachait dès lors à la matière primordiale l’origine du mal.
Cette conception qui, à toutes les époques de l’histoire de l’Eglise, a fait le fonds de toutes les hérésies gnostiques, a rencontré dans la période moderne un de ses interprètes les plus puissants. Selon Rothe, la matière, non pas sans doute la matière déjà organisée, mais la matière primitive et brute, le Urstoff, est l’antithèse nécessaire de l’activité divine pensant et posant l’être.
« En tant que Dieu, pensant et posant, se détermine comme personnalité absolue, il réalise (vollzieht) la pensée de soi-même. Mais conformément à une nécessité logique inéluctable — einer unverbrüchlichen logischen Nothwendigkeit zufolge — il réalise en même temps la pensée de l’autre, la pensée de son opposé contradictoire, d’un être, par conséquent, qui n’est pas tout ce que lui-même est. En effet, la pensée de Dieu même est soumise au même principe que toute autre opération logique, à savoir que pour être achevée, elle doit être déterminée d’une façon absolue affirmativement et négativement ; en d’autres termes, l’on ne peut penser logiquement quelque chose sans exclure en même temps son contraire. Le principium contradictionis est posé immédiatement et conjointement avec le principium identitatis, et ils forment tous les deux ensemble le nerf de la logique.
L’affirmation ne peut jamais avoir lieu sans qu’aussitôt se produise la négation correspondante. Affirmation et négation sont d’indissolubles corrélatifs, et avec toute affirmation résonne la négation, sa contre-partie. Celle-ci est la supposition nécessaire de celle-là… Cela est vrai de la réalisation de la conscience que toute personnalité a de soi-même. Je suis moi signifie en même temps : Je ne puis pas me penser comme mon non-moi. Et la conséquence immédiate de la proposition : Je suis moi, est : Je ne suis pas non-moi. Naturellement cela est vrai aussi — puisque toute nécessité logique subsiste pour lui — de Dieu en tant qu’il est une personnew. »
w – Ethik, Sect. XL.
Nous signalons ici de nouveau le procédé, déjà critiqué dans notre précédent volume, consistant à identifier les lois de l’être avec celles de la pensée, et les conditions de la pensée divine avec celles de la pensée humaine.
Mais quel est cet « Autre » que Dieu pose et pense nécessairement en se posant et en se pensant ?
C’est à quoi il est répondu dans ce qui suit :
« L’acte primitif de la création divine est la contre-apposition à Dieu du non-moi comme d’un autre, qui, d’une manière absolue, n’est pas Dieu, et qui est, par conséquent, son opposé contradictoire. Cet être contre-apposé à Dieu par Dieu même est la créature primitive. Mais comme Dieu, selon l’expression la plus abstraite, est l’être absolu, il s’ensuit que cette créature primitive, comme étant son opposé absolument contradictoire, est en même temps, selon l’expression la plus abstraite, un non-être absolu : Absolut Nichtsein, quoique non pas un absolu néant : Absolutes Nichtsein. C’est un être, qui, dans un sens absolu, n’est pas ; mais cet être qui, dans un sens absolu, n’est pas, étant non seulement pensé par Dieu, mais posé par lui, est déterminé comme existant : Daseiendes (c’est ce que Platon exprimait en appelant la matière non le οὐκ ὂν, mais le μὴ ὂν). En tant donc que Dieu est plus rigoureusement esprit, cette créature est plus rigoureusement l’opposé purement contradictoire de l’esprit ; par conséquent, l’être qui, d’une manière absolue, n’est pas esprit, c’est-à-dire la matière (ce mot désignant dans la langue l’opposé de l’esprit), je dis : la pure matière, c’est-à-dire un être qui d’une manière absolue n’est autre que matière, dans la notion duquel rien ne s’ajoute à celle de matière, aucune détermination, aucune particularité ultérieure. La créature primitive est donc la matière et la pure matièrex. »
x – Ethik, section LVI.
Il est facile de reconnaître qu’il ne s’agit pas dans ce système d’une production libre et spontanée de « l’Autre », c’est-à-dire de la matière par Dieu, puisque la position de la matière est éternellement comprise dans la position éternelle de l’Esprit en lui-même et par lui-même. La matière est donc le second terme d’un duel non seulement coéternel, mais consubstantiel à l’esprit, puisque ce dernier est incapable de se poser soi-même sans la poser en même temps, et elle joue dans ce système le même rôle que le fini dans le panthéisme.
Nous ne nions pas que le dualisme n’offre une ressource facile et fort tentante à celui qui veut expliquer l’énigme du monde, tout en étant très supérieur au degré précédent, le polythéisme ; car ici, le bien est censé nettement opposé au mal, et ne se montre pas sans cesse impliqué avec lui soit dans la divinité soit dans le monde. Si le mal est coéternel au bien, il semble expliqué, soit qu’il réside dans une personnalité ou dans une substance comme la matière, et nous aurons même le droit de donner au mazdéisme, qui statue une opposition absolue entre les deux principes, bien que coéternels l’un à l’autre, la préférence sur les systèmes philosophiques et théologiques qui font de la matière un coefficient nécessaire de l’esprit.
Mais si réduite qu’on fasse la part de cette substance réfractaire en même temps que nécessaire au principe supérieur, quand on l’enfermerait dans la matière, et qu’on réduirait cette matière elle-même à sa fraction la plus inerte, la plus fruste, la plus opposée à l’essence spirituelle, au résidu dont tout principe spirituel se serait détaché, à la matière, dis-je, sans vitalité ni propriété, sans force motrice, sans affinités chimiques, sans cohésion moléculaire, il n’en resterait pas moins qu’on aurait soulevé de la part de la conscience et même de celle de la raison les difficultés les plus graves.
Au point de vue moral, disons-nous d’abord, les conséquences du système qui statue la consubstantialité des deux principes de la matière et de l’esprit, sont faciles à prévoir et d’une extrême gravité, soit que nous les considérions en Dieu ou en l’homme.
Si la matière est en Dieu la contre-apposition de l’acte par lequel Dieu se pense et se pose lui-même, n’étant plus la cause unique et suprême, Dieu n’est plus ni tout-puissant, ni parfaitement saint, ni absolument libre, et son amour même dégénère en une diffusion d’essencey.
y – On a cité plus d’une fois avec éloge et même admiration (tout récemment encore M. W. Monod dans sa thèse sur Les bases psychologiques de la Rédemption, pape 59), le mot de Rothe où, comparant l’amour et la sainteté eu Dieu même, il donne la préférence à cette dernière, « parce que, disait-il, sans l’amour, l’homme ne serait pas ; mais sans la sainteté, Dieu ne serait pas ». Sans nous prononcer sur le fond de cette sentence, nous affirmons que le dualisme de Rothe porte la plus grave atteinte à la sainteté de Dieu.
Faire dériver le mal dans le monde de l’opposition de la matière et de l’esprit, c’est statuer la nécessité et par conséquent la légitimité du mal, confondre les phases du bien avec celles de la spiritualité, et transformer toute rédemption future en une spiritualisation de l’être fini.
Une conséquence de cette prémisse, spéciale à la dogmatique chrétienne, celle-là même qui a enfanté les hérésies docètes, serait l’incompatibilité statuée entre la sainteté de Christ et son mode d’existence humaine et terrestre.
Au point de vue logique, la conception de la matière comme d’un principe irréductible à Dieu a été jugée par Bossuet dans les termes suivants :
« S’il y avait une matière que Dieu n’ait pas faite, cette matière qui aurait déjà de soi tout son être, ni n’aurait besoin de rien, ni ne pourrait jamais dépendre d’un autre, ni ne serait susceptible d’aucun changement, et enfin, elle serait Dieu, égalant Dieu même en ce qu’il a de principal qui est d’être de soi. Et on voit bien en effet que ne dépendant de Dieu d’aucune sorte par son fonds, elle serait absolument hors de son pouvoir, et hors de toute atteinte de son action. Car ce qui a l’être de soi a de soi tout ce qu’il peut avoir, n’y ayant aucune raison à penser que ce qui est si parfait qu’il est de lui-même ait besoin d’un autre pour avoir le reste qui serait moindre que l’être. Joint que si on présuppose que la matière existe de soi-même, comme on doit supposer que dès qu’elle existe, elle a sa situation, il s’ensuit qu’elle l’a aussi d’elle-même. Que si elle a d’elle-même sa situation, elle ne la peut perdre ni changer, non plus que son être ; ainsi on ne peut comprendre ce que Dieu ferait de la matière qu’il ne pourrait ni mouvoir ni arranger, ni par conséquent rien faire en elle ni d’elle. C’est pourquoi dès qu’on conçoit Dieu auteur et architecte du monde, on conçoit qu’il l’a tiré du néant, sans quoi il faudrait penser qu’il ne l’a ni fait ni construit ni ordonné. Et par la même raison, il faut qu’il l’ait fait librement, car il ne peut être obligé à le faire, ni par aucun autre, étant le premier, ni par son propre besoin, étant parfait, ni par le besoin du monde qui n’étant rien, ne pouvait certainement exiger de son auteur qu’il le fît. Le monde n’a donc d’autre cause que la seule volonté de Dieuz. »
z – Traité du Libre arbitre, chap. IV.
Bossuet nous paraît avoir, du moins dans sa critique du dualisme, droitement raisonné. Si nous admettons, comme nous l’avons fait et comme une étude consciencieuse de la nature nous y invite, comme Platon et Rothe eux-mêmes le reconnaissent, que c’est l’esprit qui préside aux mouvements infiniment divers des êtres matériels, conserve et soutient les forces générales de la nature, lesquelles dominant l’espace ne sauraient être elles-mêmes de la substance étendue ; si nous admettons que ces actions physiques et les affinités chimiques qui assemblent et retiennent les molécules de matière sont également d’essence et d’origine spirituelles, et qu’il ne reste devant nous, de la matière dépouillée de tous ces éléments spirituels qui concourent à son organisation, que le substratum, le résidu inerte, brut, la pure matière dont Rothe a parlé, comment prétendre logiquement que la ὕλη, le Urstoff, réduit à ces éléments simples, soit un μὴ ὄν pour l’esprit ? soit irréductible à l’autre principe qui a pour lui la double supériorité d’essence et d’action ? Et si la matière n’a pas su se suffire à elle-même dans la production de ses modes, qui lui sont d’ailleurs si inhérents qu’elle ne nous apparaît jamais que modifiée, si, dis-je, elle est restée dépendante de l’esprit dans ses diverses modifications, combien plus, quant à l’être qui est supérieur aux modes ! Est-il concevable qu’un rival aussi absolument passif, et plongé tout entier et jusque dans ses fibres les plus intimes dans l’atmosphère et l’action de l’autre, ait pu jamais opposer à celui-ci une force de résistance capable de le faire capituler sur le point décisif : être ou n’être pas ?
Le dualisme, qu’il dérive ou non d’un panthéisme antécédent, doit logiquement y retourner ; car étant donnés les deux pôles opposés mais nécessaires l’un à l’autre de l’esprit et de la matière, l’esprit humain qui aspire à l’unité ne se lassera pas de rechercher la substance unique, l’être neutre, le ὄν primordial qui est ou qui fut le fonds commun et confus de l’esprit et de la matière, et en qui réside en dernière fin cette loi de polarisation qui les régit prétendument tous les deux ; car cette loi ne résidant ni dans l’esprit seul, puisqu’il a besoin de la matière, ni dans la matière seule, puisqu’elle est posée par l’esprit, elle ne peut résider que derrière l’une et l’autre substance ou au-dessus d’elles. Si le dualisme est conséquent, il découvrira dans la brume des origines l’être occulte et éternel, père des deux frères ennemis, qui s’appellera dans le mazdéisme le Zervanakerene, et dans les systèmes philosophiques ou soi-disant théologiques, l’idée universelle engendrant d’elle tous les contraires pour les ramener tôt ou tard dans son sein.