Comme la seule parole à nous connue du N. T. qui désigne expressément le jugement individuel qui suit la mort, Hébreux 9.27, ne peut s’entendre raisonnablement d’une comparution successive et ininterrompue de toute âme décédée devant le tribunal divin, elle ne peut signifier qu’une crise individuelle, manifestant dès l’instant du décès le sort fortuné ou infortuné, temporaire ou définitif, de la personnalité.
Cette double manifestation qui succède immédiatement par delà la tombe au décès de chaque personne humaine, est illustrée par Jésus-Christ dans la parabole : Luc 16.19-31 ; et elle est annoncée par Paul sous la forme d’un partage futur de l’humanité connue alors dans ses deux grandes fractions de Juifs et de Gentils, en deux divisions nouvelles croisant les précédentes : les punis et les récompensés (Romains 11.6-12).
La norme suprême de ce jugement immédiat où rien ne sera plus accordé aux privilèges de races ni laissé à l’acception des personnes (v. 11) est indiquée par les mots : κατὰ τὰ ἔργα (v. 6), savoir la fidélité montrée par chacun au degré de la révélation qui lui a été accordé, à la révélation de la conscience pour le païen (v. 14), à celle de la loi pour le juif (v. 13), en attendant la révélation suprême du salut qui est en Jésus-Christ.
La question qui se pose ici est celle de savoir si cette manifestation de justice d’outre-tombe est définitive.
Elle l’est certainement, soit en bonne, soit en mauvaise part, pour les deux fractions opposées de l’humanité chez lesquelles l’épreuve morale, soit dans le bien, soit dans le mal, a épuisé toutes ses chances (Jean 3.36).
Jésus exclut, d’une part, toute possibilité de condamnation, même tout débat futur portant sur la question du salut, à l’égard de quiconque croit en lui (Jean 3.18-21). Il s’ensuit que tout jugement succédant à celui que le croyant a déjà prononcé sur sa valeur morale par son attitude à l’égard de Jésus-Christ, ne pourra plus être que la constatation d’un état de justice désormais acquis (ἀπάρτι, Apocalypse 14.13 ; cf. Philippiens 1.23).
Nous n’affirmons point sans doute que le passage du seuil toujours redoutable de l’économie future s’accomplisse dans des conditions égales pour tous les rachetés de Jésus-Christ. Il est inévitable que le jugement de soi-même, nécessaire à la discipline spirituelle du chrétien, s’il a été négligé au cours de l’existence terrestre, réclame sa place et son droit au delà de la tombe dans des proportions redoublées d’acuité et d’austérité (1 Corinthiens 11.31-32). L’apôtre a mentionné le cas en effet, que nous ne pouvons que transporter dans l’au-delà, où toute l’œuvre édifiée sur le fondement demeuré intact de la foi justifiante, étant reconnue caduque et mélangée, le sujet n’emportera de l’épreuve future, à travers l’angoisse et le péril — ὡς διὰ πυρός — que « son âme pour butin », heureux seulement d’échapper de sa personne — ἀυτὸς σωθήσεται — à la combustion finale de ce qui n’avait été que le produit de la paresse et de l’infidélité (1 Corinthiens 3.12-15).
A l’opposite du cas précédent, Jésus connaît et désigne un état moral où sont épuisées toutes les chances de retour au salut, et qu’il déclare dès cette existence terrestre irrémissible : c’est le péché contre le Saint-Esprit, Matthieu 12.32 (cf. Marc 3.29 ; Luc 12.10), appelé ailleurs le péché volontaire (Hébreux 10.26-27) ou le péché à la mort (1 Jean 5.16) ; car pour rappeler un tel pécheur à la repentance, il faudrait une nouvelle manifestation de grâce, et plus grande que la précédente. Or il n’y en a pas, et il ne peut pas y en avoir.
Entre ces deux termes extrêmes, le salut acquis par la foi en Jésus-Christ et la perdition rendue dès maintenant irrévocable par le rejet conscient, volontaire et définitif de la grâce de Dieu en Jésus-Christ, se classent l’infinie variété des cas où l’épreuve morale, restée inachevée avant la révélation suprême du seul nom donné aux hommes afin qu’ils soient sauvés (Actes 4.12), laisse ouvertes des chances diverses soit de déchéance définitive, soit de restauration définitive. En considérant l’ensemble des témoignages scripturaires sur la matière, nous avons le droit d’accorder au païen qui a péché ἀνόμως, au juif qui a péché ἐν νόμῳ (Romains 2.12), au mauvais riche même de la parabole (Luc 16), à tout homme enfin qui n’ayant pas passé par l’épreuve morale définitive : le salut qui est en Christ, n’a pas pris non plus son parti définitif à l’égard de Dieu et du Bien, le bénéfice de nouveaux appels au salut dans l’économie future.
Nous déduisons la certitude de cette chance future de salut pour la très grande majorité des hommes, qui meurent sans avoir été mis en demeure de se décider définitivement pour ou contre le nom de Christ, de la sentence même prononcée contre les auteurs du péché contre le Saint-Esprit (Matthieu 12.32) ; car dire qu’il n’y aura aucune chance de rémission pour ceux-là, ni dans ce siècle ni dans le siècle à venir, c’était indiquer que cette chance reste réservée à tous les autres.
Note ThéoTEX : Gretillat s’avance ici bien témérairement en affirmant qu’une chance de salut sera offerte après la mort par la prédication de l’Evangile aux âmes qui ne l’ont jamais entendu ici-bas. Il est vrai que la parole du Seigneur signalant le péché contre le Saint-Esprit comme étant le seul qui ne puisse pas être pardonné dans le siècle à venir, suppose que d’autres péchés le seront : il est difficile d’échapper à cette conclusion, ainsi que le fait remarquer Gretillat. Cependant, sur cette terre, la part de l’homme dans le salut consiste à exercer la foi en la personne du Sauveur qui lui est présenté. Mais dans l’au-delà, pourra-t-il être encore question de foi, lorsque l’âme verra les réalités spirituelles qui lui étaient voilées auparavant ? En admettant qu’une prédication de l’Évangile soit adressée aux morts, ne seraient-ils pas obligés de l’accepter ? et dans ce cas sera-ce encore l’Evangile ? Gretillat ne peut évidemment répondre à cette objection, puisque nos réflexions concernant l’au-delà ne peuvent guère dépasser l’incertitude des spéculations. Convenons à sa décharge, que l’Ecriture n’enseigne rien sur l’état éternel, des enfants morts en bas-âge, des malades mentaux, des peuplades isolées, etc. La proportion de ces infortunés par rapport aux reste des hommes importe peu : il s’agit d’une question de principe relative à l’âme humaine.
L’évocation de cet angoissant problème provoque en général des réactions négatives passionnées dans la mouvance dite aujourd’hui évangélique, et qui n’a en commun avec les protestants évangéliques de l’époque de Gretillat, rien moins que le goût de la théologie. Il est en effet très évident que la réprobation inquiète et systématique que les évangéliques manifestent à la moindre évocation d’une possibilité de salut après la mort, ne provient pas de leur connaissance de l’Ecriture, mais de leur crainte de voir le pécheur à qui on offre le salut, s’échapper en repoussant à après la mort sa décision. Or ce réflexe, qui veut passer pour pieux, est inepte, puisque le fond de la question concerne justement le sort des âmes qui n’ont jamais eu le choix. Par définition, le pécheur qui entend la prédication se place en dehors de cette dernière catégorie ; s’il refuse l’amnistie offerte, il est seul responsable des conséquences. Citer le verset de l’épître aux Hébreux, pour démontrer la perdition des âmes non atteintes par l’Evangile : « Il est réservé aux hommes de mourir une seule fois, après quoi vient le jugement », c’est oublier que jugement et condamnation ne sont synonymes ni dans le dictionnaire, ni dans la Bible.
Ainsi, l’empressement de l’orthodoxie évangélique à envoyer en enfer les âmes qui n’ont jamais entendu parler du Seigneur Jésus-Christ sur terre, est pour le moins aussi suspect que celui de Gretillat, de se rassurer à bon compte sur le sort éternel d’une très grande partie de l’humanité.